music and memories – alison

Les bonnes adresses, ce sont elles qui faut avoir en tête. Tous les petits lieux incontournables, pas forcément très populaires mais qui se diffèrent des autres. Le bouche à oreille qui y contribue, et c’est surement ça qui fait tout son charme. Les expériences des autres qui deviennent les nôtres, et c’est comme ça que l’on finit dans un endroit insoupçonné. Ma route, elle se fait vers cette boutique de disques, où, selon l’un de mes amis, on peut y faire de belles trouvailles. C’est sans oublier de préciser cette décoration vintage qui lui a tant plu, et qui me plaira sans doute aussi. Je me récite l’adresse dans ma tête, priant de ne pas l’oublier avant d’arriver à destination. C’est bien mon genre d’oublier le petit bout de papier sur lequel il me l’a noté. Mais je connais Williamsburg, les rues également. Alors dans ma tête, j’ai l’emplacement.  Je ne sais même pas si je compte acheter quoi que ce soit, mais c’est pour voir, curieuse que je suis. Découvrir, s’émerveiller… C’est un peu ce qui me résume le mieux. Mon regard détaille les devantures de chaque bâtiment, à la recherche d’une vitrine spéciale –celle du disquaire. Et c’est assez rapidement que je m’arrête devant, soulagée d’être arrivée à bon port. J’entre, salue poliment les personnes présentes. Je suis d’abord surprise par toutes ces étagères remplies de disques. Les années affichées en gros dans certains coins, puis parfois, des bacs entiers réservés à de célèbres artistes. J’effleure avec douceur quelques CDs pour en admirer la couverture et puis aussi, parce qu’ils me rappellent de bons souvenirs. Chaque chanson a son moment, parait-il, et c’est le cas pour moi. Des mélodies qui nous replongent à un instant donné, à une scène que l’on peut facilement se remémorer. Moi, la musique me rappelle les voyages, l’aventure. Parce que, que serait un road trip sans musique ? Je ne me rends même pas compte que je souris – peut-être un peu bêtement. Et puis on me demande si j’ai besoin d’aide, d’un renseignement. Je secoue doucement la tête, bien encore plongée dans mes pensées, jusqu’à ce que la politesse me fasse relever le menton. Mes yeux qui croisent les siens, je m’arrête presque de respirer pendant quelques secondes. Je crois rêver, l’impression que mon imagination me joue des tours. Mais est-ce que c’est bien elle ? Alison Millstone ? Mon regard la questionne, et peut-être même qu’elle pense exactement comme moi. Ou alors, elle ne se souvient pas de ma petite personne. Alison ?

@alison millstone  

C'était une journée comme les autres pour Alison. Au travail, à conseiller les clients et à discuter avec eux des musiques qu'ils appréciaient. Certes, un jour comme les autres, mais elle aimait ces jours si banaux. Être proche des gens, voir complice, à partager une passion avec des inconnus qui n'étaient finalement plus que des inconnus. Elle arrivait à mettre un style de musique sur un visage, à s'y intéresser même si elle ne partageait pas les mêmes goûts que tous ses clients. Elle adorait le contact humain ; après tout, c'était une grande pipelette de nature, une femme pleine de vie qui aimait discuter et tout simplement partager. Travailler dans un magasin de disques était alors fait pour elle : en plus de travailler dans le milieu de sa plus grande passion, elle pouvait partager avec toutes sortes de personnes, des locaux comme des visiteurs, une vraie aubaine pour elle. Ce jour-là, la boutique n'était pas très fréquentée, mais cela tombait bien car, Alison, seule à y travailler pour la journée, devait réaliser un inventaire qui prenait malgré tout beaucoup de temps. Elle était cependant présente lorsque des clients entraient dans le magasin, à la fois pour les accueillir mais aussi pour leur proposer son aide. C'est d'ailleurs de cette manière que cela s'est passé lorsqu'une jeune femme d'à peu près son âge est entrée dans l'établissement. Presque machinalement, la tête en plein dans l'inventaire, Alison la salua et lui proposa ses services, qu'elle a gentiment refusé d'un signe de tête. Alors prête à retourner à sa liste, la blonde fut interpellée vite par la voix de la brune qu'elle venait d'accoster. Elle analysa doucement son visage et se rendit compte qu'elle était tellement concentrée sur le travail qu'elle effectuait en arrière boutique qu'elle n'avait même pas fait attention que la personne qui se trouvait en face d'elle était une connaissance de longue date. Jillian Dunn. « Jillian ? » dit-elle d'une manière interrogative, bien qu'elle était déjà sûre et certaine qu'il s'agissait d'elle. Alison et Jillian étaient des amies d'enfance qui s'étaient peu à peu perdu de vue après le lycée, leur chemin s'étant alors séparé à cette époque. Alison avait l'impression qu'elles ne s'étaient pas vues depuis un siècle, et pour cause ... cela faisait presque dix ans maintenant qu'elles ne s'étaient plus vues. « Ça va ? » C'était sorti tout seul, un peu la question bateau qu'on pose lorsqu'on n'a plus les mots. La blonde se reprit. « Ça fait tellement longtemps qu'on ne s'est pas vu ! C'est tellement bizarre de se retrouver ici, je ne m'y attendais pas du tout ! » Alison, expressive, ne cachait pas sa surprise. « M... Qu'est-ce que tu deviens ? Ça va ? » redemanda-t-elle. « Je ne sais même pas par où commencer tellement tu m'as prise au dépourvu. » Elle sourit. Elle savait que Jillian n'avait pas planifié cette rencontre, mais pour une surprise, ça c'en était une !

Alison n'avait pas vu Jillian depuis ... une bonne décennie, oui. C'était étrange de la revoir, ici, sur son lieu de travail, alors qu'elles s'étaient perdues de vue depuis tant de temps. Elle était heureuse de retrouver la brune ; revoir son visage lui réchauffait le cœur, la nostalgie de leur amitié la gagnant peu à peu. Perturbée, aussi, de le voir alors qu'elle ne s'y attendait pas. Elle partait dans tous les sens, mais c'était uniquement parce qu'elles avaient tant de choses à rattraper. Tant de choses et si peu de temps pour discuter. Seulement Alison espérait qu'après cette visite imprévue, elle aurait de nouveau l'occasion de recroiser la jeune Dunn. Elle y veillerait personnellement. « Ça va bien aussi. » Elle aurait pu développer, lui parler de son boulot, de ses amis, de sa famille, de la relation qu'elle entretient avec les hommes ... mais chaque chose en son temps. Elles auraient certainement du temps un peu plus tard pour se raconter toutes les choses qui leur étaient arrivées respectivement depuis qu'elles ne s'étaient pas vues. « Toi aussi, toujours la même ! ... Même si je ne t'ai pas reconnue du premier coup. Mais ça c'est parce que j'étais dans la lune. » Parfois, quand on fait la même chose plusieurs fois par jour, on finit par les faire machinalement, en y prêtant moins d'attention. Même si Alison adorait son métier, il arrivait parfois que ça lui arrive. « Au zoo ? Tu y travailles depuis combien de temps ? Pour ma part je suis là depuis près de 6 ans. J'ai toujours aimé la musique, alors quoi de mieux que de se retrouver ici. » dit-elle avant d'ajouter : « Et puis je suis une grande bavarde, alors parler avec des gens à longueur de journée tu te doutes bien que ça me plait. » Alison avait toujours été une personne très sociable et très avenante, même à l'époque où elle fréquentait encore Jillian. La brune la connaissait encore bien, malgré qu'elles ne s'étaient pas vues pendant bien dix ans. Alison n'avait pas tant changé que ça au niveau du caractère ... A part qu'elle avait gagné en maturité. « Ça fait tellement plaisir de te revoir. » déclara franchement la blonde, le sourire aux lèvres. Jillian avait été une de ses amies les plus proches à l'époque, et à ce moment précis, elle se demandait comment elle avait pu arrêter de prendre de ses nouvelles. « Et non. New York c'est ma ville. Je ne connais que ça, ou presque. » Elle avait bien fait des voyages, mais elle n'avait habité que dans la grosse pomme. « Et toi ? Tu es partie d'ici ? » La jeune Millstone regarda autour d'elles. Personne à l'horizon, elles pouvaient continuer à parler tranquillement entre elles et rattraper le temps perdu. « Et tu as quelqu'un dans ta vie ? » Pourquoi pas après tout, elle ignorait tellement de choses sur sa vie à ce moment précis.

J’ai toujours un peu de mal à croire que je me trouve face à Alison. Amie perdue, finalement retrouvée. J’en suis très heureuse, même si bien sûr ça me fait regretter ces années à ne rien avoir changé. Alors qu’elle était sûrement à deux pas de moi, peut-être même que l’on s’est croisées sans nous en rendre compte. Ça fait trois ans que je suis là-bas. Je m’occupe surtout des félins. Métier pour lequel je suis tombée raide dingue amoureuse, à peine la formation commencée. Moi qui adore les animaux, ça n’a fait que confirmer que je prenais la bonne voie.  Je souris en écoutant Alison, peut-être bêtement, mais je suis heureuse de la retrouver, ici. De façon inattendue. Ça doit être un chouette métier. J’adore ce genre d’endroit, alors y travailler, tu dois t’y plaire. Surtout qu’elle aime la musique et le contact avec les gens. Elle me fait doucement rire en évoquant le fait qu’elle est une grande bavarde. Elle semble avoir trouvé le métier de ses rêves et je suis très contente pour elle. Si la vie lui a réussi, c’est quelque chose de bien. Et j’espère de tout cœur que ce n’est pas que d’un point de vue professionnel. Un métier, c’est une grosse part de notre vie, mais il y aussi le point de vue personnel. Et là, ce n’est pas toujours simple. J’espère qu’à partir de maintenant… on ne laissera pas le destin en faire qu’à sa tête, et nous séparer. Comme il l’a fait pendant dix ans, que je lui dis, en toute honnêteté. Je veux qu’Alison comprenne que je ne compte pas repartir de la boutique l’air de rien. Je compte bien qu’il y ait un après, parce que ce serait comme ne pas laisser une deuxième chance à notre amitié. Nous qui nous sommes toujours très bien entendu, de grandes amies. D’autant plus qu’Alison n’est restée qu’à New-York, et toutes ces années gâchées à ne pas avoir repris contact. J’ai voyagé un peu mais j’ai toujours vécu ici. J’ai tout à New-York. Ma famille (si je peux toujours l’appeler ainsi), mais surtout mes amis, mes meilleurs amis, et mon métier. Alors je n’ai jamais songé à aller vivre ailleurs. Ce n’est qu’avec Leroy que j’ai pu assouvir mes envies de voyage, à aller à droite et à gauche, dans plusieurs pays. Et personne dans ma vie. C’est une autre étape à franchir, ça. Je ris doucement, alors que de ma main, j’effleure quelques CDs qui se trouvent sur ma gauche. Je regarde les titres, certains que je connais et d’autres non. Puis d’un regard malicieux, je regarde Alison, la questionne du regard. Elle doit même se douter de la question qui va suivre. Et toi ? Mariée ? Des enfants ? C’est sur le ton de l’humour, mais je ne suis pas à l’abri d’une affirmation on peut plus sérieuse. La vie nous réserve parfois des surprises, j’en ai maintenant un peu plus conscience.

A peine retrouvées, les deux jeunes femmes discutaient de leur vie respective. Elles rattrapaient le temps perdu, perdu d'ailleurs si bêtement. Un coup de fil prend cinq minutes, un sms prend à peine dix secondes. Comment avaient-elles pu se perdre de vue, alors qu'elles étaient à l'époque de si grandes amies ? « Tu dois avoir envie de leur faire des câlins à longueur de journée. Du moins, c'est ce dont moi je rêverai à ta place. » Enfin, si on omet le fait qu'en un coup de patte de gros félin dans la tronche, on peut vite se retrouver défiguré. Alison sourit à la remarque de son interlocutrice sur son travail. Oui, elle s'y plaisait. Elle adorait la musique, ça avait été sa passion depuis toute petite ... et, grande bavarde qu'elle était, se retrouver dans un échange quotidien avec les clients de la boutique la ravissait tout autant. Elle avait trouvé le métier pour lequel elle était faite et comptait passer encore de nombreuses années au sein de cet établissement. Après tout, New York était sa ville depuis qu'elle était toute petite, elle n'avait aucune raison de déménager pour changer de métier. « C'est tellement bête de se perdre de vue de la sorte. » déclara honnêtement Alison face à leur situation. Dix ans qu'elles ne s'étaient pas vues, et pourtant, elles appréciaient toutes deux la compagnie de l'autre ... Alors pourquoi avoir laissé filé le temps et s'être ainsi séparées ? « Comme tu dis, il faut qu'on se rattrape. » Sous-entendu : "Il ne faut pas qu'on se quitte après cette rencontre, et qu'on espère que le destin nous fasse nous retrouver dix ans plus tard". Non, il fallait qu'elles agissent et qu'elles reprennent contact. L'amitié de Jillian avait été si importante pour Alison qu'elle se disait qu'elle se devait de la retrouver pour de bon et ne plus la laisser filer comme dans le passé.  « Et quelle étape ! » Alison rit à sa remarque. L'engagement avec une personne était une chose compliquée, elle savait de quoi elle parlait, bien qu'aujourd'hui elle n'était qu'un électron libre. « Rien de tout ça non plus. Je suis célibataire, et je pense que je suis bien loin de l'accomplissement de la vie de famille parfaite. » Elle rit de nouveau. « Il y a moins d'inconvénients à être seule. » ajouta-t-elle avec le sourire. Elle avait vécu une relation sérieuse de trois ans, et au final, ça lui avait plus de mal que de bien.

Naturellement, la conversation débute sur nos emplois respectifs. Vendeuse ici pour Alison, soigneuse au zoo du Bronx pour moi. La réaction de la blondinette ne se fait pas attendre, sûrement attendrie rien que de penser aux boules de poils, et elle me fait rire. Des câlins, oh oui, et ils n’en manquent pas –pour les bébés. Ils sont mignons, pour la plupart. Les touts petits ne pensent qu’à jouer et manger, puis réclamer des papouilles. Les grands, c’est la loi de la jungle. Alors les câlins avec eux, j’ai mis l’idée de côté depuis un petit moment, que je lui explique en riant. L’envie de me faire croquer par un carnivore ne m’enchante pas trop, malgré leur beauté. Non pas que je les crains, car il faut leur montrer un minimum qui dirige, mais qu’est-ce qu’un humain peut contre une bête à la base sauvage ? Surtout qu’au zoo du Bronx, essayer de reproduire au mieux un  environnement un minimum naturel est d’une grande importance. Le contact avec les animaux adultes, on peut oublier. Je m’extirpe de mes pensées quand Alison évoque un point auquel j’ai pensé deux minutes plus tôt. A croire qu’elle lit dans mes pensées, la jeune femme. Surtout à notre époque, où nous n’avons aucune excuse… Entre les réseaux sociaux et tout autre moyen de communication, comment ne pas avoir repris contact avec Alison ? Alors je lui dis que l’on doit se rattraper, que l’on doit désormais profiter des retrouvailles créées par le destin – et surtout éviter de repartir chacune de notre côté. Tout ça n’aurait eu aucun sens. Je sais que les promesses, c’est pas le top mais crois-moi, je suis bien trop contente de passer ce moment avec toi pour ne pas garder contact par la suite. Alors je peux te promettre de ne plus disparaître de ta vie. Et si je ne suis pas fan des promesses, pourtant celle-ci me tient à cœur. Alison, grande amie qu’elle a toujours été, et qui le sera encore maintenant. L’occasion est trop belle pour la laisser filer. Le temps ne semble pas avoir creusé de fossé entre nous. Il y a toujours cette complicité, cette facilité à discuter. Puis ce que j’aime avec Alison, c’est qu’il n’y a pas de sujet tabou. Nous voilà à évoquer de potentielles relations, mais apparemment, elle comme moi n’est pas prête à se lancer. Puis, nous sommes jeunes, après tout. Je ris de bon cœur avec la demoiselle, qui évoque ensuite sa vie actuelle. Célibataire, dans l’optique de ne pas se poser, pour le moment. Mais on est pas à l’abri du grand amour, hein. Il te guette peut-être en ce moment-même. Taquine, malicieuse… Je joue très clairement. Et j’aime ça. Peut-être que c’est le cas aussi pour moi, et que du jour au lendemain, notre cœur battra fort pour quelqu’un. Je le souhaite à Alison, en tout cas. Mais c’est sûr que le célibat a du bon. Inutile de mentionner les crises de couple, les problèmes qui vont avec … Alison sait déjà tout ça, certainement. Donc tu vis seule ? Dans un appart ? Curieuse jusqu’au bout, je ne peux pas chasser mon naturel. On sait qu’il reviendra au galop.

Alison écoutait attentivement Jillian parler, alors qu'elle lui racontait des anecdotes sur son travail en tant que soigneuse dans un zoo. Si la blonde n'avait pas été vendeuse dans ce magasin de disques, boulot qu'elle adorait littéralement, elle se serait bien laissée tenter par ce métier de soigneuse elle aussi, si on oublie bien évidemment qu'il faut faire les études adéquates qu'elle n'avait évidemment pas réalisées. « J'imagine qu'un coup de griffe d'un bébé tigre et d'une maman tigre, ça n'a pas la même ampleur. » dit-elle en riant, ignorant totalement si elle travaillait ou non avec des tigres, mais elle l'imaginait. Du moins, elle travaillait avec des gros félins, c'était pareil ... Ou presque. Discuter avec Jillian était agréable, même si c'était bizarre pour Alison de la revoir après tant de temps sans lui parler. Comme disait la brune, elles n'avaient aucune excuse. Elles s'étaient perdues de vues bêtement, à l'ère où les portables et le net permettaient à des gens de garder contact entre eux d'une simplicité folle. « C'est vrai, c'est tellement bête. Surtout que là, on se voit et c'était comme si on ne s'était jamais quitté. » Du moins, c'était son impression : elles n'avaient aucune gène l'une envers l'autre - à part peut-être aux premières secondes de leurs retrouvailles - et elles parlaient naturellement, comme elles le faisaient à l'époque. C'était si simple pour Alison de parler avec la jeune Dunn, qu'elle se demandait comment elle avait pu oublier de prendre de ses nouvelles durant toutes ces années. « Mais oui, il ne faut plus qu'on se laisse tomber ! Il faut qu'on fasse des trucs ensemble. Qu'on aille boire des verres, qu'on se fasse des restau' ... Plein de trucs quoi ! » Bon là, c'était assez compliqué vu qu'elle était au travail - par chance, personne n'entrait encore dans le magasin - mais une prochaine fois. Elle le désirait réellement. Finalement la conversation se porta sur les amours des deux jeunes femmes ... qui ne semblaient évidemment pas au rendez-vous. Elles étaient toutes deux seules, comme à l'époque où elles s'étaient "quittées". « J'ai peur qu'il m'ait filé entre les doigts, le grand amour. » Enfin, c'était plutôt elle qui l'avait fait fuir, lassée de souffrir à cause de ses absences à répétition. « Je vis seule, dans ce quartier même, à quelques centaines de mètres d'ici. Et toi, tu vis en appartement aussi ? » Les deux femmes étaient bavardes et chacune très curieuse d'en découvrir plus sur l'autre. De quoi tenir une bonne discussion. « Tu vis en colocation ? » Peut-être bien, pourquoi pas. Alison voulait en savoir plus. Malheureusement pour elle, elles ne pouvaient pas discuter jusqu'au bout de la nuit.

Comme si on ne s’était jamais quittées. Voilà ce que me dit Alison et c’est bien vrai. C’est même exactement ce à quoi je pense depuis le début. Comme si une décennie ne s’était pas passée. Comme si c’était hier. N’est-ce pas une bonne chose ? Je pense que si, et je me mets à sourire avec sincérité. Comme si je t’avais vue hier, en fait. Je me rends encore plus compte de l’impact qu’Ali a eu dans mon enfance et me dis que c’est bien dommage d’avoir pris des chemins différents, sans garder contact. Ali qui ne semble pas avoir changée, toujours aussi adorable, toujours aussi attachante. Alors oui, bien sûr que j’ai envie de passer des moments avec elle, que j’ai envie de rattraper le temps perdu et d’envisager de vivre tout un tas de trucs de folie ensemble ! Reconstituer un duo qui a été détruit par le temps, mais cette fois-ci, l’une comme l’autre semblons déterminées à ne pas nous laisser faire. Tiens, je te donne mon numéro. Plus aucune excuse dans ce cas-là. Et si il faut, je te chercherais dans toutes les rues de la ville. Je ricane, exagérant un peu dans mes propos –même si ma motivation ne pouvait pas mieux être démontrée. La conversation est si fluide que je ne me souviens même plus du pourquoi et du comment nous en sommes venues à parler d’amour. De couple. De toutes ces choses qui semblent inexistantes dans nos vies, apparemment. Comment ça il t’a filé entre mes doigts ? Je pense que tu vas devoir me raconter cette histoire autour d’un verre. Ou deux, ou trois, ou quatre… Voilà comment lancer une première invitation, ni vu ni connu. Le magasin n’est clairement pas le lieu adéquat pour déballer une longue histoire d’amour, ou peut-être courte si cet amour a semble-t-il filé ?  Je viens dans une grande colocation. On est sept. Deux d’entre eux sont mes meilleurs amis. C’est cool. Naturellement, je hoche la tête. On vit à quelques rues d’ici aussi, dans une maison du coup. Faut de quoi abriter toute cette population hein ! Beaucoup de chambres, beaucoup de mètres carrés, et tout ça pour une grande colocation. C’est pourtant une bonne chose dans ma vie, de quoi mettre un peu de mouvement et de rencontrer de nouvelles têtes, surtout dans une si grande ville. Je me redresse machinalement lorsque quelqu’un passe la porte de la boutique, mon regard qui se repose sur ma bonne amie. Un regard qui pourrait se traduire par un «  tu vas devoir retourner bosser, c’est ça ? », et une pointe de tristesse dans les yeux.

Alison et Jillian s'étaient perdues de vue, et pourtant, elles semblaient discuter comme si cela n'était jamais arrivé. Certes, elles avaient de nombreuses choses à rattraper, tant au niveau professionnel qu'au niveau personnel et sentimental. Jill ignorait beaucoup de choses sur Ali, et vice versa. Mais l'une comme l'autre ne semblait pas prête à se perdre de nouveau de vue, comme le montra d'ailleurs la jeune Dunn en tendant son numéro de téléphone à Alison. La dernière ricana légèrement face à la détermination de son ancienne -redevenue nouvelle - amie. « Dans ce cas, je vais t'appeler très prochainement. J'aurais trop peur de me faire poursuivre dans la rue par ton double psychopathe. » La jeune Millstone souriait. Ce n'était évidemment pas la raison pour laquelle elle la rappellerait ; si elle le faisait c'était parce que ça lui tenait réellement à cœur de renouer contact avec elle, de rattraper le temps perdu bêtement. « ... Ou six, ou sept, plutôt. » répliqua Alison lorsque Jillian lui proposa de lui raconter cette histoire d'amour qui lui avait filé entre les doigts autour d'un bon nombre de verres. En règle générale, parler de Jordan était plutôt à éviter pour Alison, mais avec la jeune Dunn, elle avait moins de problèmes à évoquer l'histoire. Après tout, la brune avait été une de ses plus proches amies à l'époque, et cette complicité se ressentait encore ce jour-là, après de nombreuses années sans avoir parlé ni sans s'être vues. « Ah oui, c'est pas une petite colocation ça. » Alison se mit à rire, ne s'attendant pas à ce qu'elle lui avoue vivre avec tant de gens. Mais la jeune Millstone, se connaissant, savait qu'elle se plairait dans un milieu pareil, proches des gens et bavarde qu'elle était. « Tu ne dois pas t'ennuyer en tout cas. » La blonde imaginait son interlocutrice vivre avec tout ce monde, lorsqu'une personne passa le pas de la porte du magasin de disques. Une pointe de déception sur le visage, elle regarda son amie qui avait l'air d'avoir compris la situation. Qui disait client, voulait dire qu'Alison devait se séparer de Jill pour retourner à son travail. « Je crois que c'est l'heure d'y retourner. » Elle soufflait doucement, désolée de devoir laisser son amie alors qu'elles étaient en pleine conversation et qu'elles avaient encore des tas de choses à se dire. « C'était trop court. Mais promis on se rattrape la prochaine fois. » Et puis maintenant, Ali avait le numéro de la brune, ce serait alors beaucoup plus simple pour se revoir.