pizzas et chandelle + TESSONEL

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Il y a longtemps que la maison n’avait pas été aussi calme. On pourrait entendre une mouche voler. Le silence te pèse, t’as la nette impression de vivre un cauchemar. Il te fait cogiter, penser à tout ce qui te tombe sur les épaules dernièrement. Tu repenses à ce que tu as appris il y a quelques jours. Tu ne pensais pas qu’une nouvelle pareille allait s’abattre sur toi, enfin pas là maintenant. Et encore moins de cette manière. Pour briser le silence, tu allumes la musique, montes le son, et laisses Sour Diesel battre les enceintes. Seul, l’ennui te gagne. Tu te décides faire un peu de rangement, d’enlever les jeux de Martin qui commencent quelque peu à envahir le salon. Un dinosaure par-ci, un château en kapla par-là, des dessins un peu partout, et sous l’un des canapé un pseudo trésor. Un certain bazar c’est accumulé sans que personne ne dise rien. Martin est un enfant à qui on passe facilement les choses, et sa bouille y joue pour beaucoup. Une grosse boite sous le bras, tu entasses tout ce qui traîne, fais le tri des dessins et accroche quelques-uns sur le frigo déjà bien rempli, le reste ira dans le bureau. T’évites de trop en accrocher, sinon Martin ne s’arrêterait plus d’en faire, et là il y aurait un problème de place. Depuis l’étage, t’entends une porte claquer. C’est Tessa qui rentre du travail. Vous aurez la maison rien que pour vous deux ce soir. PIZZAS ! Voilà à quoi tu penses dans l’immédiat. Ton ventre parle à ta place, tu ne réponds plus de rien. Pas le temps de terminer de ranger, tu dévales les escaliers quatre à quatre, et sautes les dernières marches. « Salut toi, on a la maison rien que pour nous ce soir ! Alors pas trop de folies. » Dis-tu en faisant valser tes sourcils.

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Il y a des moments où l’envie de frapper est plus forte que la force d’adresser un sourire parfaitement faux à un client. L’irrespect est une chose que Tessa ne supporte pas. Certes, elle est là pour servir le client mais est-ce une raison pour être traitée comme une esclave ? Elle ne croit pas, non. Pourtant, elle doit se contenter de sourire à chaque fois, de ne pas dire d’impolitesse même si dans sa tête elle a déjà insulté mille fois la personne. Et c’est d’autant plus difficile de garder son sang-froid lorsqu’elle enchaîne les connards. La brune y arrive malgré tout parce qu’elle sait faire preuve de professionnalisme. Alors elle a souri toute la soirée et à chaque fois qu’on l’a prise de haut. Cette habitude qu’ont certaines personnes de croire que les serveurs sont des abrutis analphabètes l’exaspérera toujours. Comme elle est heureuse lorsque son service se termine et qu’elle repart de la pizzeria changée, deux boîtes à pizza sous le bras. Il faut bien un avantage à être traitée comme de la merde. Elle sait que ça fera plaisir à Leonel et elle a besoin de voir une personne sourire sincèrement pour faire disparaître sa propre mauvaise humeur. Porte de la maison claquée derrière elle, ses clés dans le pot prévu à cet effet, elle a à peine le temps de retirer ses chaussures que son colocataire et ami apparaît au pied de l’escalier la prenant par surprise. « Bon dieu, t’as de la chance que je ne sois pas cardiaque. » Perdue dans ses pensées – et dans les insultes envers ses clients – elle ne l’a pas entendu descendre. Pour elle, Leo est apparu comme par magie. « C’est toi qui aimerais faire des folies, moi je suis parfaitement sage. » Assure-t-elle en lui offrant un sourire angélique. « Mais on va en faire parce que j’ai deux énormes pizzas prêtes à nous faire exploser le ventre. » Pizza qu’elle lui tendu pour qu’il s’en occupe. Elle a besoin de se mettre à l’aise et ce n’est pas avec les cartons dans les bras qu’elle va y parvenir.

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Entre toi et Martin, on peut encore se demander qui est l’enfant de la maison. Du haut de tes 27 ans, tu n’agis pas vraiment de manière plus adulte que lui finalement. Et jamais tu ne te comporteras de manière plus mature. « Je t’aurai sauvé la vie. Un petit coup de message cardiaque et hop ton cœur galope à nouveau. » Au moins cette formation aux premiers gestes de secours n’aura pas servi à rien. Tu la regardes avec cet air malicieux. « Possible, surtout, quand on pense que cela ne se reproduira jamais de notre vivant. » En secouant ta tête d’un signe d’affirmation, tu en profites pour t’emparer des pizzas que Tessa a remmené de son travail. Tu en salives d’avance. L’odeur de la sauce tomate et du fromage vient titiller ton nez, te décrochant un large sourire. « Oh la vache, tu ne peux pas savoir à quel point je les attendais. » Une soirée tranquille s’offre directement à vous. Ça te rappelle ces soirées d’adolescents que vous passez ensemble lorsque vous étiez plus jeunes. Dans la cuisine, tu prépares la découpe des pizzas et déchires le dessus des cartons. Pas de chichis, aucun couvert n’est sorti. Vous mangerez à la bonne franquette, à la main. « Tu veux une bière ? Ou du vin peut-être ? » C’est l’occasion de pouvoir boire un verre sans que Martin vienne demander pourquoi il n’a pas le droit de boire du jus de raisin spécial adulte. « T’as l’air épuisé ? T’as encore dû faire face à des abrutis ? » Tu es bien content de n’avoir jamais eu besoin de bosser dans la restauration, de devoir faire face à une clientèle exécrable. Tessa se tue, entre son travail et ses études, ça lui laisse que très peu de temps pour elle. Alors, il est hors de question de parler de travail plus que ça.

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L’un de ses sourcils parfaitement dessinés soulevé, elle sent ses lèvres s’étirer en un sourire amusé. Son regard posé sur Leonel alors qu’elle lutte pour retirer ses chaussures sans s’étaler de tout son long par terre, Tessa secoue doucement la tête. « Je préfère tout de même éviter que tu me casses des côtes. » Tout comme elle préfère éviter l’arrêt cardiaque quitte à choisir. La jeune femme a encore trop de choses à vivre et à terminer pour mourir, surtout à vingt-cinq ans. Elle n’a pas envie d’être arrachée à ce monde aussi brutalement et certainement pas à cause de l’un de ses plus proches amis. « Encore heureux ça ressemblerait trop à de l’inceste. » Et elle grimace en tirant la langue, comme si cette possibilité était réellement peu ragoutante. Oh Leonel est du genre canon dans son genre, mais elle ne l’a jamais vu autrement que comme un ami, un meilleur ami et un frère étant donné qu’ils se connaissent depuis des années. Mais ça s’arrête là et c’est très bien comme ça. Elle prend déjà le risque de coucher avec un membre de leur bande d’amis, elle ne va pas pousser non plus. Débarrassée des pizzas, elle peut enfin retirer son manteau et tout le reste. Comme ça, elle a moins chaud et respire enfin alors qu’ils prennent la direction de la cuisine. « Sois flatté, on les a faites spécialement pour nous. L’avantage de ne pas avoir l’autre con de manager sur le dos ce soir. » Les extras sur les plats pour les employés ce n’est pas rare, ça arrive surtout lorsqu’ils travaillent avec le bon manager, celui qui ferme les yeux et préfère les laisser tranquille tant qu’ils font du bon boulot. Ce n’est pas le cas de tous malheureusement. « D’ailleurs ça doit être deux pizzas extra tout sauf olives. » Elle a bien été claire sur les olives qui doivent se trouver sur une petite partie des pizzas seulement, parce qu’elle est comme ça Tessa, elle tente de penser à tout. Comme Leonel pense à elle, s’inquiétant de ce qu’elle veut boire et de son état de fatigue. « Une bière, s’il te plait. Le vin sera pas assez fort. » Les boîtes à pizza ouvertes, l’eau lui monte immédiatement à la bouche. Bon sang ce qu’elle peut avoir faim. « Comme d’habitude, rien que je ne puisse pas gérer même si je vais finir par en gifler un à jour … quand je pourrais me permettre de perdre mon travail. » Soit pas de toute de suite, elle en a encore trop besoin. « Ta journée ça allait ou t’as tourné en rond à la recherche d’une occupation ? »

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Elle n’a pas vraiment confiance en toi, doute fortement de tes capacités. Dans un sens, elle n’a pas tort. T’es un pitoyable sauveteur, vaut mieux compter sur quelqu’un de plus compétant. Dommage qu’il n’y ait pas un médecin dans la colocation, ça servirait toujours. Mais fort heureusement, tu as un cousin, Raph, qui peut te sortir de la misère. « Je n’en reviens pas, tu doutes de mes capacités ?! Regarde ses mains. » Dis-tu lui en montrant l’une d’entre elles. « Elles valent de l’or, tu devrais t’y fier. » C’est avec un clin d’œil que tu accompagnes tes dires. Ces mains ont beau avoir une grosse valeur dans le milieu du sport, pourtant, tu ne miserais pas un rond s’il était question d’une vie. Tes capacités sont très loin de celles de docteur Mamamour. À des années-lumières. Et tu te mets à rire, lorsqu’elle parle d’inceste. C’est si proche de la réalité. Jamais tu ne te verrais ne serait-ce l’embrasser sur la bouche. Au grand jamais. Cette idée te donne la nausée. « Changeons de sujet, je crois que je vais vomir rien qu’en y pensait. » Et tout comme Tessa, tu grimaces tant ça t’écœure.
« Extra ! Il devrait être plus souvent absent celui-là ! » Non seulement, il gâche le minimum de plaisir de ta coloc, mais en plus, il vous prive de supers pizzas. Tu en entends souvent parler, loin des éloges que l’on peut faire d’un patron. En ouvrant les boites, tu constates que les olives sont positionnées sur une seule part. Celle que tu donnes toujours à Tessa. « Yes, il y a qu’une seule part contaminée. » Incapable de la manger. Une fois l’olive enlevée, la pizza prend le goût, et c’est impossible pour toi de passer au-dessus de ça. « Il ira directement à la poubelle celle-là. » Dis-tu, un large sourire au visage. Jamais tu ne la jetterais, ça fait parti du marché. Déjà la tête dans le frigo, tu sors deux bières bien fraiches. Et c’est sans perdre de temps que tu t’empresses pour ouvrir les bouteilles. « Tiens. Mais tu sais que je peux le faire pour toi. Je suis ton preux chevalier, là pour te servir. » Tu lui tends une bière, et attends qu’elle vienne entre choquer la sienne à la tienne, donnant le top départ à la petite beuverie mérité. Non pas, pour toi, mais pour Tessa, mais vous, partagez tout. « Je suis allée à la salle ce matin, vu le staff de l’équipe, et suis rentrée tôt cet après-midi. Et là, j’ai tourné en rond. J’ai même eu le temps de ranger la salle de jeux que Martin nous avait imposé dans le salon. »

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Ses iris clairs regardent une main puis l’autre avant qu’elle ne secoue la tête de bas en haut pour confirmer que, oui, elle doute de ses capacités. Tessa n’éprouve aucune honte à l’admettre et elle se retient de pousser jusqu’à dire qu’elle préférerait même souffrir et attendre une ambulance plutôt qu’il s’acharne sur elle. Son large sourire devrait suffire à ce qu’il comprenne ce à quoi elle pense. « Dans ce cas préserve ses mains qui valent de l’or est les gardant loin de ma cage thoracique. » Conclue-t-elle avant qu’il ne soit question de pseudo inceste. Au moins, là-dessus, ils sont d’accord. Hors de question qu’il se passe la moindre petite chose entre eux et c’est clair comme de l’eau de roche depuis plus d’une dizaine d’années maintenant. Dans la cuisine, elle lève les yeux au ciel dès qu’il est question de part contaminée et s’offusque presque en entendant Leonel menacer de la jeter à la poubelle. « Fais-ça et je te tue, tu sais que je le pourrais … presque. » Pas du tout, mais sa menace n’en est pas moins sérieuse. Aucun gâchis ne sera accepté et même si Tessa sait qu’il n’en fera rien, elle tient tout de même à le lui rappeler tandis qu’il fouille dans le frigo à la recherche d’une bière pour chacun. « C’est moi qui vais la manger, j’ai bien assez de place pour cette pauvre petite part de pizza. » Elle dit ça avec tant de tendresse qu’on pourrait croire qu’elle parle d’une personne ou d’un animal, non pas d’une part de pizza qui va finir sa vie dans son estomac, réduite à néant. Bière tendue vers elle, la brune la saisi et boit directement une gorgée. « Merci et oui, je sais … peut-être que je finirai par te le demander quand j’en aurais vraiment marre. » L’idée de voir Leonel voler à son secours est assez séduisante, seulement elle évite de le mêler à tout ça. Tessa ne voudrait surtout pas qu’il ait des problèmes à cause d’elle. C’est un joueur réputé, loin d’elle l’idée de prendre le risque d’entacher sa réputation aussi séduisante que l’idée soit. Non, elle va continuer de se débrouiller comme elle le fait depuis un moment déjà. « Je suis surprise de ne pas avoir marché sur l’un de ses jouets pieds nus en pleine nuit, mais tant mieux. » Parce qu’elle aurait probablement crié et maudit jusqu’à sa défunte mère pour la douleur que ça aurait provoqué.  « Et donc cette envie subite de tout ranger et nettoyer est uniquement due au fait que tu t’ennuyais ? » Qu’elle demande sans même chercher à être innocente. Tessa n’est pas devin, elle n’est même pas une professionnelle pour décrypter les gens, mais Leonel elle le connaît et même si elle n’a pas toujours du temps pour s’arrêter discuter, elle a senti qu’il y avait quelque chose sans parvenir à mettre le doigt dessus.

F E V R I E R , 2 0 1 9 – « Ah ouais, je vois, la confiance règne. Vingt ans d’amitié, tu parles. » Tu lèves les yeux au ciel, et fait celui qui est désespéré. Tessa est l’une de tes plus vieilles amies, celle qui te connaît trop bien, mieux que toi-même. Ce n’est pas pour rien que les olives se trouvent sur une seule part de pizza. Elle sait parfaitement que celle-ci lui ai destiné, et que jamais elle ne finira à la poubelle. On ne jette pas une part de pizza, c’est sacré. Même la croute doit terminer dans l’estomac. Et gare à celui qui mettra rien qu’un infime bout aux ordures. Il prend directement la porte, on ne veut pas de ça sous ce toit. C’est de l’irrespect. « Tu m’aimes trop pour me faire un coup pareil. Et j’aime trop les pizzas, je ne pourrai jamais faire à cette pauvre part. » Et lorsqu’elle te dit qu’elle manger cette part, qu’elle va sacrifier ses papilles pour sauver les olives, tu te mets à sourire. T’en était certain, elle allait se dévouer. Qu’est-ce que je vous disais, dans cette maison, les pizzas sont sacrées. « Tu m’étonnes. Quel sacrifice ! » À nouveau, tu te mets à plaisanter, et rire. Et votre conversation diverge des choses plus sérieuses. Bière en main, tu t’empresses de la boire. Tu ne pouvais pas mieux rêver : pizza, bière et Tessa. Tu étais en excellente compagnie ! « J’espère tout de même que ça ne va pas en arriver-là. Je sais que tu en as besoin de ce job. » Contrairement à toi ou Tommy, Tessa a vraiment besoin de ce job. Elle ne croule pas sous l’or, loin de là. Sinon, pourquoi la logerais-tu gratuitement ? T’estimes qu’elle galère assez comme ça, et qu’en tant que super pote, tu peux au moins faire ça. Surtout que ça ne te coûte pas grand-chose. Elle aurait fait là même chose si les rôles avaient été inversés. Tu n’en doutes pas une seule seconde. « J’avoue que j’ai été un poil trop laxiste. Je vais essayer de lui faire comprendre que le terrain de jeux doit se limiter uniquement à sa chambre. » Mais ce n’est pas gagné. Il a pris le pouvoir sur la maison. C’est King Kong. Non, juste tu t’en fiches. T’as jamais été un pro du ménage, loin d’être un maniaque. À l’inverse de Tessa. Mais ça devenait trop insupportable. Y en avait partout ! On ne pouvait plus poser un pied sans marché sur lego ou un voiture Cars. T’oses même pas imaginer la tête du jardin lorsque les beaux jours vont revenir. L’arrière de la maison aura l’air d’une cour de récréation. Heureusement que tu as mis des palissades pour cacher cette future misère. Alors que tu te frottes les mains, tout en t’asseyant autour du bar, Tessa demande ce qui t’arrive. Comme je le disais, elle te connaît trop bien. Elle sait que tu n’as pas rangé par plaisir de ranger. Loin de là. « Pas vraiment, non. » Tu te racles la gorge, pensant au merdier qu’est devenue ta vie. « J’ai l’impression d’enchaîner les mauvaises surprises. » Tu t’empares d’une part de pizza et prends à pleine boucher un morceau. Et comme un homme tellement bien élevé, tu parles la bouche pleine. « Comme … une ex … ne suffit pas … deux reviennent dans le game. » Tu avales. « J’ai vu Meghan il y a quelques jours, elle est enceinte. » Tu ne pouvais pas mieux faire pour plomber l’ambiance.

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« Mouais, profite pas trop de mon amour pour toi quand même. » Elle lève les yeux au ciel parce que c’est vrai qu’elle serait carrément agacée de le voir faire. Ou carrément pas. Des années que tous les deux se supportent, ce n’est pas maintenant que ça va changer. Leonel c’est son frère, de cœur certes, mais son frère malgré tout. Le jour où elle sera capable de lui faire du mal n’est pas arrivé. Il n’arrivera jamais et encore moins s’il s’agit de pizza. Elle fait ensuite une petite révérence quand il reconnaît qu’elle se sacrifie, aussi ironique que ça soit. « Merci très cher, je prends à cœur de penser à vous et au bien-être de cette merveilleuse pizza. » Si bien-être est réellement le mot à employer puisque son destin va être funeste. Enfin, Tessa suppose que pour une pizza, finir dans un estomac, c’est l’accomplissement d’une vie. « J’espère aussi … dans le pire des cas Tommy se fera un plaisir de m’augmenter, il attend que ça. » Et elle, elle refuse perpétuellement ses offres. Peu importe qu’elle soit son agent, c’est pour le moment officieux. Tant qu’elle n’aura pas son diplôme, elle ne peut pas prendre de risques. Pour elle mais surtout pour lui. Il doit être pris au sérieux, apprendre qu’elle gère sa carrière alors que beaucoup dirait qu’elle n’y connaît rien, qu’elle n’est même pas qualifiée, elle s’y refuse. Autant qu’elle refuse son argent. Il la paye déjà trop, permet à la brune de ne pas s’endetter avec un prêt étudiant, ça suffit largement. Et à côté, elle a Leonel qui l’héberge gratuitement. Même si elle a un métier de merde, elle est bien trop heureuse d’avoir des amis aussi parfaits pour se plaindre réellement de sa situation. « Laisse-le, pauvre gamin. On a qu’à regarder où on met nos pieds. » C’est vrai que la nuit ça risque d’être compliqué, mais s’il aime s’étaler, qu’il le fasse. L’enfance ça ne dure qu’un temps. A son tour, elle s’assoie, goulot de sa bière portée à ses lèvres – parce qu’elle est très classe comme fille – et le regard rivé en attendant la réponse du brun. D’abord, elle agite la tête puis ensuite elle manque s’étouffer. « Pardon ?! » Sa voix part dans les aigües, ses yeux s’ouvrent comme des soucoupes. « Je ne parle pas de Destiny, je sais qu’elle est rentrée mais … enceinte ? De qui ? De toi ? Tu déconnes ? » Tessa enchaîne ses questions à une telle vitesse qu’elle n’est pas sûre qu’il ait eu le temps de toutes les entendre mais … merde.

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Et dire que rare sont ceux qui croient en l’amitié fille-garçon. Vous en êtes la preuve vivante. Toujours à vous chamailler, à vous vanner et ça sans aucune ambiguïté. Entre vous, il y a un amour sincère, mais différent de ce qu’on imaginer. Ça dure depuis des années, et ce n’est pas prêt de changer. D’un signe de tête, tu acceptes sa révérence, lui renvoyant son ironie. Merveilleuse. Elle ne pouvait pas aussi bien dire. Cette pizza a l’air tout simplement divine. Elle ne tiendra pas deux heures dans le carton, et tu te feras un malin plaisir de la dévorer jusqu’à la dernière miette. « Tu sais très bien que tu peux compter sur nous, et j’ai quelque chose à te confier. Martin m’a avoué qu’il te voulait comme agent. » Tu fais un clin d’œil à ton amie. À peine âgé de cinq ans, et voilà qu’il pense déjà à engager un agent pour assurer sa carrière. Il est loin d’être bête, et connaît parfaitement toutes les ficelles du sportif. Tu parles peut-être trop du boulot lorsque tu es avec lui. C’est inquiétant. Tessa aurait pu être ton agent, mais ça fait bientôt dix ans que tu bosses avec Amy. Votre collaboration a plus que fait ses preuves, alors tu ne te vois pas en changer. Mais qui sait peut-être qu’à l’avenir, tu feras appel à ton amie de toujours. « Étrangement, je ne me suis pas dit ça quand j’ai marché sur l’un de ses lego. Et mon pied était du même avis que moi. » Tu aurais pu mettre des chaussons, et jamais alors tu aurais eu mal. Mais tu aimes trop marcher nu pied, et sentir la chaleur du sol chauffer tes orteils. T’as l’impression de marcher au soleil, que les beaux jours ne quittent jamais votre chez vous.
Tu as toujours eu le don de dévoiler tout sans laisser un brun de suspense. Tu manques de délicatesse, balançant la nouvelle de but en blanc. Tu ne voulais pas le garder plus longtemps pour toi. Autant y aller franco, l’enlever comme un pansement. À nouveau, tu t’empares d’un morceau de pizza, et la bouche pleine, tu affirmes de la tête à plusieurs reprises. Oui, tu avais bien dit que ton ex était enceinte. Toi-même, tu as encore du mal à digérer l’annonce. Et les questions s’enchaînent, et deux retiennent ton attention : est-il de toi ? Difficile à dire, et au fond que souhaites tu réellement ? « Ouais, enceinte. » Tu avales ce qui te restes dans la bouche. « Elle n’en sait rien. » Tu te dis que le monde s’acharne sur toi, que l’on veut te mettre constamment au défi. Qu’as-tu fait de si mal pour mériter tous ces virements de situation. « Elle dit que ça remonte à notre séparation, mais qu’il y a eu quelqu’un d’autre juste après. » Tu bois une profonde gorgée. « Au fond, je prie pour ne pas en être à l’origine. C’est déjà la galère avec un enfant de cinq ans, mais alors avec un bébé. » Tu écarquilles grand les yeux, imaginant la situation. Non, c’est trop tôt, tu t’enlèves rapidement ces images. « Bref, ça va … » Les lumières de la cuisine se mettent à grésiller, puis s’éteignent complètement, vous laissant totalement dans le noir. Seules les lumières des réverbères de la rue éclairent faiblement l’immense pièce. « Ah, j’ai foutu en l’air l’ambiance. » Tu te mets à rire.

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Parler avec Leo c’est tellement simple, tellement naturel. Elle sait qu’il ne la jugera pas ou, du moins, que s’il doit être franc avec elle ça sera pour l’aider. Comme elle, elle le fera toujours avec lui. Ils ont assez confiance l’un envers l’autre pour se dire les choses et s’ils se vexent ça ne dure jamais très longtemps. Une journée grand maximum. Du moins, Tessa sait qu’il en faudrait beaucoup pour qu’elle parvienne à lui faire la tête plus d’une journée. Elle finira toujours par revenir et lui demander pardon même si elle est celle qui a raison. « Ah ? Ce gamin est d’excellents goûts ! » Elle joue la fière mais ça la touche. Martin c’est un peu comme un petit cousin qu’elle a toujours envie de choyer et de prendre dans ses bras. Elle veut lui donner tout cet amour auquel elle n’a pas eu le droit à une certaine période de sa vie. « Baseball comme toi j’imagine ? » Enfin peu importe le sport, elle serait ravie de gérer sa carrière même si elle a largement le temps et que d’ici là il aura eu le temps de changer d’avis une centaine de fois sur son futur métier. Comme tous les enfants en fait. Comme son propre neveu d’ailleurs. Evitant de s’étouffer avec sa part de pizza, la brune n’a aucun mal à imaginer son meilleur ami et colocataire marcher sur un lego en pleine nuit et pester contre son propriétaire. « Pauvre toi, t’as fini par t’en remettre ? » Amusée et taquine, elle sait qu’elle aurait sans doute réveillé toute la maison en marchant sur un jouet mais elle, au moins, évite de marcher pieds nus, y compris en pleine nuit. Elle a le réflexe de mettre ses chaussons dès qu’elle sort du lit parce qu’elle déteste avoir les pieds froids. Chose à laquelle Tessa cesse de penser dès qu’il est question d’ex petite amie enceinte. Là, elle fait les gros yeux, enchaîne ses questions et délaisse presque sa part de pizza. Il lui faut un petit instant pour encaisser ce qu’il dit et surtout y mettre du sens. « Non, non, mon cerveau a déraillé au mot "enceinte", pardonne-lui. » Et comme pour l’aider, elle croque dans sa part de pizza qu’elle termine et prend le temps de réfléchir. « Wouah … pardon c’est jusque que … wouah. » Ce qu’elle a déjà dit mais il voit où elle veut en venir. C’est gros comme nouvelle ça. « Je ne sais pas si je préfère pas le retour de l’autre ex, ça m’a l’air quand même moins flippant que l’idée d’un bébé imprévu tu vois. » Elle n’aide pas, elle le sait, mais quand même, un bébé. « Bah j’espère pour toi qu’il n’est pas de toi. Oh, tu saurais très bien gérer contrairement à ce que tu penses, mais … si mes souvenirs sont bons ça ne s’est pas super bien fini entre vous, je voudrais pas que t’ai encore à t’engager dans une relation qui te fasse du mal tu vois, même pour un bébé. » Surtout pour un bébé devrait-elle dire. « Va nous falloir autre chose que de la bière hein, c’est pas assez fort. »