can't give up - violet & kay (fb)

10 jours qu'elle mettait un pied devant l'autre sans savoir si Lucas allait bien, à devoir conjuguer avec son silence. Lors de sa dernière visite, le 26 juin dernier, l'infirmière du service de chimio l'avait gentiment envoyée sur les roses. Elle n'était pas à même de lui communiquer le nouveau numéro de chambre du patient, encore moins de lui donner des nouvelles concernant son état de santé général. Tant que Violet n'était pas de la famille, la secrétaire ne pouvait rien faire pour elle. Et sa nouvelle tentative venait d'échouer. La gorge serrée, Violet avait laissé ses pas la guider vers l'extérieur du service ; retrouvant bientôt l’ascenseur puis le hall d'entrée. Elle savait qu'il n'y avait qu'une infime chance qu'elle le croise au détour de ces grandes allées blanches. Elle s'assit donc sur le siège le plus proche, histoire de reprendre ses esprits et peut-être de penser à la suite. Comme si c'était facile de décrocher, de laisser filer derrière elle deux ans de relation. Elle se força à respirer à un rythme bien défini, puisant dans ses poumons pour tout faire sortir. Il y avait forcément un moyen, ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Ses pensées dévièrent vers la boutique qu'elle arrivait enfin à maintenir à flot, après des mois de travail acharné puis vers sa soeur. Une image de celle-ci, entourée de son mari et de son fils s'imposa à Violet. Une simple vision suffisait à lui donner du baume au coeur. La famille, c'était vital. Relevant les yeux du sol, Violet aperçut un joli mélange de blouses blanches volantes et de vêtements plus ou moins colorés. Son siège, lié par une bride de fer aux chaises voisines, bougea légèrement lorsque quelqu'un s'assit juste à-côté d'elle. La fleuriste s'efforça de sourire. Elle devait y croire. "Bonjour" lança t-elle doucement en avisant le regard bienveillant de son voisin, crâne en partie rasé et longs cheveux bruns d'un côté.

Violet n'avait jamais autant arpenté les couloirs agités de l'hôpital que depuis ces derniers jours, semblant s'étirer en une somme d'heures sans fin. Des couloirs dans lesquels elle ne croisait que des visages différents à chaque visite, plutôt fermés aussi. La dernière fois qu'elle avait franchi les portes d'un établissement hospitalier devait pourtant remonter à plusieurs années, probablement à la naissance de son neveu. Un cadre serein, une autre période de la vie des Davis. Une image du nouveau-né, emmitouflé dans sa gigoteuse et bonnet en laine posé en équilibre sur sa petite tête encore fragile, s'imposa aussitôt. Des yeux ronds et des babillements curieux. Sentir de nouveau son regard d'enfant posé sur elle,  inconscient du monde qui l'entourait, l'aida un peu plus à stabiliser sa respiration encore légèrement irrégulière. Si elle devait se concentrer sur un point, c'était bien celui de se dire que l'hôpital pouvait aussi être le théâtre d'heureux dénouements. Et à aucun moment, elle n'imaginait une autre issue pour Lucas. Il irait forcément bien, il ne lui manquait plus qu'un signe pour en avoir la certitude. Je suis presque sûr que l’un des cercle de l’Enfer ressemble à cet endroit… lança son voisin au bout de quelques minutes. Et pour la première fois depuis son arrivée dans les locaux, Violet sourit franchement - saisissant la balle au vol. "C'est bien probable, oui." acquiesça t-elle, lèvres relevées. Sortir des discours médicaux faisait plutôt du bien. Sauf l'aile maternité peut-être... poursuivit-elle en revoyant les mines attentives en salle de naissance. Vous venez voir quelqu'un, j'imagine ?" demanda t-elle par curiosité.

Depuis qu'elle restait sans nouvelles de Lucas, les fleurs qui transitaient par la boutique passaient entre ses mains avec autant de passion... mais avec une pointe d'angoisse en plus. Violet s'assurait que cela reste insoupçonnable pour sa clientèle. Évoluer entourée de compositions toutes plus colorées les une que les autres, écoutant les notes de musique qui s'échappaient en permanence des haut-parleurs de l'enseigne lui permettait de toujours voir plus loin que le lendemain. Là, on parle vraiment du 9ème cercle alors ! Le sourire de Violet s'élargit. Si la naissance en elle-même n'était pas le rite le plus agréable, il n'en découlait que du bonheur. C'est du moins l'exemple qu'elle avait avec le fils de sa sœur. Infirmière, mariée et maman d'un petit garçon. Alors que Violet jonglait déjà entre les horaires d'ouverture de la boutique et les livraisons tardives en ville, elle se demandait encore comment sa sœur pouvait assurer autant. A croire que tout se faisait naturellement. Elle croisa le regard de son voisin ; son histoire lui arrachant une grimace, occultant presque les silhouettes qui frôlaient leurs sièges. Je crois que personne n'aime, admit Violet avec un rire léger. Votre ami a eu de la chance... ça reste une bonne nouvelle et pas des moindres ! Violet aimait voir le verre à moitié plein ; toutes les bonnes nouvelles étaient bonnes à prendre. Et vous ? Finit-il par lui demander. La gorge un peu serrée, Violet soupira légèrement avant de répondre. « Mon... » Son quoi au juste ? Elle ne savait plus ce qu'ils étaient l'un pour l'autre, il le lui avait clairement fait comprendre mais si la jeune femme n'avait pas dit son dernier mot. « Mon ami suit une chimio. » admit-elle en se forçant à fermer ses paupières, pour les rouvrir doucement. Ils étaient à New-York, les bons praticiens étaient nombreux. Tout irait bien. « ça va aller. » conclut-elle avec un sourire.

La chimio, les rayons… C’est une foutu merde tout ça, lança son voisin au bout de quelques secondes. Violet resta silencieuse le temps d'une pensée fugace. La maladie du siècle, c'est bien ce qu'on en disait. Et avant d'entendre ce mot sortir des lèvres entrouvertes de Lucas, elle n'en savait pas beaucoup plus. Les Davis avaient été jusqu'à présent épargnés par ce mot presque maudit. La fleuriste hocha finalement la tête. Ce qu'elle savait aussi, c'est que les chercheurs n'avaient jamais été aussi nombreux à travailler sur une solution aux quatre coins du globe. Elle croyait dur comme fer à une avancée dans les années à venir. Si certains scientifiques semblaient jouer avec le feu, d'autres sauvaient des vies par millier. Je l’espère. Pour lui comme pour vous, poursuivit son voisin avec un air empreint de compassion. Une impression qui suffit à lui mettre du baume au coeur. « C'est gentil. Et c'est difficile de savoir quelle place est disons... la moins inconfortable à gérer. A vrai dire, les deux côtés ne devraient même pas exister. » répondit-elle avec un large sourire. En attendant, heureusement que des centres de pointe comme celui-ci existaient. Un hôpital qui permettait probablement à certains patients de repasser les grandes portes de l'établissement avec une perspective et des projets nouveaux en tête. Une chance supplémentaire. « Dès qu'il y a de l'humain... ça peut être compliqué à gérer. » ajouta Violet dans la foulée, sur une envie. Elle savait qu'elle évitait de prononcer certains mots qui fâchent, parce qu'elle les voulait loin de sa réalité. Elle n'espérait que le meilleur, toujours. Et peut-être qu'y croire était déjà un bon début. « Aider à gérer et être présent, c'est peut-être le mieux que l'on puisse faire. » C'est ce que Violet avait offert à Lucas ; si seulement il l'avait laissée faire. Elle était loin d'avoir la même force que le corps médical qui semblait compartimenter avec la même facilité que l'on bluffait au poker.

Même après un mois, elle s'attendait encore à un signe de Lucas. Le moindre message, quelques mots qui suffiraient à la rassurer. Elle préférait penser que ce silence radio indiquait qu'il voulait tout reprendre de zéro, se concentrer sur sa guérison. Un idée pieuse probablement mais à laquelle elle se raccrochait pour le moment. ça et le fait de ne pas compter ses heures à la boutique. Depuis dix jours, elle ne vivait plus que pour le commerce familial, voyant dans un coup de téléphone tardif l'occasion de retarder l'échéance et de rejoindre son appartement plus tard que prévu. C’est pour ça que je préfère les chats, laissa entendre son voisin. Violet afficha un sourire franc et amusé ; sa compagnie était agréable. C'est une option aussi, ajouta Violet, joueuse, en abondant dans son sens. Sauf que dans le cas présent, il ne la prenait pas dans ses bras comme le faisait Lucas lorsqu'il venait se coucher près d'elle. Ça vous tente un café presque buvable ? proposa son voisin, lui permettant ainsi de chasser les souvenirs qui tentaient de refaire surface. ça sonne tellement bien que je ne peux pas dire non, répondit Violet avec un regard vers la cafétéria centrale. La file d'attente était d'une taille impressionnante mais un bon café ne lui ferait pas de mal. Joignant le geste à la parole, Violet libéra son fauteuil. Je vous l'offre, c'est ma tournée, ajouta Violet alors qu'ils se rapprochaient de l'entrée de la cafétéria. Elle avait à peine pris le temps de déjeuner et le muffin à la myrtille qu'elle devinait en devanture lui faisait de l'oeil. L'un des détails qui prouvait qu'elle n'en était pas à sa première visite ; Violet avait passé des heures interminables dans ce hall. Ils attendirent une bonne dizaine de minutes avant de rejoindre le comptoir et de pouvoir commander. L'hôtesse de caisse leur tendit un emballage kraft pour les encas et deux gobelets en carton brûlants. L'odeur du café lui faisait déjà du bien.