You have every failure / danessa

Parfois, on atteint ce point où tout donne l’impression de s’effondrer, où les problèmes s’enchaînent tellement qu’on a la sensation de se noyer, d’être incapable de garder la tête hors de l’eau malgré tous les efforts mis en œuvre pour. Puis, il y a aussi ce moment où fatigué de lutter contre le stress, la détresse, la douleur et tout un tas de sentiments mélangés à de la fatigue, notre corps finit par tirer la sonnette d’alarme et nous donne une bonne leçon. Pousser un peu trop, me démener pour atteindre mes objectifs, je connais ça depuis des années. C’est ce qui m’a toujours permis de ne pas m’effondrer parce que je sais que de cette façon je peux tenir. Sauf en ce moment. Incapable de dormir convenablement la nuit, ce n’est pas ce qui me retient de vivre à cent à l’heure le reste de la journée. J’ai besoin de ça pour oublier, pour penser à tout sauf à lui. Alors, pour ne pas déroger à la règle, je me suis levée tôt pour partir courir avant d’avaler un rapide petit-déjeuner pour ensuite allée à mon entraînement et enchaîner avec mon service à la pizzeria. Un dimanche comme les autres hormis qu’à plusieurs reprises j’ai été prise de vertiges. Chose que j’ai royalement ignoré, bornée sur l’idée de terminer ma journée et de me reposer qu’une fois de retour chez moi. Un retour qui ne doit se faire qu’après avoir passé ma fin d’après-midi avec Dani. Des jours que nous avons prévu de nous voir pour faire un peu les boutiques, discuter de tout et de rien. Des jours que j’attends ce moment pour décompresser un peu même si ça ne veut pas dire me reposer pour autant. Je préfère donc ignorer les quelques vertiges que j’ai ainsi que les bouffés de chaleur qui sont tout de même le signe que je ne vais pas bien. Je fais mon service au ralenti, ne fais pas le moindre commentaire lorsqu’on me reprend et suis plus qu’heureuse une fois les vestiaires atteints pour me changer. Ma tenue jetée au fond de mon casier, je pars sans même prononcer un mot à mes collègues et c’est devant la pizzeria que je repère la brune. « Hey ! Désolée d’avoir été longue, j’ai eu le droit à un petit sermon de la part de mon manager. » Dis-je en levant les yeux au ciel. Mauvaise idée, ça suffit à me donner la nausée et le tournis. Mon équilibre mis à mal, je parviens tout de même à cacher mon malaise à Dani en espérant que la pâleur de mon visage que j’ai vu dans le miroir des vestiaires ne va pas trahir ma fatigue.

Plus les jours passent et plus l’envie de démissionner me ronge. Chaque fois que je dois me rendre à la pizzeria je le fais à reculons. Aucune motivation, aucune envie de me rendre malade pour un travail qui ne sert qu’à mettre de côté de l’argent auquel je ne touche quasiment jamais. Je sais que j’en ai pour encore un peu plus d’un mois mais ça commence à être trop. Si ma situation n’avait pas été aussi bancale, si je n’avais pas des problèmes d’argent, j’aurais rendu mon tablier. Littéralement. Malheureusement pour moi, j’ai besoin de cet emploi. Maintenant plus que jamais d’ailleurs. Travailler sans arrêt, parfois jusqu’à épuisement, c’est le seul bon moyen que j’ai d’occuper mon esprit avec autre chose que de la torture. C’est sans le moindre doute que je peux affirmer n’avoir jamais été dans un tel état simplement à cause d’un homme. Non pas qu’il m’ait brisé le cœur, c’est cette situation qui me rend si mal. Il fait ça pour me protéger, pour s’assurer que mon avenir en tant qu’agent ne meurt pas avant même qu’il ne soit officiel mais il me manque. Je suis devenue tellement dépendante de Tommy que j’ai largement passé le stade de l’inquiétude. Ce qui me tracasse le plus c’est que cette pause l’amène à réaliser qu’il n’a pas besoin de moi alors que je serais tombée amoureuse de lui bien trop sérieusement pour parvenir à m’en remettre. Voilà pourquoi travailler est aussi important. Les quelques minutes à me changer sont suffisantes pour que je rumine encore une fois. Chassant tout ça de mon esprit, je quitte la pizzeria sans un mot et retrouve Dani à l’extérieur. Sa présence parvient à me décrocher un petit sourire. « Hey ! T'en fais pas, je viens tout juste d'arriver. » Je ne l’ai pas trop fait attendre, c’est une bonne nouvelle. D’un mouvement de la tête et alors que je me mets à marcher, je lui fais signe de me suivre jusqu’à la prochaine bouche de métro. De là nous pourrons aller jusqu’à Manhattan tranquillement. « Ça va ? T'as pas l'air bien Tess. » Je tourne la tête vers Dani et grimace. Il y a plusieurs personnes en qui j’ai assez confiance pour ne pas prendre le risque de leur mentir et la brune en fait partie. Je soupire toutefois avant de répondre. « Pas vraiment. Peine de cœur et tout ça … mais j’essaye de ne pas trop y penser. Donc on va dire que ça va en fait et toi ? » Je n’ignore pas que récemment c’était l’anniversaire de la mort de sa sœur et si je n’ai pas osé aborder le sujet, ça ne veut pas dire que je ne m’inquiète pas pour elle.

C’est mon anniversaire. En ce dimanche quatorze avril, je suis supposée fêter mes vingt-six ans et je n’en ai pas la moindre envie. C’est une journée comme les autres, plus difficile que les autres probablement parce que je ne suis pas d’humeur et particulièrement fatiguée. J’aurais sans doute dû proposer à Dani de repousser, rentrer chez moi me reposer mais je ne l’aurais pas fait. Arrivée à la maison, j’aurais trouvé tout et n’importe quoi pour m’occuper. Autant le faire en ville et en bonne compagnie. Mais la fatigue, je la sens. Elle tiraille chacun de mes muscles, provoque des bouffées de chaleur et des vertiges contre lesquels je parviens encore à lutter. Je peux aussi sentir mon cœur battre irrégulièrement, parfois trop lentement lorsque je pousse un peu trop mon corps. J’ignore tout ça. J’ignore tous les signes qui me hurlent de ralentir un peu pour une fois. Je ne peux pas. Si je le fais, je vais penser à lui. Peu importe que ça ne soit qu’une pause, qu’il me répète que je lui manque aussi, je ne peux le voir qu’en présence d’autrui. Sentir sa présence me réconforter, m’assurer que tout ira bien, je n’y ai plus le droit. Jamais j’aurais imaginé finir aussi dépendante à un homme comme je le suis à Tommy. Et il y a aussi cette crainte que d’ici la fin du mois de mai il décide de coucher avec une autre. C’est un homme, il a des besoins, mais cette pensée me donne la nausée. A moins que ça ne soit la fatigue ? « Oui c'est jamais facile tout ça.. si tu veux en parler, n'hésites pas. » Je tente un petit sourire. Ce geste pourtant si simple me donne l’impression de puiser dans mes dernières réserves d’énergie. « Il n’y pas grand-chose à dire tu sais … il subit un chantage, je suis en plein milieu de tout ça, alors pour me protéger j’ai plus le droit d’être avec l’homme que j’aime. » Les derniers mots sortent plus vite que je ne le voudrais et je sens mon visage s’empourprer. « Prétends que je n’ai pas dit ce que je viens de dire. » Je m’empresse de lui dire. Je n’ai toujours pas eu le courage de le dire à Tommy, ça me semble étrange de l’admettre aussi naturellement à quelqu’un d’autre. « Ça va. Les derniers jours n'ont pas été les plus joyeux disons, mais ça va aller. » Lentement, je secoue la tête. Je m’en doute. Pour avoir moi-même perdue ma mère, la date anniversaire de sa disparition est toujours difficile. Heureusement pour moi, elle n’arrive qu’en juillet ce qui me laisse le temps de m’y préparer. « Oh et j'arrête pas de penser à mon ex aussi.. tu vois, tout ce qu'il y a de plus normal. », « Ah ? » Je réplique immédiatement, drôlement intéressée par cette histoire d’ex alors que nous descendons les marches menant au métro et que nous arrivons assez rapidement sur le quai où il fait bien trop chaud. « C’est quoi cette histoire avec ton ex ? J’ai manqué un chapitre je crois. » Il faut dire que dernièrement, je me suis surtout concentrée sur les cours, les entraînements et le travail. Je n’ai pas pris une minute pour moi et donc pas une minute pour mes amis.

Je me retiens de m’en coller une à moi-même. Non mais quelle idiote ! Des mois que je lutte pour contenir cet aveu en moi, ne pas accepter ce qui est pourtant une évidence, et voilà que ma manie de parler sans réfléchir a raison de moi. Oh j’ai confiance en Dani, ce n’est pas le souci. Ce qui l’est, c’est que je suis incapable de garder ça pour moi maintenant. Sans doute est-ce dû à la fatigue que j’accumule ? Toujours est-il que je ne sais pas tenir ma langue, du moins j’y arrive encore moins que le reste du temps. J’ai bien failli envoyer promener un client tout à l’heure, c’est dire à quel point je commence à en avoir marre de tout. Moi qui ne dis jamais rien – pas même lorsqu’un client me met la main aux fesses – là j’ai failli me faire doublement remonter les bretelles par mon manager. « Promis, j'ai rien entendu. » Un discret petit sourire apparaît sur mes lèvres. C’est ma façon de la remercier pour sa discrétion et sa compréhension. Dani et Cassie savent par quoi je passe. Je ne sais pas leur cacher quoi que ce soit et leur soutien m’est plus que nécessaire. Et j’adore savoir que je peux compter sur les deux en toutes circonstances. « Mais, personne ne peut vous aider à retrouver celui qui lui fait du chantage ? » Du coin de l’œil, je la regarde en pinçant les lèvres quelques secondes. « Tommy a déjà donné le nom du gars à Wyatt pour voir s’il n’y aurait pas quelque chose à trouver contre lui mais … » Je m’arrête un instant et soupire. « A partir du moment où il sait que je couche avec mon client, peu importe ce qui sera trouvé, il pourra m’entraîner avec lui dans sa chute. » J’hausse les épaules, triste d’admettre ça. Je savais ce que je risquais dès la première fois où j’ai couché avec Tommy, je pensais simplement que nous étions plus discrets ou, bêtement, j’ai cru que personne n’irait faire jouer ça contre nous. C’était sans compter que pas mal d’agents sportifs rêveraient de gérer la carrière de Tommy, particulièrement grâce aux dollars que ça rapporte. « Au fait, j'ai pas oublié hein… Joyeux anniversaire Tessa. » Mon sourire s’élargit. Ça reste loin de mes réactions habituelles le jour de mon anniversaire. Généralement, j’adore fêter ce jour, en profiter pour passer du temps avec mes proches, aujourd’hui je n’ai pas le cœur à la fête. « Merci même si je ne compte pas faire grand-chose, juste un repas chez mes parents ce soir. » Sans doute avec ma fratrie aussi mais je n’en mettrais pas ma main à couper. Ils ont tous leur vie, mieux à faire que supporter leur sœur grincheuse. Il n’y a que mes parents que je me sens capable de berner. « Pour faire court, j'ai passé la nuit avec mon ex après l'avoir croisé dans un bar par hasard... » Ma bouche forme un "o" de surprise. Mince, je ne pensais pas qu’elle m’annoncerait ça. Je m’attendais plus au fait qu’elle l’aurait revu, qu’elle aurait discuté avec lui, pas qu’elle aurait carrément couché avec lui. « Mais non ?! » Dis-je à la fois choquée et trop curieuse. En jetant un regard vers le panneau non loin, je sais que nous avons six bonnes minutes avant l’arrivée de notre métro alors je l’attrape par le poignet et l’entraîne en arrière, loin des autres gens. « Raconte-moi tout ! Comment vous en êtes venus à ça ? C’était bien ? Tu l’as revu depuis ou c’était juste histoire de clôturer votre relation correctement cette fois ? » J’enchaîne les questions tellement vite que je manque d’air. Mon excitation quant au fait de jouer la commère agite un peu trop mon myocarde et pendant quelques secondes tout se met à tanguer. A moins que ça ne soit juste la chaleur insupportable sur ce quai …

« Peut-être qu'en trouvant un truc sur lui, vous allez réussir à lui faire un peu de chantage aussi non? » Peut-être … Je ne sais pas … Je n’ai jamais été du genre à fouiller dans la merde pour trouver de quoi faire chanter quelqu’un alors, très franchement, je ne sais pas comment m’y prendre ni si je serais capable de faire quoi que ce soit à ce type malgré le mal qu’il fait. Alors je ne fais que hausser les épaules. De toute manière, je n’ai pas envie de parler plus longuement de tout ça. Je fais de mon mieux pour éviter d’y penser, pour ne plus penser à lui, je n’ai pas envie de gâcher notre après-midi parce que je serais morose. « Ça va certainement te faire du bien de passer un peu de temps avec ta famille, non? », « Sans doute, oui. Je leur ai quand même dit que je n’étais pas vraiment dans mon assiette pour pas qu’ils en fassent tout un plat de cet anniversaire. » Dans le pire des cas, je me rattraperai l’année prochaine. En espérant qu’il n’y aura pas une nouvelle embûche pour me miner le moral. Mais ça me semble tout de même bien moins important que l’aveu que Dani me fait sur son ex. Forcément, ma curiosité prend le dessus et je veux tout savoir. Ce n’est pas mon demi-frère, alors même les détails je ne suis pas contre. « Disons que la soirée a plutôt mal commencé. (…) On a flirter et on a fini par coucher ensemble.. deux fois même.. Tess c'était parfait, encore mieux qu'avant. Et hmm.. je n'ai eu aucune nouvelle de lui jusqu'à vendredi.. il est venu me voir.. » Mon dieu ! C’est ce que je manque de lâcher. A la place je mets ma main devant ma bouche pour cacher le large sourire satisfait qui apparaît en entendant tout ça. « Wouah … » Ai-je le temps de dire avant de commencer à avoir vraiment trop chaud. Déjà à la pizzeria je sentais que quelque chose n’allait pas, là j’ai l’impression que c’est pire. Dani semble le remarquer elle aussi puisqu’elle me demande si je vais si bien que ça. « Oui, je … » Le quai se met à vaciller. Je sens les battements de mon cœur ralentir. Je veux dire : je les sens vraiment ralentir et taper dans mes oreilles, comme si tout était au ralenti. Je peine à trouver de l’air et ma vision n’est plus vraiment ce qu’elle devrait être. « En fait … non. » J’articule très doucement en tentant de m’avancer vers le siège le plus près. Je n’en ai pas le temps. Avant même que je puisse réaliser que ce soit c’est le noir complet. Mon corps est irrémédiablement attiré par le sol, ma tête rencontrant celui-ci un peu trop fermement au point de m’ouvrir l’arcade alors que je sombre dans les limbes.