the leftovers / isaiah

Il s’était dit, d’avance, que ça ferait bizarre de revenir ici. Il arrive pas, à aller au cimetière comme tout le monde, marcher dans un dédale de tombes avec un nom puis un autre. Il pensait pas que ça arriverait aussi tôt, pendant qu’il serait en prison. Évidemment qu’on l’a pas laissé sortir Aaron, il aurait trouvé le moyen de se faire la malle. Peut-être, il sait pas trop. Ce qu’il sait en revanche, c’est que ça lui fait du mal de revoir ces meubles exactement où il les avait laissés quelques années plus tôt. Il sait pas trop ce qu’il est venu récupérer Aaron, il est pas venu faire le pique-assiette non. C’est qu’il y a bien plus de photos d’Isaiah et de Nick que de lui sur le frigidaire, comme s’il avait disparu des radars il y a un peu plus de dix ans. Pourtant il regarderait presque l’encadrement de la porte avec tendresse en voyant les quelques centimètres pris d’années en années par ses frères et lui. Époque où il n’était pas encore le pestiféré de la famille et où il ne détestait pas complètement son cadet. Aujourd’hui ils n’étaient plus là, il n’y avait plus qu’une poussière dense pour attiser ses regrets. Il aurait aimé faire autrement Aaron, ne pas user de violence par les mots ou par les gestes. Il aurait aimé, ne jamais se fixer sur la case prison. Être ce gamin, ni trop mal ni trop bien pour toujours. Il aurait aimé, ne pas avoir à escalader la palissade comme un vulgaire clochard pour rentrer chez lui.
Il est rentré, chez lui. Dans cette maison où il se sentait étonnamment à l’abris de tout, comme un bunker. Parce que l’amour de sa mère était un bunker dans lequel il aimait se réfugier. C’était tout ce qu’il avait au milieu de la honte qu’il représentait. Maintenant c’était pas beaucoup mieux, trois ans après. La vie d’un chien vaut bien la mémoire d’un mort. Il reste un moment là Aaron, seul, à ressasser le passé qu’il aurait aimé plus clément. À plier les vêtements de son père. À nettoyer les fenêtres. À récurer toute cette foutue maison. À détruire la cabane du jardin. Il veut la vendre le plus tôt possible, il veut plus jamais revenir ici à constater ses échecs, à se sentir étonnement seul et esseulé au sein de sa propre famille.
- Quand on me mettra à l’épreuve j’en sortirai aussi pur que de l’or. Il a pas fait son deuil Aaron, il étouffe ici et son cœur est rempli d’effroi. Il fait des promesses qui ne font plus sens. Il aimerait simplement pleurer comme on pleure ses parents mais il est encore meurtri par le goût âcre de l’abandon.  

Il ne savait plus pourquoi il avait gardé cette maison. Peut être pour les souvenirs de sa mère. Pas pour le reste. Isaiah était trop sentimental, trop gentil avec les autres, même avec les souvenirs. Il était seul à revenir à la demeure familiale, Nick n'avait pas envie d'y remettre les pieds et Micah était en train de bouder dans sa chambre parce que son père venait ici. C'était sa vie, gérer deux ados en plus de son travail. Il ignorait totalement si son grand frère était sorti de prison ou pas. Rien ne laissait penser qu'Isaiah voudrait renouer avec son frère. Il rentra à l'intérieur, les souvenirs l'assaillant. Les photos de deux frères au lieu de trois. Il se souvenait comment son père lui interdisait de défendre son frère au tribunal. Comment Isaiah aurait pu défendre Aaron quand il avait fauté avec son ex. Et que maintenant le fruit de cette trahison s'appelait Micah et avait 16 ans. Isaiah préféra s'éloigner pour aller dans son ancienne chambre. Il avait des vieux trucs qu'il pourrait donner à son fils. Quand soudain, il entendit une voix familière qui le glaça. Aaron. Il se laissa guider jusqu'à la voix et resta sur le seuil de la porte silencieusement. Il observa son frère qui, lui aussi, avait vieilli, rongé par le temps qui passait. La colère le prit, et son impulsivité aussi. Il lança sèchement:  "Qu'est-ce que tu fous là Aaron?"  La colère le dominait tout comme la peur. Il ne fallait pas qu'il découvre l'existence de Micah, qui pourrait ranimer de la colère en son frère aîné.  Il reprit: " Je croyais que tu étais en taule, tu t'es évadé?" Il n'avait plus confiance en Aaron. Il voulait juste protéger Micah et Nick. Mais il savait qu'il ne faisait pas le poids face à son frère. Isaiah avait toujours été trop gentil, trop faible. Il avait été le frère bien obéissant qui avait fait des études pour faire plaisir à papa et à maman. Il ne s'était pas rebellé jusqu'à ce qu'il sorte avec la copine de son frère. Une erreur de parcours qui lui avait offert le plus beau cadeau, son fils. Et il n'avait pas envie qu'Aaron vienne tout détruire. Il était même prêt à dénoncer son frère aux flics, s'il le fallait.  

Son regard s'assombrit lorsqu’il aperçut son frère sur le seuil de la porte. Il ne pipa mot Aaron, il avait pas les mots. Il avait pas les mots qu’il fallait, mesurés ou responsables. Il était ni l’un ni l’autre. Au contraire, il était excessif et immature. Plus encore quand il rencontrait Isaiah, c’est comme s’il regagnait sa petite vingtaine à chaque fois. Il pouvait pas acquiescer sagement à ses provocations, il devrait, mais il en était incapable Aaron. C’était ridicule, tout le temps, parce que c’est avec lui qu’il partageait le plus de souvenirs à présent. Une des personnes qu’il déteste le plus au monde: son plus proche parent. Isaiah était bien, comme à son habitude. Un putain de soleil en pleine éclipse qui brille trop fort. En une seconde, c’était retombé comme une chape de plomb. En une seconde son visage avait changé du tout au tout. Il attendait personne Aaron, il ne voulait personne. Ni Isaiah, ni Nick. Peut-être même moins Isaiah que Nick.
Il s’attarde sur ses traits vieillis qu’il ne reconnait plus. Sur ce visage étranger étranglé de colère. Il hésite à répondre Aaron, une fraction de seconde, parce que le moment n’est pas approprié. Qu’il est encore désolé d’avoir perdu sa mère près de trois ans plus tard. Qu’il a la mauvaise définition du présent qu’il conjugue encore au passé. T’as qu’à faire comme si j’existais pas, t’es très fort à ce petit jeu. Évidemment qu’il lui en veut, parce que son ex-copine compte plus que lui dans sa vie. Parce qu’il a franchi la ligne le premier et qu’il a décemment choisi de lui tourner le dos quand il avait le plus besoin de lui. Ça lui a fait mal, plusieurs fois. Un nombre incalculable de fois. Depuis il est mort, il est mort dans sa tête. Cette enfance heureuse il la rejette Aaron. Ses vacances à camper en famille, il jette. Son sourire est amer à l'évocation de la prison et de ses nombreuses condamnations; non il n’y est plus - et il n’a pas l’intention d’y retourner. Va. Bien te faire enculer Isaiah. Combien de temps il prévoyait dans son agenda de superstar le prodige ? Je suis sorti et j’te retiens t’en fais pas. Pas qu’il attendait une quelconque visite de sa part Aaron, il était habitué à ne pas faire déplacer les foules depuis sa modeste cellule. Non, il parlait du moment où il l’a regardé en face pour lui dire non. Reste dans ta merde à patauger avec les caïmans de l’instruction. Pourtant le message n’a jamais été plus clair que ce jour-là.  

L'échange n'était pas cordial ni fraternel, mais comment ça pouvait l'être avec un si grand fossé entre eux. Isaiah soupira en écoutant les paroles vulgaires de son frère. C'était bien Aaron ça. Isaiah fixa son frère, silencieusement, encaissant les reproches. Il ne devait pas parler de son fils mais il pouvait très bien parler de leur petit frère dont Isaiah s'occupait. Ou peut être pas. Valait mieux le protéger lui aussi. Il préféra garder le silence pour réfléchir à ce qu'il pouvait dire. Il ne pouvait pas jouer les héros . Pas devant Aaron. Mais il n'allait pas s'aplatir non plus. Il n'était plus si faible que ça, il avait réussi à prendre un peu de caractère et il était temps de le prouver à Aaron. Il répliqua alors: " Arrête de dire des conneries, Aaron.... Sérieusement... Je ne t'ai jamais ignoré volontairement... je voulais même t'aider mais notre père n'a jamais voulu que je m'occupe de toi... Il disait que tu allais ruiner ma carrière si je le faisais..." Une première vérité dite. Il ne s'attendait pas à ce qu'Aaron change et le prenne dans ses bras. Non, mais au moins, ça soulageait un peu sa conscience.

C'est comme ça qu'il apprit que son frère était sorti de prison. Isaiah avait loupé ça mais il allait devoir redoubler de vigilance. Il allait devoir encore plus protéger Micah et Nick.  Il avait peur qu'Aaron s'en prenne à eux. Qu'il s'en prenne à Isaiah, le concerné s'en fichait bien. Il se se sentait de taille à affronter son frère. Aaron lui faisait moins peur qu'avant. Il était plus vieux aussi. "Tu vois c'est en agissant comme ça que tu donnes pas envie qu'on s'intéresse à toi... Tu t'écoutes parler, franchement? Je suis ton frère  Aaron, que tu le veuilles ou non... Tu sais très bien que j'ai jamais eu le cran de me rebeller comme toi.... " A présent, Isaiah ne faisait plus le fier. Il était perdu. Il aurait voulu aider son frère maintenant que leurs parents étaient morts. Mais il y avait Nick et Micah. Il y avait trop de choses secrètes qu'Aaron ne devait pas découvrir. Surtout Micah. Isaiah réfléchit et il prit une décision. Pour éloigner Aaron, il fallait lui donner ce qu'il voulait. Il lança alors:  "Ecoute si tu as besoin d'argent ou ce que tu veux, je t'aiderais mais reste éloigné de moi... ne viens pas foutre le bordel dans ma vie... J'ai assez de problèmes comme ça, sans te rajouter..."  

Il est comme enfoncé dans le sol, enfoncé dans le parquet duquel il ne bouge plus. Il est en état de choc Aaron, parce que tout ce qui sort actuellement de la bouche d’Isaiah ressemble à une vague tentative de se justifier. Comme si son comportement était justifiable, mais non, il ne l’était pas. Même mort, il continuait à se cacher derrière la figure paternelle, c’était abject et pathétique. Il a fait la moue, moqueuse, ironique. Tu vas m’faire pleurer sans déconner. Si t’étais désolé d’pas me défendre tu connaitrais au moins ma date de sortie toquard. Toujours à t’planquer derrière papa putain, tu m’dégoûtes. Peut-être qu’il s’était senti mal trois ou quatre jours Isaiah, est-ce que ça valait des années de prison ? Certainement pas. Alors non, il allait pas se mettre à sa place et se dire qu’il a fait tout ce qu’il a pu pour se donner bonne conscience. Aaron il a pas confiance en son frère. C’était le cas avant, quand il acquiesçait à toutes ses conneries, quand il ployait le genou mais maintenant, maintenant il avait du plomb dans l’aile et il se donnait le droit de l’envoyer chier. Il s’était même donné le droit de lui piquer sa copine donc non, il y avait plus rien entre eux sinon de la rancœur et des photos. J’espère pour toi que t’as rien à t’reprocher Isaiah, vraiment. Il lâche ça calmement Aaron, mais c’est une menace qu’il lui fait. Parce qu’il a pas l’intention d’épargner sa foutue carrière aujourd’hui qu’il est dehors. Il sait pas pourquoi il est aussi agressif, c’est comme si Isaiah concentrait à lui seul tous ses problèmes. Parce que le père, le père a toujours été inatteignable. Le père, il aurait jamais osé l’cogner Aaron. Peut-être qu’il était le problème parce que merde, il agissait pas correctement et qu’il avait naturellement besoin de son petit frère pour lui dire que son comportement était pas approprié.
Je suis ton frère.
Non. Il a rayé tout le monde de sa vie Aaron. Il y a plus personne. Même si Isaiah lui ressemble de plus en plus: il est personne. Que je m’écoute parler ? Oh parce que tu veux t’intéresser à moi maintenant ? De quoi tu crois qu’on va parler Isaiah ? Qu’est-ce que tu t’imagines ? Il y avait peu de choses à raconter sinon comment il avait fait pour s’faire respecter en taule et c’était tout sauf un sujet qu’il voulait aborder avec lui. Non pas du tout, mais t’as eu assez de cran pour m’piquer ma copine. Faut croire que rien est impossible. Il en rajoute une couche là-dessus.
Je suis ton frère.
De quel frère on parle ? Il s’en foutait Aaron, mais c’est pas quelque chose qu’on fait à son frère c’est certain. Cette fille ne comptait pas, mais suffisamment pour qu’il se sente totalement merdique ensuite. Est-ce que c’est pour ça qu’il sortait le chéquier ? Faudrait savoir ce qu’il veut entre le rayer totalement de sa vie et vouloir taper la causette. Tu serais prêt à... m’filer du fric ? C’est pas crédible et pourtant, l’idée lui semble honnête. C’est n’importe quoi, te fous pas d’ma gueule. 

Il jouait un jeu dangereux et vacillant. Il n'avait peut être pas eu la bonne idée du siècle de tenter de parler à Aaron. Il y avait trop de haine entre eux. Trop de secrets et de non dits. Isaiah était perdu. Il avait plus l'impression de reconnaître son frère. Il avait plus l'impression de maîtriser quoi que ce soit. En réalité, il avait l'impression de revenir 17 ans en arrière quand Aaron l'impressionnait encore et qu'il fallait mieux qu'il s'écrase. Il regarda son frère et soupira. Ils ne pourraient jamais se rabibocher, c'était chose impossible; Et la meilleure chose à faire s'était d'éloigner Aaron de Micah. Il réfléchit un instant,  rapidement. La meilleure solution c'était de lui proposer un marché. Il était sûr qu'au moins, Aaron ne chercherait pas à fouiner du côté d'Isaiah et à découvrir la vérité autour de son fils.  Isaiah n'était vraiment plus sûr de lui. Il n'était plus sûr de rien.

La menace. Il l'avait entendu. Rien à se reprocher? Mise à part qu'il ne l'avait pas défendu à son procès. L'existence de Micah qui rappelerait à Aaron toute sa vie, la faute d'Isaiah. Il déglutit et resta silencieux. C'était bien trop dangereux. S'il n'avait pas peur de voir les criminels en prison, il avait peur de la tournure de leur conversation. Il allait devoir mentir mais il n'avait jamais été un bon menteur. Aaron ne devait pas se douter de l'existence de son fils, point. Il reprit d'une voix vacillante mais sûre : " Ecoute Aaron, si tu veux du fric, je t'en file... mais en échange, je t'interdis de t'approcher de moi ou de Nick... N'essaye même pas de rentrer en contact avec nous, parce que c'est pas de l'argent que je te donnerais mais je risquerais bien de faire condamner une nouvelle fois... Je suis devenu influent... Je saurais te ramener derrière les barreaux... Et non, tu ne me fais plus peur Aaron, alors ravale tes menaces parce que je peux t'en faire aussi... Si je te vois traîner ne serai-ce qu'autour de mon bureau ou de chez moi, je te jure Aaron, je te ferais la peau.... " Il était devenu froid à la fin. Même Isaiah ne se reconnaissait plus. Mais pour Micah, il serait prêt à n'importe quoi . Même au pire, si ça pouvait le protéger.

Isaiah garda ses anciennes affaires près de lui tout en fixant son frère d'un air froid. Et il reprit:" Alors maintenant, on va reprendre du début, qu'est-ce que tu fiches ici? T'es venu voler des choses?"   Il n'avait plus confiance en son frère.

Il avait imaginé ses retrouvailles du fin fond de sa prison quelques fois. Avec son père, sa mère, ses frères mais pas une fois l’histoire finissait bien. Pas une seule. Leur famille était brisée depuis trop longtemps, c’était comme ça. À aucun moment ils ne rassembleraient les morceaux pour profiter d’un barbecue ou d’une bière. À aucun moment ils chercheraient à se repentir d’une quelconque faute envers l’autre, par fierté, par orgueil. Comme deux petits garçons qui se disputeraient une voiture. Seulement, aujourd’hui, c’était des années qui les séparaient. Des années à nourrir une rancœur amère. Il pensait sincèrement qu’il pourrait lui pardonner Aaron, qu’il pourrait définitivement tourner la page. Il était un peu moins sûr de lui maintenant. Maintenant tout se désagrégeait autour de lui, l’attachement, la colère, la peur, l’amour qu’il n’avait de cesse de repousser. Il y croyait plus. La proposition d’Isaiah était pas convenable, pourquoi il serait celui qu’on évince ? Pourquoi c’était à lui de partir ? Pourquoi c’était toujours lui ? Est-ce qu’il pensait sincèrement qu’il valait mieux que lui parce que papa avait décrété un beau jour qu’il était un bon gars.
Qu’est-ce que c’est quelqu’un de bien ?
Il manque de s’allumer une cigarette Aaron, de se tirer dans le jardin sans demander son reste. Pourquoi je pourrais pas m’approcher de Nick ? T’es sa mère maintenant ? Le ton monte alors qu’il fait quelques pas en direction de son cadet. Tu veux m’acheter avec ton fric ? J’suis ta pute maintenant ? J’ai l’air d’une pute selon toi ? Il ravale sa salive difficilement. Isaiah influent, ça lui arrache un sale petit rictus sur le visage à Aaron. Il aurait pas le cran de lever le petit doigt Isaiah. Il a jamais été capable de prendre la moindre décision de toute sa vie et il venait le menacer maintenant ? Isaiah ?
Il prend pas une grande inspiration pour se calmer Aaron, il a encore la prison dans les phalanges. Il se gêne pas d’lui en coller une. Une seule, en pleine gueule. Il se retient de pas continuer parce qu’il a pas seulement la haine contre son frère, il est surtout profondément triste. Pourquoi il s’attacherait à conserver tous ces souvenirs Aaron ? Pourquoi tu fais semblant putain ? T’as tout et j’ai que dalle tu l’vois pas ça ? Ça te suffit pas ? Mais je t’en prie, lance une ordonnance restrictive contre moi ! Tu crois que j’ai peur de retourner en prison ? Oui, absolument qu’il a peur. Qu’il a pas non plus l’intention d’y retourner, qu’on lui dise à quel moment il peut voir le soleil, à quel moment il peut marcher dans la cour, à quel moment il a intérêt à fournir des médocs ou écarter les jambes. Même moi j’te souhaiterais pas ça. Et il est honnête, il souhaiterait ça à personne, même pas à Isaiah.
Isaiah qui garde précieusement ses affaires contre lui, qu’il lui donne envie d’vomir. de dégueuler juste à ses pieds. On va rien reprendre du tout, t’es pas dans une cour martiale là. Son téléphone vibre dans sa poche, il ne répond pas. Il se contente de dévisager Isaiah. Laisse-moi faire mon deuil et tire-toi. Il recule, recule à hauteur d’une photo de Nick, Isaiah et lui accrochée au mur. Il donne un coup de coude, brise la vitre du cadre sans sourcilier. C’était sa mère qui avait insisté pour prendre cette photo, c’était avant qu’il aille en prison, la première fois, quand il était encore promis à devenir médecin.
Faut croire qu’ils recolleront jamais rien.
Qu’ils étaient morts.
Qu’ils étaient morts.  

Quelque chose lui disait qu'il aurait mieux valu partir maintenant qu'il avait ce qu'il voulait au lieu de provoquer son frère et jouer au courageux.  Mais c'était plus fort qu'Isaiah, il voulait protéger Micah de son oncle, coûte que coûte. Il ne s'attendait pas vraiment au coup porté par son frère. Peut être qu'Aaron s'attendait à ce qu'Isaiah batte en retraite.  Mais le fait qu'il avait Nick et Micah chez lui le rendait plus en colère, plus protecteur envers eux. Il fronça les sourcils et il tenta de plaquer son frère contre le mur. S'il croyait pouvoir lui faire peur, c'était raté.  "Il vit chez moi et il a pas envie de te voir!" répliqua Isaiah. "Tu crois que tu as été un modèle pour nous pendant toutes ces années? " Il n'avait pas envie d'agir comme ça, parce que malgré tout son grand frère l'avait manqué. Malgré tout, il gardait cette culpabilité d'avoir écouté son père. Est-ce qu'il aurait pu défendre son frère? Bien sûr. Il se serait battu pour lui. Mais non, il ne l'avait pas fait. Et il comprenait très bien qu'Aaron pouvait lui en vouloir. Il reprit plus calmement:" Bien sûr que non... je veux juste t'aider... Malgré ce que tu penses , je te déteste pas... mais j'ai pas envie que Nick  aille mal de nouveau, tu comprend ça? ". Isaiah relâcha son frère. Il parlait de Nick pour cacher l'existence de Micah. Il n'allait pas frapper son frère, parce qu'il n'était pas comme ça. Mais il allait devoir trouver un plan d'attaque. Arrêter de penser à son travail, pour protéger son fils. Le cabinet n'allait pas s'arrêter de tourner s'il levait le pied. " Tu crois que j'ai tout? Mais je travaille pour l'avoir... J'ai beaucoup travaillé... et si effectivement tu n'as rien, tu sais que je peux t'aider... On porte le même nom de famille, je te laisserais pas tomber.... Mais comprend moi que je me méfie... "    Aaron parlait de deuil. Isaiah serra les poings. " Tu veux le deuil de celui qui t'a toujours condamné d'avance? Celui qui terrorisait notre petit frère? Mais quel genre de monstre es-tu Aaron? Il mérite pas qu'on soit en train de se battre là.... Il est mort ...et c'est tant mieux car on pourra enfin vivre tous les trois... Essaye de faire un effort pour moi et Nick, Aaron... Je sais que tu en es capable! "

D'accord, Isaiah était maladroit. Il l'avait toujours été. Surtout avec son frère. Mais est-ce que c'était de sa faute si 16 ans auparavant, il était tombé amoureux? Non. Et si aujourd'hui, il tentait de jouer au dur alors qu'il ne voulait qu'une chose, se réconcilier avec son frère.  Isaiah souffrait de cette situation. Une famille ne devait pas tant avoir de secrets. Il ne devrait pas cacher l'existence de son fils à son frère mais la vie en décidait autrement. Il dit alors: " Je suis désolé Aaron... désolé de la tournure que prend les événements... Je ne veux pas tout ça... je veux qu'on soit une famille comme avant..... mais pour ça, il faut qu'on apprenne à avoir confiance en l'un et l'autre... et pour ça, il faut du temps....Trop d'erreurs ont été commises par nous deux.."  Il est au bord du gouffre Isaiah. La souffrance est bien trop présente en lui. Il souffre en silence depuis trop longtemps. Micah en pâtissait et tout était de sa faute. Mais il n'allait pas jouer les victimes devant Aaron. "Aaron je t'en prie... tu vois pas que cette guerre est en train de nous détruire...."

Il n'était même pas sûr de ce qu'il faisait. Il n'était plus maître de la situation. Aaron avait toutes les cartes en main. Isaiah avait l'impression d'avoir creuser sa propre tombe et de tomber dans une spirale infernale. Il allait peut être tout perdre. Mais il s'en fichait bien s'il pouvait juste récupérer la confiance de son frère. Si tout pouvait être comme avant. Effacer les 16 ans qu'il venait de s'écouler. Pour Micah, ils devaient être une famille unie. Et tant pis si Isaiah perdait sa lucidité. Tant pis s'il devait se sacrifier pour ses frères et son fils. Il savait qu'il le ferait. Ca avait déjà commencé,d 'ailleurs.  

Il lève son coude lentement, constate sans émotion particulière le prisme perfectible qui déteint sur eux. Peut-être que c’était à cause de papa, peut-être qu’il a trop modelé, peut-être qu’avec un peu moins d’indifférence de sa part ils auraient pu ne pas s’entredéchirer des années plus tard. Il cognait pas papa, mais son silence était sûrement le pire coup au cœur qu’on puisse recevoir. À l’inverse, Aaron a jamais été foutu de garder son sang-froid, faut croire qu’ils avaient rien en commun. Et qu’est-ce qu’il pouvait avoir avec Isaiah sinon les mêmes goûts en matière de femmes ? Il a pas un foutu syndrome du sauveur lui. Il a jamais incarné un Saint-Bernard. Dans le fond c’était pas étonnant d’apprendre que Nick vivait chez lui.
Ce qui l’était un peu plus, c’était la riposte maladroite de son frère. Pas qu’il ait reconsidéré quoi que ce soit Aaron, il a juste été surpris. Pas de quoi surenchérir, il était d’une raideur cadavérique. C’est ce qu’il a dit ? Il a pas envie d’me voir ? Il aurait pu prendre l’information comme elle venait mais non, tout ce qui sortait de la bouche de son frère soulevait son lot de questionnements et de critiques. C’était pas ses affaires.
Tu veux pas m’aider, d’ailleurs tu parles exactement comme papa. Peut-être que c’était pas ses convictions mais c’est le seul visage qui lui revenait dans la tête comme un boomerang. Le fils prodige, l’héritier légitime, le visage de la réussite, etc. T’façon Nick va toujours mal. Il hoche les épaules avec indifférence. C’était facile maintenant, mais gérer un adolescent de quinze ans- il aurait bien aimé l’y voir. S’il voulait pas d’gosses Aaron, c’était pas pour continuer à dormir jusqu’à midi. Il a pas d’patience. Il relâche l’emprise factice qu’il avait Isaiah, et l’autre se redresse machinalement, les muscles enroués. Il roule des épaules silencieusement, douloureusement. Il a pas envie de refaire l’histoire de la famille. J’crache pas sur les morts et tu devrais faire de même. Même s’il a toujours détesté son père, même si ça tournait à l’obsession par moment. Il a souhaité sa mort, trop de fois et maintenant, il avait ce vide immense dans le creux de sa poitrine qu’il pourrait jamais combler. Un effort il pourrait, un effort c’est rien. Un effort c’est pas soutenu tout le temps, ça apparait sur papier comme une mention honorable et puis tchao. J’voudrais pas tout gâcher. Tu ferais mieux de t’occuper de ta sublime carrière, visiblement c’est tout ce qui compte. C’est pas aussi violent qu’une attaque mais c’est quand même un reproche, une réponse formelle qui faisait écho à ses menaces. Il pourrait pas, ne pas l’envier. Qu’il ait travaillé dur pour ça ne changeait rien. Isaiah, il avait la vie de rêve de n’importe qui. Aaron pouvait avoir tout l’argent qu’il désirait que ça resterait de l’argent sale. Il se laisse tomber en soupirant sur le fauteuil du salon Aaron. Tu voulais pas d’moi et maintenant t’as pitié, je peux pas accepter. Désolé. Il se racle la gorge, marque un arrêt. C’est pas ce que je veux non plus mais- je ferais mieux d’accepter l’argent et disparaître. J’ai des dettes, et. C’est la merde. C’est la merde et j’veux pas te mêler à toutes ces histoires à la con. Il est lucide, il fait lucide mais Aaron a en réalité aucune dette à régler, pas même l’intention de rembourser qui que ce soit de quelques services rendus en prison ou en dehors. Si Isaiah est assez crédule pour lui filer de l’argent alors tant pis. Il est pas censé savoir où va aller l’argent. J’espère que Nick va bien, tu lui diras quand même que j’suis sorti. Il dit ça comme ça, désabusé, mais il s’en fout Aaron.  

Isaiah commençait à bouillir. Aaron ne faisait aucun effort et l'entendre parler sur Nick le rendait encore plus en colère, s'il était possible. Il n'avait jamais rien compris. Il était aussi aveugle que leur mère. Le pire ce fut quand il le comparait à leur père. Isaiah avait toujours tout fait pour ne pas lui ressembler que ce soit dans ses actes ou dans ses paroles. Il avait envie de frapper son frère. Un instant perdu dans son imaginaire, il le voyait le frapper avec un couteau et une telle rage. Mais dans la réalité, il ne fit rien. Il avait l'impression de sombrer, petit à petit. Les retrouvailles avec son frère n'arrangeait rien, bien au contraire. Son regard devint froid et meurtrier. S'il le pouvait il aurait déjà tué son frère trois fois. " Oui, surtout si tu prend pas au sérieux ses problèmes... Merde Aaron, tu sais pas tout ce que tu as manqué.... Et puis crois ce que tu veux... de toute façon, tu as toujours été un grand frère merdique niveau modèle,  c'est pas aujourd'hui que ça changera..." En réalité, Isaiah encaissait, sans rien dire. La douleur s'installait de plus en plus et comme elle n'était pas physique, elle ne se voyait pas. Chaque mot prononcé par Aaron fissurait un peu plus Isaiah qui tentait de tenir bon, de résister à tout ça. Mais trop c'était trop. Aaron allait beaucoup trop loin.

" Tu dis que je parle comme ce connard mais alors toi tu es exactement son portrait craché... Un égoïste de première doté d'une connerie .... J'ai cru qu'on pourrait essayer de ressouder cette fratrie mais je ne sais pas ce qu'il m'a pris d'y croire!" grogna Isaiah qui tremblait de rage.  Il parlait de sa carrière mais en cet instant, Isaiah n'en avait rien à faire . Il  pensait qu'à toutes les différentes façons de faire taire définitivement son frère aîné. C'était la rage qui le contrôlait. Il était comme aveuglé par le reste. Alors qu'Aaron s'était éloigné. Isaiah ne réfléchit plus. Il se mit à le frapper partout où il le pouvait. Mais ce n'était plus la rage  qui le poussait à frapper son frère aîné, c'était comme de la colère mélangé au désespoir. La famille parfaite, tout le monde en rêvait un jour mais ça ne serait pas avec Aaron, qu'il l'aurait. Il ne savait même pas s'il lui faisait mal mais il s'en fichait bien. Il n'était qu'à moitié présent avec son frère et dans son imaginaire, il lui faisait bien plus de mal que dans le réel. Isaiah avait l'impression de se perdre et de vouloir se perdre à tout jamais dans ce monde où il était bien plus fort. Où tout irait mieux. Il respira un bon coup et s'arrêta de le frapper. Il acceptait son offre. Ca ne l'étonnait qu'à moitié. Même s'il n'avait plus vraiment envie d'aider son frère. Il allait le faire par obligation. A travers son reflet dans la vitre, Isaiah vit sa mine pâle et confuse. Il était confus de vouloir croire
à un miracle.

"Très bien... je t'aiderais..." s'étrangla-t-il à dire tout en fixant son frère aîné. C'était comme s'il avait perdu la tête. Comme s'il n'était plus lui. Comme si le temps d'un instant, Isaiah ne savait plus ce qu'il faisait.Il se calmait peu à peu. " Mais respecte notre marché.... ne t'approches plus de nous... Ni de moi... Ni de Micah..." lança-t-il, avant de se rendre compte de son erreur. " De Nick..."  Avec tout ce qu'il venait de se passer, Isaiah avait oublié qu'il ne voulait pas mentionner l'existence de Micah à son frère. Au pire, s'il lui demandait qui il était, Isaiah trouverait une excuse. Son regard s'était de nouveau refroidi. Comme s'il allait perdre de nouveau le contrôle. Peut être que c'était le but d'Aaron, le voir se détruire lui-même. C'était comme si Isaiah avait brisé la carapace qui lui servait d'apparence pour être quelqu'un de normal et de respectable. Comme si les Lancaster avait toujours eu la violence ou la folie dans le sens et que personne n'allait y échapper. Ou bien c'était juste Isaiah qui déraillait complètement. " Et cette maison, fais en ce que tu veux... on a récupéré nos affaires Nick et moi... on ne veut plus y remettre les pieds maintenant..." . Cette maison allait finir par le rendre fou.