I don't want to be asked how I'm going | Iain

Bouteille d’eau bue à grande vitesse, il tousse, a l’impression que ses poumons revivent après avoir inhalé un peu trop de fumé. Ce qui arrive généralement lorsqu’il retire son masque à oxygène pour le passer à l’une des victimes. Désormais à l’air libre, il reprend doucement ses esprits alors que son équipe range le matériel utilisé et que l’un d’eux vient tapoter son épaule. Un incendie qui aurait pu faire plus de dégâts, mais par chance aucune victime sérieuse à déplorer. Le genre d’intervention que tous pompiers aimeraient vivre. De retour dans le camion échelle, le second à la suite, ils regagnent la caserne, plus joyeux que d’autres fois. Sautant à pieds joints au sol, il se débarrasse de sa tenue d’intervention et de ses bottes pour enfiler les autres et gagner l’intérieur de la caserne. Tout ce à quoi il pense là, tout de suite, c’est un bon café chaud. Trempé par la pluie qui tombe sur New York, légèrement frigorifié par les températures qui ont chuté encore et encore ces derniers jours, Iain a grandement besoin de caféine. C’est donc vers la salle commune qu’il se dirige, pensant déjà à l’instant où il versera le liquide chaud et ambré dans une tasse avant de rejoindre son bureau pour rédiger son rapport. Sauf qu’il est arrêté dans son élan. Une main plaquée sur son épaule, le lieutenant tourne la tête vers Connor, sourit légèrement en le voyant. « Connor. » Dit-il en le saluant de la tête. Pourtant, ils se sont déjà vus. De garde en même temps, ils ont commencé à la même heure, mais son intervention s’est faite sans la présence du camion des secours. « Plus calme que ce qu’on pensait. Incendie dans une cuisine, aucune victime sérieuse, simplement quelques coupures et brûlures dans la panique. » Explique-t-il alors que les deux hommes entrent dans la salle commune. Iain s’approche de la machine à café, attrape sa tasse puis soulève la cafetière. « T’en veux ? » Qu’il demande en se servant déjà. Tant qu’il est là, autant qu’il lui propose en même temps. Puis son attention se porte sur ce que Connor tient entre ses mains. « T’étais en route pour rendre ton rapport ? » Question purement rhétorique, autrement il n’aurait pas le dossier entre les mains. Adossé contre le plan de travail, ses mains entourant sa tasse de café, il regarde chacun des membres de la caserne puis reporte son attention sur son collègue. « Comment va Reed au fait ? » Rien à voir, mais tant qu’à faire la discussion autant qu’il se renseigne sur son petit frère. Depuis la rupture avec Meghan, il n’a pas vraiment eu le temps de prendre de ses nouvelles et puisqu’il est régulièrement absent, il n’y a que Connor pour le tenir informé.

Iain, il est toujours heureux lorsqu’il retrouve la caserne, d’autant plus après une intervention qui – en soit – s’est plutôt bien déroulée. Ce n’est pas toujours le cas si bien qu’il ne le cache jamais lorsqu’il est satisfait. Et il sait que partager ça avec d’autres pompiers c’est faire en sorte d’apporter un peu de joie, surtout lorsqu’il y a un risque que ça tourne rapidement au cauchemar. « Tu prêches un converti là. » Personne ici n’ira dira vouloir à tout prix une intervention dans les flammes de l’enfers avec beaucoup de victimes. Cela dit, ils ont rarement le choix, pour ne pas dire qu’ils ne l’ont jamais. Lorsque leurs camions sont appelés c’est souvent parce que c’est nécessaire. Et en quelques années à travailler dans cette caserne – y compris lorsqu’il était simplement pompier volontaire – il a assisté à bien des drames. On ne s’habitue jamais à ce genre de choses, aux pertes, mais on finit par s’endurcir, Iain en sait quelque chose. Dans la salle commune, les tasses de cafés servies, il quitte le plan de travail pour rejoindre Connor autour de la table et glisse son café dans sa direction. Là, il s’intéresse au dossier entre ses mains que le lieutenant des secours pose sur la table. « T’as eu des nouvelles des victimes ? » Généralement, une fois l’intervention passée, leur travail est terminé et ils n’ont pas de nouvelles des personnes qu’ils ont sauvées. C’est ce qui leur permet de se détacher autant que possible. Parfois, néanmoins, la curiosité l’emporte et ils finissent par se renseigner – quitte à apprendre une mauvaise nouvelle. En attendant, Iain se lance dans un autre sujet, lié au petit frère de Connor. Ex petit ami de sa propre sœur. « Je veux bien le croire. Même sans les voir débarquer du jour au lendemain, j’ai par moment du mal à gérer le boulot et les enfants. Mais faut pas qu’il oublie que ses proches sont là pour lui. Y compris les personnes de cette caserne. » Dit-il avant de boire une gorgée de café. De quoi réveiller tout son corps fatigué par les heures de garde qu’ils ont enchaîné et sa dernière intervention. Reed, il l’apprécie beaucoup, l’a plus ou moins poussé vers sa sœur. Forcément il s’inquiète pour lui comme il s’inquiéterait pour n’importe lequel de ses proches. « J’ai évité d’aborder le sujet avec ma sœur, mais je suppose que rompre avec Reed ça n’a pas aidé. Je parlerai pas à sa place, mais s’il a besoin de quoi que ce soit, même toi, vous pouvez toujours sonner à ma porte, je répondrai toujours présent. » Sincère, il adresse même un léger sourire à Connor. Une part de lui se sent un peu fautive parce que c’est quand même en partie grâce à lui que Reed et Meghan se sont mis ensemble.

Lentement, la caféine se propage dans son corps. Lentement, la chaleur de sa tasse envahit ses mains et le réchauffe tout entier après une intervention sous la pluie. Il aurait pu passer par la douche, se débarrasser des traces de suie dues à l’incendie et se réchauffer sous l’eau chaude mais il y passera après, profite un peu de l’instant pour discuter avec Connor. Même si cette conversation glisse vers quelque chose de moins joyeux. Comme c’est souvent le cas dès qu’il est question de victimes. S’il tente de se détacher le plus possible, Iain reste humain et par moment c’est plus difficile de rester de marbre. Entendre son collègue lui dire qu’un officier a demandé à avoir son rapport ça n’est pas bon signe. Dans le métier depuis quelques années maintenant, il sait reconnaître certains indices et Connor ne fait que confirmer ce qu’il pense. « Je vois … Je suis désolé pour le gamin. » Il l’est toujours. Les gamins c’est ce qui le touche le plus. Ça ne veut pas dire que des victimes adultes ne lui font ni chaud ni froid, c’est toujours difficile d’accepter d’avoir été incapable de sauver quelqu’un, mais les enfants c’est pire. A chaque fois, il ne peut s’empêcher d’imaginer que ce sont les siens et les perdre, ça signerait sa fin à lui. Ses enfants sont sa raison de vivre aussi imprévus qu’ils ont été. Alors parler d’un autre sujet, s’occuper l’esprit avec autre chose – même si ce n’est pas plus joyeux – c’est la meilleure chose à faire. Une pensée pour les victimes c’est bien, mais trop se torturer l’esprit avec ça ce n’est jamais bon. Iain préfère parler de Reed, le petit frère de Connor. Prendre de ses nouvelles à défaut de l’avoir croisé ici ou d’avoir eu le temps de passer le voir. « C’est aussi ce que je pense. Après ce n’est pas Meghan qui définit ma relation avec Reed, tu sais. Enfin elle reste ma sœur et je l’aime, mais je sais que ce n’est pas simple de gérer deux gamins. Encore moins du jour au lendemain. » Bien sûr que sa sœur comptera toujours plus que n’importe qui. Il est son frère aîné après tout et aussi casse-pieds soit-elle, il sera toujours là pour elle. Il n’y a rien qu’elle puisse faire qui le dégoûtera d’elle. Même rompre avec un type bien qui se retrouve la tête sous l’eau ne suffit pas à le mettre en colère. Ça ne suffit pas non plus pour qu’il prenne partie et renie Reed. Pas alors que c’est un excellent ami. « Je passerai le voir après notre garde, voir s’il va bien et s’il a besoin d’aide. J’amènerais MJ et Parker avec moi, ça occupera les gamins un peu. Assez pour les fatiguer en tout cas. » Un petit rire lui échappe. Avoir deux enfants c’est autant épuisant pour les parents que pour les gosses. C’est ce qui permet à Iain d’être sûr que les siens seront fatigués une fois la nuit tombée et qu’il n’aura pas à lutter pour les coucher. Parce que ça avait été le cas avant la naissance de Parker. Alors en épuiser quatre, il doute que ça soit une mauvaise idée. Surtout pour Reed. « Ça se passe comment avec Duncan ? » Demande-t-il en buvant à nouveau un peu de café. Quitte à prendre des nouvelles, autant le faire correctement. Puis il aime bien ce gamin et sait que, comme Connor, ça n’a pas été facile pour lui dernièrement.

Ça aurait pu les déchirer la rupture entre Reed et Meghan. Chacun aurait pu prendre le parti de l’autre tout simplement par loyauté envers un membre de la famille. Il n’y a pas de doute quant au fait que Iain sera toujours là pour sa petite sœur – la famille d’abord – mais Reed il l’apprécie beaucoup trop pour le laisser tomber. Sans compter que ce n’est pas dans son caractère de tourner le dos à une personne. Et, en un sens, ce n’est pas plus mal. Ça évite aux deux lieutenants d’avoir une raison de plus pour casser leur amitié fragile qui a déjà connu des hauts et des bas. Pourtant, ils se respectent tous les deux. Ils le font énormément mais ils ont tellement souvent eu des raisons d’être en désaccord que l’Écossais reste souvent méfiant. Il sait que c’est aussi le cas de Connor. « Ça existe ça des soirées sans pleurs et sans cris ? J’avais presque oublié. » Il dit dans un léger rire. Depuis la naissance de sa fille puis celle de son fils, autant dire qu’il n’a jamais vraiment eu une minute pour lui. Certainement pas avec une femme qui préférait s’occuper de sa carrière plutôt que de leurs enfants. Iain a joué les deux rôles, le fait encore maintenant. Il a fini par s’y faire mais ses soirées se ressemblent toutes et le calme n’est jamais présent. C’est vrai qu’il ne peut pas refuser une telle idée, ça le changera aussi de ces soirées qu’il passe généralement au lit avec une femme différente à chaque fois. Mais pour le moment, ce qui le préoccupe le plus c’est Connor. Connor et Duncan. Il sait que le lieutenant n’aime pas tellement parler de lui, qu’il est du genre un peu introverti, alors il passe par un autre chemin ce qui l’amène plus ou moins à la même chose. « Tu peux le lui dire. » Il affirme en s’enfonçant contre le dossier de sa chaise. « Ça prendra du temps, perdre quelqu’un ce n’est jamais simple, mais ça finira par aller mieux. » Il assure, confiant. Peu importe de quelle manière le proche est perdu, la sensation reste la même, la douleur surtout. À sa façon, Iain a perdu son père. Certes ce dernier est encore vivant, mais il y a des années que les deux hommes n’ont plus parlé et la dernière chose dite par son père était qu’il n’avait plus de fils. Réussir à accepter le rejet d’un parent c’est aussi difficile que faire deuil mais il sait que Duncan finira par s’en remettre. « T’as essayé de l’inscrire dans un sport comme la boxe ? Je connais une salle qui pourrait l’aider. Le proprio à l’habitude des gamins qui ont de la rage à faire sortir, je peux te passer le numéro si tu veux te renseigner un peu. Ça pourrait vous aider tous les deux. » À entendre par-là que de cette façon Duncan pourra faire sortir sa colère et que Connor, lui, pourra souffler un peu.

Il manque de pâlir en entendant les paroles de Connor, mais doit admettre l’avoir lui-même pensé plus d’une fois. Adolescent, Iain n’était pas infecte. En réalité, il voulait tellement plaire à son père qu’il disait amen à chacune de ses paroles. A cette époque, il avait oublié ce que lui désirait réellement. Il s’était laissé bouffer par l’image que son père voulait qu’il représente. Il en va de même pour ses sœurs. Néanmoins, il a connu quelques personnes difficiles. Dunvegan étant un petit village, les ragots tournaient assez rapidement. Il n’était pas dur d’apprendre qu’un tel avait ceci, un autre cela. Des conneries, il n’y en avait peut-être pas tellement à faire, mais tout de même. Iain, lui, avait tout de même eu des passages où il n’en faisait qu’à sa tête. Il avait inquiété sa mère mais était toujours rentré dans le droit chemin. C’est ce qu’il espère avec ses enfants, conscient qu’il ne sera peut-être pas à même de gérer leur crise d’adolescence tout seul. Seul inconvénient quant au fait de refuser de se poser à nouveau. Ça, il le chasse de son esprit et préfère se concentrer sur un gamin déjà en crise : Duncan. Etant donné ce par quoi l’enfant est passé, il trouve assez normal qu’il soit sans arrêt en colère et ne l’en blâme pas. Cela dit, ça ne doit pas être simple pour Connor, seul pour gérer ça. Ou presque. Cette caserne, c’est également sa famille et Iain tient à lui rappeler qu’ils sont tous là pour eux deux. Pour lui. « C’était une mère. » Dit-il comme si ça suffisait à expliquer pourquoi Hannah s’en sortait si bien avec son fils. La sienne est pareil. Elle sait gérer son fils et ses filles. Elle sait être assez ferme lorsqu’il le faut et douce dans les autres moments. Iain, il admire sincèrement pour ça. « Je pense, oui. Il sera peut-être réticent au départ et va peut-être s’énerver, mais c’est le but. » Garder autant de rage en soit, ce n’est jamais bon. Encore moins pour un gamin. La question suivante pique la curiosité du blond. Ses iris partant en direction du visage de Connor, ses sourcils se froncent lorsqu’il reprend. « Je n’en ai pas. » Admet-il dans un soupire. « Je n’ai rien géré du tout. C’était une catastrophe. J’avais une gamine de trois ans et un gamin d’un an à gérer tout seul. Je me noyais, je perdais pied et je n’avais personne pour m’aider. J’ai simplement décidé de fuir. Un jour j’ai pris mes gosses avec moi et je suis parti. J’ai été en Europe, j’ai vu du monde, des paysages et j’ai tissé un lien avec eux. Petit à petit, j’ai retrouvé mon courage et les choses sont rentrées dans l’ordre. » Tout laisser en plan pour tenter de se retrouver. C’est ce qu’il a fait, ce qui l’a sauvé aussi. « Y a encore des jours où j’ai l’impression de pas m’en sortir mais … » Il s’arrête, se redresse sur sa chaise, regard planté dans celui de son collègue. « Ces gamins, ils en valent le coup. Ils méritent qu’on se batte pour eux même quand on a l’impression d’être à bout. » Un enfant ça ne demande que ça : être assez aimé pour que personne ne le laisse tomber dans les pires moments.