small world, isn't it ? (paco)

Luis connait Paco. Le monde est si petit que ça ? Le malaise qui l’a pris au moment où elle a vu les deux compères assis à la même table était si soudain qu’elle s’impressionne elle-même d’avoir su ne rien laisser paraître. Son frère la connait tellement bien que le moindre signe inhabituel aurait attiré son attention. Dans certains cas, c’est pratique mais bien souvent, ce n’est pas terrible. Impossible pour elle de cacher quoique ce soit à Luis. Il la connait trop pour savoir quand quelque chose ne va pas. C’est la principale raison qui fait qu’elle l’a évité ces derniers temps. Elle en a honte, clairement, à utiliser le boulot plus que de raison pour excuser son absence. Ce soir, elle s’était finalement décidée à accepter une des invitations de Luis parce que ça ne lui réussit pas d’être trop éloignée de son frère pendant un temps. Elle n’aime pas ça. Elle y a été obligée pendant son tour du monde et clairement, elle ne s’y est jamais réellement faite. Cependant, elle a vite regretté d’avoir cédé. Passer la soirée avec son frère et l’homme qui lui a annoncé l’infidélité de Newt est loin d’être une perspective qui la réjouie et pour cause, Luis ne sait rien de tout ça. Il est dans l’ignorance la plus totale et Eris a bien l’intention que cela continue. Au moins, jusqu’au lendemain. Il est hors de question qu’elle annonce l’échec de ses fiançailles et sa grossesse à Luis en plein blind-test. Il y a mieux. Alors, discrètement tandis qu’ils étaient tous installés, elle a fait signe à Paco, lui faisant comprendre de la rejoindre dehors. La voilà contrainte de donner un rendez-vous clandestin à un inconnu. Si c’est lui qui annonce tout à Luis, ce dernier le prendrait sans doute très mal et Eris ne pourrait pas lui en vouloir.
Veste en cuir remise sur le dos, elle attend impatiemment Paco devant le bar. Elle s’est éloignée afin d’éviter le groupe de fumeurs formé devant la porte et de leur offrir un minimum d’intimité. Les secondes défilent et elle se commence à se demander si le brun a compris son signe de tête lorsque finalement, elle le voit sortir à son tour. Il la repère et avance vers elle. Tu connais Luis ? Enfin, c’est plutôt clair ça. Dans la précipitation, elle ne se rend même pas compte l’avoir tutoyé. De toute façon, ils n’allaient certainement pas se vouvoyer toute la soirée. Ecoute, Luis ne sait rien. Pas encore et j’aimerai que ça reste comme ça pour l’instant. Yeux plantés dans ceux de son interlocuteur, elle lui fait comprendre qu’il ne faudra faire aucune gaffe ce soir. Elle lui en serait clairement reconnaissante.

@Paco Gomez-Nadeau  

Lorsque j’avais rejoint Luis au bar ce soir, je ne m’étais pas attendu à voir un autre visage connu. Eris. Pas forcément la personne que j’ai le plus envie de voir en ce moment, d’ailleurs. En la voyant serrer Luis dans ses bras, j’ai comme première réflexion de me dire qu’ils sont de bons amis. Mais je me rends compte que le monde est encore plus petit que ce que je croyais quand le garçon m’annonce leur lien de parenté. C’est sa sœur aînée et, vu son ton enjoué, je devine qu’ils sont très proches. Ça me fait doucement sourire, me ramenant automatiquement à la relation fusionnelle entre Reby et moi. Je n’ai pas besoin d’en voir plus pour savoir qu’ils en ont une aussi tous les deux, de relation fusionnelle. La jeune femme me fait par la suite la bise, se présentant officiellement sous les yeux de son frère et j’en conclus qu’il faut que je garde le silence. Je joue donc le jeu, prétextant qu’on se rencontre pour la toute première fois, alors que c’est loin d’être le cas. Elle s’installe autour de la table, accompagnée par une jeune femme qui se prénomme Meghan. Cette dernière et mon ami commencent à entamer une discussion très prenante, le garçon ne remarquant même pas que sa sœur s’est levée pour sortir, non sans avoir manqué de me faire signe de la suivre. Je fronce légèrement les sourcils, me demandant un moment si j’ai bien compris. Finalement, pourquoi ne pas sortir pour en être sûr ? Je vide mon verre, argumente que je vais m’en chercher un autre afin de pouvoir m’éclipser à mon tour, chopant discrètement mon blouson pour aller rejoindre Eris à l’extérieur. Veste revêtue, je mets quelques minutes avant de trouver la demoiselle dans un coin un peu à l’écart. À peine à ses côtés qu’elle me questionne sur le fait qu’on se connaisse Luis et moi, zappant dans le même temps le vouvoiement qu’on avait instaurés entre nous. Ça me fait une sensation bizarre sur le coup, mais je ne relève pas, l’écoutant terminer sur l’explication de son désir de me voir en aparté. « Il ne sait pas quoi ? Pour la rupture ou pour la grossesse ? » Je n’ai pas besoin de plus de temps pour avoir ma réponse. Ses réactions veulent tout dire. « Je ne dirais rien, ce n’est pas à moi de le faire, ne t’en fait pas pour ça. » Je la tutoie en retour et lui offre un sourire qui se veut rassurant. Ce n’est pas faux, je n’ai pas à m’en mêler. Tournant la tête quelques secondes vers l’intérieur du bar, je pose ensuite à nouveau les yeux sur elle. « On lui dit qu’on se connaît ou on garde ça aussi secret ? » Personnellement, ça me tente bien de ne rien dire, peut-être qu'il y aurait moins de gêne si on joue aux inconnus.

Elle croise les bras tandis qu’elle le voit arriver à ses côtés. Non pas qu’il fasse froid, elle n’est pas tellement frileuse de toute façon. C’est sans doute une habitude, ce n’est pas sur ça qu’elle se concentre mais sur Paco et ce qu’il lui dit. Il ne sait pas quoi ? Pour la rupture ou pour la grossesse ? Woh, la facilité avec laquelle il aborde les deux gros désastres de sa vie la rend sans voix. Un instant, elle le regarde presqu’ébahie par la tranquillité qu’il dégage. C’est si facile que ça d’en parler ? Elle suppose que ça doit l’être pour lui, ce n’est pas ses problèmes après tout. Bref, elle se reprend et répond simplement. Les deux. Elle parle d’une voix basse qui trahit sa honte. Elle ne cache rien à Luis. A un moment ou à un autre, elle en arrive toujours à lui raconter ce qui se passe dans sa vie. Elle sait qu’elle va finir par en faire autant concernant ses problèmes actuels, très bientôt même mais en attendant, ce soir, elle ne dit rien et elle est obligée de demander à Paco d’en faire autant. Je ne dirais rien, ce n’est pas à moi de le faire, ne t’en fait pas pour ça. La voilà soulagée et ça doit certainement se voir sur son visage qui se détend. Lui, il sourit et elle doit bien admettre que c’est agréable. Différent mais agréable. Jusqu’à présent, toutes leurs rencontres ont été marquées par la tension, la gêne, ce n’est pas si mal que cela change un peu même si elle est loin d’être complètement à son aise à ses côtés. On lui dit qu’on se connaît ou on garde ça aussi secret ? Elle ne met pas longtemps à lui donner une réponse. C’est tout réfléchi. On garde ça pour nous. Je connais Luis, si on lui dit qu’on se connait, il va forcément nous demander comment et tout. Bref, je ne sais pas lui mentir. Lui cacher des choses, elle y arrive à peine alors lui mentir, c’est impensable surtout qu’elle n’en a aucune envie. A son tour, elle se risque à adresser un léger sourire à Paco. Je suis désolée de te demander ça. J’irai le voir dès demain pour tout lui expliquer. Ça promet une longue et pénible conversation mais elle doit passer par là. C’est inévitable, elle le sait. Je lui dirais bien que c'est moi qui t'ai demandé de ne rien dire. En aucun cas elle ne veut nuire à l'amitié qui semble unir les deux hommes. Elle prendra ses responsabilités comme toujours.

Elle me confirme ce que je pensais. Elle n’a parlé d’aucuns des deux derniers sujets qui ont ébranlés sa vie à son frère. C’est fou à quel point on est semblables sur certains points. Reby, ma sœur, je lui raconte tout en règle générale, mais ça n’a pas été le cas pour ma rupture. Je ne lui ai pas dit les choses de A à Z, juste l’essentiel avec quelques petits détails pour qu’elle cesse de m’interroger. Pourquoi ? Sans aucun doute par honte. J’ai déjà du mal à me faire à l’idée que j’ai été cocufié, alors le dire à ma sœur… Impossible. Quand bien même je n’ai pas envie d’avoir de secret pour elle, là, je ne peux juste pas aborder les choses avec elle. Je n’y arrive tout bonnement pas. Eris me confie qu’elle parlera à son frère demain, elle a bien plus de courage que moi tiens. « D’accord, on ne lui dira rien. » Elle n’avait pas besoin d’argumenter comme elle l’a fait pour que je prenne cette décision. Ce n’est pas pour me déplaire, bien au contraire. Puis, comme elle le dit si bien, on aurait subi un interrogatoire en bon et due forme, et je ne suis pas certain que ses petites cachotteries sur sa vie en seraient restées plus longtemps. Je n’ai pas besoin de connaître Luis depuis des années pour savoir qu’il ne s’arrêterait pas de nous questionner avant d’avoir eu toute l’histoire, du début à la fin. « Et merci, je n’aimerais vraiment pas qu’il m’en veuille de lui avoir caché ça. » Fourrant mes mains dans mes poches, histoire de les avoir un peu au chaud, je dévie le regard une fois de plus vers le bar, vérifiant si nos deux compères n’ont pas bougé. Cette petite vérification effectuée, je pose à nouveau le regard sur la jeune femme. « Comment tu te sens ? » Avec cette rupture, avec cette grossesse. Par rapport à tout ce qui se passe dernièrement quoi. Ça m’intéresse quand même un peu, je ne suis pas non plus un mec insensible. Je le sens bien son désarroi face à la situation, du moins je l’avais bien ressentit lorsqu’elle avait appris la dernière nouvelle bouleversante dans sa vie.

D’accord, on ne lui dira rien. Eris hoche la tête machinalement. Elle ne peut que se montrer reconnaissante envers Paco d’accepter de garder le secret. Après tout, il ne lui doit rien. Il n’était en rien obligé d’accepter de mentir à son ami – ou ami en devenir ? – pour elle. Alors, la moindre des choses selon elle, c’est de le remercier et sans plus tarder, c’est ce qu’elle fait. Merci, Paco. J’apprécie. Ce n’est pas dans sa nature de demander qu’on lui rende service. Bien souvent, elle préfère se débrouiller seule histoire de ne pas être redevable. Cependant, dans ce cas présent, elle n’a pas d’autre choix possible. Elle se voit mal informer son frère des derniers événements ce soir. D’une, elle n’est pas prête pour ça. De deux, le contexte ne s’y prête pas du tout. Et merci, je n’aimerais vraiment pas qu’il m’en veuille de lui avoir caché ça. Loin d’être bête, Eris comprend parfaitement. C’est bien pour ça qu’elle a précisé au brun qu’elle prendrait l’entière responsabilité de ce mensonge. Après tout, il ne fait que lui venir en aide. Ça semble logique qu’elle limite la casse pour lui. Puis, de ce qu’elle a vu, Luis semble apprécier sa compagnie. Les deux hommes ont l’air de très bien s’entendre et ça lui fait plaisir à Eris de voir que Luis a de bons amis. Parfois, il lui donne l’impression d’être trop seul et ce n’est pas franchement quelque chose qui la ravie. Eris se contente de hocher la tête, à nouveau. Elle le voit regarder les alentours et un instant, elle pense qu’il cherche une porte de sortie, une excuse pour mettre fin à leur échange mais non. Au contraire, il relance la conversation. Comment tu te sens ? La brunette, prise de court, hoche les épaules. Elle n’a pas vraiment de réponse à cette question, elle-même tentant encore de mettre des mots sur son état actuel. L’un est pourtant évident : elle est perdue. Elle ne sait pas quoi faire, quelle décision prendre concernant sa grossesse notamment mais c’est quelque chose que sa fierté l’empêche d’admettre. J’ai connu mieux. Parler d’elle, ce n’est pas son fort. Ça doit certainement se voir d’ailleurs. En réfléchissant à ce qu’elle pourrait lui dire d’autre, elle réalise qu’elle ne s’est jamais inquiétée de son état à lui, avant aujourd’hui. Chose qu’elle ne tarde pas à corriger. J’ai presque honte, je n’ai jamais pensé à te demander comment toi, tu vivais la chose. Elle s’appuie contre le muret situé derrière eux, posant sur lui un regard véritablement intéressé. C’est bizarre. C’est comme si ce soir, le contexte l’encourageait à avoir une réelle discussion avec lui. Posée, calme, moins tendue que les autres, du moins elle espère.

Elle me remercie, chose qui me surprend quelque peu. Je ne m’attendais pas à des remerciements tant ça me semble normal que je concède à ne rien dire. C’est son frère, après tout. Certes, il s’agit d’un ami me concernant, mais je n’ai pas envie de m’en mêler plus que je le suis déjà. Ça me forcerait sûrement en plus à raconter comment je peux être certains de cette tromperie et je n’en ai pas l’envie. Si je n’ai pas tout dit à Reby, ce n’est pas pour tout sortir à quelqu’un d’autre, que cette personne soit un ami ou non. Désireux de profiter de ce moment à l’écart pour avoir une discussion calme, sans sujet trop fâcheux, je la questionne sur son état d’esprit. Après un hochement d’épaules, elle me répond en ayant pris soin de réfléchir à la chose. Ce qu’elle ajoute ensuite me laisse sans voix l’espace d’un instant. Si je ne m’attendais pas à des remerciements, ça, c’est encore plus inattendu. À mon tour de me laisser un temps de réflexion pour le coup, ne sachant pas trop quoi dire. « T’avais besoin de digérer, je comprends, ne t’en fais pas. » Je ne lui en veux pas, du tout, et je tiens à ce qu’elle le sache dans un premier temps. Elle a dû encaisser la nouvelle, de façon brutale, et de la pire façon qui soit : annoncé par un total inconnu. Il est normal qu'elle n'ait pas songé à autre chose que sa propre personne. Vient ensuite l’instant où je dois parler de mon état moral et je soupire doucement. « Disons que je vais mieux, au moins un peu. » Je tente un sourire, bien qu’il n’est pas bien grand, ni très joyeux. Un demi-sourire, dira-t-on, juste pour démontrer que ce n’est pas totalement un mensonge. Parce que ça va vraiment un peu mieux, bien plus qu’au moment où j’ai découvert la vérité en tout cas. Me mordillant l’intérieur de la joue, luttant pour ne pas la questionner sur une interrogation qui me ronge, je ne parviens pas à me retenir et cède. « Tu penses que ça passera avec le temps ? Cette douleur, cette sensation d’avoir été poignardé en plein cœur ? » Certains me diraient sûrement que oui, que c’est une douleur qui passera au fil des jours, semaines voir mois -ou année pour des personnes-. Moi, je n’en sais trop rien. J’ai l’impression d’avoir le cœur en miette, qu’il est réduit à l’état de poussière, et que plus rien ne pourra le soigner un jour. Peu importe le temps qui passe. J’aimerais avoir son avis sur la chose, peut-être qu’elle sera plus optimiste que moi sur ce point ou peut-être qu’elle me donnera raison.

Eris le voit cet air surpris sur son visage. Remarquer ce genre de choses fait partie de son travail mais pour le coup, il l’a pas mal aidé. A croire que le fait qu’elle s’intéresse à son état actuel est réellement surprenant. Lui aurait-elle donné l’impression d’être quelqu’un d’égoïste ? Cette pensée la dérange parce qu’elle ne l’est pas du tout, Eris, au contraire et elle n’a pas envie de laisser Newt et sa connerie changer ça chez elle. T’avais besoin de digérer, je comprends, ne t’en fais pas. Machinalement, comme pour montrer au brun qu’elle approuve ses propos, elle hoche de la tête. Heureusement, Paco a l’air de comprendre. Ça semble normal, après tout. Ses proches ne peuvent qu’imaginer ce qu’elle ressent actuellement alors que lui, il comprend parfaitement. Toutes les étapes par lesquelles elle passe et passera, il en fera de même excepté pour la grossesse. Il a ce problème en moins et elle n’est pas loin de l’envier pour ça. Quelle tristesse. Disons que je vais mieux, au moins un peu. Il a l’air sincère et quelque part, ça l’encourage Eris. Elle aussi, elle a envie d’aller ne serait-ce qu’un peu mieux. Alors, elle se dit que si Paco y parvient, elle devrait pouvoir y arriver elle-aussi ? Peut-être que c’est stupide, chaque personne étant différente mais elle se raccroche à ce qu’elle peut. C’est encourageant, qu’elle finit par dire à haute voix. Elle a envie, elle a besoin que ça le soit autant pour lui que pour elle.
Tu penses que ça passera avec le temps ? Cette douleur, cette sensation d’avoir été poignardé en plein cœur ? Paco la prend de court et c’est à son tour d’afficher un visage surpris. Cependant, c’est la réflexion qui prend vite le dessus sur la surprise. J’espère. Je n’ai pas envie de me sentir misérable pour le restant de mes jours. Pas même une once de plaisanterie dans sa voix parce qu’elle est tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Misérable, c’est réellement comme ça qu’elle se sent depuis qu’elle a découvert le pot aux roses. Elle perd gros dans l’histoire, Eris : son fiancé, leur avenir, son bonheur et peut-être même, leur enfant. C’est tout son avenir à elle qui est chamboulé. Ça la ramène des années en arrière, un souvenir qu’elle déteste revivre : la mort de Bianca. Certes, ce n’est pas comparable mais dans les deux cas, elle s’est sentie dévastée. Elle s’en est remise, de la perte de sa petite sœur alors elle a envie de croire qu’encore une fois, elle se relèvera. Un espoir qu’elle partage avec Paco. Je pense, oui. Je pense que c’est à nous, en fait, de faire les efforts pour aller mieux. C’est trop facile de s’apitoyer sur son sort. Ce n’est pas son genre à la trentenaire et cette discussion le lui rappelle. Son regard quitte l’horizon qu’elle ne cessait d’observer pour se poser à nouveau sur Paco.

Ce n’est pas totalement un mensonge lorsque je dis que je vais mieux, mais pas une vérité complète non plus. Je vais mieux parce que je n’ai pas Zana sous les yeux, parce que mon boulot permet de m’aérer l’esprit et qu’il y a Reby aussi pour m’occuper et me faire penser à autre chose. Alors qu’honnêtement, je ne sais pas trop comment je serais si mon ex se pointait devant moi et, égoïstement, je ne tiens pas à le savoir en fait. Eris trouve ça encourageant, et je me demande si elle se base sur mon état émotionnel pour plus ou moins définir si remonter la pente sera rapide ou non. Je souhaite de tout cœur que ça le soit, pour moi comme pour elle. On ne mérite pas de souffrir, pas de cette façon, pour deux personnes qui n’ont pas eu une once de remords à nous piétiner le cœur. Et forcément, je ne peux m’empêcher de la questionner sur ça. J’ai besoin de son avis sur le temps que ça prendra, le temps qui s’écoulera avant que la douleur s’estompe. Je suis conscient que je la prends sûrement au dépourvu, moi-même n’ayant pas véritablement une réponse à apporter sur le sujet. Pourtant, elle le fait, après une courte réflexion. Misérable. C’est exactement la définition de comment je me sens, ça me parle vraiment. J’ose imaginer que c’est son cas à elle aussi, étant donné qu’on vit pratiquement la même chose tous les deux. Elle continue sur sa lancée et j’hoche doucement la tête, de façon positive. Je suis plutôt d’accord avec ce qu’elle avance. « C’est vrai, à nous de faire le nécessaire pour remonter la pente. » Même si ça sera très dur. J’ai mis des années à me relever de la perte de mon père, combien de temps il me faudra pour passer outre la perte de la femme que j’aime ? Ce n’est pas la même perte, pas du tout, mais mon cœur il est tout autant meurtri que lorsque j’ai appris le décès de mon père. La même sensation d’arrachement du coeur hors de la poitrine, la même douleur. Je ferme les yeux quelques minutes pour chasser ce mauvais souvenir, désirant revenir sur l’instant présent, et quand je les ouvre à nouveau, je les pose un court instant sur son ventre encore plat. « Il le sait ? » Son ex, bien évidemment. Cette histoire ne me regarde pas, mais j’ai dû mal à m’en détacher. Est-ce le fait d’avoir été le premier à lire le test qui me donne la sensation d’être concerné ? Je n’en sais rien. Je sais juste que je ne peux pas m’empêcher de lui poser des questions.

En acceptant la proposition de son frère, elle pensait passer une soirée festive des plus banales. Un bar, Luis, sa meilleure amie, bref rien de bien inhabituel et au final, elle se retrouve à avoir une conversation des plus sérieuses avec quelqu’un qui était encore un inconnu il y a peu. Comme quoi, la vie ne cesse de contrecarrer ses plans ces dernières semaines. Cependant, cette conversation a quelque chose de différent. Elle se démarque des précédentes bien qu’elle touche le même sujet sensible. Elle ne saurait l’expliquer, Eris. C’est ce qu’elle ressent, c’est tout et elle ne cherche pas absolument à savoir le petit truc qui fait que cet échange la dérange moins que ceux d’avant. C’est vrai, à nous de faire le nécessaire pour remonter la pente. La brune se contente de hocher la tête. Les propos de son interlocuteur ne font que confirmer les siens. Hélas, ce n’est pas si facile. Il ne suffit pas de décider d’aller mieux pour aller mieux. C’est long, ça prend du temps. Eris sait que le chemin sera long. Elle déteste Newt de la mettre dans cette position, dans celle d’une personne qui se retrouve le cœur en miettes et qui se débrouillait seule pour le mettre en un seul morceau. Comme si c’était facile.
Il le sait ? Ce mec a un don pour poser des questions indiscrètes. Il est curieux et c’est normal. C’est humain même. La curiosité mal placée, c’est un fléau. Dans sa position, elle aimerait aussi certainement connaître l’avancée des choses. La rareté de la situation la rend intéressante. C’est triste mais c’est bel et bien la vérité. T’es doué pour poser des questions délicates, toi. Ce n’est pas un reproche, simplement une remarque faite avec le sourire qui plus est. Ce soir, c’est vraiment différent et c’est peut-être ça qui la pousse à lui répondre. Non, je ne lui ai pas dit. Je voulais faire une prise de sang pour être sûre et… j’ai pas vraiment d’excuse en fait. J’imagine que je cherche encore comment lui dire. Puis, elle n’en a pas envie, pour être tout à fait honnête. Elle n’a plus envie d’avoir à lui dire quoique ce soit en fait. Elle ne veut plus le voir, plus l’entendre. Rien que d’imaginer le revoir la rebute.

Parler de l’état de nos cœurs n’est sûrement pas la plus brillante des idées. Ça ne fait que me rappeler à quel point je souffre, à quel point je me sens mal, et je n’ai pas réellement besoin de ça ce soir. Je suis venu ici pour m’amuser et non pour penser à la tragédie que nos exs respectifs ont engendrés. Dans l’optique de discuter d’autres choses, parce que j’ai quand même envie de faire durer cette conversation, je la questionne sur le premier sujet qui me vient en tête. Pas forcément le meilleur en fait, mais en voyant son ventre, je n’ai pas pu m’en empêcher. Sa petite réflexion est totalement méritée. Je n’aurai pas dû la questionner là-dessus, c’est complètement indiscret. Ma curiosité me fait vraiment défaut, trop souvent, ce qui m’entraîne parfois dans des discutions tendues. « Désolé, parfois, j’oublie qu’il faut que je cesse de me mêler des affaires des autres. » Une petite grimace accompagne mes propos. Clairement, ouais, par moment, j’oublie que certaines histoires ne me concernent pas, quand bien même j’ai l’impression de me sentir impliqué. Et alors que je m’attends à ce qu’elle m’envoie paître ou, qu’au mieux, elle ne me réponde rien, ce n’est pas du tout ce qu’il se produit. Elle m’explique sa situation et je l’écoute attentivement. Je réfléchis un moment à ce que je pourrais lui répondre, puis prends la parole à mon tour. « Tu n’as pas à te justifier auprès de moi, tu fais comme tu le sens et tu prends le temps qu’il te faut pour le lui dire. » C’est lui qui a foutu la merde dans leur couple, quand même. Alors oui, c’est aussi son bébé et il a le droit de le savoir pour cette grossesse, je suis moi-même en accord avec ça. Ce n’est pas parce qu’il a fait une connerie qu’il sera un mauvais père pour ce bébé. Mais si elle ne veut pas le lui dire maintenant, si elle n’en a pas envie, c’est son droit. Son devoir, actuellement, est de penser à son bien-être à elle, et il faut qu’elle se le mette bien en tête.