do i know you? / jamal

« Vryzakis, tiens, faudrait que tu interroges un témoin, c’est peut-être rien, mais c’est peut-être en rapport avec l’affaire Hodgkins, faut qu’on vérifie. » Son patron jette un dossier devant elle en passant à côté de son bureau. Elle a à peine le temps de réagir qu’il est déjà parti. C’est toujours comme ça avec lui, personne ne discute jamais ses ordres, principalement parce qu’il ne leur en laisse pas le temps. Elle s’empare du dossier puis l’ouvre dans le but de le feuilleter. Ca lui prend quelques minutes : il y a un rapport d’accident, un rapport d’arrestation, plusieurs séries d’empreintes, des photos d’identification… Pas mal de choses. Apparement, il y a eu un accident et on a retrouvé une fille dans le coffre de la voiture. Une fille inconsciente, et à peine en vie, mais en vie. Personne n’a encore pu l’interroger comme elle ne s’est pas réveillée, et bien sûr le conducteur a disparu. Elle doit quand même interroger les personnes qui se sont rendues sur place, de la personne qui a appelé les secours aux secours eux-mêmes. Et à en juger par la copie de convocation de témoin, la personne qu’il doit interroger s’appelle Jamal Valentyne. Il est pompier et visiblement, il a été l’un des premiers à intervenir sur les lieux de l’accident. Elle tique légèrement Thea en lisant le nom de Jamal et en voyant le métier, mais dans une grande ville comme New York, il doit y avoir plus d ‘un pompier qui s’appelle Jamal. Non, ce serait une bien trop grande coïncidence, impossible que ce soit le Jamal. Et quand bien même ce serait lui, ça ne doit pas l’empêcher de faire son travail.
Cinq minutes plus tard, alors qu’elle se prépare du café, on l’appelle pour lui signaler que son témoin est là. Elle a à peine eu le temps d’étudier le dossier, elle allait justement s’y pencher, d’où le café. Ce n’est pas très professionnel, mais elle imagine qu’elle fera en même temps. Elle se voit mal le faire attendre, avec un tel métier, elle s’en voudrait de le retenir trop longtemps. Quoi qu’il en soit, elle abandonne son café et sort de la salle de repos pour se rendre à son bureau, où Jamal l’attend déjà. Elle lui tend la main en arrivant à sa hauteur. « Monsieur Valentyne, c’est bien ça ? Inspecteur Vryzakis, merci d’avoir pu vous libérer et d’être venu jusqu’ici.  » Elle s’assied en face de lui, le dossier en face d’elle. « J’imagine que vous savez pourquoi vous êtes ici ? C’est à propos d’un accident sur lequel vous êtes intervenu, il y a quelques jours. Ca a peut-être un rapport avec une de nos enquêtes et on voulait vous poser quelques questions. Ca vous va ? Ca ne devrait pas durer longtemps. »

Pour la deuxième fois depuis qu’il est dans le bureau, Jamal regarde la pendule accrochée au mur. Puis les affichages officiels qui l’entourent, avant de regarder la porte, qui ne s’ouvre toujours pas. Et il soupire, lassé de devoir attendre alors qu’il ne comprend pas bien ce qu’il fait là. Mais c’était son chef qui lui avait dit ce matin qu’il était convoqué à la police pour parler de ce qui s’était passé ce weekend. Encore. Lui, il préférerait nettement être en intervention, ou au moins à patienter avec ses collègues, plutôt que dans ce bureau austère. Rien d’étonnant dans un bureau de police, mais quand même. Il sort son téléphone, impatient alors qu’il n’est pas là depuis très longtemps. Fait défiler les contacts avant de s’arrêter sur celui de Calista. Et c’est le moment que choisit la porte pour s’ouvrir. Il range son téléphone et lève les yeux vers la policière qui doit avoir au moins dix ans de moins que lui. Ça, ça lui fera toujours bizarre. Il prend la main qu’elle lui tend, sans pouvoir s’empêcher de se demander si elle est compétente. Au moins, elle a confiance en elle et le montre. Et pour en être là, elle doit être douée. Mais elle a plus l’air d’un mannequin que d’une policière, et c’est un brin perturbant. Il voudrait lui dire qu’il n’a pas vraiment eu le choix de venir ici, mais se retient. Après tout, elle ne fait que son travail. « J’ai déjà tout dit aux policiers qui sont intervenus sur place, ils n’ont pas fait un rapport ? » De toute façon, il ne savait pas grand-chose, même s’il était le premier sur place après cet accident. Et même si c’était lui qui avait trouvé cette pauvre fille inconsciente et à peine vivante dans le coffre. Scène qu’il n’était pas vraiment préparé à voir. Mais qui l’est ? « Enfin maintenant que je suis là, vous pouvez poser vos questions. » Autant qu’il ne soit pas venu pour rien.

Chaque partie de son travail est importante, mais ce qu’elle préfère, Thea, c’est le terrain. Clairement, il n’y a pas photo. Elle aime bouger et être au coeur de l’action, elle préfère ça aux à-côtés. La paperasse, les interrogatoires, les prises de déposition, très peu pour elle… Mais étant l’une des seules femmes de l’unité, elle a l’impression qu’ils la prenne tous pour une sorte de… ‘secrétaire’. Ils la laissent faire tout ce qu’ils n’aiment pas faire, et ils en profitent beaucoup. Ce n’est pas qu’elle n’a pas envie d’interroger ce témoin, surtout qu’elle est sûre à quatre-vingt-dix pourcent qu’il n’a pas envie d’être là non plus. Ca risque d’être assez agréable… Elle prend une grande inspiration, puis retourne à son bureau où le pompier l’attend. Sans surprise, il ne semble pas comprendre pourquoi il est là, et elle sent bien qu’elle lui fait perdre du temps. Comme si elle, ça lui fait plaisir d’être ici, à enregistrer un témoignage qui ne mènera sans doute à rien. Comme si elle n’a rien de mieux à faire non plus. « Oui mais vous devez signer une déposition, si jamais ça mène quelque part, on ne doit rien laisser au hasard. » Le moindre vice de procédure peut engendrer une annulation de procès, si jamais ils retrouvent le type et arrivent à le coincer. Non, ils ne peuvent définitivement prendre aucun risque. « Ca ne sera pas long, promis. » Elle a lu le rapport, il n’a pas appris grand-chose aux premiers agents qui l’ont interrogé. Clairement, c’est une perte de temps, mais elle suit les ordres. Elle ne veut pas leur donner de quoi la sermonner. « Vous avez vu quelqu’un sur la scène en arrivant ? Quelqu’un qui paraissait louche, ou qui n’aurait rien eu à faire là ? » Quelqu’un qui se serait démarqué parmi les badauds, s’entend.

Jamal n’a jamais été du genre à cacher son agacement, et aujourd’hui ne fait pas exception. Qu’il s’agisse d’une femme en face de lui n’y change rien. Face à un homme, il ferait aussi savoir qu’il ne comprend pas ce qu’il fait là et que ça ne lui plaît pas. C’est plus le fait qu’elle paraisse si jeune qui le rend dubitatif. Mais on lui a toujours appris à ne pas juger sans connaître. Pas toujours facile, mais il essaye. « Je dois juste signer alors ? Vous auriez pu envoyer les papiers à la station. » Tout le monde aurait gagné son temps. D’ailleurs, il a l’impression qu’elle n’est pas très motivée non plus. Elle le rassure un peu, et il espère qu’ils en auront vite terminé effectivement. Et finalement en entendant la question suivante, il soupire à nouveau. Tout ça ne sert pas à grand-chose, et il est un peu frustré de ne pas pouvoir aider davantage. S’il le pouvait, il voudrait bien donner des informations qui permettraient d’arrêter ce psychopathe, assez fou pour enlever une femme et la garder à peine en vie, la transporter comme un animal – ou même pire qu’un animal, qui a en général le droit d’être dans l’habitacle d’une voiture. Quelle honte. « En arrivant sur les lieux, je me suis concentré sur les voitures encastrées l’une dans l’autre, le conducteur était déjà parti. S’il était encore à proximité, je ne l’ai pas repéré. J’ai bien regardé autour de moi après avoir trouvé cette fille dans le coffre, mais il était sans doute parti depuis longtemps. Il faudrait être idiot pour rester sur place, non ? » Et même s’il était dans la foule de passants qui regardaient l’incident avec leurs yeux curieux, comment aurait-il pu le savoir ? « Vous avez trouvé des traces ADN ou des empreintes dans la voiture non ? Il y avait du sang autour du volant je crois. Ça vous sera plus utile que mon témoignage. » Non pas qu’il veuille lui apprendre à faire son métier, mais leur temps à tous les deux pourrait être mieux utilisé. « Enfin je dis ça… je n’y connais pas grand-chose. C'est n'est pas ce qu'on nous apprend pour être sportif ou pompier. » Est-ce qu’il s’affiche un peu ? Sans doute.

Elle n’a pas plus envie d’être là que lui. Et elle a clairement l’impression qu’il la prend de haut, ce qui ne lui plait pas. Il y a assez d’hommes ici qui la sous-estiment, pensent qu’elle ne comprend rien, ne lui font pas confiance. Elle n’aime pas faire des généralités, mais les hommes commencent sérieusement à la fatiguer. Alors ce n’est pas étonnant qu’elle ne puisse s’empêcher de lever les yeux au ciel quand il reprend la parole, manquant légèrement de professionnalisme pour le coup. « Pour la signer il faut d’abord la rédiger, chose que vous seuls êtes à-même de faire. » Ils ne peuvent rien laisser au hasard si jamais ils en viennent à attraper les méchants et à aller jusqu’à un éventuel procès. Si quoi que ce soit est mal fait, même un tout petit détail, tout peut être annulé. Et personne ne veut ça. Pas quand des vies sont en jeu. Alors elle prend un papier, un stylo, et les lui pose devant lui. « Plus vite vous aurez compris que je ne suis pas juste là pour vous faire perdre votre temps, mieux ça ira. Vous croyez que je n’ai que ça à faire, enregistrer des témoignages qui ne m’apprennent quasiment rien de nouveau ? » Elle serait beaucoup plus utile ailleurs, elle le sait et il n’a pas besoin de le lui faire sentir pour le réaliser. Ca la fout suffisamment en rogne comme ça. « Donc plus vite vous écrivez, plus vite vous êtes sorti d’ici et je ne vous embêterai plus. » Sans surprise, il ne lui apprend rien de nouveau. Au moins, ils vont vite en avoir fini, il a juste à écrire et il pourra s’en aller. Pour le coup, elle en veut un peu à son supérieur de lui avoir fait faire ça, comme si elle était une vulgaire secrétaire. Il devait bien savoir qu’elle n'apprendrait rien de nouveau et que ça lui ferait perdre plus de temps qu’autre chose. Quand il reprend de plus belle, c’est avec un soupir qu’elle lui répond en premier lieu. Clairement, elle ne comprend pas ce qu’il cherche. Il semble croire que ça lui fait plaisir de lui faire perdre son temps, parce qu’il est clairement quelqu’un de très important. « Vous savez, même le détail le plus insignifiant peut être important. » Elle se réinstalle dans son siège, les bras croisés, attendant qu’il commence à écrire et espérant qu’il se dépêche pour pouvoir enfin passer à autre chose.

Visiblement, la policière s’énerve aussi, pas vraiment contente du ton de Jamal. Mais si elle a autant envie que lui d’être ici, pourquoi l’embêter ? Peut-être n’a-t-elle pas le choix tout comme lui. Enfin reste que c’est son travail, et qu’à un moment, elle doit bien avoir choisi de le faire. Jamal, il n’a jamais voulu faire de l’administratif, être derrière un bureau. Même à l’école, il détestait ça, et ça n’a pas changé. Alors écrire sa déclaration, ça ne l’enchante pas. Il aurait nettement préféré que les policiers à qui il avait parlé sur place prennent des notes, ç’aurait été plus rapide. Mais visiblement, cette histoire va plus loin qu’un simple kidnapping – ce qui est déjà conséquent. Et au fond, s’il peut aider à faire capturer ce psychopathe qui a fait du mal à cette pauvre fille, il peut bien faire un petit effort. Même s’il ne voit pas en quoi son témoignage peut aider, comme il n’a rien vu. « Bon d’accord. » Qu’il grommelle avant de prendre le stylo et le bloc de papier. Même écrire, Jamal n’aime pas ça. Il faut dire qu’il ne le fait pas souvent, ou plutôt sur un téléphone. Il essaye de réfléchir à tout ce qu’il aurait pu voir, mais ce n’est pas évident de revoir la scène avec précision. Surtout qu’en arrivant sur place, il n’avait pas fait attention aux détails, puisqu’il ne pensait pas qu’ils seraient importants. Après tout, il intervenait juste sur un accident de la route, pas un kidnapping. « Pourquoi vous faites ça si ça vous déplaît tant que ça ? Vous avez du caractère visiblement, vous pouvez très bien dire à votre patron que vous seriez plus utile ailleurs. » D’accord, il doutait de ses capacités quand elle était entrée dans le bureau. Mais il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis. Et puis il préfère sans doute discuter un peu pendant qu’il écrit, sinon il risque de vraiment s’ennuyer. Il continue d’écrire, essayant de donner le plus de détails possibles, quand il repense à quelque chose. « Maintenant que j’y réfléchis… quand on était sur la route, juste avant de tourner sur Flushing Avenue… ce n’était pas moi qui conduisais donc je regardais par la fenêtre, et j’ai vu un homme avec une casquette de Trump, cette connerie de make America great again, bien vissée sur le crâne et un t-shirt déchiré. J’me suis dit que la mode était étrange de nos jours, mais maintenant que j’y repense, c’était peut-être suspect ? » Ou peut-être qu’il avait juste eu cette impression à cause de la casquette et de sa haine pour leur président.

Il lui arrive de tout remettre en question. Pourquoi avoir choisi ce boulot, pourquoi avoir accepté d’entrer dans une telle unité, sachant pertinemment ce à quoi elle ferait face en tant que femme. Souvent, on dit qu’un physique tel que le sien ouvre toutes les portes, mais dans ce boulot, c’est plus une malédiction qu’un cadeau. On la sous-estime, on se dit qu’elle n’est pas faite pour ça ou qu’elle n’a rien dans la tête. Et du coup, elle se retrouve à jouer à la secrétaire, alors qu’elle a tout autant de capacités qu’un autre. Il suffit juste qu’on lui donne sa chance. Clairement, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va pouvoir briller. Son témoin se montre récalcitrant alors qu’il n’a rien de compliqué à faire. Elle comprend bien qu’il n’a pas envie de perdre du temps, mais s’il arrêtait de se plaindre et de trouver un moyen d’y échapper, il sortirait plus rapidement. Limite, ils pourraient déjà avoir fini, là. A son grand bonheur, il s’empare du stylo pour commencer à écrire, et elle doit se forcer pour ne pas laisser échapper un soupir. Elle le regarde écrire, assise sur la table les bras croisés, impatiente qu’il ait terminé. Puis il reprend la parole, et elle aurait vraiment préféré qu’il se taise. « J’adore qu’on m’apprenne des choses que je sais déjà. » répond-t-elle sur un ton évidemment sarcastique. Clairement, il ne sait pas de quoi il parle, et elle ne sait pas pour qui il se prend à croire qu’il est bien placé pour savoir ce qu’il y a de mieux pour elle. Comme si elle ne savait pas déjà tout ça, comme si elle ne l’avait pas déjà fait. Comme si c’était aussi simple. « Maintenant je n’ai pas besoin de votre avis sur la manière dont je devrais appréhender mon travail, j’ai juste besoin que vous écriviez ce que vous avez vu et que vous signiez. Ca devrait pourtant être simple. » Elle a peut-être pris la mouche un peu vite, mais c’est un sujet sensible. Elle a envie d’être ailleurs, et ça ne pourra se faire que lorsqu’il aura terminé et sera parti. Seulement, il semble se souvenir d’un détail. Un détail, oui, mais comme elle l’a dit, tout détail peut avoir son importance. Elle l’écoute avec attention maintenant, hoche la tête tandis qu’il parle. Ca peut être rien, ça peut être quelque chose. En tout cas, elle est plus calme à présent, redevenue professionnelle. « Vous vous souvenez d’autre chose à propos de lui ? Vous avez pu voir à quoi il ressemblait ? Couleur de peau, de cheveux, autre signe distinctif ? » Dans une telle affaire, il ne faut rien laisser au hasard, enquêter sur tout, on ne sait jamais ce que ça peut donner.

Ça lui apprendra à vouloir donner des conseils et être gentil. Finalement, il aurait mieux fait de continuer de se plaindre, ou juste remplir la feuille de papier comme elle le lui avait demandé. Même s’il n’a pas grand-chose à lui apprendre, plus vite il aura écrit le peu qu’il sait, plus vite il sera sorti d’ici et pourra retourner à la caserne. A choisir, il préfère attendre là-bas, surtout qu’en général, il n’attend pas si longtemps que ça. Il y a toujours de nouveaux besoins, des interventions, parfois même de fausses alertes. Dans une ville comme New York, il se passe toujours quelque chose. Et Jamal, il ne supporterait pas de faire ce qu’elle fait, surtout qu’elle semble penser valoir mieux que ça. Après, peut-être que son patron est un con, et qu’elle a déjà tout essayé. Jamal n’en sait rien. Il sait juste qu’elle s’énerve un peu trop contre lui. « Bon d’accord, j’écris alors. » Il grommelle, pas ravi d’avoir été rembarré ainsi. Il utilise à peine le stylo qu’il se souvient d’autre chose et relève la tête. Il n’y avait pas repensé depuis le jour de l’accident en vérité, parce que son esprit avait été préoccupé par cette fille dans le coffre. Avec l’urgence de la situation, il avait oublié le reste, et ce n’est que maintenant qu’il se souvient de cette personne qui était à proximité de l’accident et qui lui avait paru étrange. La policière semble tout à coup intéressée par ce qu’il a à dire, mais il se doute que ça pourrait être important, et que le lui faire remarquer ne lui plaira pas. Après tout, si c’est cet homme, supporter du président en plus de tout ça, il veut le voir autant qu’elle derrière les barreaux. « Il était blanc, ça c’est sûr. » Pour porter une telle casquette, c’est obligé. C’était d’ailleurs la réflexion qu’il s’était fait en le voyant sur le trottoir. « Les cheveux noirs… je pense qu’ils étaient longs parce que quelques mèches dépassaient. » Il essaye d’y repenser, mais regrette de ne pas y avoir prêté plus attention sur le moment. Pas facile quand le camion roule vite, et qu’il se prépare à arriver sur la scène d’un accident. « Je n’ai vu que le bas de son visage, et il n’y avait rien de spécial. Oh si ! il avait un tatouage sur le bras. Je l’ai remarqué parce que j’envisage de m’en faire un aussi, et le sien était très moche, trop de couleurs. » Parfois, la mémoire fonctionne de façon étrange. Mais si ça peut aider, il veut bien essayer de la forcer un peu.

Elle a peut-être un peu abusé dans sa réaction. Elle a pourtant l’habitude de ce genre de réflexions, elle sait très bien prendre sur elle d’habitude. Elle n’a pas le choix de toute façon, mais là, déjà qu’il s’est montré récalcitrant et lui a fait perdre du temps, elle n’a pas pu s’empêcher de lui répondre un peu trop sèchement. Au moins, il ne parle plus à présent, et recommence à écrire. Thea ferme les yeux quelques secondes, regrettant de s’être emportée, mais contente qu’il s’active enfin. Comme elle le lui a dit, plus vite il écrit, plus vite ils sont tranquilles tous les deux. « Merci. Vous voyez, c’est pas si compliqué. » Elle est un peu plus calme à présent, et peut-être même qu’elle s’excusera un peu plus tard. Là, quelque chose d’inespéré se passe, et il semble se souvenir de quelque chose. Ce n’est peut-être rien, mais au moins il a quelque chose à lui donner. Peut-être qu’au final, cette déposition ne sera pas qu’une perte de temps. Elle l’écoute attentivement, lui posant des questions pour faire avancer sa réflexion. Parce que ce qu’il lui donne pour le moment, c’est bien trop vague. Ils pourront toujours regarder sur d’éventuelles caméra, mais s’il peut lui en donner un peu plus, elle ne dit pas non. Quand il mentionne un tatouage, ils tiennent peut-être une piste. Ca, c’est un bon signe distinctif. Quelque chose de personnel, quelque chose d’unique. S’il est suffisamment précis, peut-être qu’ils pourront le retrouver grâce à ça, et éventuellement l’interroger. Un tatouage, ça en dit beaucoup sur une personne, alors Thea, forcément, elle saute sur l’occasion. « Vous vous souvenez à quoi il ressemblait ? A part les couleurs ? » Elle attrape une autre feuille puis la lui glisse sous le nez. « Tenez. » Elle espère vraiment que ça va donner quelque chose, qu’ils puissent se remettre à chercher rapidement. C’est clairement une question de vie ou de mort après tout.

désoléééée c'est nul, mais je voulais pas te faire attendre plus longtemps

Quelle idée de se souvenir d’un détail qui ne vaut peut-être rien. Ça va le faire rester plus longtemps, alors qu’il semblait évident qu’ils espéraient tous les deux que ça se termine au plus vite. Mais peut-être qu’il n’est pas complètement venu pour rien, peut-être que son instinct qu’il ne soupçonnait même pas avait vu quelque chose. Difficile d’en être sûr, bien entendu. S’il avait repéré cet homme, c’est parce qu’il l’avait trouvé étrange, pas parce qu’il lui paraissait suspect. Après tout, il n’avait encore rien à suspecter tant qu’il n’était pas arrivé sur les lieux de l’accident. S’il avait su qu’il trouverait une fille à peine en vie dans le coffre, il aurait fait plus attention à tout, et c’est là toute la frustration. Il imagine que pour les policiers, ça doit être bien pire. Lui, ça n’est pas son travail de mettre les criminels derrière les barreaux. Tant bien que mal, il essaye de se souvenir de détails qui pourraient être utiles, parce qu’un homme blancs, aux cheveux bruns et à la casquette de Trump, ça ne donne pas vraiment beaucoup d’indications. Ça pourrait correspondre à beaucoup d’hommes dans la ville, voire dans le quartier. Finalement, c’est sur le tatouage que l’inspectrice choisit de poser plus de questions. Ça paraît logique, c’est un signe plus distinctif, et peut-être même qu’ils peuvent trouver qui a fait le tatouage. Il lui semble avoir déjà vu ça dans une série policière. Il prend la feuille qu’elle lui donne et il la pose par-dessus l’autre. « Je dois le dessiner le tatouage ? Parce que je dois vous avouer que le dessin n’a jamais été mon fort. » Il n’a jamais eu la patience non plus. Jamal, il a toujours préféré être dehors, dans l’action, que ça soit en train de faire du sport ou d’éteindre un incendie. Être assis et calme, ce n’était pas pour lui. « Je crois que c’était une femme nue, mais avec les couleurs, elle ne devait pas être tellement humaine. Peut-être que c’était des écailles, c’était bleu et vert. Et il y avait du violet autour, peut-être des ailes. Depuis le camion, je n’ai pas tout bien vu. » Même là, il a du mal à le visualiser. C’était surtout l’amas de couleurs qui avait attiré son attention, donc les motifs, il n’avait pas eu trop le temps de les voir. « Ça n’aide sûrement pas beaucoup, désolé. » Contre toute attente, il se prend au jeu alors que ce n’est pas un jeu du tout. Mais s’il peut aider à mettre un criminel en prison, il veut bien.