Se fondre dans la masse avait aussi du bon. Chaque sourire, même à peine esquissé, qu'on lui renvoyait dans cette file d'attente remplaçait tous les mots. Finalement, ils étaient tous probablement là pour la même raison : rendre l'attente plus légère en occupant chacun de ses sens. Une boisson chaude à la main, des échanges optimistes avec ses voisins, l'oreille attentive aux quelques notes de guitare qui s'échappaient des radios de la boutique... "Violet" répondit la fleuriste en affichant un large sourire. "C'est de quelle origine... ?" ajouta t-elle avec une certaine curiosité ; son léger accent l'intriguait. Elle lui emboîta le pas et s'assit à son tour, lorsqu'une table voisine sembla se libérer. Je peux vous poser une question indiscrète ? Sortant son muffin du sachet kraft, Violet le referma doucement en relevant les yeux. Cet homme, c’est votre compagnon ? Vous n’êtes pas obligée de répondre. Son regard se porta au loin, plus précisément sur les portes de l'établissement qui lui faisaient face. Violet se força à afficher un sourire, hochant la tête comme pour répondre par l'affirmative. Même si elle n'était plus si sûre de ce qu'elle était pour lui, le regard qu'elle portait sur Lucas n'avait pas changé. Elle ne pouvait pas gommer ces deux dernières années et préférait occulter leur dernière conversation, loin de l'image de leur vie à tous les deux. "Oui." répondit-elle finalement. "Et il n'y a rien de plus indiscret qu'un hôpital, alors allons-y..." poursuivit la fleuriste avec humour. Noms des proches, âge, groupe sanguin, antécédents... Les médecins savaient généralement tout de leur patientèle. Violet s'estimait heureuse de n'avoir jamais eu à faire un séjour ici, même si elle reconnaissait sans peine le dévouement du corps médical. Sa sœur, infirmière, en était le parfait exemple. Elle qui arrivait à jongler entre des heures à rallonge au travail et une vie de famille bien remplie. "Je suis désolée." répondit Violet en croisant le regard de Kay. Et elle l'était véritablement. "C'est terrible." La simple idée de perdre Lucas ou l'un des membres de sa famille lui donnait l'impression que sa gorge se resserrait. Elle qui n'avait encore jamais dû faire face à un deuil savait qu'elle risquait de s'écouler, purement et simplement, le jour où elle devrait y être confrontée. "Ma soeur est infirmière. Pas dans cet hôpital, mais en ville aussi." ajouta t-elle. "Elle m'expliquait que certains patients, une fois rentrés chez eux, prenaient deux à trois douches successives pour se débarrasser de cette impression. De ça et du désinfectant qu'ils utilisent sur le corps." Des anecdotes assez drôles sur son travail, sa soeur n'en manquait pas. Quelque part, ça n'en rendait son métier que plus humain.