six degrees of separation / reed

Maquillage de squelette, collants ornés de citrouilles, faux organes en décomposition, queue de chat ébouriffée… tout ce qu’elle a pour Halloween trône sur son lit. Enfer et damnation, elle ne sait que choisir ! Sur elle, une robe de mariée couverte de sang et partiellement déchirée. Mais elle n’est pas convaincue. Pourtant, elle attend cette soirée depuis des semaines, avait même choisi avec attention la soirée à laquelle elle se rendrait. Mais à force d’avoir trop d’idées, elle ne sait plus laquelle choisir. A la place, elle ferait mieux de commencer à cuisiner, parce qu’elle risque de prendre du retard là-dessus. Commencer par faire les courses, peut-être regarder pour un costume. Et elle doit aller chez Reed ensuite, ce qui l’enchante moins. Elle lui avait envoyé un message ce weekend, après avoir beaucoup hésité à le faire. Mais les livres de cuisine qui lui manquent, elle y tient et difficile de retrouver exactement les mêmes. Comment avait-elle pu les oublier chez son ex ? Il faut dire qu’elle n’avait pas envie de trop traîner. Elle n’avait pas vérifié chaque placard plusieurs fois pour récupérer toutes ses affaires. Tout comme aujourd’hui, elle n’a pas vraiment envie d’y aller. Mais ce n’est qu’un moment à passer. Un peu comme un pansement à arracher. Revoir un ex n’est jamais facile. Ça l’est encore moins quand ça fait moins d’un mois que vous êtes séparés, et que vous n’avez pas tout à fait tourné la page. Mais elle préfère ne pas y penser pour l’instant, alors qu’elle prend sa liste de courses et rejoint le supermarché le plus proche. Toujours dans sa robe de mariée ensanglantée, elle écume les rayons. Quelques enfants la regardent avec de grands yeux, et elle s’en amuse. S’étonne de voir des tronçonneuses en promotion, de quoi inciter les tueurs en série. Une fois les courses payées, elle rentre rapidement dans la petite maison et remplit le frigo de ce qu’elle a acheté pour ce soir et pour le quotidien. Ça comptera pour son tour de courses pour les semaines à venir. Vivre en colocation, c’est loin d’être une partie de plaisir mais l’avantage, c’est qu’elle n’est pas la seule à faire les courses, ou à faire la vaisselle et tout le reste. Cuisiner, ça, elle sait faire. Le reste, ça lui plaît beaucoup moins. Elle finit par retirer sa robe, trop encombrante pour l’instant. Peut-être la remettra-t-elle ce soir, ou peut-être qu’elle inventera un tout nouveau déguisement qu’elle aura trouvé sur internet. Une fois habillée normalement, à l’exception des collants-citrouilles qu’elle a enfilés sous une robe grise en dentelle, il est temps de partir. Un bruit attire son attention, et elle découvre son chat en train de griffer le bas de la robe posée sur son lit. Elle soupire, s’apprête à disputer le nyctalope, puis se ravise. De toute façon, il n’écoutera pas, et peut-être que ça rendra bien sur la robe. Elle remet quelques croquettes dans la gamelle avant de refermer soigneusement la porte derrière elle. Elle enfile une veste loin d’être assez chaude mais qui met sa silhouette en valeur et se met en route. Ce n’est pas parce qu’ils ont rompu qu’elle ne doit pas se faire belle. Justement, peut-être qu’elle veut lui montrer ce qu’il a perdu en acceptant deux enfants chez lui alors qu’elle n’était clairement pas prête. Mais non, il n’avait pas pensé à leur relation. Alors s’il peut le regretter un peu en la voyant, elle vivra peut-être tout ça un peu mieux. Un trajet en Uber rapide, elle est déjà au pied de l’immeuble. Elle prend une inspiration avant d’appuyer sur l’interphone. Elle est nerveuse alors qu’elle lui répond et que la porte s’ouvre. La montée en ascenseur lui paraît trop courte, et elle est déjà devant la porte. « Salut. » Elle sourit mais le cœur n’y est pas. Ça lui fait bizarre de se retrouver face à lui. Tout un tas de choses qui reviennent. « Meryl et Milo ne sont pas là ? »

@Reed Coleman

Halloween est une fête qu’il a toujours particulièrement appréciée. Il a toujours aimé se déguiser et surtout faire du porte à porte pour récupérer tout un tas de bonbons. Il avait prévu de sortir cette année, de se déguiser aussi, il avait même imaginé se transformer en Jack Skellington, héros de l’Étrange Noël de Monsieur Jack. Mais tout est tombé à l’eau. Ce n’est pas la seule chose à laquelle il a dû renoncer depuis qu’il a les enfants à sa charge. C’est comme ça quand on devient père de famille - c’est une expression à laquelle il a toujours beaucoup de mal à se faire - on doit faire des sacrifices. Surtout que lui part avec plusieurs difficultés supplémentaires : il est seul, il n’y a pas de mère dans le tableau, il ne sait absolument pas s’occuper d’enfants - s’occuper de son neveu et de sa nièce n’a jamais été aussi compliqué - et ses enfants sont déjà grands. Surtout sa fille, celle avec laquelle il a le plus de mal. S’il ne sort pas ce soir, ce n’est pas parce qu’il doit s’occuper des enfants encore. Non, ce soir, il les a confiés à son père parce qu’il avait besoin de souffler un peu. C’est la première fois qu’il se sépare d’eux depuis qu’ils sont là, et ça a beau lui faire tout drôle, ça lui fait quand même du bien. Du coup, il a décidé de ne pas sortir et de profiter d’une soirée tranquille à la maison. Seule ‘ombre’ au tableau, Meghan est censée passer dans la journée pour récupérer quelques affaires qu’elle a laissées chez lui. Honnêtement, vu comme s’est passée la rupture, il n’y avait pas fait attention avant. Il avait juste eu envie qu’elle s’en aille le plus vite possible pour pouvoir passer à autre chose justement. Là, ça fait un mois qu’elle est partie, et même s’il a l’esprit pas mal occupé à cause des enfants, il doit bien avouer qu’il y a des moments où ce n’est pas si simple et où il pense encore à elle et où ils en seraient aujourd’hui par exemple. Nul doute qu’ils seraient sortis, tous les deux déguisés, et auraient passé une excellente soirée. Plutôt que d’être là, épuisé et à se morfondre. Ce qui le ‘rassure’, c’est qu’elle ne doit pas plus envie de le voir que lui, et que ça ne va pas durer longtemps. Le seul problème, c’est qu’il n’a pas encore pris le temps de les chercher, ces fameux livres de cuisines auxquels elle tient tant. Il vient tout juste de rentrer de chez son père, et quand il entend sonner, intérieurement, c’est la panique. Elle arrive bien trop vite à son goût, et ça ne sert à rien de la faire attendre. Il la fait entendre, et quand il la voit, il se sent un peu plus mal. Analyser ce qu’il ressent en la voyant n’est pas une bonne idée pour le moment, et il s’y attardera plus tard. Peut-être. « Salut. T’as l’air en forme. » dit-il peu sûr de lui. Bien sûr, elle n’ pas changé, et ce n’est pas en un mois que les sentiments ont disparu. Impossible de faire le deuil d’une telle relation si vite. Et elle doit bien le savoir, il n’y a qu’à voir la manière dont elle s’est habillée. Ce serait très égocentrique de se dire qu’elle l’a fait juste pour lui, mais il ne peut s’empêcher de se le demander pendant quelques secondes. « Ils sont chez mon père. » Elle peut se rassurer, elle n’aura pas à subir leur présence. C’est bien ça le seul problème qu’elle a avec lui, au fond. Ses enfants. « J’avais besoin d’un peu de répit. » Il ne sait même pas pourquoi il lui dit ça, c’est stupide. Elle doit bien se dire qu’il a eu tort de se lancer dans une telle aventure.

Se retrouver face à lui, ça lui fait beaucoup trop bizarre. Elle ressent trop de choses. Il y a à peine un mois, elle aurait juste été heureuse de voir la porte s’ouvrir et de le découvrir derrière. Là, ce n’est plus du tout la même chose. Pas facile de revoir quelqu’un après une rupture, ça ne l’est jamais. C’est encore plus difficile quand on pensait que cette personne aurait pu être La bonne. Reed aurait pu l’être. Meghan y croyait, et elle pensait aussi que rien ne pourrait les séparer. Elle s’était bien trompée finalement. Même si elle pensait que Reed pouvait être l’homme de sa vie, tout ça leur était tombé dessus bien trop tôt. C’était trop compliqué, et elle n’avait pas supporté. Tout avait été redéfini, sans qu’elle ne s’en rende compte. Sans qu’il lui demande vraiment son avis. Alors le voir là, sur le pas de sa porte, cela éveille tout un tas de choses chez elle. Ça fait battre son cœur un peu plus vite. Un peu trop vite. Toutes ces émotions qu’elle essaye au mieux de ne pas montrer. Les apparences comptent pour beaucoup dans ce genre de moments, et Meghan a sa fierté. Alors le petit compliment qu’il lui fait, ça lui fait forcément plaisir. Même si au fond, elle aurait préféré qu’il le lui fasse dans un autre contexte, sans toute cette tension entre eux. Elle ne sait pas si elle doit être soulagée ou non que les enfants soient absents aujourd’hui. Elle ne sait pas ce qu’elle doit ressentir. Sans leur présence, ils seraient sans doute sortis ensemble ce soir, auraient trouvé un costume de couple un peu ridicule et se seraient amusés. Mais ce soir, elle sera seule, et n’a toujours pas décidé de son costume. Pourtant, elle apprécie les deux enfants, ça n’a jamais été le problème. Mais de toute façon, elle ne compte pas s’éterniser. Echanger quelques banalités, récupérer ses livres de cuisine et repartir dans la direction inverse pour retourner vers sa solitude. « D’accord. » Répond-t-elle tout simplement. Même quand ils étaient ensemble, son avis ne comptait pas tant que ça, alors pourquoi le donner maintenant ? Bien sûr qu’avoir deux enfants fraîchement débarqués chez soi, ce n’est pas facile. Elle qui s’est toujours imaginé qu’elle serait déjà mère à son âge, finalement ça lui avait fait remettre tout ça en question. Mais peut-être que c’est différent quand c’est quelque chose qu’on veut, quand ce sont nos enfants. « Tu vas bien ? Tu as l’air fatigué. » Elle ne peut pas s’empêcher d’être un peu désolée pour lui. Ça ne doit pas être facile non plus. Mais non, elle ne peut pas retomber là-dedans. Elle doit aller de l’avant. « Tu as pu trouver les livres alors ? » Plus vite elle les aura, plus vite elle pourra repartir.

Savoir qu’elle va venir c’est une chose. L’avoir en face de lui, c’en est une autre. Bien plus difficile pour le coup, il n’y a pas d’écran pour se cacher. Il a beau avoir eu du temps pour se préparer, il n’a pas réussi. En même temps, comment faire ? Tant qu’il ne l’a pas en face de lui, c’est facile. Là, il a perdu en assurance. Il se sent mal, il a le coeur serré, et des images plein la tête. C’est dur aussi de constater ce qu’il a perdu. Elle est toujours aussi belle, et bien sûr qu’il regrette de l’avoir perdue. De n’avoir pas su l’écouter, de n’avoir pas su la garder. Tout lui était tombé dessus beaucoup trop vite, il n’avait pas eu beaucoup de temps pour réagir et avait pris une décision sans forcément avoir le temps d’y réfléchir. Bien sûr qu’il aurait préféré lui en parler avant, en discuter avec elle. Son avis comptait pour lui, et s’il ne se ment pas, compte toujours beaucoup. Il aurait voulu prendre la décision avec elle, parce qu’il aurait tout simplement voulu continuer sa vie avec elle. Il commençait à y penser très sérieusement à tout ça, se poser avec elle, faire des enfants. Il y avait vraiment cru, Meghan aurait pu être sa femme, et ça aurait pu fonctionner. Seulement, elle n’a pas su accepter ce qu’il lui a imposé, bien malgré lui. Quel autre choix avait-il eu, de toute façon ? Laisser ces enfants seuls, une fois de plus ? Les séparer ? Parce qu’il n’est pas naïf, une fois dans le système, ces enfants auraient été séparés. Et ça, Meghan n’a pas pu ou pas voulu le comprendre. Du coup aujourd’hui, ça donne deux personnes qui s’aimaient et qui n’arrivent même plus à se regarder. « C’est… difficile, je te le cache pas. » Il pourrait mentir et lui dire que tout va bien, mais elle voit bien qu’il n’est pas en forme. S’occuper de deux enfants, c’est dur, et ça l’est encore plus quand on est seul. Il reste persuadé qu’à deux, ils s’en seraient sortis, auraient fait une bonne équipe. Et quand il dit que c’est difficile, il ne parle pas seulement des enfants. Il y a aussi le fait de s’adapter à vivre sans elle, chose qu’il n’a pas encore réussi à faire. « Ca ira mieux dans quelques temps, quand j’aurais un peu plus d’entrainement. » C’est un métier à part entière d’être parent, et il se demande bien comment son père a pu se débrouiller tout seul. Certes, il avait Connor et Jared pour l’aider, mais même. Il est admiratif. Il en a presque oublié les livres de cuisine, encore une fois. « Ah oui, j’ai pas eu le temps de les chercher. » Il ne prend pas la peine d’attendre une réaction et fille dans la cuisine, commençant à ouvrir les placards. C’est l’endroit le plus logique où ils pourraient se trouver. « Désolé, ils doivent pas être loin. »

Finalement, elle n’est pas certaine d’être assez préparée. Elle avait pourtant eu un peu de temps, et c’était elle qui avait décidé qu’elle en était capable, pour récupérer ses livres. Elle s’était imaginé les choses, que tout se passerait bien et vite, et qu’elle retournerait rapidement à sa vie, même si celle-ci n’était pas forcément très intéressante ces derniers temps. Meghan n’aime pas être célibataire, encore moins quand elle était si bien dans une relation. Reed et elle s’entendaient bien, vraiment bien. Sur tous les plans, sauf celui qui avait été une surprise pour tous les deux et qui avait tout compliqué. Meghan n’avait pas pensé réagir comme ça, mais elle avait rapidement pris sur elle, et finalement, tout n’allait plus aussi bien. Un vrai gâchis, alors qu’elle pensait avoir trouvé celui auprès duquel elle vieillirait. Maintenant, quand elle le regarde et qu’elle sent toute cette tension entre eux, qu’elle regrette profondément ce qu’ils partageaient, elle se dit qu’elle n’aurait pas dû venir chercher ses livres. C’était plus simple d’ignorer ses sentiments quand elle ne le voyait pas. Surtout quand il lui confie que c’est difficile pour lui. Elle le savait, mais elle n’avait pas été capable de l’aider. Tout lui était tombé dessus trop précipitamment. Sur Reed aussi, sans doute, mais lui, l’avait mieux accepté. Peut-être parce qu’un de ces enfants étaient effectivement le sien. Elle, elle se retrouvait avec deux enfants d’une ex-copine dont elle ne savait rien. A l’entendre, elle voudrait le plaindre, lui dire que tout ira bien. Mais ce n’est pas son rôle. Elle ne sait pas comment se comporter avec lui maintenant qu’ils ne sont plus ensemble. Ils n’ont pas souhaité rester amis, et de toute façon, elle n’aurait pas pu. C’était trop frais. Ça l’est toujours. Alors elle préfère lui demander ses livres, espérant repartir rapidement. Sauf qu’il ne les a pas encore trouvés, alors son passage dans l’appartement qui lui est bien familier s’annonce plus long que prévu. Elle l’observe ouvrir les placards de la cuisine, sans pouvoir se souvenir où elle les avait elle-même rangés. Alors elle s’avance et regarde sur les étagères en désordre. Elle tourne régulièrement la tête vers Reed, incapable de se concentrer. Le silence lui pèse. Elle se mort l’intérieur de la bouche, avant de regarder au-dessus du frigo, puis encore vers Reed. « Tu sais… je suis sûre que tu vas très bien t’en sortir. » Après tout, elle avait elle-même pensé à avoir des enfants avec lui, un futur. Seulement, ce sont les enfants d’une autre qu’il a maintenant. « Ils vont bien au fait ? » Elle cherche toujours, mais sans le faire vraiment. De toute évidence, les livres ne sont pas au-dessus du frigo, sinon elle les aurait déjà trouvés.

Il se sent vidé. Depuis qu’il a les enfants c’est compliqué, mais ça l’est doublement depuis qu’elle est partie. Forcément, ça lui a foutu un sacré coup : sa vie toute chamboulée en l’espace de quelques semaines. Il a l’impression d’avoir pris dix ans et quelque part, ce n’est pas faux. Il se retrouve père d’une gamine de huit ans alors qu’il vient juste de faire sa connaissance. Tous ses repères ont disparu, il est complètement perdu. A la fin de l’été, il se voyait faire sa vie avec elle, et il sait que c’était réciproque. Vraiment, il aurait pu la demander en mariage que ça n’aurait surpris personne. Là, il se retrouve seul à devoir s’occuper de deux enfants dont il ne connait absolument rien, et ça fait plus d’un mois que ça dure. Un mois qu’il n’est pas allé travailler, un mois qu’il ne voit plus grand monde. Un mois qu’il se sent terriblement seul, et à part son père et ses frères, ainsi que l’assistante sociale qui s’occupe du dossier des enfants, qui sont les plus à mêmes de l’aider, il ne sait pas vraiment vers qui se tourner. Ce n’est pas les amis qui manquent non plus, mais perdre Meghan lui a fait réaliser qu’il pouvait aussi perdre ses amis. Qu’il ne pouvait pas leur imposer la vie et le rythme d’un père de famille. Du coup, forcément, ça se voit qu’il n’est pas bien, et ce n’est pas une surprise qu’elle l’ait remarqué. Bien sûr, il se montre honnête. Inutile de le nier. Avec tout ça, il en a presque oublié les livres, et il ne sait absolument pas où ils se trouvent. Il n’avait qu’une chose à faire, une seule, et il n’a même pas été capable de le faire. Résultat, elle va rester ici un peu plus longtemps que prévu. Au moins, il peut chercher pour se distraire, mais bien sûr, elle le suit pour chercher avec lui. C’est dur de sentir sa présence, et il réunit tous les efforts possibles pour ne pas la regarder et se concentrer sur sa mission. Qu’elle prenne la parole ne l’aide pas, et il attend un peu pour lui répondre, cherchant sans chercher. Ca fait au moins trois fois qu’il pousse les mêmes assiettes, sans résultat à chaque fois. « J’ai pas vraiment le choix de toute façon. » Il est hors de question que ces enfants soient abandonnés une fois de plus. Ils ont assez souffert à cause d’adultes comme ça. « Je vais pas les laisser tomber moi aussi. » ajoute-t-il en se tournant vers elle cette fois, pour constater qu’elle est toujours en train de chercher. Il n’a jamais été du genre à se défiler, il ne va pas commencer maintenant. « Et… je pense qu’ils vont bien, c’est pas évident. Il y a beaucoup de cris, ils me demandent tout le temps où est leur mère et moi je peux pas leur répondre. » Donc certes, ils sont en bonne santé, mais ils ne vont pas bien. Comment expliquer à des enfants de huit et quatre ans que leur mère est partie et qu’elle ne veut pas les revoir. C’est tout bonnement impossible. Se sentant de nouveau impuissant, il se remet à chercher. Clairement, les livres ne sont pas là, et il soupire. « T’es sûre que les livres sont ici ? » Dans sa chambre, ils les aurait vus quand même, non ? Il reste la pièce de vue, mais c’est un peu le désordre avec les enfants. Ils n’ont même pas une chambre chacun. Forcément, leurs affaires empiètent un peu sur les espaces communs.

Meghan se sent presque tiraillée, ce à quoi elle ne s’attendait absolument pas. Elle avait espéré juste récupérer ses livres, échanger quelques mots et repartir rapidement. Un court moment qui aurait suffi à la déstabiliser. Cette rupture l’avait beaucoup affectée, et un mois, c’est loin d’être suffisant pour tourner la page. Elle aurait eu besoin de plus de temps avant de le revoir, mais elle avait pensé que ça irait. Grossière erreur. A le voir si fatigué, à l’entendre dire que c’est difficile pour lui, elle s’en voudrait presque. Elle avait pourtant essayé de l’aider, pendant les premiers jours. Mais ça ne lui venait pas naturellement, contrairement à Reed. Et elle ne s’était pas sentie à sa place dans tout ça. Pourtant, là, elle aurait envie de le serrer dans ses bras et de lui dire que tout ira bien. Mais elle ne peut pas le faire. Parce qu’elle n’a plus ce droit. Parce qu’elle n’a pas envie d’être si proche de lui. Ou justement, parce qu’elle en aurait envie. Mais ça ne serait pas raisonnable. Reed a accepté une responsabilité sans doute un peu trop grande pour lui. Sans doute pensait-il qu’elle l’aiderait, mais il n’avait pas demandé son avis là-dessus. Bien sûr, sa décision est louable. Grâce à lui, ces enfants ont un foyer et sont ensemble, même si tout n’est pas parfait. Même si ça doit être dur pour eux aussi. Meghan ne comprend pas comment leur mère a pu les abandonner ainsi, et surtout remettre toute cette responsabilité sur Reed. Au fond, c’était elle la fautive de tout ça. Ou peut-être que c’est plus simple de le penser, parce qu’elle a toujours du mal à se dire que c’est fini entre eux. Au début, elle s’était accrochée à ça. Se dire que ce n’était que temporaire était plus simple. Mais la vérité, c’est que personne ne savait quand ça se terminerait. Peut-être que si elle revenait, Reed et Meghan pourraient reprendre là où ils en étaient. Ou peut-être qu’il est déjà trop tard. « Ça ne doit pas être facile. » Elle, elle n’avait pas supporté. Et cela semble tout autant difficile pour Reed. Mais au moins, un de ces enfants est le sien, ça doit tout de même changer quelque chose. « Mais au moins, ça ne peut qu’aller en s’améliorant, avec le temps. » Mieux vaut voir le positif. Au moins, il peut souffler un peu aujourd’hui. Au fond, Meghan ne sait pas si elle a vraiment envie de partir. Ses livres semblent introuvables, et elle ne cherche même plus. Il lui manque, c’est terrible. Et elle se demande s’il pense la même chose. Jusqu’à ce qu’il lui parle de ses fameux livres. Elle reprend ses esprits, et essaye de visualiser la dernière fois qu’elle les a utilisés. « Peut-être qu’ils sont dans le salon. Comme tu n’as pas trop de livres ici, je les avais peut-être rangés là-bas. » Elle sourit timidement et quitte la cuisine. Si elle reste là, à le regarder, elle a peur de ce qu’elle pourrait ressentir. « Tu devrais embaucher une femme de ménage, tu ne crois pas ? » Dans la pièce de vie, difficile de savoir où poser le pied tant il y a de choses partout. Des jouets, des serviettes, des vêtements. Et cela risque d’être encore plus compliqué de trouver des livres.

Ce n’est pas facile, non. Au moins, Meghan a raison, il ne voit pas comment ça pourrait être pire. Il en est encore à un stade où il n’est pas très expérimenté et où il doit s’adapter aux enfants, qui eux aussi doivent s’adapter à lui. Il se sent un peu pathétique, à se plaindre comme ça devant elle. Il pourrait tout à fait se montrer sous un bon jour, lui montrer qu’elle n’aurait pas dû partir. Qu’elle aurait pu rester avec eux et qu’ils auraient pu former une famille. Heureuse, fonctionnelle. Même en partant de rien. Il aurait voulu tout ça avec elle, bien sûr. Certes, il peut comprendre qu’elle n’ait pas pu se faire à l’idée d’élever les enfants d’une autre, surtout des enfants aussi grand. Au final, ils sont tous les deux à blâmer pour cette rupture, lui parce qu’il l’a mise de côté sans vraiment écouter son avis, elle parce qu’elle n’a pas vraiment essayé. Mais en même temps, aucun des deux n’est vraiment à blâmer non plus : tout ça leur est tombé dessus sans prévenir. Il est fatigué de tout ça, et elle lui manque terriblement. C’est dur de se dire qu’elle va repartir dans quelques instants et qu’ils n’auront plus aucune raison de se revoir une fois qu’elle aura récupéré ses livres. Il la regarde, et tout un tas de choses lui reviennent en tête. Il est persuadé que s’il la serre dans ses bras, la tient contre lui pendant ne serait-ce que quelques minutes, il se sentira mieux. Mais il ne peut pas faire ça, il a perdu ce droit, et il n’est pas sûr que ce serait une bonne idée de toute façon. Il doit avancer sans elle maintenant. Bien sûr, il n’a pas volontairement perdu ses livres. Il ne se souvient même pas les avoir déjà vus un jour, et vu l’état de son appartement, ça n’a rien d’étonnant qu’ils aient du mal à les retrouver. « J’avais prévu de ranger, justement. » Mais au bout d’un moment, ranger régulièrement ne suffira plus. Il va falloir qu’il trouve une autre solution, beaucoup plus radicale. « Je cherche un autre appart. » Dans le quartier, si possible. Si quitter New York est inimaginable, quitter Williamsburg l’est tout autant, si ce n’est plus. Il lui faudrait au moins une chambre de plus, que les enfants aient chacun une chambre, et qu’il ait plus de place pour tout ranger. Qu’il puisse accueillir du monde sans avoir un appartement en bordel. Mais chaque chose en son temps. Il aide Meghan à chercher, poussant de nombreux jouets, livres, même des vêtements. Il soulève une pile de couvertures, qu’il a utilisé la veille avec les petits. Ils ont tous campé au salon, un moment qu’il a fortement apprécié. C’est pour ce genre de moments qu’il fait ça et qu’il fait tous ces efforts. Il leur a lu quelques livres, et Milo en a regardé plusieurs juste pour les images. Peut-être qu’un des livres de Meghan a eu ses faveurs. Et effectivement, il finit par mettre la main sur l’un d’eux. Enfin, il imagine, il n’a jamais ouvert de livre de cuisine de sa vie. « C’est l’un des tiens ? » demande-t-il en lui tendant le livre.

Ça lui fait bizarre d’être ici alors qu’elle n’y a plus sa place. Ça lui fait bizarre d’être avec Reed sans être vraiment avec lui. Elle savait qu’il lui manquait, elle n’avait pas réussi à ignorer sa tristesse de l’avoir perdu. Mais d’être avec lui, c’est pire. Elle voudrait pouvoir s’approcher de lui, respirer son odeur et l’embrasser. Elle voudrait que tout redevienne comme avant, sauf qu’elle sait que c’est impossible. Et il lui suffit d’entendre parler des enfants, des difficultés qu’a Reed avec eux, pour se souvenir pourquoi. Elle aurait pu ravaler sa rancœur et faire des efforts, surtout qu’elle comprend les raisons pour lesquelles il fait ça. Mais c’était trop. Et ça l’est toujours. Apprendre qu’il veut changer d’appartement, ça lui serre un peu la poitrine. Ils ont été heureux ici. Ç’avait été un petit nid d’amour où ils s’étaient réfugiés bien souvent. Plutôt que l’appartement de Meghan, c’était ici qu’ils avaient passé la plupart de leurs soirées et journées ensemble. C’était pour cela que ses livres de cuisine étaient ici. Quelque part. Elle bouge doucement ce qui se trouve sur le sol, en profitant pour plier quelques vêtements et couvertures. Elle n’aime pas ranger pourtant, mais ça lui semble normal. De l’aider un peu, à sa façon. Pas comme il espérait qu’elle le fasse sans doute. Mais même si elle s’était imaginée créer une famille avec Reed, elle n’était pas prête à ce que tout ça lui tombe dessus dès maintenant. Elle se tourne vers lui quand il lui tend un livre. Le prend et le reconnaît facilement. « Oui, merci. » Au fond, peut-être qu’elle est heureuse qu’il en reste encore à chercher, parce qu’elle n’a pas tellement envie de partir. Aussi bizarre que ça puisse être entre eux, sa simple présence lui fait du bien autant qu’elle lui fait du mal. Sensation étrange. « Il en reste encore deux si je ne me trompe pas. » Le reste, elle les a dans des cartons, dans sa chambre. Pas toujours facile de repérer ce qu’elle a ou n’a pas, quelques semaines après un déménagement un peu forcé. Son précédent propriétaire ayant décidé de louer l’appartement pour un membre de sa famille, elle n’avait pas eu d’autre choix que de partir. A nouveau, elle se met à chercher, cette fois sur la table basse, envahie de coloriages et autres jouets et livres pour enfants. « Tu cherches dans un coin en particulier pour déménager ? » Elle n’aime pas le silence, alors elle préfère discuter de tout et de rien. Juste pour entendre un peu la voix de Reed.

Contre toute attente, il finit par trouver l’un des livres de Meghan. Ce n’était pas gagné vu l’état de son appartement. Il a un peu honte de la recevoir comme ça. En fait, il a honte depuis qu’elle est arrivée : il ne se montre pas sous son meilleur jour, loin de là. Alors que normalement, il aurait dû vouloir tout faire pour lui montrer ce qu’elle a perdu. Lui montrer qu’il est fort et qu’il n’a pas besoin d’elle alors qu’il a besoin d’elle. Il a toujours eu besoin d’elle, surtout pour affronter cette aventure dans laquelle il s’est lancée. Seul, ce n’est pas très probant. C’est bien pour ça que finalement, il a décidé de ne pas mentir et de ne pas se cacher derrière une façade heureuse et épanouie : tout ça, il ne l’est pas. Il est trop fatigué pour faire semblant. « Deux… » souffle-t-il plus pour lui-même qu’autre chose. A moins qu’ils ne soient pas loin, il ne voit pas du tout où pourraient se trouver les deux autres livres. C’est bien possible que Milo en ait caché un dans sa chambre. Ou ailleurs d’ailleurs, mais il a tendance à dessiner sur tout ce sur quoi il met la main. Il prie intérieurement pour qu’un tel sort ne soit pas arrivé à l’un des livres de son ex petite amie. Par chance, il finit par mettre la main sur l’un d’eux, le feuillette rapidement pour constater qu’il n’y a pas de dégâts majeurs. Il espère qu’elle n’aura pas de petite surprise en s’en servant un jour, mais il se relève, puis lui tend, tandis qu’elle lui pose une nouvelle question. « Je crois que j’en ai trouvé un autre. » Faire la conversation avec elle, ce serait agréable dans un autre contexte, mais il la soupçonne de faire ça juste parce que le silence est trop pesant. Même si en soit, le sujet n’est pas très agréable. « Hum, j’aimerais rester dans le quartier, si possible. » Il y a ses habitudes, et les enfants ont même commencé à aller l’école ici. Il n’a pas envie de les déraciner une fois de plus. « Mais si je dois m’éloigner un peu, je le ferais. » S’il n’a pas le choix… Mais clairement, il n’a pas envie. Déjà que quitter son appartement lui fait du mal. Il l’aime beaucoup cet endroit. Il a beaucoup de souvenir auxquels il tient qui y sont attachés, et pas seulement ceux avec Meghan, qui bien sûr lui sont chers. Seulement, cet appartement n’est pas fait pour deux ans. Soupirant, il se relève, remettant au passage un peu d’ordre un peu partout. Ca ne ressemble toujours pas à grand-chose, mais c’est moins fouillis. « Alors j’ai peut-être une idée d’où se trouve le dernier, mais je sais pas dans quel état il va être. » Il la regarde d’un air désolé, se pince les lèvres. Peut-être qu’il s’avance un peu trop.