people help the people / milessa

Les fermetures, elle déteste ça. Pourtant, elle ne se plaint jamais, accepte toujours lorsqu’on lui demande de pousser un peu plus. Là, elle l’a encore fait parce qu’elle ne sait pas dire non. Elle va le regretter, surtout lorsque son réveil va sonner dans quelques heures pour qu’elle aille à l’université, mais une fois qu’elle a accepté il lui a été impossible de revenir en arrière. Seule consolation : les heures supplémentaires qui lui apporteront une entrée d’argent un peu plus importante, ce qui n’est vraiment pas négligeable dans sa situation. Dernier client servit, elle débarrasse la table et s’apprête à fermer lorsqu’apparaît Miles. Tout d’abord surprise, elle lui ouvre en frissonnant lorsque le froid s’engouffre dans la pizzeria. « Il t’a séquestré le dernier client ? Je pensais que t’avais déjà fini. » Demande-t-elle en fermant derrière lui avant de tourner la clé qui permet au rideau de fer de tomber. Là, au moins elle n’oubliera pas et ça évitera au restaurant d’être vandalisée Non pas qu’elle soit tête en l’air mais puisqu’elle gère la fermeture toute seule, un oubli est vite arrivé. Hormis que là, eh bien elle compte bien mettre le brun au travail et l’entraîne déjà avec elle dans les cuisines. « J’ai quasiment terminé alors tu vas pas râler et tu vas m’aider. Josie est malade, je dois tout gérer toute seule. Je fais les comptes et toi … tu peux t’occuper de la salle ? » Large sourire aux lèvres, Tessa lui lance également ce regard qui, elle l’espère, l’obligera à accepter, mais dans le doute elle ajoute : « Je te le revaudrai ! J’ai un cours super tôt demain et j’ai pas envie de rentrer à trois heures chez moi. » Et pour l’apitoyer plus encore, elle lui offre un regard tout triste en faisant la moue. Si avec ça Miles n’accepte pas de l’aider à fermer, elle ne sait pas ce qu’elle pourra faire de plus. Par le passé ça suffisait à le faire craquer mais pour une autre raison, elle doit juste espérer que ça fonctionne pour ça aussi. Sans compter que ranger les chaises sur les tables ça n’est pas trop compliqué. Elle a déjà fait tout le reste, mais ça l’arrangerait grandement. Alors elle continue de le regarder tristement en espérant qu’il la prenne en pitié.

Le client a toujours raison. Miles déteste cette phrase. Il a beau être livreur depuis des années, il déteste toujours cette phrase et ce qu’elle implique. A cause du mauvais temps, il était arrivé pile à temps pour sa dernière livraison mais parce que le client avait mis quelques minutes avant de lui ouvrir, il avait exigé de ne payer que la moitié du prix, comme le lui permet le règlement. Miles n’avait eu d’autre choix que d’accepter, non sans l’insulter dans sa barbe une fois la porte refermée. Maintenant, il va pouvoir rentrer chez lui, et aller se coucher. Parfait. Après plusieurs courses à vélo sous la pluie - même s’il est bien équipé, il imagine déjà la bonne douche chaude qu’il prendra en rentrant. Revenu à son vélo laissé dans le hall d’entrée, il réalise qu’il a emporté avec lui un carnet de commandes de la pizzeria. Merde, il va devoir le ramener. Ça pourrait attendre le lendemain mais demain, il a prévu de ne pas bouger avant minimum midi, donc autant faire ça ce soir. Son vélo l’emmène à travers le trafic toujours dense à cette heure-ci, et il ne tarde pas à arriver à la pizzeria. Les lumières déjà baissées, il se demande s’il n’est pas trop tard mais heureusement, Tessa lui ouvre la porte juste à temps. Vélo rentré dans le sas d’entrée, il se débarrasse aussi de son manteau. « Il était juste con, pas mon genre. » Il est si tard que ça ? Miles ne s’en était pas rendu compte. Il sort le carnet et le pose sur le comptoir, ne comptant pas s’éterniser. Sauf que Tessa a le temps de lui donner quelques ordres, tout en le suppliant. Ça lui ressemble bien. « T’as de la chance d’avoir de beaux yeux. » Pas besoin d’un regard de chien battu, Miles trouve toujours ses yeux magnifiques. N’importe qui pourrait s’y noyer. Ou un autre truc de poète du genre. « J’te donne mes recettes de la soirée maintenant alors, ça sera fait. » Pochette sortie, il étale les billets et chèques, avant de se diriger vers le reste du restaurant. En effet, il ne leur reste plus grand-chose à faire, il peut bien faire un effort. « Tu ne veux pas mettre un peu de musique ? C’est glauque sinon. » Et tout se fait toujours mieux en musique selon Miles. Il commence à monter les chaises sur les tables, tout en sifflotant. « Pas trop de clients chiants ce soir ? »

En lui ouvrant, elle a eu temps de voir le ciel gronder et la pluie s’abattre sur le bitume. Génial. Non seulement elle ferme mais en plus de ça elle va rentrer chez elle en ressemblant à un pauvre chien mouillé. Ce qui lui tarde que cette journée soit derrière elle, qu’elle soit calée sous sa couette après avoir pris une bonne douche chaude. C’est surtout ça qui la tente le plus : la douche chaude. Tessa pourrait y passer des heures si la facture d’eau ne l’effrayait pas autant. Et, dans tous les cas, si elle veut pouvoir s’y glisser il faut déjà qu’elle ferme le restaurant. L’aide de Miles, elle ne sera pas de trop même si elle le force plus qu’autre chose. « Ça pourrait presque sonner comme un compliment d’un gros lourd ça. » Le taquine-t-elle même si entendre un tel compliment fait toujours plaisir. Particulièrement venant de Miles. Ils auraient pu avoir une relation tendue après leur rupture mais à la place ils ont été assez intelligents pour permettre à leur amitié de survivre. Ça et les quelques fois où ils ont cédé avant qu’il ne se remette en couple. « Parfait, tu es parfait ! » Dit-elle, large sourire aux lèvres alors qu’elle regarde ses recettes sur le comptoir. Ça avancera ceux qui bossent le lendemain et Tessa c’est que ce n’est pas un mal. Si elle peut les aider, elle le fait avec plaisir. Déjà en train de trier les billets, elle relève la tête vers Miles déjà parti en salle. « Si tu veux. » Elle abandonne un instant les comptes et va rallumer la radio du restaurant puis retourne faire sa dernière grosse tâche de la soirée. « Hormis un client qui a trouvé malin de me mettre la main au cul, je dirais que c’était comme souvent : des gros cons. » Le pire c’est qu’elle a fini par s’y faire. Pas aux mains aux fesses, ça elle envoie toujours chier quitte à se faire tuer par son supérieur, mais les gros cons si. Elle offre un large sourire au brun avec sa réponse. De toute manière, Tessa n’est pas du genre à véritablement se plaindre, elle n’a tellement pas de temps pour ça qu’elle préfère ignorer et passer à la table suivante. Comptes terminés, elle entre les chiffres dans l’ordinateur et valide. Une bonne chose de faite. Les caisses rangées soigneusement, elle éteint l’ordinateur et retourne en salle pour aider Miles avec les dernières tables. « Et hormis le dernier, toi ça allait ? Quoi que le pire ça devait être la pluie, c’est vraiment un temps de merde. » Et comme pour confirmer ses dires un coup de tonnerre résonne brutalement au-dessus d’eux, les lumières grésillent puis plus rien. Ça en revanche, c’est pire que le reste de sa soirée. Elle ne voit plus rien. La rue n’est plus éclairée et le restaurant étant entouré de bâtiments plus hauts, il fait beaucoup trop sombre. Super.

« Tu seras gentille de ne pas dénigrer mes techniques de drague s’il te plaît. » Il lève les yeux au ciel, comme s’il allait vraiment se vexer. Il y a quand même mieux comme phrase pour draguer, il est d’accord, mais là, ce n’était pas l’objectif. Dans tous les cas, il ne l’aurait pas laissée se débrouiller toute seule, peu importe sa flemme. Ça ne se fait pas de laisser quelqu’un galérer alors qu’on pourrait aider. Simple question de politesse et de bon sens. Peut-être qu’il est galant aussi, juste un peu. « Ne le crie pas trop fort, tu risquerais d’attirer mes admiratrices. » Même si ça fait toujours plaisir à entendre. Ses recettes du soir ne sont pas très grosses, mais c’est toujours ça qui est fait d’avance pour le lendemain. Musique allumée, il chantonne et danse un peu en mettant les chaises sur les tables. Un travail pas trop compliqué, mais un peu répétitif. Heureusement qu’il ne doit pas faire la fermeture d’habitude. Et encore, il est loin de tout faire, s’il en croit Tessa. Ce n’est pas sa faute s’il ne connaît pas la procédure, ça ne fait pas partie de ses tâches de livreur. Il lève les yeux au ciel en entendant parler de la soirée de Tessa. Comment les hommes peuvent-ils toujours être aussi cons ? « Un service habituel en fait. » Dommage qu’il y ait tant de clients qui sont chiants. C’est vraiment le point noir de ce métier. En livraison, Miles y est un peu moins confronté, heureusement. « Tu l’as giflé j’espère ? Dis-moi que quelqu’un a filmé ça et que tu vas devenir célèbre sur internet. » Il connaît assez Tessa pour savoir qu’elle ne s’est pas laissée faire, a dû l’envoyer sur les roses au moins, et elle aura eu raison de le faire. Être chiant est une chose, faire de tels gestes est entièrement différent. Le pire, c’est que la plupart pensent être des Appolon qui dégagent un certain érotisme. Selon Miles, un homme doit avant tout respecter les femmes pour être attirant. Et là, pas besoin de main aux fesses ou de philtre d’amour. Il accélère un peu quand il voit qu’elle le rejoint, se disant qu’il a pris du retard à force de roucouler et de danser. Mais elle continue de discuter, c’est que ça ne doit pas trop la déranger. Tant mieux, ça fait un moment qu’ils n’ont pas passé de temps juste tous les deux. Avant même qu’il ait pu lui répondre pour se plaindre un peu plus, un coup de tonnerre retentit et presqu’aussitôt, les lumières s’éteignent dans le restaurant. « Merde ! » Il garde la main sur le pied de la chaise qu’il vient de monter et sort son téléphone de l’autre. Flash activé, il le dirige vers Tessa, l’éblouissant un peu au passage. « Tu sais où sont les fusibles toi ? » Lui n’a jamais eu besoin de le savoir, mais il espère qu’elle, elle sait. Enfin même s’ils trouvent le compteur, il n’est pas sûr que ça fonctionne. « Temps de merde, tu l‘as dit. Comme si la neige et le froid ne suffisaient pas. »

« Je n’ai peut-être pas envie d’être gentille. » Ses épaules se haussent, à croire qu’elle pense réellement ce qu’elle dit mais son sourire réapparait sur ses lèvres, tout comme un air taquin se met à briller dans son regard. « Tu ne vas pas me faire croire que ça fonctionne réellement ? » Elle serait surprise de l’entendre dire que si, mais après tout … pourquoi pas ? Il y a des filles qui aiment entendre ça, qui sont prêtes à accepter n’importe quel compliment du moment qu’il vient d’un homme séduisant. Vraiment, Tessa peut comprendre, ce n’est pas son genre c’est tout. A moins que ça ne soit dû au fait qu’elle se tape des gros lourds sur son lieu de travail et que, forcément, elle ne croit plus tellement au romantisme. Ou elle a tout simplement envie d’emmerder Miles ce qui est tout à fait possible. « Ça ne devrait pas plutôt te faire plaisir que des filles viennent baver à tes pieds ? C’est assez gratifiant généralement. » Enfin, lorsqu’on aime les hystériques. Elle sait que ce n’est pas le cas de Miles. Aux dernières nouvelles, ça n’était pas son cas en tout cas et elle ne pense pas avoir passé assez de jours loin de lui pour ne plus le connaître du tout. Concentrée sur ses comptes, elle griffonne dans le livret qui sert avant tout à assurer un back-up au cas où l’informatique planterait. « J’aurais aimé, mais je tiens à ma place ici. » Ce n’est pas le travail le plus formidable qui soit mais ça lui donne l’argent dont elle a besoin pour son loyer et toutes ces petites choses de la vie que sa bourse ne peut pas payer. De toute manière, le gros de son argent part dans ses études. Comptes terminés, elle retourne en salle aider Miles à finir quand l’électricité décide de se couper. Comme ça, sans crier gare. « Les fusibles ? » Répète-t-elle, son cerveau tournant déjà à cent à l’heure pour tenter de savoir où ils pourraient être. « Ils sont à l’arrière je crois. Je ne peux rien te garantir … j’y ai jamais touché. » Si elle doit être franche, elle ne sait même pas comment ça fonctionne, elle est tellement douée qu’elle pourrait bien empirer la situation. Miles étant le seul à avoir son portable sur lui, elle pose un regard suppliant dans sa direction. « Tu ne veux pas m’accompagner ? Je n’y verrais rien … » Et elle est mortifiée à l’idée de se balader dans le noir à l’arrière avec l’impression d’être dans une pièce close dont elle ne peut plus sortir. Cette pensée éveille déjà la panique en elle qui lui noue l’estomac et la fait respirer un peu moins calmement.

« Bien sûr que ça fonctionne. Toi, tu dois être immunisée aux compliments, c’est tout. » Sur ses yeux, elle doit en entendre souvent pourtant. D’un bleu profond, ils font forcément leur effet. Miles, c’était une des premières choses qui l’avait fait craquer chez elle. Mais là, ce n’est pas pour ses yeux mais bien parce qu’elle est son amie qu’il accepte de l’aider malgré son envie de rejoindre son lit au plus vite. « Mouais, pas ce soir... » Il n’est pas d’humeur. Et quand elles sont trop hystériques, ça l’énerve plus qu’autre chose. Enfin il ne va pas s’en plaindre, parce que ça pourrait être bien pire, surtout s’il était une femme. Il connaît sa chance d’être né du côté masculin, et il défendra toujours celles qu’il voit plutôt comme le sexe fort. Ou tout du moins, le sexe qui doit supporter le plus de conneries au quotidien. Elle n’a pas frappé ce client, dommage, il l’aurait mérité pourtant. « Tu sais que je défendrais ton job si jamais ça arrivait, hein ? » Tout comme il serait probablement aller toucher deux mots à ce client qui se croit tout permis, s’il avait été témoin de la scène. Et il aime à croire qu’il le ferait pour n’importe quelle collègue, ou n’importe quelle femme tout court. Parce que ce n’est pas normal que ce genre de choses arrive encore dans leur monde moderne. Leur conversation se trouve interrompue par une panne d’électricité, et l’obligation de trouver une solution. Cela risque d’être gênant pour ceux qui ouvrent demain sinon. Et de toute façon, ça sera mieux pour eux pour terminer ce qu’ils doivent faire avant de pouvoir rentrer chez eux. Au moins, elle sait où sont les fusibles, et Miles finit de poser la chaise qu’il avait dans les mains avant d’y aller. Il ne sait pas s’il réussira à rallumer la lumière, mais il peut au moins essayer. « Tu crois vraiment que j’allais te laisser y aller toute seule ? » Il lève les yeux au ciel, trouvant cette idée invraisemblable. Elle n’a même pas de lumière, qu’est-ce qu’elle pourrait faire ? « Vas-y, je te suis. Comme ça, si jamais il y a un zombie, tu me serviras de bouclier humain. » Il lève les mains innocemment avant de la suivre, éclairant le passage devant eux. Ils ne tardent pas à arriver devant le panneau électrique. Aucun fusible n’est baissé, ce qui n’est pas logique. Miles n’y connaît pas grand-chose, juste le minimum quand il devait remettre le courant chez ses parents parce que les plombs avaient sauté. Il baisse puis remonte le fusible général, sans que ça ne change rien. Il essaye rapidement les autres, sans rencontrer plus de succès. Il se retourne vers Tessa en se mordant la lèvre. « La panne ne doit pas être qu’ici. Je sais même pas si c’est la peine d’appeler Jacob. » Leur patron ne pourra pas faire grand-chose de plus, et surtout, il doit déjà être couché. « Je propose qu’on finisse ce qu’on peut et qu’on lui envoie un message avant de partir ? »

Elle lui tire la langue, oui, oui. En adulte qu’elle est, elle ne trouve rien à lui répliquer alors elle préfère lui tirer la langue lorsqu’il dit qu’elle est immunisée aux compliments. C’est totalement faux, elle a même tendance à rougir comme une idiote lorsqu’elle en reçoit un. Mais les compliments sur ses yeux c’est monnaie courante si bien qu’à force ça ne lui fait quasiment plus rien. Elle réagit encore par moment, mais ça reste rare. Tessa n’insiste pas sur le sujet, continue sa conversation avec Miles qui mène jusqu’aux gros lourds qu’elle doit parfois supporter le soir. Et son sourire étire délicatement ses lèvres alors qu’il lui dit qu’il la défendra si jamais elle décide de se défendre au risque de perdre sa place. « Je sais, c’est pour ça que tu es un ami si parfait. » Lance-t-elle en entourant ses épaules d’un bras avant que tout ne s’éteigne. Le noir ce n’est pas un souci pour Tessa, pas si elle sait qu’elle peut sortir, qu’elle n’est pas coincée dans l’endroit même où elle ne voit rien. En revanche, si elle n’est pas certaine de pouvoir retrouver l’air libre et sa liberté, sa réaction n’est pas du tout la même. Une chance que Miles soit là, ses symptômes ne devraient pas faire leur apparition trop vite. « Bah on sait jamais ! Justement, imagine qu’il y ait des zombies, hein ! Mais j’apprécie de savoir que tu préfères que je me fasse mordre, je retiens. » En cas d’apocalypse, ne pas la vivre avec lui, elle n’aura aucune garantie de survivre. Ça ne devrait pas avoir lieu ce soir. Ce n’est qu’une coupure à cause du temps de chien à l’extérieur, il n’y a rien à craindre à part se cogner mais puisque Miles leur éclaire le chemin, tout va bien. Une fois devant le panneau électrique, elle le laisse essayer de faire repartir le courant. Rien. Elle, elle commence à taper nerveusement du pied en regardant autour d’elle. Sauf qu’elle ne voit rien. Il y a bien Miles devant elle, mais autour c’est l’obscurité totale et elle frissonne de peur. « Miles … » Dit-elle d’une voix blanche. Probablement aussi blanche que doit être son visage pour le peu qu’il puisse le voir. « La porte pour sortir … elle s’ouvre uniquement avec le courant. C’est une sécurité … » Du moins, de l’intérieur elle s’ouvre en appuyant sur un interrupteur. De l’extérieur, il faut une clé et puisqu’elle a baissé le rideau de fer après son arrivée et que ce dernier fonctionne à l’électricité, ils sont coincés. Ses mains commencent à trembler, son cœur à s’emballer. Ça y est, la crise d’angoisse arrive.

« T’es peut-être immunisée aux compliments, mais tu sais en faire en tout cas. » Et il va finir par croire que c’est sa fête ce soir. Ce n’est pas forcément le genre de Tessa de le complimenter, est-ce parce qu’il a accepté de l’aider alors que rien ne l’y obligeait ? Elle devrait pourtant savoir, depuis le temps, que jamais il n’aurait refusé de la dépanner, pour quoi que ce soit. Miles ne laisse jamais personne dans la galère, même si parfois, il râle pour le principe. Sauf qu’une fois que les lumières s’éteignent, ce n’est pas par principe qu’il râle, mais pour de vrai. Comme si le mauvais temps ne suffisait pas, alors qu’il a été sous la pluie toute la soirée. La première étape, c’est de trouver le panneau électrique pour voir si ça peut être résolu facilement. Comme Tessa connaît mieux les lieux que lui, c’est lui qui la suit, parlant aussi de zombies avec humour pour détendre l’atmosphère. « Faut voir le positif. Si tu deviens un zombie avant moi, tu pourras me croquer pour voir si je suis aussi bon que j’en ai l’air. » Partir dans des histoires abracadabrantes, c’est tout à fait le genre de Miles. De quoi se rassurer un peu aussi car, malgré la lumière donnée par son téléphone, l’ambiance est un peu lugubre. Parfait décor pour un film de zombie en tout cas. Peut-être qu’il devrait envisager d’écrire là-dessus. Enfin pour l’instant, la priorité est mise sur les fusibles, qu’il ne réussit malheureusement pas à faire repartir. La panne doit concerner l’immeuble entier, ou peut-être même le bloc. Miles ne se laisse pas dépiter pour autant. S’ils ne peuvent rien pour résoudre le problème, tant pis. Ils n’ont qu’à partir en informant ceux qui ouvrent demain du problème. Sauf que, d’une voix paniquée, Tessa lui fait part d’une information qu’il ignorait. Tourné vers elle, le flash de son téléphone éclaire la brune et il voit bien qu’elle panique. Sans y réfléchir une seconde, il prend sa main dans la sienne et essaye de capter son regard qui semble perdu. « Hey. Hey. Tessa. » Il ne sait même pas ce qu’il va lui dire, quelle solution il peut trouver mais il va essayer. Au moins, elle n’est pas seule. « Ça va aller. Les zombies n’aiment pas les pizzas je crois. » Encore une tentative d’humour, mais elle y semble moins réceptive cette fois. « On va appeler Jacob, et tous ceux qui ont les clés. Tout le monde ne peut pas dormir quand même. » Dans le pire des cas, ils seront peut-être amenés à passer la nuit ici, mais ça ne serait rien de dramatique. « Ton téléphone est à côté ? On y retourne ? » Cette fois, c’est lui qui passe devant, sa main toujours dans celle de Tessa.

« Je me contente peut-être seulement de te brosser dans le sens du poil pour être sûre que t’accepte encore de m’aider à l’avenir. » Ça ne lui viendrait pas à l’esprit de manipuler quelqu’un de la sorte, mais elle peut bien prétendre le contraire un instant. Les seuls moments où elle manipule c’est lorsqu’elle doit faire plier quelqu’un dans son travail officieux pour obtenir le meilleur contrat qui soit et encore, elle le fait toujours de façon intelligente. Elle est plutôt douée d’ailleurs mais sa méfiance l’aide énormément. Là, elle a simplement envie de taquiner Miles jusqu’à ce que la lumière se coupe d’un coup. Comme tout ce qui tourne à l’électricité. Pendant un instant elle pense aux congélateurs de la pizzeria qui risquent d’avoir un sérieux souci si le courant ne repart pas avant que ça soit un autre problème qui lui vienne à l’esprit. « Sans donner dans le cannibalisme, c’est pas comme si je le savais pas déjà. » Elle râle presque mais avant tout parce qu’elle sent la peur monter en elle trop rapidement tandis que son cerveau tourne trop vite. Elle ne fait même pas attention à ce que sa phrase insinue, elle est trop occupée à essayer de ne pas paniquer en comprenant que la panne ne touche pas uniquement le restaurant et qu’ils sont coincés là. Dans le noir. Elle est maudite, elle ne voit pas d’autres explications. Et sa panique, Miles finit par s’en apercevoir, prend sa main et l’éblouie un instant avec la lampe torche de son portable. « C’est pas drôle. » Grogne-t-elle d’une petite voix. Peut-être un peu, seulement elle n’arrive même pas à sourire. Elle sent surtout son cœur s’agiter un peu trop vite et l’air qui a du mal à atteindre ses poumons. Elle n’est pas loin de la crise de panique, elle reconnaît que trop les signes. « On va faire ça, oui. » Tessa agite un peu trop vivement la tête. Elle a surtout envie de retourner vers la salle de la pizzeria, là où elle pourra apercevoir l’extérieur à défaut de pouvoir s’y rendre. A moins d’exploser l’une des vitres mais elle n’est pas sûre que son patron apprécie qu’elle en soit venue à ça pour sortir, même à cause de sa claustrophobie. Sauf que sur place, elle n’arrive plus à savoir où elle a mis son téléphone et la lumière du portable de Miles ne suffit pas. Surtout, elle n’arrive pas à contrôler les tremblements de ses mains ni les larmes qui lui montent aux yeux. Pourtant, elle inspire et expire doucement comme on a appris à lui faire, mais rien à faire. « Il … il est par là. » Elle montre un endroit vers les caisses à Miles, sans cesser de trembler. « Faut … je dois m’asseoir. » Et elle se jette surtout sur l’une des banquettes près des fenêtres. Son front collé à la vitre, elle fait un effort pour garder les yeux ouverts, regardant les voitures qui passent dans la rue plongée dans le noir. Elle doit sortir de là. Elle doit vraiment sortir de là.

Dans ce genre de situation, il est aisé de s’imaginer des scénarios post-apocalyptiques. Miles le fait pour s’amuser, parlant de zombies qui pourraient surgir dans le noir et contre lesquels Tessa pourrait le protéger, ou servir de bouclier humain le cas échéant. En plaisanter, c’est facile, mais il est content qu’il fasse entièrement nuit quand elle dit déjà savoir quel goût il a. Etonné qu’elle dise ça, il déglutit silencieusement et choisit de ne rien répondre, continuant leur chemin vers le panneau électrique. Faisait-elle référence à quelque chose de sexuel ? Et si non, à quoi d’autre ? Non, il ne voit pas. Pourtant, ça l’étonne et une autre solution, même s’il ignore laquelle, lui paraît plus logique. Ils n’ont plus partagé le même lit depuis longtemps, très longtemps. Tellement qu’ils n’en parlent plus. Pour certaines personnes, c’est un secret. Rapidement, il s’avère que les fusibles ne leur serviront à rien ce soir, et Tessa semble paniquer quand elle réalise qu’ils n’ont pas de sortie sans électricité. Miles essaye de la rassurer tant bien que mal, avec un peu d’humour, mais surtout en essayant de trouver une solution. Il ne tient pas particulièrement à dormir ici, mais si ça devait en arriver là, ça ne serait pas le plus dramatique. Juste qu’il n’aurait pas de lit confortable. De retour dans la salle, ils ont au moins un peu de lumière venant de l’extérieur. Juste la lune en fait, une lumière qu’ils ne voient pas souvent en plein cœur de New York. Sans doute que Miles trouverait ça beau s’il était dehors. Enfermé presque dans le noir complet, c’est un peu moins plaisant. Il regarde l’endroit que lui indique Tessa pour son téléphone. Lui, il a fait le choix de ne jamais ajouter son patron à son répertoire, un peu pour faire chier son monde et parce que ce n’est pas son ami. Peut-être qu’il aurait dû le faire finalement. Il observe Tessa s’assoir sur une banquette, sans trop comprendre pourquoi elle est ainsi. « Reste là, je vais chercher ton téléphone alors. » Il pourrait se plaindre pour le principe mais là, il sent bien que ce n’est pas ce qu’elle veut. Rapidement au comptoir, il trouve l’appareil à côté de la caisse et revient vers la table où est installée Tessa avec pour seule lumière son téléphone. Il se glisse à côté d’elle sur la banquette et pose une main dans son dos, pour le tapoter doucement. « Hey… tu vas bien ? » Il parle doucement, comme si elle risquait de casser. Pourtant Tessa est une des femmes les plus fortes qu’il connaisse. Il l’a toujours pensé. « On sera bientôt dehors, tu verras. Et puis au pire, je suis là, je ne vais nulle part. Et pas seulement parce que je n’ai pas le choix. »