« on dirait Noël, mais avec plus de... moi.»

Depuis quelques jours à Paris, je ne pouvais pas dire que les relations étaient aux beaux fixes avec ma mère. On ne se parlait pas ou peu, du moins pour ma part. Et cela m’importait peu, j’étais juste là pour le travail.
Arrivée sur place où aurait lieu le salon de l’automobile sur les Champs Elysées, je prenais toutes les directives en l’absence de mon père et de mon grand-père. Lamborghini était mon nom mais aussi une grande entreprise familiale. D’une main et d’une voix de maître, je présentais la dernière voiture de la collection de luxe. Puis j’allais voir la place qu’elle allait avoir, je gérais les éclairages, les hôtesses et les tenues qu’elle devrait avoir, la pancarte de présentation, le petit stand douceurs. Un client qui se sent chéri était un client qui achèterait à soixante-quinze pour cent. Absolument rien n’était laissé au hasard, et mes talons qui claquaient sur le sol à chacun de mes pas n’annonçaient rien de bons si je me dirigeais vers quelqu’un. Après tout, on en était pas à ce stade de carrière à vingt-cinq ans, sans avoir un minimum de poigne et de … de cruauté oui.
Après deux jours passés à la capitale française, je reprenais l’avion pour rentrer dans mon chez moi, à New York. Les chaleurs étaient étouffantes et j’avais pris le temps de me changer avant de me rendre à l’aéroport. Une robe légère et toujours des talons, c’étaient de cette façon dont je me sentais le mieux, et le plus à mon avantage aussi.

C’était arrivée au moment de monter dans l’avion que je réalisais que ma secrétaire avait pris le mauvais billet d’avion. Super, j’allais me retrouver dans la classe économique premium. Je levais les yeux au ciel prête à me mettre en colère, mais c’était soit cela, soit j’aurai dû reculer mon retour à New York et je ne pouvais pas. Je levais les yeux au ciel, et préparer déjà ma tête sa lettre de licenciement.  Je montais dans l’avion, et ma place n’était même pas côté hublot. Décidément, je devais avoir encore quatre grammes dans chaque œil au moment où je l’avais engagé celle-là. Dans toute ma splendeur, je ne me gênais pas pour m’installer côté hublot tout de même. On en avait pour huit heures trente environ de vol, je n’allais pas juste pour voir des gens et des hôtesses autour de moi, cela me rendrait dingue et vraiment désagréable. Puis au pire des cas, si une personne était assise là, je lui laissais ma place à côté. Pour une fois, je me montrerai tolérante, et encore cela dépendrait de la personne.

Jack arborait une mine désastreuse et fatiguée alors qu'il descendait la rampe d'accès qui le menait à l'avion qui le ramènerait chez lui. Vêtu d'un pantalon cargo et d'une chemise froissée, avec des cernes incroyables sous les yeux, on pouvait facilement avoir l'impression que le reporter fonctionnait en pilotage automatique. En même temps, Harper revenait d'un "séjour" de deux semaines dans la banlieue de Bagdad, à l'occasion d'un reportage photo sur les troupes de la coalition qui combattaient l'Etat Islamique. Autant dire qu'il n'avait pas eu le temps de profiter des hôtels de la capitale irakienne pour s'y reposer. Mais cette fois-ci, l'Agence n'avait pas eu besoin à faire appel à ses services au Moyen-Orient, ce qui n'était pas pour déplaire à l'homme de terrain.

Son vol retour lui faisait faire une escale à Paris, avant d'embarquer sur un vol Air France à direction de JFK. Il salua poliment d'un sourire les hôtesses l'accueillant à bord -il ne parlait pas un traître mot de français- avant de rechercher sa place à travers les innombrables rangées de la classe économique.  Le vol était déjà presque plein, et Jack faisait partie des derniers passagers à embarquer. Il remonta en silence les rangées des classes affaires, jalousant leur confort et leur place, avant de se rappeler combien de mois de salaire devait-il dépenser pour un obtenir un aller-retour. Le vétéran arriva enfin devant son siège et resta quelques instants interdit en constatant que sa place était prise. Il n'avait même pas pris le temps d'observer l'intéressée qu'il rangeait déjà sa sacoche en lançant un : "Excusez-moi, mais je crois que vous êtes à ma place..." des plus laconique en refermant sèchement le porte-bagages. Jack était légèrement sur les nerfs mais ses yeux se posèrent enfin sur la silhouette de la splendide créature qui occupait son siège et resta quelques secondes sans voix, l'air un peu benêt. Son esprit d'analyse lui intima tout d'abord de se méfier, la présence d'une telle femme -qualité des vêtements, prestance, élégance- indiquait qu'elle n'avait rien à faire dans la partie bétaillère de l'appareil mais il finit par se raviser en installant. "Vous savez quoi ? C'est pas grave, je vais prendre ce siège...." conclut-il benoîtement avant de s'installer et de s'attacher avec un petit sourire gauche.
La raison pour laquelle Jack prenait toujours un siège avec hublot était simple : des suites d'un crash d'hélicoptère en Afghanistan, il avait depuis toujours été nerveux en avion, et le fait de regarder vers l'extérieur le rassurait. Mais il était tout simplement éreinté, alors peut-être qu'il finirait tout simplement par s'endormir. Anxieux, il lut et relut la planchette de consignes de sécurité en attendant sagement le décollage, jetant de temps à autre de petits regards furtifs vers sa voisine. Amateur de belles courbes, il n'était peut-être pas  à son avantage étant donné les circonstances mais Harper avait un gros problème : ses phrases d'approche et d'accroche étaient bien généralement pourries. "Vous pourriez me passer le menu, s'il vous plaît ?" demanda-t-il timidement en pointant du doigt le carnet écorché.

Posée tranquillement près du hublot, je regardais dehors attendant impatiemment que l’avion décolle enfin et que je puisse rentrée. D’autant plus que je n’étais pas des mieux installée dans ses sièges. Il fallait reconnaître qu’il y avait une réelle différence entre la classe économique et la première classe tout de même. En prime, dans la première classe, nous n’étions pas collés comme ça les uns aux autres. Enfin bon. Je n’avais pas beaucoup de choix de toute façon. Je pensais déjà à mon SPA qui m’attendait, des petits massages pour me détendre de ces derniers jours, et de toutes ses tensions accumulés avec ma mère. L’avions était quasiment plein quand une voix me retirait de mes meilleures rêveries. Il fallait s’y attendre qu’on me râle dessus car j’avais pris la place de quelqu’un. Seulement, je n’avais pas l’intention de la rendre. « Un souci ? » dis-je froidement sans même regarder la personne qui arrivait. Juste une voix masculine. Le porte bagage qui venait d’être claqué me fit tourner la tête vers cet homme. Pendant un instant aucun ne nous ne dit un mot. Puis l’homme, qui je devais reconnaître malgré son style vestimentaire, était très plaisant à regarde, surtout la couleur de ses yeux, me proposa rapidement de garder la place. Un sourire s’esquissa sur mes lèvres. Une fois de plus j’avais gagné, et avec grande facilité, c’était dingue.

Puis il s’installait à côté de moi. Je regardais de nouveau par le hublot, jusqu’à voir les réacteurs de l’avion s’activait, et le sol s’éloignait tout doucement. Je prenais quand même une photo, même si on devait forcément éteindre nos téléphones mais bon, moi et les règles, ça faisait dix. Mon voisin fixait son regard sur les consignes de sécurité. Je levais une fois de plus les yeux au ciel. « C’est votre premier vol ? » Je n’avais pas envie d’entendre une prière pendant le vol si c’était le cas, je ne remettais jamais mon destin dans les mains d’un être divin. Il n’y avait que moi de divine ici.
En temps normal, en première classe, on avait souvent une bouteille d’eau, une coupe de champagne, ou un petit truc de bienvenue. Je m’en rendais compte quand j’entendais les beaux yeux bleus me demandait la carte. Je me redressais pour lui tendre. « Bien sûr. » Je n’étais pas la plus polie de toutes les jeunes femmes de la planète. Mais bon, on allait passer quasi neuf heures ensemble, j’allais faire un effort aussi. « L’avion vous a creusé l’estomac ? » Non parce que bon, il n’était pas encore vraiment l’heure du repas non plus. Après il fallait avouer que les français étaient de grands adeptes du ‘’goûter’’ alors pourquoi pas. Moi-même pendant de longues années, j’avais profité de ça en vivant chez ma mère. A New York, c’était une autre histoire. J’avais une vie tellement active, que je mangeais souvent sur le pouce. Ou alors au restaurant pour les déjeuners d’affaires.

Jack avait écouté de manière plus qu'attentive les consignes de l'hôtesse, tout en s'en efforçant de ne prêter aucune attention aux gestes de la jeune femme assise à ses côtés qui s'efforçait d'immortaliser leur voyage. Il avait simplement envie de lui rappeler que l'usage du téléphone hors mode avion était interdit, en boy scout qu'il était. En bon militaire qu'il était, même si ce n'était plus vraiment officiel, Jack s'était toujours efforcé de suivre les règles, et de les appliquer. Il finit par se raviser et répondit par un simple mais anxieux :  « Pas vraiment ... » avouait-il alors qu'il se cramponnait aux accoudoirs du siège, y compris celui du milieu, à savoir l'accoudoir maudit, celui que ceux de la classe éco premium devaient se partager. Il s'attendait à tout moment qu'une roquette ou qu'un missile vienne frapper la carlingue de l'avion, et anticipait déjà mentalement les actions réflexes qu'il devait avoir, à savoir la fameuse position de crash à adopter.

Harper serra les dents jusqu'à ce que l'appareil d'Air France atteignit son altitude de croisière, que le signal « attachez vos ceintures » s'éteignit et daigna enfin attraper le menu que lui tendait la jolie blonde. Jack se mit à parcourir les pages avec avidité.  « Je pensais plus à un petit remontant.... » avouait-il en cherchant désespérément la page « alcools » du fascicule écorné.  « Vous allez trouver ça drôle, ou vous n'allez pas le croire, mais j'ai pris l'avion ou l'hélicoptère des milliers de fois, j'ai sauté en parachute des centaines de fois, mais j'arrive pas à m'en débarasser ... » conclut-il avec un léger rictus nerveux. A cet instant, il se maudissait intérieurement d'en dévoiler autant à une parfaite inconnue, lui qui était d'ordinaire si réservé quant à son passé.  « J'vous invite ? » demanda-t-il simplement avec son accent du sud si prononcé alors qu'il venait de faire son choix. C'était une question presque rhétorique, tant il se doutait que la jeune femme devait bien avoir les moyens de se payer un verre dans un avion quelconque. Il avait clairement identifié un accent parfaitement américain -et non français- mais trouvait toujours que la belle blonde faisait tâche parmi les passagers de la tranche arrière de l'aéronef, lui qui s'attendait plutôt à partager son vol retour avec un américain en surpoids transpirant et qui retirait ses chaussures pour se sentir plus à l'aise. L'hôtesse vint l'interrompre dans ses pensées.  « Je prendrais un whiskey. Irlandais, évidemment. Un Jameson serait parfait. Mettez en deux… Et pour vous ? » demanda-t-il en se retournant vers sa voisine d'infortune. Jack attendit qu'ils furent servis et qu'ils eurent un peu plus d'intimité pour se présenter.  « Jack Harper. » confessa-t-il.  « N'hésitez pas à me dire de la fermer si je vous ennuie »

Le comportement de mon voisin de voyage était assez étrange à vrai dire. Apparemment il n’en était pas à son premier voyage, mais il se cramponnait tout de même comme si sa vie était mise en jeu. Il avait été prouvé dans plusieurs statistiques que l’avion était le plus sûr des moyens de transport. Je prenais l’avion facilement une fois tous les quinze jours depuis que j’étais directrice de ma concession, sinon pendant chaque vacance pour rentrer soit en Italie, soit à Paris. Et j’étais toujours vivante. Sinon il existait des décontractants aussi, pourquoi ne pas y avoir pensé ? Bref, je n’avais pas forcément envie d’y faire trop attention, mais il s’agrippait même à l’accoudoir du milieu et je sentais son stress communiquant. Je me détendais en regard par le hubot le sol qui s’éloignait pour rejoindre les airs. C’était tellement beau et ça me donnait une sensation d’être libre, au-dessus de tout. Ma tête se collait sur le repose-tête.

On pouvait enfin retirer nos ceintures et je n’hésitais pas un seul instant à le faire. Non pas que je me sentais oppressé, mais j’étais mieux ainsi quand même. « Je ne pense pas que ça vous fera de mal effectivement. » Mon franc parler me jouera des tours un jour, j’étais comme ça, que cela plaise ou non. Puis bon, si lui-même appeler ça un remontant c’était qu’il en avait conscience. Puis mon voisin engageait la conversation avec les fois où il avait voyagé dans les airs. J’étais assez surprise de savoir tout ce qu’il avait pu faire, et être encore aussi inquiet dans un avion comme le nôtre. « Qu’est-ce qui vous inquiète tant encore aujourd’hui ? » Parce que dans le fond, entre ce qu’il venait de me dire, et son attitude, il y avait un sacré fossé. « Pourquoi pas oui. » Une fois qu’il avait fini de regarder la carte, je regardais à mon tour. Je n’étais pas forcément dans l’optique de prendre quelques choses maintenant. Seulement comme on me le proposait, je n’allais pas refuser. Au final, je me laissais prendre au jeu avec cet homme que je ne connaissais pas quelques minutes en arrière. C’était même assez comique à voir, car je ne me laissais pas approcher comme cela. J’étais une jeune femme assez difficile de caractère, et encore plus dur à approcher. L’hôtesse arrivait à notre niveau pour prendre notre commande. Je l’écoutais, et je le sentais connaisseur. Je devais avouer que je n’étais pas douée avec les accents, mais en l’entendant prendre sa commande, cela me semblait un peu plus évident. « Un jus de fruit pour moi, un jus d’orange. » précisais-je. Hors mis en soirée, je prenais que peu d’alcool ou un verre de vin blanc posé dans mon loft.
J’apprenais enfin le nom de cet homme. Il était vrai que depuis le début, on avait échangé des mots, mais on ne s’était pas présenté. « Elisa, Elisa Lamborghini. » C’était généralement où on me posait la question ‘’Comme les voitures ?’’ Je lui adressais un sourire pour confirmer ce qu’il devait déjà penser là-dessus. Puis en même temps pour l’assurer qu’il ne m’ennuyait pas. Bon fallait dire que son côté charmant aider aussi. « Vous étiez en vacances en France ? » Allez Elisa, soit sociable un peu. Chose qui n’était pas mon fort.

L'hôtesse de l'air revint rapidement avec la commande des deux voyageurs et Jack s'enfila cul sec la première mignonette de whisky qui lui fut servi. Ce n'était pas un comportement digne d'un gentleman mais cela avait le mérite de le remettre d'aplomb et de lui donner un peu plus de consistance et de confiance en lui tandis qu'il sentait le précieux breuvage lui réchauffer le gosier et les intestins.  « Je me suis crashé il y a quelques années en hélicoptère en Afghanistan lorsque j'étais encore dans l'armée. Je peux vous garantir que vous ne voyez pas les transports aériens de la même manière après. » avoua-t-il avec un petit sourire contrit. Il n'aimait pas trop parler de son passé, et encore moins de sa carrière sous les drapeaux car il avait parfois tendance à confondre son ancienne et son actuelle vie, malgré l'entraînement qu'il avait pu avoir. Certains souvenirs se mélangeaient, tandis que d'autres restaient bien distincts et il ne pouvait décemment pas faire exploser sa couverture après sa première rencontre avec un ou une inconnue, aussi ravissante soit-elle.

L'inconnue se présenta à son tour et Jack marqua un temps d'étonnement. Le nom ne lui était guère étranger puisque c'était tout simplement l'homonyme d'une prestigieuse marque de voitures italiennes qui étaient bien en dehors de ses capacités financières. Visiblement, la belle blonde semblait au courant de l'effet que produisait son nom sur les autres, puisqu'un sourire vint conforter le militaire dans ses suppositions. Harper resta quelques secondes interdit et se dit qu'il devait fortement ennuyer une femme de son acabit avec ses conversations si .. banales.  « En France ? » s'étonna-t-il avant de se rappeler sur quel vol il était. Le décalage horaire commençait à faire son petit effet. « Ah oui,non pas du tout, bien que j'aurais préféré. J'ai juste fait escale à Charles de Gaulle. Je reviens d'Irak, je suis reporter. » conclut-il simplement en se versant le deuxième whisky dans son verre.  « Et vous ? Pour affaires, je présume ?  Avec un nom pareil ... » Jack se rendit compte de son erreur presqu'instantanément. C'était bien lui ça, mettre les pieds dans le plat en ne sachant jamais quels étaient les mots corrects à utiliser. Cela lui avait valu bien des soucis par le passé. S'il avait pu ou s'il était du genre, Harper se serait probablement mis à rougir. Au lieu de ça, il planta dans les yeux azurés de la jeune femme un regard sincèrement coupable.  « Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire.... C'est juste que .. que dès que je vous ai vu, je me suis demandé ce que vous faisiez ici … enfin, dans cette partie de l'appareil. » Et le voilà qui s'emmêlait les pinceaux et qui essayait malgré tout de surnager alors qu'il ne savait pas encore qu'il s'était déjà noyé.  « J'vais peut-être m'arrêter de parler, moi …. » souffla-t-il dans sa barbe alors qu'il pestait intérieurement contre sa maladresse sociale.