We are young |#| Ciela&Gabriel

L’avantage d’avoir fini les études, c’est qu’on me lâche la grappe en fin de journée. Le problème, c’est quand on me fait bosser la nuit. Du coup, bah je vous cache pas que ça me fait bien plaisir de pas devoir bosser aujourd’hui soir, surtout que j’ai prévu de voir Ciela ! Je finis ma journée tranquillement, je rentre me changer tout aussi tranquillement, sans vraiment me faire chier ; pour vous dire la vérité, je prends même le temps de donner à bouffer à Tequila et de l’emmener faire pipi (allez savoir pourquoi, depuis qu’on est rentrés du Japon, ce crétin de corgi a besoin de sortir toutes les trois minutes et demi), avant de repartir à l’aventure, direction le Harlem Nights ! Quoi de mieux qu’une petite soirée tranquille, avec de la musique, autour d’un bon verre ? Je suis plus que ravi à cette idée. Ça me permet de me changer les idées, après avoir subi la pression toute la journée. J’veux dire, imaginez un peu ce crétin de chef qui croit qu’il a tous les pouvoirs et qui vous engueule parce que vos frites sont pas cuites assez vite ? Je l’emmerde, le gros Peterson. Puis j’espère qu’il va chopper le diabète, tant qu’on y est. J’suis nouveau, je fais à mon rythme, je peux pas être parfait dans tout, non plus, du moins pas au début !

Quand j’entre dans le bar, je cherche une place pas trop loin de la scène (parce que ouais, si j’veux écouter ce qui s’y joue, faut que je sois pas trop loin) et j’envoie un message à Ciela pour savoir où elle traine après avoir enlevé ma veste. Si ça se trouve, elle est déjà là, et je l’ai même pas vue.

Spoiler:

J’aime bien ce petit bar. Je me désignerai pas comme un habitué, parce que j’en suis clairement pas un, mais c’est pas la première fois que j’y viens et je vous avoue que j’aime bien l’ambiance, la plupart du temps. Je veux dire, ouais, parfois y a un con ou l’autre qui fait son intéressant et qui cherche la merde aux autres clients, mais je crois que ça arrive un peu partout, non ? Jusqu’à maintenant, on m’a pas cherché d’emmerdes, même si je suis pas le mec le plus baraqué de la région. C’est peut-être pour ça que les gens me lâchent, en général.

Bref, je suis pas venu là pour me poser des questions existentielles, je suis venu pour voir Ciela et me détendre en écoutant un peu de bonne musique. Ne plus penser à Anastasia, à Liam, à tous les gens que j'ai laissé au Japon. Je veux dire, forcément, je vais penser à eux parfois. Souvent. Je rentre à l'appartement, y a juste le coloc et le chien... Forcément ça fait vide. Ça change de quand je vivais avec ma meuf, avec mon fils... mais faut pas que je pense à ça. Plus maintenant que je recommence à zéro. De toute façon, c'est pas comme si j'avais beaucoup de chances de le revoir, mon gamin.

Quand Ciela débarque, je lui adresse un large sourire. « T'en fais pas, j'viens d'arriver. » De toute façon, c'est pas comme si un peu de retard m'avait déjà tué. Ça me fait du bien de retrouver un peu de calme, après les exigences que les gars avaient au Japon. J'veux dire, ils déconnaient pas avec les disciplines ces mecs. Puis mon père non plus, il déconnait pas avec ça. Mais au moins, mon père, je pouvais lui répondre, il m'en voulait jamais longtemps. « Oh, rien de spécial, le gros Peterson a encore cru qu'on était des sous-merdes qu'il pouvait insulter comme il le voulait. » Je hausse les épaules.  Ouais, j'ai le droit d'être en colère. « Et toi, ça va ? C'est rare que t'arrive en retard. » Du moins, je crois que c'est la première fois avec moi.

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Je pense pas être un mec chiant. Je veux dire, je vais pas commencer à râler parce qu’elle est en retard de quelques minutes. Quoique, peut-être que si, si je dois attendre sous la pluie ou avec des personnes qui puent la transpiration, là sans doute que je trouverai quelque chose à dire au fait qu’elle me fait attendre. Mais ici, c’est pas le cas : je suis pépère, dans un bar, à attendre qu’elle se ramène, et je peux pas vraiment m’en plaindre, surtout après la journée de merde que j’ai eue au travail. Du coup ouais, je suis d’une humeur radieuse, là, tout de suite ! Je pourrais pas mieux tomber, à part si la musique qu’ils jouent ce soir est cool aussi. « Faut jamais avoir peur avec moi, tu devrais le savoir. » Je décoche un clin d’œil avant de reposer les yeux à l’endroit où les musiciens du soir s’agitent, toujours aussi curieux de découvrir leur identité. « Baaah, j’fais de mon mieux. » réponds-je à sa question, avant de ricaner. « Mais je t’avoue que parfois je lui décoche des petits fuck quand il a le dos tourné, ça me détend. » Ouais, je dois vous l’avouer, et je m’en fous si mes collègues arrêtent pas de me répéter qu’un jour ça me fera virer : il a trop besoin de moi pour me renvoyer, ce fils de chienne. « Je vois… » Je glisse une main dans mes cheveux avant de rapidement vérifier mon téléphone. C’est à ce moment que j’suis censé demander ce qui ne va pas, hein ? Putain, j’suis pas bon pour réconforter les gens. « Tu veux en parler ? » Et je prie pour qu’elle me dise non. Parfois, elle me fait un peu penser à Heaven. Sans doute parce qu’elle est blonde, et qu’elle a pendant longtemps été l’amie que je retrouvais après le boulot, quand j’avais envie de discuter un peu. « Tin, je t’ai pas dit : Tequila a bouffé les chaussures de travail de mon coloc ce matin. Il était tellement vénère. » Pourquoi je raconte ça en riant ? Parce que mon corgi est l’animal le plus drôle du monde, meilleur que les memes d’internet, et qu’il a bien compris que mon coloc avait besoin de changer de chaussures. « Après remarque, il était temps qu’il change, donc c’est pas plus mal ! » Je ris encore un peu, avant de me redresser. « T’sais déjà ce que tu bois ? »

Elle est chou, Ciela. « Les gens peuvent me regarder comme ils veulent, je m’en contrefous. » Laissez-moi vous dire que jurer comme un camionneur, ça m’avait manqué, au Japon. Forcément, le japonais, c’était pas une de mes langues natales, alors j’avais pas autant de vocabulaire fleuri. Malheureusement, parce que j’aurais parfois bien aimé leur foutre des claques, à ces enfoirés. À toujours me prendre pour le dernier des cons, là. Tss. « Au pire, c’est leur problème. » ajouté-je en haussant les épaules, un rire franc fuyant entre mes lèvres, avant que je n’écoute la proposition de Ciela. Adorable, encore une fois. Elle me rappelle vraiment Heaven, parfois. C’est ce même caractère. Cette volonté de défendre les gens. Du moins, c’est l’impression qu’elle me donne, à chaque fois qu’elle me parle comme ça. Ana était un peu comme ça, elle aussi. Cela m’arracherait presque un soupir. Mais non, j’ai pas envie d’y penser. Pas maintenant que j’ai finalement réussi à sortir de cette humeur de merde que j’aie eue pendant des semaines. J’veux dire, imaginez-vous un peu à ma place ? Je pouvais plus voir mon fils ! Certes… certes… C’est parce que je l’ai mis un peu trop sur Youtube, dans mes vidéos, mais quand même ! Il était tellement mignon… Ils me manquent tous les deux. Mais je ne veux pas déprimer à nouveau. « Hm… J’dirais une quinzaine ? L’est pas si vieux, ce con. » C’est dommage, d’ailleurs. Avec un peu de chance, il choppera le diabète et il devra arrêter avant. Ça lui apprendra à nous gueuler dessus comme sur des chiens. Ah. « Ça me va ! » Décompresser avec les potes, y a rien de mieux pour oublier une bonne vieille journée de merde. Ça me rappelle ce petit con de Tsubasa. Il était sympa, mais qu’est-ce qu’il était relou, parfois. Et Ji Hoon. Putain, je serais presque nostalgique du Japon et des gens que je connaissais là-bas. Maiko me manque aussi. Faut que j’arrête d’y penser, bordel. « Bah écoute, faut croire ? Ce chien est impossible, j’te jure. Il bouffe n’importe quoi. » Souvent des choses qui ne m’appartiennent pas, je dois dire. Si ça tombe, il me protège de mon colocataire. Ce petit con. « Un cadeau ? Il le mérite pas. » Pas du tout, même. C’est qu’un petit con, comme je le disais. « Hm… Pas sûr que je veuille te laisser boire mon chien. » Cette blague nulle. Je ris un peu avant de commander nos boissons. Parce qu’on est là pour s’amuser, bordel. Pas pour pleurer sur nos sorts respectifs, pas vrai ? « Sinon, à part ça ? Quoi de neuf ? » Elle a peut-être une vie plus palpitante que la mienne ? Ça serait pas plus mal, remarquez.

J’ai toujours aimé être au cœur de l’attention. Avoir les gens qui me regardent. C’est pour ça que j’ai voulu devenir idole, au départ. Sauf que le public japonais était pas prêt à m’accueillir et que les agences coréennes m’auraient jamais accepté. Soi-disant que j’ai pas ce qu’il faut. Tss. C’est déplorable, laissez-moi vous le dire. Du coup j’me retrouve avec le gros Peterson, et ça me gave de ouf. « Ouais, pas faux. Avec un peu de chance il abandonnera plus vite. » Et je souris. J’suis prêt à lui casser les couilles jusqu’à ce qu’il abandonne, s’il faut. Bon, il me virera sûrement avant, mais il perdrait un employé incroyablement talentueux, alors ! Il devrait réfléchir, parfois. « Hm… Aller bouffer ? J’aurais bien envie de manger un truc. » Doit y avoir de quoi faire dans le coin, non ? « Fin sauf si t’as déjà mangé toi. » J’en sais rien, je vous avoue. J’suis pas réglé sur l’emploi du temps des autres, parce que je m’en fous la plupart du temps.

Quand elle parle de mon chien, je l’imagine. Tequila ? Tequila bouffer un cambrioleur ? « Y a plus de chances qu’il fasse la fête au mec que l’attaquer, en vrai. C’est une vraie loque ce chien. » J’vois pas où les gens ont vu que la psychologie d’un animal ressemble à celle du maître, mais ils devraient avoir honte de dire des choses pareilles. Sérieux, payés à raconter des couilles.

Et j’attends qu’elle me réponde, assez surpris qu’elle ne le fasse pas. Elle a peut-être juste rien à raconter, ça arrive aussi. Mais ça me peine un peu. « Mes parents doivent venir sur New York, la semaine prochaine. T’sais pas où je pourrais les héberger ? » Parce que j’avoue, j’connais pas trop les hôtels du coin, ce qu’ils valent. Elle s’y connait peut-être mieux que moi ?