another chapter ? (owen)

A mesure que le temps annoncé par le four descend, il a l’impression d’avoir de plus en plus chaud. D’avoir de plus en plus de mal à respirer, ou même à avaler sa salive. Pourtant, tout se passe bien dans le four. Le fromage commence à fondre sur les lasagnes, et l’odeur qui s’en dégage est de bon augure. Refermant le four, il réajuste les couverts déjà posés sur la table, avant de retourner dans le salon. L’heure affichée sur le salon semble avancer à reculons et à la fois, trop vite. Owen a hâte qu’elle sonne à la porte et à la fois, il anticipe terriblement. Il veut que tout se passe bien, sans aucun accroc, sans aucune raison pour Isis de changer d’avis à son sujet. Au contraire, il veut que cette soirée puisse marquer le début de quelque chose. Il veut construire quelque chose avec elle et se l’admet volontiers. En revanche, c’est autre chose de lui en parler directement. Il ne peut pas aller trop vite. Il a peur de brûler des étapes alors qu’il a aussi l’impression qu’ils ont perdu assez de temps. Alors il adopte un rythme, une attitude, qui ne correspondent pas exactement à ce qu’il voudrait. Parce qu’il ne veut pas prendre le risque de trop gâcher. Il ne veut pas la perdre bêtement. Il a déjà perdu assez de choses par sa faute. Isis est un rayon de soleil dans sa vie, une bouffée d’air frais. Mais tout cela reste encore fragile. Et ce soir, tout pourrait se jouer. Alors Owen avait passé une bonne partie de la matinée à ranger et à nettoyer, puis il avait cuisiné. Une journée bien remplie, qui en vaudra la peine, il l’espère. Il sort deux verres pour accompagner les quelques toasts et cacahuètes posés sur la table du salon. Concernant la boisson, il laissera Isis choisir ce qu’elle veut. Au-delà de toute cette pression qu’il s’impose concernant ce rendez-vous, le fait qu’il se passe chez lui, dans l’intimité, n’arrange rien. Il ne voulait pas être présomptueux, mais être tout de même préparé. Il n’avait pas osé l’embrasser l’autre soir, même après l’avoir raccompagné chez elle.
Ce sont des coups à la porte qui le font sortir de ses pensées. Il lève les yeux vers l’horloge. Elle est à l’heure. Et lui, il a l’impression de ne pas être prêt du tout. Ses pas le mènent tout de même jusqu’à l’entrée, où il se passe une main dans les cheveux avant de tourner la clé, puis d’ouvrir. Le sourire de la brune pourrait presque lui faire oublier tout son stress. « Pas du tout, tu es pile à l’heure. » Si elle était arrivée en retard, il aurait sans doute encore plus paniqué. Aurait imaginé qu’elle lui avait posé un lapin. Mais non, elle est là. Avec une bouteille de champagne à la main, qu’elle lui tend. « Oh tu n’aurais pas dû. » C’était elle qui était invitée après tout. « Entre, entre. » Il se pousse un peu pour la laisser entrer et referme la porte derrière eux. La porte est fermée. Ils sont seuls. Et il va falloir qu’Owen se ressaisisse. « On peut l’ouvrir ce soir si tu veux. Le temps que le repas soit cuit. J’espère que tu aimes les lasagnes. » Oui, peut-être qu’un peu d’alcool permettra de le détendre, au moins un peu. Il accroche la veste d’Isis au porte-manteau, avant de tendre la main pour lui montrer la direction du salon. « Je dois avoir des flûtes… quelque part. » Il ouvre un placard, puis le second, avant de trouver ce qu’il cherche.

Malgré leur passé, tout est nouveau. Chaque sujet de conversation l’est, et la gêne qu’il peut ressentir l’est aussi. Lire des mots sur le papier et les entendre de vive voix, devoir réagir aussitôt, sont deux choses totalement différentes. Pourtant, Owen espère ne pas trop mal s’en tirer. Après tout, Isis a accepté de venir ce soir, et elle vient même avec une boisson. Ce qu’elle n’était absolument pas obligée de faire selon l’avis d’Owen. Après tout, c’est lui qui l’invite. Mais il accepte la bouteille de champagne avec plaisir. Alors qu’elle retire son manteau, Owen est surpris de constater qu’il lui reste des fleurs dans les mains. L’explication qu’elle lui donne en lui tendant le bouquet l’étonne encore plus. Mais un étonnement plutôt positif. Il ne se serait pas attendu à ce qu’elle ramène des fleurs, pourtant c’est quelque chose qui peut se faire quand on est invité chez quelqu’un. Owen n’a cependant jamais reçu de fleurs et il trouve l’attention mignonne. « Je ne savais pas qu’on trouvait des fleurs sur les bords de route à New York. Mais merci beaucoup. » Il sourit, comprenant bien qu’Isis n’était pas sûre de son choix. Les fleurs sont belles, et ça tombe bien, il manque de plantes dans son appartement. Visiblement, il a fait le bon choix avec les lasagnes. Il a pu remarquer que c’était un plat souvent apprécié et comme il aime les cuisiner, c’était un choix logique. « J’espère qu’elles seront assez bonnes pour te faire chavirer alors. » Il parait que la nourriture peut être un aphrodisiaque, peut-être l’espère-t-il un peu. Enfin il aurait pu choisir des fruits de mer dans ce cas-là, mais il n’aurait pas été sûr qu’elle aime et il aime moins les cuisiner. La cuisine italienne, elle lui a déjà montré qu’elle aimait cela. Posant les fleurs et la bouteille sur le meuble du salon, il se penche devant celui-ci pour y chercher la boîte qu’il sait contenir des flûtes. « Elles ne sortent pas souvent, c’est l’occasion. » Après tout, il ne boit pas du champagne tous les jours, encore moins en aussi bonne compagnie. Ça mérite bien les flûtes qu’il a héritées de sa mère. Il finit par attraper le carton, heureux de le trouver si rapidement, et en sort deux flûtes. Il en profite pour prendre aussi un vase, qu’il ira remplir tout à l’heure. Il pose le tout sur la table basse, auprès des quelques toast préparés pour l’apéritif. Aux mots d’Isis, il devine aisément qu’elle parle d’elle en évoquant le manque de patience des femmes dans la cuisine. Owen n’est pas forcément d’accord, mais après tout, ça ne le dérange pas d’être le plus patient des deux. Surtout si ce qu’il cuisine peut plaire à la jeune femme. « Je pense que ça dépend de la personne, et non pas du genre. C’était ma mère qui cuisinait à la maison, pourtant ma sœur n’a pas du tout hérité de ça. » Il s’affaire à ouvrir la bouteille, doucement pour éviter que le bouchon ne casse quelque chose ou ne blesse l’un deux, tout en rapprochant une des flûtes, au cas où. Il sourit à la question d’Isis. Finalement, elle ne semble pas plus à l’aise que lui. Sauf qu’il ne sait pas s’il doit trouver ça bien ou non. Le bouchon décolle et tombe sur le parquet, alors qu’il remplit le premier verre de mousse plutôt que de champagne. Le deuxième se fait plus facilement, et il profite que la mousse descende pour répondre à Isis. « Il y a très peu de chances qu’elle m’embête. » Au contraire, sa présence lui fait très plaisir. « Mais pour te répondre… je n’ai pas fait grand-chose de bien intéressant. J’ai eu Paige au téléphone dans l’après-midi. Elle est en France avec sa mère, donc elle avait beaucoup de choses à raconter. » Une façon comme une autre de ne pas avouer qu’il a passé la majeure partie de sa journée à stresser pour ce soir, pour ce moment où elle serait là. « Et toi ? Tu travaillais aujourd’hui ? » L’interroge-t-il en finissant de remplir le premier verre. Il lui en donne un, avant de lui faire signe de le suivre. Il ne faut que quelques pas pour qu’ils se retrouvent devant la baie vitrée qui offre une vue magnifique sur Manhattan. Mais pour une fois, c’est une autre vision qui distrait Owen. « Je suis heureux que tu sois là. » Dit-il tout bas, avant de faire s’entrechoquer leurs verres, dont il prend une première gorgée. Vraiment, cette soirée pourrait être très bonne. Il a envie d’y croire.