enjoy the moment. (cameron)

Pas de pression. Pas. De. Pression. J’entends la voix de Zack me répéter inlassablement la même chose alors que mes doigts tapotent la table de la salle de réunion. Déjà plus d’une heure que nous sommes tous enfermés là-dedans et je sens ma patience s’évaporer de plus en plus. Entendre des incapables me sortir des phrases d’incapables pour m’expliquer la raison pour laquelle ils ont pris du retard dans l’assemblement des pièces de notre harnais de sécurité a tendance à me mettre en colère. Des semaines qu’il devrait être prêt pour l’essai et rien n’est fait. Moi qui espérais pouvoir le tester durant ma prochaine course fin juillet autant dire que j’ai de sérieux doutes. Et à voir le regard que Zack me lance il pense la même chose. Je dois rester calme malgré tout mais qu’il ne vienne pas me demander de sourire comme un hypocrite où je vais lui éclater la tête. Finalement, il nous faut une bonne demi-heure de plus avant d’en finir et que je puisse dire de façon diplomate que je suis déçu tout en menaçant d’aller chercher ailleurs si jamais ils ne se bougent pas plus le cul. Le tout fait que je suis en retard lorsque je sors du bâtiment et que je n’ai pas le temps de rentrer me changer. Une chance que je ne sois pas le genre de patron à bosser en costard-cravate, je n’aurais pas supporté de me balader en ville jusqu’à l’Union Pool comme ça. Union Pool qui en ce samedi soir s’avère être plein à craquer. Ce n’est pas très étonnant mais moi qui ne suis déjà pas de très bonne humeur, j’espère que personne ne va me faire chier ou me demander une photo. Jouant des coudes pour avancer parmi la foule, de ma grande taille j’aperçois toute la seule et cherche Iris dont la tête blonde m’apparait près du bar. « Iris ! » Interpellé-je la jeune femme en parvenant enfin à sa hauteur. « Tiens, salut... Pour une fois c'est toi qui es en retard ! » Je grimace mais l’embrasse malgré tout sur la joue en l’aidant à gagner le bar où nous nous installons. « Désolé pour ça, longue réunion avec une bande d’idiots. » M’excusé-je en faisant signe au barman pour passer commander. « Pour me faire pardonner j’offre la première tournée et tu vas pouvoir me dire comment s’est passé ta journée. Défoule-toi si t’as besoin. »

Je déteste être en retard. Je n’aime vraiment pas et je trouve parfaitement hypocrite de demander à des personnes d’être ponctuelles si je ne suis pas foutu de l’être moi-même. Là je n’ai pas eu le choix. Je contrôle rarement la durée d’une réunion mais ce qui aurait dû se conclure assez rapidement a pris plus de temps que prévu. Ça m’a aussi sincèrement agacé et il m’a tardé plus que jamais le moment où j’allais mettre les pieds à l’Union Pool. Qu’importe le monde présent en ce début de soirée, j’ai besoin de me changer les idées pour différentes raisons, passer un bon moment et je sais qu’Iris saura me changer les idées. Je la repère assez rapidement parmi la foule qui me cherche et la rejoins. « C'est pas grave. Le plus important c'est que tu sois là. » Je la remercie d’être aussi compréhensive d’un petit sourire en la guidant vers le bar. Avec ma carrure je sers avant tout de barrière contre les clients qui s’agitent autour de nous, certains ayant déjà bu plus que nécessaire. « C'est si gentiment proposé. Tu devrais plus souvent avoir à te faire pardonner. Non moi ça va, rien d'inhabituel... Mais toi ? Qu'est-ce qui ne va pas ? » Mon rire me surprend moi-même. Je n’ai plus tellement l’habitude de l’entendre depuis six mois mais ça fait du bien, autant que de sourire sincèrement. « Ça va, me cherche pas trop là-dessus je pourrais me venger. » J’ignore encore de quelle manière mais il est certain que je trouverai. Sourire espiègle au coin des lèvres, je soupire ensuite en secouant la tête, encore agacé par ma réunion. « Je travaille avec des incompétents voilà ce qu’il y a. Des semaines que notre prototype devrait être prêt pour l’essai et il nous manque encore des pièces parce que les fournisseurs ne savent pas gérer avec leur administration. » Je râle même si je ne suis pas ici pour ça ni pour parler de travail. « Ça sera une bière pour moi s'il-vous-plaît. Et toi, qu'est-ce que tu veux ? », « La même chose. » Le barman prend rapidement notre commande et disparait aussi vite qu’il est arrivé nous laissant tous les deux. Du moins autant qu’on peut l’être dans un bar bondé. « Toi ça va ? T’avais pas plus intéressant que voir ma belle gueule ce soir ? T’as pas un prétendant dont tu dois t’occuper ? » Une jolie fille comme Iris je ne comprends pas qu’elle soit seule. Elle a beaucoup de qualités, un corps loin d’être désagréable et pourtant je la sais célibataire ce qui, à mon humble avis, est un gâchis.

J’ai besoin de sortir, de m’aérer l’esprit et surtout d’évacuer cette colère qui semble me coller à la peau en ce moment. J’essaye d’en montrer le moins possible, de ne pas trop m’énerver sur mes gars qui n’ont rien demandé, c’est parfois plus facile à dire qu’à faire. D’autant plus ces derniers temps où j’ai l’impression que rien ne se passe comme il faudrait. Forcément, sortir comme j’en avais l’habitude avant, retrouver l’impression d’avoir une vie normale et non pas dramatique, je ne peux pas refuser. Encore moins si je suis en aussi bonne compagnie. « Ah oui quand même ? J'attends de voir ça alors. » Je lui lance ce petit regard narquois qui pourrait l’amener à s’imaginer tous les plans que je pourrais mettre en place pour me venger mais je ne dis rien. Ça m’amuse de savoir qu’une personne tente d’entrer dans ma tête et de devancer mes intentions. En général, elles n’y arrivent pas et moi ça m’amuse encore plus. Cela dit, je serais incapable de la blesser, simplement de la taquiner comme j’aime si bien le faire. Ce que je pourrais continuer de faire si je ne m’étais pas lancé dans l’explication de la raison de mon agacement – une des raisons si je dois être honnête. Iris écoute avec attention ce qui me fait du bien. « Je comprends tout à fait. C'est énervant ce genre de situation. Et vous ne savez quand est-ce que vous recevrez les dernières pièces manquantes ? » Là, je soupire assez bruyamment, preuve de plus que cette situation m’agace au plus haut point. « Je saurais ça dans les prochains jours. J’aurais préféré avoir une réponse aujourd’hui mais il faut croire que ça aussi c’est trop demander. » Dis-je en levant les yeux au ciel. Par chance le barman revient avec nos bières et je paye aussitôt l’addition avant de m’intéresser plus sérieusement à la jolie blonde. « En fait j'avais plusieurs rencards ce soir mais j'ai préféré annuler pour voir ta belle gueule comme tu le dis si bien. Non, sérieusement je n'avais rien de prévu. Merci pour le verre ! » Je lui offre un sourire en entendant son rire. Comment regretter d’être sorti lorsqu’on est capable de gommer ma mauvaise humeur comme Iris est en train de le faire ? C’est impossible ! « Le plaisir sera toujours pour moi. Surtout si en plus tu me flattes comme ça, plaisanterie ou pas. » Mais je ne comprends pas réellement la raison pour laquelle elle n’a pas autant de gars autour d’elle. Iris est vraiment très jolie, drôle et intelligente en plus de ça, elle a tout ce qu’il faut pour elle. Il faut croire que les hommes sont vraiment cons. « Par contre toi, j'imagines que je n'étais pas la seule sur ta liste. Mais t'as fait un bon choix en venant ce soir. Au moins tu passes une soirée en compagnie d'une femme intelligente. » En train de boire une gorgée de ma pinte de bière, je la repose sur le bar en bois devant nous. Je lui offre un grand sourire et regarde autour de nous comme si ces fameuses prétendantes étaient dans le coin. « Eh bien … non ! Je suis pas tellement concentré sur ça en ce moment et j’oserais pas te faire ça ! Mais t’as raison sur la partie intelligente, t’oublie simplement que tu es aussi très charmante. » J’arque un sourcil, souris en coin et me remets à boire sans la quitter du regard.

« Tu n'as plus qu'à prendre ton mal en patience alors... » C’est bien ça le souci : je ne suis pas très patient comme garçon, encore moins dans mon travail. J’aime que les choses soient bien faites – évidemment – mais j’aime également quand c’est fait rapidement. Les gars qui bossent à l’écurie le savent et je n’ai généralement pas à leur faire de remarques, mais nos partenaires ? C’est différent. Ils travaillent à leur rythme et ne trouvent rien d’anormal lorsqu’ils ont du retard. Or je déteste ça et notre dernière réunion m’a permis de leur faire comprendre. « J’ai pas vraiment le choix, en effet. » Je grogne un peu pour éviter de laisser comprendre que je suis réellement agacé et je bois une gorgée supplémentaire de ma bière. Ça fait doucement passer la pilule dirons-nous. « Pour moi également, mais ne t'habitues pas trop aux compliments quand même... » Ma bière à quelques centimètres de mes lèvres, j’offre à Iris une légère moue boudeuse. « Mince, décidément t’es décidée à me briser le cœur ce soir ! » J’exagère en forçant un peu sur le côté gars malheureux. Pour me briser le cœur il faudrait déjà que j’en ai un. Le mien c’est réduit à néant après l’accident et je ne suis pas pressé de le faire réapparaitre. Souffrir, j’ai assez donné ces dernières années. En revanche, je ne serais pas avare sur les compliments avec Iris. Elle les mérite, surtout pour supporter un type comme moi. « Je te remercie... Non pas que je l'oublie c'est simplement que je ne l’entends pas souvent. Enfin... Il faudrait déjà que j'ai un rendez-vous avec un homme pour qu'on me le dise. Et ça, je dois admettre que c'est pas gagné. » C’est à mon tour de rire puis de grimacer, un changement d’humeur assez brutal. « Comment ça se fait ? » Je demande sans lui cacher mon étonnement. « Tu vas pas me sortir l’excuse du travail j’espère ? Elle fonctionne pas sur moi. Je suis autant bourreau de travail que tu peux l’être, ça ne m’a pas empêché de sortir et de faire des rencontres. » Cela dit, je n’ai eu aucun rendez-vous donc peut-être que ça revient au même. « Tu sais quoi ? Pour ce soir je vais être ton rendez-vous. Rassure-toi, ça ne t’engage à rien. Finis-moi cette bière et je t’emmène manger quelque part. » Mon ton ne laisse pas place au refus. Je suis déterminé à lui changer les idées, à lui rappeler le plaisir d’être en rendez-vous – hormis lorsqu’on tombe sur un connard – alors je fais le faire jusqu’au bout, enfin presque, il ne faudrait pas que je dépasse les limites non plus.

Le boulot ne doit pas être le sujet de notre soirée. Si nous sommes sortis boire un verre c’est peut-être pour s’intéresser aux dernières nouvelles mais clairement pas pour nous plaindre pendant des plombes de notre travail. Me lancer là-dedans alors que je n’ai à faire qu’à des incompétents ça pourrait me prendre des heures et je ne suis pas certain que ce soit ce à quoi Sofia pensait en venant boire ici. Je laisse donc ça de côté après avoir fait mon grognon et je me focalise plutôt sur la jeune femme qui semble vouloir me briser le coeur ce soir. « Ce n'est pas volontaire, je ne suis pas de ce genre là. » Sourire en coin, je suppose qu’elle n’a pas idée du fait que je peux me révéler extrêmement joueur lorsque je le veux et que cette réponse va mener à une question taquine. « Est-ce que ça veut dire que j’ai encore toutes mes chances dans ce cas ? » Large sourire aux lèvres avant de boire une énième gorgée de bière, je manque de m’étouffer avec celle-ci en entendant la jeune femme affirmer qu’avoir un rendez-vous ces derniers temps ce n’est pas gagné. Voilà une chose que je ne peux pas comprendre, particulièrement en la détaillant de la tête aux pieds. Sofia a tout pour plaire au niveau physique mais c’est également une belle personne à l’intérieur. Hormis le travail voire sa fille, je ne vois pas ce qui freine. « C'est ce que j'allais faire… » Bien sûr qu’elle allait me sortir l’excuse bateau du travail, je la connais depuis le temps et puis c’est tellement plus facile pour éviter qu’on se penche trop sur la question. Hormis lorsqu’on est aussi curieux que je le suis et loin d’être dupe. « C'est juste que... J'ai pas vraiment la tête à ça à vrai dire. J'ai pas mal de choses en tête. Et faut dire qu'une relation n'est actuellement pas dans mes priorités. » Je plisse les yeux mais n’insiste pas plus. Elle voudrait m’en dire plus, elle l’aurait fait, ce n’est pas le cas. Je n’ai pas envie d’exagérer en demandant plus d’explications alors je passe à une proposition qu’elle est en droit de refuser si vraiment ça la met mal à l’aise. « Je crois que tu ne me laisse pas trop le choix… » Je m’apprête à répliquer que, au contraire, elle est parfaitement en droit de me dire non mais son sourire m’en dissuade. « Je te préviens, je ne suis pas vraiment douée pour ça. Mais je veux bien faire un effort pour toi. » Je balaye ses mots d’un geste de la main et termine ma propre bière. « Arrêtes, personne n’a jamais été fait pour ça. Mais dis-toi que l’avantage c’est que ça t’engage à rien et que t’as pas à stresser. » Je me fous de savoir comment elle est habillée ou de la voir manger, ça va seulement être un bon moment entre deux amis sous des allures de tête-à-tête. « T’échappe même à la pression de savoir si on va coucher ensemble le premier soir. » J’ajoute en haussant les épaules et de façon si décontracté que je tente de lui faire comprendre qu’elle ne doit réellement pas se prendre la tête. Décontraction est le mot d’ordre.