happy when i’m sad. (Noa)

M’étant levé tôt ce matin, j’avais passé une bonne partie de ma matinée à jouer à la console, tout en répondant à un échange sms avec ma meilleure amie. Cette dernière me demandant si je pouvais venir chez elle dans l’après-midi, je lui propose de passer à midi et de ramener des pizzas. Forcément, elle accepte sans grand étonnement et je passe donc par la salle de bain pour me préparer, puis appelle la pizzeria pour commander. Je quitte ensuite chez moi un peu en avance pour pouvoir faire mon petit détour pour récupérer notre bouffe et me dirige, enfin, gaiement vers la demeure de la jeune femme. Arrivé chez elle, j’utilise le double de clés que je possède depuis toujours et entre comme s’il s’agissait de mon chez-moi. Évidemment, voulant faire remarquer ma présence, à peine le pas de la porte passé, je commence à lâcher à haute voix : « Noa ! Je suis là avec les bonnes pizzas ! » Et c’est le silence, aucune réponse. Bizarre. Je referme la porte derrière moi, prend ensuite la direction du salon et c’est en entrant dans cette pièce que je tombe sur celle que je cherchais. Devant moi, Noa est debout, souriante. Rien de bien surprenant jusqu’à là, sauf qu’elle porte une attelle à la jambe et que le médecin lui a déconseillé de rester trop debout. Ma réaction est immédiate. « Putain Nadeau, qu’est-ce que tu fous debout ? Tu portes des attelles et... » Mais je me stoppe au même moment où mes yeux dévient sur les parties de son corps qui sont supposés être bandés. Elles ont disparu, les deux attelles, et je remonte les yeux vers ceux de la jolie brune, fronçant des sourcils sans trop rien comprendre. « Je comprends pas là... Elles sont où ? Pourquoi tu les portes pas Noa ? » Et j'attends une réponse de sa part, comme un con, le bras relevé et tenant les deux boites de pizza.

@Noa Nadeau

Belle journée en perspective pour Noa, dès le matin ça avait bien commencé et à partir de ce moment-là elle ne voyait plus comment sa journée pourrait être entachée. C’est aujourd’hui qu’elle avait eu son rendez-vous avec son médecin, afin de surveiller l’évolution de ses deux entorses et de voir si elle allait enfin pouvoir se débarrasser de ses attelles. Des semaines qu’elle attendait ça, depuis les premiers jours même en fait, en grande impatiente qu’elle est, alors quand il lui avait dit qu’elle pouvait les enlever et qu’elle n’en aurait plus besoin, ça avait presque été un des plus beaux jours de sa vie. Et elle était toute excitée d’annoncer la nouvelle à son meilleur ami et de partager sa joie avec lui, comme elle a l’habitude de le faire. Elle lui avait donc proposé de la rejoindre dans l’après-midi et, pour son plus grand bonheur, il avait même avancé le rendez-vous, lui proposant à son tour de la rejoindre dès le midi et d’amener des pizzas avec lui. Il a toujours su comment lui faire plaisir. L’heure arrivant rapidement, elle l’attend déjà toute heureuse dans le canapé, se levant quand elle l’entend arriver et se tournant vers l’entrée de la pièce, et c’est en souriant de toutes ses dents qu’elle l’accueille. Elle se retient de lever les yeux au ciel en l’entendant parler, habituée à ce qu’il soit chaque fois en train de râler de la voir debout et donc pas étonnée qu’il fronce les sourcils de la voir sans ses attelles, et quand il a enfin fini avec ses questions, elle écarte les bras. « Tadaaam. J’ai vu le médecin ce matin et c’est bon, j’en ai plus besoin. » Elle va pouvoir revivre, ça y est. Refaire tout ce qu’elle veut, presque du moins pour l’instant, et arrêter de passer la majorité de son temps assisse à s’ennuyer et à être démangée par l’envie de bouger. « Je peux reprendre mes activités normales petit à petit, reprendre les entraînements, et d’ici peu retourner sur les circuits. » Elle est sur un petit nuage, ça se ressent dans sa voix enjouée et dans ses paroles qui s’enchaînent à une vitesse inhabituelle.

En arrivant et en découvrant Noa sans ses attelles, je la questionne sur les raisons de cette absence. S’il s’agit d’un oubli, encore une fois, elle risque de m’entendre la petite Nadeau. Je la fais chier à jouer au papa poule, je le sais, sauf que je n’y peux rien. Je ne peux m’empêcher de vouloir tout faire pour qu’elle aille bien, pour prendre soin d’elle. Je ne peux pas non plus m’empêcher de me sentir nul parce que je me suis toujours promis de la protéger des moindres blessures et que j’ai failli, bien malgré moi. Ma meilleure amie écarte alors les bras, me disant tout sourire que le médecin a déclaré qu’elle n’avait plus besoin de ses attelles. Qu’en gros, elle est guérit et je ne cache pas le sourire qui me fend les lèvres, heureux à mon tour d’apprendre cette si bonne nouvelle. Si seulement elle avait pu s’arrêter à là, je l’aurais prise dans mes bras pour un câlin digne de ce nom. Puis, on aurait mangé tout en rigolant et la journée se serait bien terminer, comme pour célébrer dignement la fin de sa période d’handicap. Sauf que non, elle continue à m’annoncer ses nouvelles, bonnes selon elle mais pas pour moi, dans un débit de paroles impressionnant. Vitesse qui démontre à quel point ça la comble de joie et moi, ça ne fait que me révolter -et me peiner à la fois- un peu plus. Je ne dis rien sur le coup, mais elle doit bien avoir compris que mon bonheur à moi, il a vite pris le large. Mon sourire n’est plus. « Comment ça, tu peux reprendre les entraînements ? » Que je lui demande avec un calme olympien alors qu’au fond, j’ai juste envie de la traiter d’idiote. Mais je sais que si je commence déjà à m’emporter, ça n’amènera à rien de bon... Ouais, je suis encore assez stupide pour espérer que la suite de notre discussion sera calme et que tout ira bien ensuite. « Tu vas retourner sur les circuits, Noa ? » Et je sais que je suis débile de la poser, cette question, parce que la réponse je la connais et elle ne me plaît pas.

Aujourd’hui sera une de ses meilleures journées depuis plusieurs semaines, elle en est persuadée. Elle va pouvoir reprendre sa vie "normale" et ce sera aussi bien pour elle que pour son meilleur ami. Il n’aura plus à la surveiller tout le temps pour qu’elle ne force pas trop et elle n’aura plus à l’entendre râler pour le moindre petit geste. Alors elle a presque envie de se mettre à sauter partout et aussi à sauter sur lui quand elle voit le sourire de Flynn en entendant la nouvelle qu’elle lui annonce, il partage sa joie et c’est tout ce qu’elle attendait. Sauf qu’elle n’aura même pas le temps de se laisser aller à ses effusions de bonheur. Elle ne pensait pas que ça s’arrêterait là et que cette bonne humeur s’évaporerait si vite, au même rythme que s’évanouit le sourire de son meilleur ami. Elle ne comprend pas ce qui se passe, pourquoi il fait cette tête et ce qu’il n’a pas compris dans ce qu’elle vient de lui dire. « Bah, reprendre le sport, la préparation physique, tout ça. » Comme d’habitude quoi, son train de vie habituel, qu’elle avait été forcée de mettre de côté depuis l’accident et qu’elle se plaint sans arrêt de ne plus avoir depuis des jours. Il doit bien se douter de ce dont elle parle, mais ce qu’il ajoute ensuite la laisse de plus en plus perplexe. « Bien sûr, c’est évident, pourquoi est-ce que tu me poses cette question ? » L’incompréhension s’installe dans son esprit et elle fronce les sourcils. Ce qu’il lui demande n’a pas de sens pour elle, il lui pose des questions dont elle pensait pourtant qu’il avait déjà les réponses et elle est même sûre qu’il les a déjà. Et ils ne sont pas du genre à s’embarrasser avec des conversations inutiles tous les deux, alors elle ne voit pas ce qui lui prend, ni où est le problème dans tout ça, puisqu’il y en a apparemment un. Elle n’est plus du tout joyeuse et ses bras retombent lourdement le long de son corps, son sourire à elle aussi complètement disparu maintenant. « Et pourquoi est-ce que t’as plus l’air du tout content pour moi d’un seul coup ? »

En voyant ma meilleure amie sans ses attelles, au fond, je sais déjà ce que ça signifie. Ce que ça va entraînait pour la suite aussi. Je tente pourtant de me persuader que non, ça ne sera pas le cas, qu’elle ne va pas reprendre de suite, mais mes illusions bien trop stupides sont balayées d’un revers. Si elle est aussi heureuse, ce n’est pas véritablement parce qu’elle a pu retirer ses attelles, mais parce qu’elle va pouvoir retourner sur le circuit. Pourquoi j’ai voulu croire une seule seconde qu’elle arrêterait ? Ou à la limite qu’elle ferait au moins un petit break. Encore une fois, ma stupidité me perdra. Elle me demande pourquoi je lui pose cette question et, moi-même, je me le demande. C’est évident, comme elle le dit elle-même. Je ris nerveusement ensuite à l’entente de sa dernière interrogation. Pourquoi je ne suis pas heureux pour elle ? Elle se le demande réellement ? Elle aussi, elle pose des questions idiotes. « Peut-être parce que t’es complètement folle, Noa ? » Complètement et irrévocablement cinglée pour tout dire, mais là, je risque de me prendre une baffe si je lui balance ça. "Folle", ça passe toujours mieux avec elle, au moins un peu plus que le mot "cinglée". Il faut aussi que je me calme, qu’on arrive à s’engueuler c’est tout ce que je ne souhaite pas, mais encore une fois, je me fais de trop grosses illusions. Cette discussion va mal se terminer, je le sens. Je me pince l’arête du nez, soupirant, puis relève la tête vers ma meilleure amie. « Pourquoi tu reprends ? Ça t’as pas suffi une fois ? » Je la questionne alors que je sais déjà que ça sera en vain. Non, ça ne lui a pas suffi parce qu’elle est peut-être dingue Noa, mais elle est surtout passionnée. Très passionnée si on l’écoute, bien trop passionnée pour être rationnelle si on me demande. « Ça aurait pu être mille fois pire, t’aurais pu y laisser la vie, bordel ! T’y as pensé à ça ? T’en as conscience au moins ? » Aujourd’hui, j’en doute fortement.

Au début elle avait encore un petit espoir que cette conversation soit rapidement réglée et se finisse bien, elle était certaine qu’ils auraient pu rester à peu près calmes et finir par se comprendre et tomber d’accord. Jusqu’à ce mot avec lequel il la qualifie, qui la fait se braquer. Ses sourcils se froncent, elle croisent les bras sur sa poitrine. Non elle n’est pas folle, pas plus que tous les autres sportifs qui risquent leur vie. Elle aime l’adrénaline, le frisson, plus que la majorité des gens, certes, mais ça ne fait pas d’elle une folle. Sans un mot elle l’écoute continuer et lève les yeux au ciel quand il lui demande si ça ne lui a pas suffi. « J’ai à peine été blessée, y a pas de raison d’arrêter pour si peu. » Un petit accident de parcours et alors ? Elle ne va pas tout abandonner pour un petit bobo. Par contre cette conversation elle s’apprête à la laisser tomber, à lui dire de rentrer chez lui et qu’ils reparleront de tout ça à froid, mais il prononce les paroles de trop. Elle lui lance un regard noir, ses poings se serrent, le volume de sa voix augmente et son ton devient sec. « Bien sûr que j’en ai conscience Flynn, me prend pas pour une idiote ! » Elle essaie de ne jamais y penser, de ne pas s’embrouiller l’esprit avec ça parce que ça ne lui apporterait rien de bon, mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’en a pas conscience. « Je le sais depuis que j’ai 12 ans que ma passion pourrait me coûter la vie ! » Depuis que son père est mort de cette façon, c’est à ce moment-là qu’elle l’a vraiment réalisé, et elle déteste le fait que Flynn puisse penser qu’elle oublie ça. « Sauf que c’est qu’une possibilité, pas une certitude. Et c’est les risques du métier, c’est comme ça. Est-ce que t’irais demander à un pompier d’arrêter parce qu’il a été légèrement intoxiqué par de la fumée ? Et est-ce que tu vas dire à tous les gens qui ont des accidents de voiture d’arrêter de conduire ? » Bien sûr que non, ce serait ridicule, du moins selon elle. Soupirant lourdement elle essaie de calmer ses nerfs et de recommencer à parler plus doucement, mais son ton, lui, reste cassant. « J’arrêterai pas Flynn. Jamais. La course c’est presque toute ma vie, tu le sais très bien. Devoir renoncer à ça ce serait pire que de mourir. » C’est comme ça depuis toujours et jusqu’ici il avait toujours accepté cette partie d’elle. Du moins c’est ce qu’elle pensait, mais maintenant elle n’est plus si certaine que c’était réellement le cas.

Je sais que je suis stupide d’insinuer qu’elle ne réalise pas les risques qu’elle prend, pas alors que son père est décédé dans un accident, mais c'est plus fort que moi. Je sais aussi que je devrais me taire et calmer le jeu parce que tout ça va mal se finir, mais je ne parviens pas à le faire et ses réactions corporelles ne me détrompent pas, ça sent réellement mauvais. Elle s’énerve, me parlant d’un ton qu’elle ne prend jamais avec moi et forcément, ça m’exaspère un peu plus. Je démarre même au quart de tour lorsqu’elle évoque les dangers qu’affrontent d’autres personnes. « Mais je m’en fous, ces gens-là, ils sont pas toi ! » Dit de cette façon, ça pourrait sonner vraiment de façon horrible. En réalité, ce n’est pas que je me fiche du sort des autres, c’est juste que ça me toucherait moins que s’il devait arriver une mauvaise chose à Noa. Je vivrais mal la perte d’un membre de ma famille ou d'un de mes potes les plus proches, c'est certains mais Noa... Elle a toujours été spéciale pour moi, plus qu'une simple "amie". Je pourrais crever s’il lui arrivait un truc, littéralement.
Évidemment, elle ne va pas arrêter la course juste parce que je lui demande. Je le savais déjà que sa passion a toujours été plus importante, mais je me le prends de nouveau en pleine gueule. Ça a pour effet de me calmer, de me faire réaliser aussi qu’il faut que je cesse de me battre inutilement, que je passerais sûrement toujours après. « Étrangement, je m’attendais pas à ce que tu me dises que t’arrêterais. » Je la connais par cœur cette fille, ça a toujours été le cas, sauf que j’avais l’espoir idiot qu’elle puisse penser une seule seconde à moi dans l’histoire. « Sauf que pour moi, c’est... trop. J’y arrive plus, Noa. J’ai plus envie d’être là, à attendre comme un débile le jour où on viendra me dire que tu reviendras pas d’une course. » Elle sait ce que ça fait, elle est passée par là et, pour le coup, je n’ai pas envie de vivre la même souffrance qu’elle. « Je peux plus supporter ça. Je veux plus devoir vivre ce que j’ai pu ressentir au moment de ton accident. » Je ne veux plus avoir cette sensation de mourir, d’avoir cette douleur atroce au cœur. Rien que là, juste en apprenant qu’elle va reprendre les entraînements et les courses, je suis mort de trouille à l’idée que ça se passe mal. Ce n’est clairement plus possible pour moi, pour mon bien-être. « Toute ta vie tourne autour de la course. » Que je déclare, corrigeant quelque peu ses propos. Puis je soupire, résigné, et ajoute : « Et je veux plus faire partie de cette vie-là. »

Avec Flynn ils ne se sont jamais vraiment disputé, rien de sérieux du moins. Des petites prises de tête de pacotille ça arrive, mais c’est réglé et oublié après quelques minutes, et ce n’est jamais à propos de sujets importants. Mais là Noa elle se rend bien compte que ce n’est pas comme d’habitude, plus les mots sortent, plus ils s’énervent, et plus elle réalise que cette fois ça ne va pas se finir en bisous, rires et câlins, loin de là. C’est pourtant quand il se calme qu’elle en prend vraiment conscience, parce que cette réaction elle n’est pas normale venant de lui, elle ne comprend pas pourquoi tout à coup il change de comportement et ça la fait redescendre elle aussi, puis froncer les sourcils. Il se résigne et c’est ça le pire, il abandonne, la laisse tomber, et à chaque phrase qu’il prononce elle devient de plus en plus livide et abattue. Ça fait mal, très mal. Cent fois plus que de se retrouver à faire des tonneaux pendant un accident et de se voir frôler la mort. Les douleurs de son genou et de son poignet étaient dérisoires à côté de ça, et si en avoir fini avec tout ça était il y a encore quelques minutes le beau moment de ses dernières semaines, elle aurait mieux supporter de le vivre inlassablement plutôt que d’écouter ce qu’il est en train de lui dire. Avoir la sensation qu’on lui plante un couteau en plein coeur, c’est la deuxième fois de sa vie que cette expression a du sens pour elle. Flynn vient de le prendre dans sa main et de le serrer de toute ses forces, il est en train de s‘atrophier. Sa gorge se serre, elle a de plus en plus de mal à respirer, les symptômes d’une crise de panique apparaissent les uns après les autres, mais elle est trop choquée pour avoir envie de pleurer. Ce qui est en train de se passer est inconcevable, ça n’aurait jamais dû pouvoir arriver, ça n’aurait dû être possible que dans ses pires cauchemars, elle n’aurait même jamais pu l’envisager. Pourtant c’est bien ce qu’il est en train de faire, elle a du mal à réaliser que c’est vrai. Et ce qu’il dit, c’est faux. Sa vie tourne en partie autour de la course, elle ne dira jamais le contraire et l’assume, mais l’autre moitié c’est autour de lui qu’elle tourne. Et elle n’est prête à faire de compromis sur aucun des deux, elle n’est prête à se passer ni de l’un de l’autre et elle avait l’intention de ne jamais le faire. Sauf qu’apparemment ce n’est pas elle qui décide, il vient de faire le choix à sa place. A croire que c’était bête de penser qu’elle pouvait avoir les deux et être heureuse à cent pour cent. “Alors dégage Flynn ! Sors de ma vie si c’est ce que tu veux ! Si t’arrives plus à accepter ce que je suis, si t’arrive plus à supporter la plus grande partie de moi, si t’as plus envie de combattre cette peur pour rester près de moi et que tu préfères encore rayer mon nom de ta vie et tirer un trait sur moi, sur nous, alors qu’est-ce que tu fais encore ici hein ?” L’hostilité et la véhémence en réaction à une situation qu’elle n’aime pas, elle ne connaît que ça Noa. Elle ne pense aucun de ses mots, tout son corps crie qu’elle ne veut pas qu’il la laisse tomber, mais sa fierté l’empêche de réagir raisonnablement.

Sur un ton résigné, je lui dis ce que je ressens au plus profond de moi-même, avec ce petit espoir toujours présent qu’elle puisse comprendre. Qu’elle ne m'en veuille pas trop, même si ça semble compliqué et ça, je le saisis au fil de mes paroles. Je la vois se décomposer sous mes yeux, en même temps à quoi je m’attendais ? Je suis clairement en train de lui dire à demi-mot que je veux mettre un terme à notre amitié, à cette relation si spéciale qui nous a toujours liées. Comment elle pourrait le prendre ? J'ai conscience qu’elle ne peut le prendre autrement que mal et le ton qu’elle utilise pour me répondre ensuite ne fait que le confirmer un peu plus. Si je veux sortir de sa vie ? Bien sûr que non, mais est-ce que j’ai le choix ? Est-ce que je pourrais encore supporter la souffrance que j’ai ressentie lors de son accident ? Il est évident que non. Je glisse une main sur mon visage, retenant les larmes qui menacent de couler. Si seulement quelqu’un pouvait m’arracher le cœur pour que je puisse arrêter de souffrir... Je veux que tout ça, ça s’arrête. Je ne veux rien d’autres. Je ne veux pas m’énerver plus, je ne veux pas hausser le ton sur elle. Je ne veux plus qu’on s’engueule. Je veux juste que ça se finisse et partir d’ici, zapper de ma tête toute cette situation épouvantable. Je pourrais de nouveau tenter de justifier mon choix, mais je n’en ai plus la force et la seule chose que je parviens à lâcher, c’est : « Je me le demande bien. » Sans un mot de plus, j'entame le dernier truc qu'il me reste à faire, cet acte qui mettra un point final à toute cette conversation. Je plonge une main dans la poche avant droite de mon bermuda pour en retirer mon porte-clés. J’en détache une, celle de chez elle, ce double que j’ai depuis… Toujours et que je n’aurai jamais songé une seule fois à m’en séparer. Pourtant, c’est ce que je fais aujourd’hui en posant la clé sur la table. À peine la clé sur le meuble que je dévie le regard afin de ne pas être tenté de la reprendre dans la foulée. J’ai le cœur lourd en réalisant encore plus ce qu’il se passe, ce qui est sur le point de se produire et je ne veux pas me sentir encore plus mal en point en lui demandant de me rendre la mienne. En vérité, je crois même que je n’en ai pas le courage ni la force, tout simplement. A la place, je regarde Noa pendant un instant, toujours sans ouvrir la bouche et après quelques secondes -qui me paraissent trop courtes- à l’observer, à mémoriser ce joli visage qui m’a toujours fait sourire rien qu’en apparaissant dans mon champ de vision, je me tourne et marche vers la porte d’entrée sans me retourner. Si je le faisais, je serais incapable de repartir et il est hors de question que je revienne sur ma décision. Bien qu’elle soit cruelle et douloureuse, à cet instant précis, elle me semble la seule bonne à prendre. J'étais venu aujourd'hui dans l'idée de passer une bonne journée et je repars en ayant perdu celle qui compte le plus dans ma vie.

the end.