Visiting a friend or almost. -EILEEN&OLIANA (FB JANVIER 2019)

Cela faisait plusieurs jours que j'avais envoyé un message à Oliana. Je ne savais pas pourquoi, mais je n'avais toujours pas eu de réponse. A vrai dire ça ne lui ressemblait pas du tout. Depuis que nous nous connaissions, et cela commençait à faire maintenant, elle n'avait jamais raté un de mes appels ou oublié de répondre à l'un de mes messages. D'ailleurs, aucune de nous n'aurait osé faire cet affront à l'autre, c'était un peu la base du code d'honneur des amies que nous avions signé avec un verre de vin rouge. La signature papier ? c'était devenu complètement ringard.

Commençant à m'inquiéter légèrement, j'avais décidé d'aller voir mon amie chez elle. Après tout, nous étions en janvier, il faisait atrocement froid à New-York et elle avait peut-être chopé une maladie qui la forçait à rester couché. J'avais pris du bouillon de poule puisque d'après ma grand mère c'était un remède miracle aux maladies hivernales et quelques gourmandises pour lui remonter le moral. Si la faim l'avait quitté, il était évident que j'allais me faire une joie de m'occuper de tout ce sucre moi-même. Je sonnais donc à l'appartement d'Oliana et attendais sagement qu'elle ouvre. L'attente ne durait pas plus de quelques secondes et j'étais presque surprise de voir mon amie, coiffée, maquillée, bien habillée... et apparemment loin de mourir au fond de son lit. « Moi qui pensais te trouver au bord de la mort ! » lui lançais-je amusée. « T'as interet à avoir une bonne excuse parce que j'ai attendu ta réponse et si tu savais tout ce que j'ai à te dire. » Comme à mon habitude, j'entrais et posais mes affaires sur son canapé. Je me retournais vers elle, surprise de la voir sans réelle réaction, avec un air que je ne lui connaissais pas réellement. « Ça ne va pas ? » demandais-je en m'approchant d'elle.

Je soupire face au reflet dans le miroir. Plusieurs jours sont passés depuis ma sortie de l’hôpital. Si j’ai passé quelques jours chez les parents pour les rassurer, je suis vite rentré chez…moi. Du moins, dans ce vaste appartement que je ne reconnais pas. Trop grand pour moi, impersonnel, je ne connais rien. Aujourd’hui, j’ai mon ancien – nouveau – actuel ?-  employeur qui m’a appelé pour que je passe dans l’hôtel que je suis censée diriger. Mais l’idée même que j’ai réussie un tel exploit, surtout avec un hôtel si prestigieux me fait paniquer. J’ai l’impression de repartir dans un premier emploi alors que l’homme que j’ai eu au téléphone – un certain Oliver – me semblait bien amical. Etais-je bien amie avec lui ? L’aimais-je bien ? Je soupire de nouveau en décidant d’attacher mes cheveux en queue de cheval. Les vestiges de mon accident se font moins visibles. Quelques bleus sur mon corps se font encore voir, mais une fois habillée, on a pas l’impression d’une telle catastrophe. Seul l’hématome sur une partie de mon front trahie ce qui m’est arrivé. A l’aise dans mon petit pantalon classe et une chemise blanche, je finis par tourner des talons et m’apprête à enfiler mes chaussures lorsque la sonnerie retentie. Je n’attends personne, pourtant… Intriguée, je me précipite vers la porte, et ne manque pas le coin de la table basse qui vient taper mon pied. « Aaaaaaiie ». Je sautille jusqu'à la porte et finit par l'ouvrir pour révêler une brune qui semble envahissante. « Moi qui pensais te trouver au bord de la mort ! T’as intérêt à avoir une bonne excuse parce que j’ai attendu ta réponse et si tu savais tout ce que j’ai à te dire » J’arque un sourcil, la porte ouverte, incapable de remettre un nom sur le visage qui se présente à moi. L’ais-je déjà connu ? Ais-je reçu un moindre message ? Mon téléphone avait été perdu durant l’accident, réduit à néant. Maxyne m’en avait racheté un, mais la plupart des noms et numéros qui s’affichaient ne me disaient plus rien, alors…j’évitais de répondre. Je la regarde s’infiltrer dans mon appartement, déposant ses affaires sans que je n’arrive à contrôler cette tornade.« Ça ne va pas ? » J’ouvre la bouche une seconde avant de la refermer pour tenter de me souvenir d’elle. Mais rien. Aucun flash. Aucun moment ne me revient en tête. Je suis fasse aux dégâts de mon accident ce qui me fou une trouille insupportable. « Qui…Qui êtes-vous ? » C’est tout ce que j’arrive à dire.

Je n'avais pas vraiment mis de temps à venir jusqu'à l'appartement de mon amie et quand on connaissait l'immense trafic de la ville, c'était presque un exploit. Bien sur, les métros étaient là pour fluidifier les rues mais je n'étais pas vraiment fan des transports en commun, préférant le luxe d'un habitacle intime que je pouvais trouver dans une voiture ou un taxi.

Une fois face à Oliana, je ne changeais pas mes habitudes, posant mes affaires sur son canapé que je connaissais si bien. Les soirées que nous avions passé à refaire le monde sur celui ci me revenait immédiatement en mémoire. Ce que je ne savais pas encore bien évidemment, c'était que j'étais la seule dans la pièce à qui cet objet parlait encore. « Qui… Qui êtes-vous ? » Je regardais mon amie et en l'entendant, je ne pouvais retenir un petit rire, sans comprendre réellement à quoi elle jouait. « Oli, tu es sérieuse ? » demandais-je presque amusée avant de prendre un air plus sérieux, presque autant qu'elle d'ailleurs. « Tu ne me réponds pas pendant des jours et tu me demandes qui je suis... Tu t'es tapée la tête quelque part ? » Je ne voyais pas ce qui pouvait être arrivée pour qu'elle soit réellement sérieuse au point de m'avoir oublié. D'ailleurs, je préférais croire qu'elle plaisantait et que d'ici quelques minutes, elle allait exploser de rire en m'expliquant totalement rationnellement le silence des derniers jours. « Tu commences à me faire peur, dis moi que tu rigoles s'il te plait ! » insistais-je légèrement alors que le regard de mon amie restait vide, presque effrayé même. Je ne comprenais pas tout et un côté de mon cerveau bloquait complétement sur la situation ne croyant pas une seconde que la personne en face de moi n'était plus celle avec qui j'avais passé les premiers jours de l'année 2019.

C’est dans ce genre de situation que je me rends compte que mon accident a été terrible. Trois ans oubliés, ce n’est pas rien. Mes proches ont beau le minimiser, je reste sans souvenirs de ses années. Et forcément, il y a beaucoup de dommages. Comme à ce moment précis où le visage d’une inconnue s’affirme et s’invite chez moi. Un visage que je devrais reconnaître mais qui ne me dis absolument rien. Lorsque je lui demande, elle rit presque devant ma question stupide. Je me sens nulle, humiliée et terriblement désolée. Pour moi. Pour elle. « Oli...tu es sérieuse ? Tu ne me réponds pas pendant des jours et tu me demandes qui je suis…Tu t’es tapée la tête quelque part ? » Je déglutine, en tentant de forcer mon cerveau à vraiment réfléchir, à se souvenir…putain, souviens-toi ! Mais rien ne vient. Juste du blanc. Je me déteste de pas pouvoir retrouver son nom, notre rencontre, ce que nous étions l’une pour l’autre. Je déteste le destin de m’avoir fait percuté ce poteau, de ses années volées. Je déteste encore plus mes proches qui me disent à chaque fois que tout ira bien, parce que putain, ça n’ira jamais. Comment aller mieux si tout me rappelle ce que j’ai perdu ? Comment aller mieux quand j’ai oublié des choses importantes, des gens importants à mes yeux ? Comment aller mieux quand on a l’impression de n’être qu’une merde, incapable de se souvenir ? COMMENT ?! « Tu commences à me faire peur, dis-moi que tu rigoles s’il te plait ! » Je baisse les yeux dans l’idée de trouver une solution, une réponse, quelque chose qui puisse me rassurer autant que cet invité incongru. Mais je ne trouve rien – je bégaye juste quelque chose d’incompréhensible. « Je suis…j’ai… » Je soupire, une main dans mes cheveux avant de fermer la porte derrière elle. Visiblement,  elle me connait et exigera forcément des réponses à toutes ses questions. « Je sais pas qui vous êtes… mais je suppose qu’on s’est connu…qu’on se connait » Je rectifie maladroitement. Son regard change, encore plus effrayée et perdue que le mien. « J’ai eu un accident, y’a quelques mois. Mon…mon dernier souvenir remonte à trois ans » Je ne sais pas quand, comment ni où elle est rentrée dans ma vie. Alors je préfère lui laisser la possibilité de me l’expliquer en voyant l’ampleur des dégâts de cet accident.

En venant jusque ici, je m'étais attendue à tout mais certainement pas à trouver Oliana, presque livide, le regard perdu. Il y avait quelque chose de nouveau chez elle, que je n'avais pas remarqué tout de suite en entrant dans son appartement. Mon amie n'avait pas le même visage qu'habituellement et j'allais rapidement comprendre pourquoi. « Je suis…j’ai… » J'étais légèrement pendu à ses lèvres comme si j'attendais qu'elle m'annonce la fin d'une mauvais blague. Je m'attendais presque à lui faire la tête une bonne dizaine de minutes parce que clairement, cette plaisanterie ne me faisait pas vraiment rire. Cela dit, rien de ce que je pensais n'allait arriver, au contraire. « Je sais pas qui vous êtes… mais je suppose qu’on s’est connu… qu’on se connait. J’ai eu un accident, y’a quelques mois. Mon…mon dernier souvenir remonte à trois ans. » Je restais choquée, bloquée, je ne savais pas réellement ce que j'étais en fait. Oliana n'était plus la Oliana que je connaissais, elle était redevenue la femme qu'elle était, il y a maintenant trois ans. Je sentais ma respiration s'accélérer puis ralentir. J'étais entrée chez elle comme chez moi et j'avais du lui faire atrocement peur... Je m'en voulais presque même si, évidemment, je ne pouvais me douter de ce qui se passait ici. « Mon dieu... Je... Je suis désolée... Je ne savais pas... Je suis désolée si je t'ai fait peur mais... On se sent chez nous l'une chez l'autre, enfin on se sentait l'une chez l'autre avant... » Je ne savais pas vraiment comment expliquer la situation et elle devait se sentir aussi démunie que moi. Mes mots n'avaient pas trop de sens mais il me fallait quelques minutes pour assimiler les informations. « J'aurais aimé le savoir, être là pour toi même si tu ne me reconnais pas... » J'avais l'impression de dire cette phrase pour l'amie que j'avais eu, plus que pour celle qui se tenait devant moi même si elles étaient censées être une seule et même personne. « Je m'appelle Eileen. On est amies depuis quelques mois... » Se représenter auprès d'une amie était étrange mais je n'avais pas réellement le choix ; Un parce que ça allait la rassurer et de deux parce que je devais respecter sa souffrance et son amnésie. Doucement, je lui tendais mon téléphone que j'avais ouvert sur des photos de nous, des photos prisent en soirées ou lors de nos escapades Starbucks à Central Park. Je ne savais pas si cela allait lui parler et c'était peut-être utopique de ma part de penser que ces quelques clichés allaient l'aider à se souvenir de son ancienne vie.

Que ces mots étaient étranges, ancienne vie. Je ne savais pas comment j'aurais pu réagir à sa place et je ne le saurais probablement jamais. Oliana avait toujours l'impression d'être elle mais avec des éléments en plus dans sa vie, des amis, des connaissances, des lieux qu'elles ne connaissaient plus... Une partie de sa vie lui avait été enlevé et après le choc, un immense sentiment d'injustice prenait place en moi. Elle ne méritait pas ça, personne ne méritait ça bon sang, et ce même si on avait tous espérer un jour oublier des choses ou des gens.

« Mon dieu…Je…Je suis désolée. Je ne savais pas…Je suis désolée si je t’ai fais peur mais…On se sent chez nous l’une chez l’autre, enfin on se sentait l’une chez l’autre avant… » C’est pas évident de voir comment l’accident m’a volé des souvenirs, des rencontres. De voir comment les gens peuvent changer en une fraction de seconde : passant de la surprise à de la pitié. Peut-être que je la comprendrais mieux si j’avais encore son souvenir d’elle, mais à mes yeux ce n’est qu’une étrangère qui, même sans s’en rende compte, me juge. « J’aurais aimé le savoir, être là pour toi-même si tu ne me reconnais pas… » C’est bien le souci : je ne la reconnais pas. La laisser être là pour moi alors que je n’ai aucun souvenir, me paraît bien compliqué. Au dessus de mes moyens. Je laisse déjà pas ma famille être vraiment là pour moi, alors une étrangère à mes yeux, c’est compliqué. Je ne sais pas quoi dire face à cette situation-là. Parce que même si je suis la victime dans l’histoire, je me sens fautive d’avoir oublier tous ses gens, tous ses souvenirs, tous ses visages. D’avoir oublier ses noms, ses moments, ses rires et ses amitiés. « Je m’appelle Eileen. On est amies depuis quelques mois… » Je souris mine de rien avant de l’inviter d’une main pour s’installer dans le canapé. Visiblement, elle a des choses à me raconter, alors qu’elle sorte son téléphone et me montre quelques photos. Je les étudie, toute souriante et épanouie. J’ai du mal à reconnaître cette fille qui avait été moi. Différente, le regard plus assumée, le bonheur aux lèvres et bien dans sa peau. Oui, j’ai du mal à me reconnaître. Et d’une certaine manière, je l’envie. J’aimerai tant pouvoir revenir à cette fille que j’étais, sans être cette coquille vide que je suis devenue. « Tu veux un truc à boire, Eileen ? » Je lui demande par politesse, alors que j’ai une toute autre question. Lorsqu’elle acquiesce et que je m’en vais lui chercher ce qu’elle a demandé, je me verse une tasse de thé au passage. Revenant dans le salon, je finis par demander : « Co-Comment on sait connues ? »

Je regardais Oliana et je remarquais quelque chose que je n'avais pas réellement remarqué jusque là. Elle n'avait plus le même regard que celui que je connaissais. Si j'en doutais, je savais désormais que l'amie que j'avais eu n'était plus vraiment là aujourd'hui. Je me sentais presque stupide d'être là à bafouiller mon désolement... Elle ne me connaissait pas et devait surement me trouver un peu pitoyable. Pouvais-je lui en vouloir ? Pas franchement. J'étais passée d'un état euphorique à un état étrange de mal être. J'avais déboulé dans son appartement et dans sa vie comme un boulet de canon, je n'osais imaginer le choc. Malgré tout, elle m'invitait à m'asseoir sur le canapé, ce que je faisais, pas réellement sure de rester très longtemps. Je ne savais pas ce qu'était sa vie désormais et il me paraissait évident que je ne devais en aucun cas forcer pour retrouver notre amitié. « Tu veux un truc à boire, Eileen ? » J'approuvais légèrement de la tête avant de répondre. « Oui ce que tu as de frais, ce sera très bien, merci. » Je lui adressais un sourire, réprimant l'enthousiasme que j'avais habituellement à ses côtés. « Co-Comment on sait connues ? » La question était logique et j'aurais probablement commencé par là si j'avais été à sa place. D'ailleurs, je n'étais pas à sa place, personne ne l'était et je doutais que quiconque comprenne ce qui se passait dans sa tête. Se réveiller en oubliant sa vie était surement et certainement la chose la plus perturbante au monde. J'avais souvent souhaité oublier certains aspects de ma vie mais à voir Oliana ainsi, j'en venais à chérir mes pires souvenirs. « On s'est rencontrées dans un bar. Je venais d'arriver à New-York et un pauvre type a commencé à être lourd... Tu as débarqué et l'a viré avec tellement de répartie qu'on est parties en fou rire. » Repenser à cette scène me faisait sourire même si j'étais désormais la seule à le faire. « On est devenues amies ce jour là. » Je n'inventais pas, nous nous l'étions souvent confié dans nos moments d'échanges de compliments après quelques verres de rouge. « Je ne peux pas comprendre ce que tu vis mais je n'ai pas envie de te déranger ou de t'embêter. Alors n'hésite pas à me dire quand tu auras envie d'être seule. » Après tout, peut-être n'osait elle pas me dire que ma présence la dérangeait. Je n'en savais strictement rien et actuellement je ne savais plus grand chose, cette situation était totalement folle. « Encore désolée d'avoir débarqué comme une tornade. » grimaçais je.