and if we played fair game + MEGHONEL

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Depuis votre dernière rencontre, d’autres évènements s’étaient déroulés. Certains étaient plus importants que d’autres. Et pour te vider la tête, tu avais pris le large et étais parti à Cuba avec Tommy. Là-bas, tu avais plus bu que de raison, et malgré le mal de tête du lendemain, tu es convaincu que ça en avait valu le coup. Aujourd’hui, tu sais à peu près ce que tu veux. T’estimes qu’il est temps de mettre totalement cartes sur table. Tu l’avais contacté un peu plus tôt dans la semaine, et avez convenu qu’il était bon de vous voir, rien que tous les deux. Tu avais fait une réservation dans l’un des meilleurs restaurants italiens de Manhattan. Tu connaissais bien le propriétaire à force d’y aller. Tu pensais que c’était l’endroit idéal pour vous retrouver en tête-à-tête. L’endroit est calme, et les tables isolées. Le fait de vous revoir autour de bons petits plats va permettre de briser la glace. T’en es certain. Avec une pizza devant toi, tu peux parler de tout. Arrêté devant son cabinet. Tu descends de la Jeep, et viens à entrer dans le bâtiment où travaille la jeune femme. « Meghan ? » La plupart des lumières sont éteintes, et tu attends sagement dans le hall. « C’est Leo. » Tu parles plutôt fort, de sorte qu’elle t’entende depuis l’autre bout du cabinet. Tu n’as pas sorti le grand jeu, ça doit rester une soirée simple. Ce n’est pas comme si c’était un date, non c’était une mise au clair si on veut. Et tu la vois arriver, un sourire pincé se dessine sur ton visage. T’es content de la voir, et à la fois, tu redoutes. Une fois de plus votre rencontre peut tout basculer, et remettre tout en cause. « T’es prête, j’ai réussi à garer la voiture de l’autre côté de la rue. » Tu dévisages son ventre quelques secondes, et te reprends pensant que c’est complètement impoli de regarder le ventre d’une femme enceinte. Puis tu lui ouvres la porte, prêts à rejoindre la voiture pour rouler jusqu’au restaurant. Selon waze, la route devrait être assez fluide, il faudra se garer un peu plus loin, mais vous arriverez à l’heure. T’espères seulement que Meghan voudra bien marcher deux-trois minutes dans le froid.

Une fois son dernier patient de la journée partie, Meghan avait regardé l’heure. Elle a une vingtaine de minutes avant que Leo n’arrive pour venir la chercher. Elle a bien fait de lui dire de venir ici, elle aurait à peine eu le temps de rentrer sinon. Elle éteint les lumières, après s’être assurée qu’elle était seule dans le cabinet. Le samedi, tout le monde finit plus tôt en général. Meghan, elle, préfère prendre plus de patients, parce que c’est souvent le jour où elle a le plus de rendez-vous. Fatiguée, elle va se remplir une bouteille d’eau, avant de revenir dans son bureau. Sur sa chaise, elle regarde la robe accrochée en haut du placard. Une robe courte, dans laquelle elle avait vérifié qu’elle rentrait toujours. Sa grossesse commence à peine à se voir, une légère bosse sur son ventre, mais elle a pris du poids depuis quelques semaines. Elle boit une longue gorgée, avant de finalement abandonner l’idée de se changer. Elle n’en a pas le courage, et ça n’est pas un rendez-vous galant. Elle ne sait d’ailleurs pas trop à quoi s’attendre, et ça l’effraie un peu. Tout cela est inhabituel pour elle, et dîner avec un ex qui pourrait être le père de son bébé, c’est une situation pour le moins inédite. Besoin de faire pipi, elle se relève et prend sa trousse de maquillage au passage. Ce n’est peut-être pas un rendez-vous amoureux, mais ça ne l’empêche pas d’avoir envie de ressembler à quelque chose. Au moins cacher un peu ses cernes, redonner de la couleur à ses joues, noircir un peu ses cils. Se recoiffer aussi. Après une journée de travail, elle a bien besoin de tout ça pour être présentable. Elle referme la porte des toilettes quand elle entend une voix dans le cabinet. Il est arrivé, et tout à coup, son cœur accélère. En quelques pas, elle le rejoint dans l’obscurité du cabinet, seulement illuminé par les lumières extérieures, et celle de son bureau. Elle ne sait pas comment le saluer, alors elle ne le fait pas vraiment. Remarque le regard qu’il porte sur son ventre. Son pull étant assez ample, il ne doit pas voir grand-chose. « Presque oui. Laisse-moi juste le temps de récupérer mes affaires. » Elle sourit avant de s’éclipser une minute ou deux. Porte fermée à clé, elle revient vers lui. « Tu es un peu en avance non ? » Ou peut-être qu’elle a passé trop de temps dans les toilettes, elle n’est pas sûre. Elle referme le cabinet derrière eux, et suit Leo jusqu’à sa voiture. Installée et attachée, elle esquisse un sourire. Toute cette situation est toujours gênante. « Tu vas bien ? Tu as passé une bonne journée ? » Mieux vaut engager la conversation tout de suite, plutôt que de rester dans ce silence gênant. Mais la situation est compliquée, ce n’est pas leur faute. Meghan peut juste espérer que cette soirée les aidera à changer cela.

F E V R I E R , 2 0 1 9 – C’est toujours aussi étrange entre vous. Vous ne savez pas comment vous comporter l’un avec l’autre. C’est similaire à votre dernière rencontre. Oui, non ? Qu’est-ce qu’on fait ? C’est un peu gênant, mais fort heureusement, il n’y a personne avec vous. Ça t’enlève un poids des épaules. Seules Noor et Tessa sont au courant de ce qui se passe. T’étais incapable de garder ça pour toi, et puis elles avaient tout compris depuis le début. À la longue, elles connaissent la moindre expression de ton visage. C’est flippant, t’es peut-être trop expressif comme mec, trop prévisible. Tu dois travailler là-dessus. En la voyant habillée aussi simplement que toi, t’es immédiatement rassuré. Il n’y aura pas de grand jeu ce soir, juste deux personnes qui doivent parler ensemble. On peut dire qu’il s’agit d’une soirée d’affaire. Il n’y aura pas de contrat à la fin du repas, enfin tu l’espères. T’aurais les boules qu’elle te sorte tout un tas de paperasse et qu’elle te demande de signer des closes ou je ne sais quoi d’autre. Tu la regardes à nouveau repartir pour fermer son bureau puis revenir vers toi. Il y avait longtemps que tu n’avais pas mis les pieds ici. Ça te fait tout drôle. « Après l’heure, ce n’est plus l’heure. » Tu tentes une petite vanne pour détendre l’atmosphère. « Je n’ai que trois minutes d’avance, et je ne voulais pas te faire attendre plus que ça. » T’as jamais aimé être en retard. T’es jamais en avance, toujours pile à l’heure. T’aimes bien t’en vanter généralement. Mais surtout, ça faisait déjà bien des jours que vous aviez cette conversation fatale. Il y a un temps à tout, et là c’était le moment d’en parler. À quoi bon attendre plus que ça ?
Montés dans ta voiture, tu ne te découvres pas d’un poil, et roules tranquillement. Meghan assise là avec toi. T’as l’impression de rêver. Et quand tu vois le siège auto depuis le rétro, tu dégluties. Bientôt, il risque d’en avoir un deuxième. Ta voiture va se transformer en minibus. Tu détournes les yeux, et fixe la route plongée dans le noir. « Je vais bien. C’était une journée comme une autre, je dirai. » Vrai, il n’y a pas grand-chose à dire. Elle ne change pas des autres. Tes yeux s’attardent quelques secondes sur la jolie blonde. Tu gobes ta lèvre inférieure, et passe ta langue dessus. Tu appréhendes. « Et toi, comment tu vas ? » Ta voix est douce.

Meghan ne sait pas à quoi s’attendre pour cette soirée, et c’est sans doute ce qui la fait le plus paniquer. Pour autant, elle ne veut pas le montrer, veut donner l’impression à Leo qu’elle contrôle tout et qu’elle sait ce qu’elle veut alors que ce n’est pas le cas. Elle se pose tout un tas de questions et cette situation particulière ne l’aide pas à trouver les réponses. Elle avait voulu être honnête, elle l’a été, mais ça ne simplifie pas les choses pour autant. Elle s’est beaucoup posé de questions depuis que ce dîner est prévu avec Leonel. S’il a parlé de restaurant, c’est qu’ils ont beaucoup de choses à se dire, qu’ils vont passer un long moment ensemble. Donc peut-être qu’il accepte de faire partie de la vie de ce bébé. Ou bien il veut qu’elle soit dans de bonnes conditions, le ventre plein de bonnes choses, quand il la larguera en douceur. Comment s’était-elle retrouvée dans cette situation, alors que c’était elle qui avait décidé de rompre avec lui ? Quelle idiote. Et pourtant, malgré cette décision dont elle était sûre à l’époque, elle est aussi un peu impatiente à l’idée de passer la soirée avec lui. « Oh trois minutes. Ça va alors, tu es pardonné. » Elle aurait passé ces trois minutes supplémentaires à s’interroger encore plus sur cette soirée, sur ce bébé et tout ce qui va avec. Autant qu’il soit arrivé, et qu’ils puissent se mettre en route. La perspective de ce dîner ne rend pas les choses plus faciles entre eux. A se demander s’ils vont réussir à se parler réellement. Mais l’adaptation n’est jamais facile avec un ex. Avant, la conversation venait toute seule, et quand ils dînaient ensemble, il n’y avait pas de silences gênants. Souhaitant rompre cela, Meghan engage la conversation, commençant par des choses simples. Ils auront tout le loisir de parler de choses compliquées plus tard. Elle hoche la tête, regrettant que Leo ne partage pas plus de détails de sa journée. Avant, il l’aurait fait. Et ça aurait rempli un peu le silence. « Ça va, oui. » Elle regarde le plafond de la voiture, comme si elle allait y trouver des réponses. Était-ce vraiment une bonne idée d’accepter ce dîner ? « A part que je suis fatiguée tout le temps en ce moment. Mais je devrais pouvoir tenir ce soir, j‘ai fait une sieste entre deux rendez-vous, pour m’y préparer. » Tant qu’à devoir parler, autant partager un peu trop de choses. Peut-être que ça brisera un peu la glace. « Et je crois que mes patients n’apprécient pas trop que je quitte la pièce en courant quand j’ai des nausées. Mais ça commence à se calmer, heureusement. » Après tout, enceinte de trois mois, son état régit bien souvent ses journées, et elle préfère partager ça avec Leo, plutôt que de subir le silence. Tant pis s’il prend peur.

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Tu penses que ton ex est aussi excité que toi de cette conversation que vous aurez ce soir. Enfin, si on peut appeler ça de l’excitation. C’est surtout que tu souhaites qu’elle ait lieu le plus rapidement possible. Non pas que tu en sois débarrassé, mais qu’elle se fasse et que les choses se mettent au clair. Alors tu souris, à ses paroles, les prends avec humeur. Elle te pardonne de tes trois minutes d’avance. Jamais une femme ne t’a reproché d’être en avance. C’est toujours bien vu, apprécié, ce qui détend le partenaire pour la suite du rendez-vous. Et la conversation devient à nouveau distante. C’est la proximité qui te met un frein. Voilà longtemps que tu n’avais pas été à deux accoudoirs d’elle. Ça te rappelle vos fois passées, et t’es triste à l’idée de dire que c’est du passé. Roulant tranquillement dans les rues de ville, le visage de Meghan s’illumine sous la lumière orangée des réverbères. Puis elle brise le silence. Ça te fait rire, mais t’évite de trop le montrer. Une femme qui est en pleine période de menstruation est déjà assez irritable, alors une femme enceinte, ne vaut mieux pas se l’imaginer. Mais c’est plus fort que toi, faut toujours que ça tourne à la plaisanterie. Tu te dis qu’elle ne t’a pas lâché ça pour avoir une conversation sérieuse autour de la sieste. Non, selon toi, ce n’est pas logique. « Une sieste ? Et dire que tu te moquais de miennes. Je t’avais dit, il n’y a pas plus régénérateur. » Entre deux entraînements, tu as pris l’habitude de t’endormir lors de tes séances de kiné. Il suffit que l’on vienne te masser vingt secondes et tu te sombres dans les bras de Morphée. C’est radical. « Non, plus sérieusement. Tu n’as pas pensé à réduire ton temps de travail ? » Toi-même t’en serais incapable. T’aimes tellement ce que tu fais. Tu pourrais faire des heures supplémentaires, mais le corps montre ses limites. Et à vingt-sept ans, vaut mieux se préserver. Tu rigoles lorsqu’elle parle de nausées, tu te pinces machinalement le haut du nez, comme pour dire « non mais ce n’est pas possible ». C’est une perle. Depuis que vous vous êtes séparés, enfin qu’elle ta quitté parce que soyons honnête, c’est elle qui a mis les choses au clair, vous ne vous êtes reparlé, de vive voix, qu’une seule fois. Et voilà qu’elle te balance ses épisodes de nausées. T’essayes de te ressaisir, mais c’était plus fort que tout. « Excuse-moi. J’étais loin de m’attendre à ça. » Tu souffles doucement, te réinstalles confortablement sur ton siège, et essayes de parler de ses nausées de façon normale et sérieuse. « Ça te prend si souvent que ça ? Je pensais que c’était uniquement le matin, au réveil. » Et tes informations d’où viennent-elles ? Des films ! T’as essayé de faire des recherches sur internet, mais c’était trop flippant pour toi, alors tu as commencé à regarder des films humoristiques autour de ça. Ce n’était pas très concluant. « Honnêtement, j’y connais rien en tout ça. J’ai essayé de m’informer, mais j’ai un peu dérivé dans mes recherches, et ça a fini avec What to Expect When You're Expecting. » Tu n’es pas tellement fier de ça, mais quitte à être honnête autant qu’elle sache. Et puis, c’était tellement plus amusant que ces documents.

Meghan se doutait bien que ça ne serait pas facile. Elle aurait bien voulu pourtant, qu’ils s’entendent aussi bien que quand ils étaient ensemble, qu’il puisse être là pour elle et que les choses paraissent naturelles entre eux. Sauf que c’est tout simplement impossible, et qu’elle le sait. Une rupture laisse forcément ses traces, et dans une situation aussi particulière, rien ne semble naturel. Pourtant, elle essaye, Meghan. Elle raconte peut-être trop de détails, mais au moins, il n’y a plus ce silence dans la voiture. Et peut-être que ça mettra Leonel un peu plus à l’aise. Après tout, s’ils doivent passer la soirée ensemble, autant se parler. « Oui... enfin moi, j’ai une excuse pour faire une sieste. » Elle se défend, un léger sourire aux lèvres. Certes, il fait un métier qui est très fatigant pour le corps, alors ce n’est pas étonnant qu’il ait besoin de beaucoup dormir, et aussi de manger en grandes quantités. « Oh non, je pense que ce n’est qu’une phase, le temps que mon corps s‘habitue à tout ça. Je ne compte pas réduire mes heures tout de suite. » Et puis elle s’ennuierait chez elle. Elle sera en congé bien assez tôt, pas besoin de prendre de l’avance alors qu’elle n’en est qu’au premier trimestre. Lorsqu’elle se confesse sur ses nausées, Meghan tourne la tête vers Leo, remarque bien qu’il a envie de rire. Elle le connaît assez pour ça. Et elle reconnaît que ça a un aspect comique de devoir quitter la pièce en courant pour éviter de vomir sur un patient. Là, ça serait vraiment mal vu. Elle s’en amuse aussi, même si sur le coup, ça n’a rien d’amusant. La grossesse et tous ses désagréments. Elle aussi, pensait qu’elle aurait surtout des nausées le matin. Déçue de constater que non. « Ça dépend des femmes je crois. Moi, c’est surtout certaines odeurs qui me rendent malade, y compris les fortes odeurs de transpiration. Mais si tu as pris une douche récemment, tu devrais être épargné. » C’était pour ça qu’elle avait préféré éviter le métro, véritable nid d’odeurs désagréables. Les taxis, tout dépend des véhicules. Au moins, dans la voiture de Leo, elle ne prend pas trop de risques. Elle sourit en l’entendant évoquer ses recherches. Ça la rassure un peu, qu’il cherche à se renseigner sur tout ça. Même si le visionnage d’une comédie n’a pas dû lui apprendre grand-chose au final. « Tu sais que j’adore ce film ? Bon c’est peut-être parce que j’ai toujours eu un faible pour J-lo, mais il est sympa quand même. » Qu’elle avoue sans honte. Maintenant qu’elle a commencé, elle n’a presque plus de filtre. Mais au moins, elle se sent déjà beaucoup plus à l’aise. « Enfin pour t’informer, c’est peut-être pas le mieux. Mon collègue gynéco m’a prêté plusieurs livres sur le sujet, je pourrais peut-être te les passer après. » Non pas qu’elle ait beaucoup lu pour l’instant, parce que ça la fait paniquer plus qu’autre chose, et la pousser à se demander si elle a pris la bonne décision en gardant ce bébé. De toute façon, il est trop tard pour revenir en arrière maintenant.

F E V R I E R , 2 0 1 9 – Fort, heureusement, Meghan a su détendre l’atmosphère. Il a suffi de deux petites phrases, peut-être maladroites, mais juste comme il faut. Pourtant, tu aimes sa façon de parler, de rendre les choses plus faciles, alors que ce n’était pas gagné d’avance. C’était comme ça par le passé, tout était simple, sans prise de tête. Et pourtant, la conversation était loin d’être de bonne entente, du moins aussi détendue. Vous devez parler d’un petit être, de ce qui pourrait vous engager l’un à l’autre pour le restant de votre existence. Même lorsque vous étiez ensemble, quand vous formiez un couple imparfait, tu ne t’étais pas imaginé avoir un enfant avec elle. Pour tout dire, tu n’avais jamais évoqué le souhait de vouloir d’enfant tout court. Tu pensais faire ta vie avec Destiny, et tu étais parfaitement au courant qu’elle n’en désirait pas. À quoi bon se torturer avec quelque chose qui ne se produira jamais ? À nouveau, tu te mets à rire. Toi qui pourrais prendre trois douches par jour, tu ne risquais pas de sentir mauvais. « Merci de constater que je sens bon. Et en bonus, je porte du Bleu de Chanel. Je devrai pouvoir t’épargner une mauvaise odeur pendant toute l’heure du repas. » Tu accentues bien sur le nom de ton parfum, te donnant l’air d’un homme distingué. Tu es surtout content que ta voiture n’ait pas d’odeur particulière. Il serait fort regrettable que la jeune femme se mette à vomir à l’intérieur du véhicule. Immédiatement, et de manière incontrôlable, tu l’imiterais. Et cette histoire n’en finirait pas. « J’avais oublié. » Tu grimaces, t’excusant à moitié. « Euh … » Les livres, qu’est-ce que tu détestes ça. Gamin, ils te servaient de cale table. Aujourd’hui, tu as surtout des magazines sportifs, mais même ça, tu n’en as pas des masses. Tu préfères lire tout ça sur ta tablette. T’es un homme hightech. « Oui, d’accord. » Ta voix se change. Tu penses aux nombres de pages qui t’attendent, à l’écriture taille neuf qui remplit chacune d’entre elle. Ça te déprime d’avance, mais tu n’auras pas vraiment le choix, surtout, tu veux te préparer à l’évènement. « Dis-moi qu’ils ne sont pas aussi gros qu’une encyclopédie. Sinon, j’ai bien peur que Martin fête sa majorité avant avoir pu terminer le premier exemplaire. » Vous arrivez au niveau de la rue du restaurant, et sans te poser de question, tu viens te garer à la première place que tu vois. Il faudra marcher bien cinq minutes avant d’arriver au restaurant. Tu éteins le moteur, et ferme ton manteau avant de sortir de la voiture. « Normalement, on a une table dans un coin un peu reculé. Tu n’auras ni odeur de cuisine, enfin si, mais ça sera plus modéré, et petit bonus, pas d’odeur de désodorisant pour toilettes. Donc pas de risque de nausée. » Plus tu t’approches du restaurant, plus t’es de bonne humeur. Le Carmine’s Italian est ton restaurant préféré. Les plats y sont exquis, et le lieu chaleureux. Tu retrouves ton calme, marchant à côté d’elle, les mains dans les poches. « Je doute que ton prochain rendez-vous médical soit imminent, mais tu peux compter sur moi. Je me libérerai pour venir avec toi. Si tu le veux, bien sûr, je ne veux pas te forcer. »

« Me voilà sauvée alors. » Elle ne compte pas aller le sentir de trop près, même si l’envie pourrait se faire sentir. Elle a toujours aimé l’odeur de Leo mais ils ne sont plus intimes désormais. Et depuis le début de sa grossesse, ses goûts ne font que changer et certaines odeurs qu’elle aimait la dégoûtent en ce moment. Heureusement, ça ne semble pas être la même chose pour Leo. Elle le voit hésiter quand elle parle de livres pour s’informer sur les bébés et tout ce qui va avec. De ce qu’elle sait, il n’a jamais été un très grand lecteur. Elle non plus à vrai dire, ce qui fait qu’elle n’a pas encore lu beaucoup de ces livres. Et aussi parce que tout ça l’effraie un peu. Elle pense déjà assez à l’accouchement comme ça, pas besoin de connaître certains détails un peu trop graphiques pour elle. « Tu seras rassuré d’apprendre que j’ai choisi les plus fins parmi ceux qu’il m’a proposés. » Elle essaye bien de le rassurer. Si Leo se renseigner sur tout ça, autant le pousser dans la bonne direction. Même si elle ne veut pas trop insister pour autant. Ça reste son choix. La voiture garée, ils quittent la chaleur de l’habitacle pour rejoindre la rue. Si Meghan ne se trompe pas, ils sont à l’autre bout de la rue, mais ça ne la dérange pas de marcher un peu. Ils sont déjà allés dans ce restaurant, ensemble. Un de leurs premiers rendez-vous s’y était d’ailleurs déroulé. Comme tout a changé depuis. Elle sourit en entendant Leo la rassurer concernant les odeurs du restaurant. Il semble avoir pensé à tout, et c’est plaisant. Peut-être qu’il arrive à la surprendre. Après les circonstances de leur rupture, elle ignorait si elle pourrait compter sur lui. « Parfait alors. Merci d’avoir fait attention à ça. » Meghan sait que quand on réalise des petites attentions comme celles-ci, c’est pour qu’elles soient remarquées. Et là, elle veut confirmer à Leo qu’elle apprécie. Croisant les bras pour maintenir son manteau bien fermé et ainsi parer le froid, Meghan continue de marcher dans la rue bien éclairée. Ça fait longtemps qu’elle n’est pas venue ici. Elle tourne la tête vers Leo, étonnée de ce qu’il lui propose. Contente aussi qu’il ait fait ce choix-là. Elle l’espérait, mais sans pouvoir en être certaine. Comment savoir comment quelqu’un peut réagir dans de telles circonstances ? « Je serais heureuse que tu viennes. J’ai déjà la prochaine date, c’est début mars je crois. Il faudra que je vérifie. » S’il souhaite l’accompagner à son rendez-vous, c’est bien qu’il compte s’impliquer. Mais et si cet enfant n’était pas le sien ? Est-ce que ça changera tout ? « Tu es sûr de toi alors ? » Elle pensait qu’ils aborderaient tout ça une fois assis à table, avec un bon repas devant eux, mais maintenant qu’il a commencé, Meghan veut savoir.

F E V R I E R , 2 0 1 9 –

Avant, vous plaisantez de tout et particulièrement de rien. Rendant chaque chose particulièrement amusante. C’était facile, plus facile que votre situation actuelle. Pourtant, vous faites comme si tout pouvait s’arranger, comme si vous pouvez apporter une réponse à tout. Et il n’y a rien de plus rassurant. Il y a longtemps que vous n’avez pas converser de la sorte, parler sans avoir un filtre, et avoir une véritable conversation. Il y a de la dérision, sinon vous ne serez pas vous-même. Comme cette histoire de livres, et du fait qu’elle a choisi les plus fins. Quoi que, t’es certain qu’elle a pris les plus minces possibles. S’il y a bien une chose que vous avez en commun, c’est votre dégoût pour la littérature. « Tu ne pouvais pas être plus rassurante, merci. » Vous approchant pas à pas du restaurant, vous reprenez doucement votre sérieux. L’humour avait permis, non pas de combler les blancs, mais de les sublimer, de les rendre attractifs. Un sourire se distingue au milieu de ta barbe. S’il était question de parler sérieusement, il était hors de question de vous mettre des bâtons dans les roues. Alors demander une place spéciale, à l’écart de la moindre nuisance, c’était plus que nécessaire, une obligation. « C’est normal. » En soit, tu n’avais pas soulevé des montagnes. C’est tellement plus simple que ce que tu viens de lui dire. De lui proposer de venir à ses rendez-vous médicaux. Une table t’engageait seulement à passer une bonne soirée, venir avec elle chez le gynéco, c’était complètement différent. Tu ne pouvais être plus clair, lui dire que tu acceptais tes erreurs, ou tes responsabilités, t’hésites encore sur le terme. Et peut-être que l’un ne va pas sans l’autre, complémentaires comme le citron et la tequila. Dit à haute voix, tout a pris un sens. Tu étais certain de toi, et faire machine arrière t’étais impossible. Tu n’en avais pas envie, du moins c’est ce que tu penses et dis actuellement. Parmi toutes les conneries qui se produisent, tu peux enfin décider, être acteur. Tu la regardais te répondre, te dire qu’il y avait déjà un prochain rendez-vous. « Très bien, tu m’enverras la date par message. Je m’arrangerai avec l’équipe pour t’accompagner. » Tu as hâte de recommencer la saison, de t’entraîner à nouveau dehors, de frapper de plein fouet la balle, d’affronter les meilleurs en donnant le meilleur. T’es un passionné, le genre de gars qui se lève fier d’aller travailler. Pendant un certain temps, tu pensais faire une pause, ralentir la cadence pour t’occuper au mieux de Martin. Mais tu n’es pas seul, et tu t’en sens incapable. C’est ce qui te permet de vivre tous les jours et de payer les factures de l’hôpital. « J’en suis sûr, oui. En fait, la question ne c’était même pas posée. J’étais seulement pas prêt à ça. On peut dire que tu m’as annoncé une sacrée surprise. » Une surprise sur laquelle tu n’aurais pas misé un cent.

Ça lui plaît, à Meghan, de le retrouver, de pouvoir plaisanter de choses simples avec lui. Comme avant. Ça lui avait manqué. Il lui avait manqué. Mais est-ce que ça change quelque chose pour autant ? Elle avait rompu avec lui pour une raison et cette grossesse n’arrange pas les choses. Il se peut que le petit être qui grandit en elle soit de Leo, mais elle ne peut pas en être sûre. Elle ne peut pas le lui assurer, tout comme elle ne peut pas savoir de quoi toute cette soirée, ou même les mois à venir, vont être faits. Mais elle aura bien assez le temps de s’inquiéter de tout ça plus tard. Elle veut profiter de l’instant présent, de cette bonne humeur retrouvée entre eux. Lui raconter des détails peu ragoûtants mais drôles avait été une bonne idée. Même si la conversation redevient sérieuse sans même qu’elle le réalise. Et, si elle pourrait attendre qu’ils soient à table pour en parler réellement, elle veut savoir. Touchée qu’il parle de venir avec elle à son prochain rendez-vous, ça veut bien dire ce que ça veut dire. « D’accord... Merci. » Elle dit presque timidement, avant de lui demander s’il est sûr de lui. Il n’est pas obligé de faire tout ça, que ça soit pour elle ou pour ce bébé qui n’est peut-être même pas le sien. Et quand il le lui confirme, elle sourit en le regardant de côté, tout en continuant de marcher vers le restaurant. Elle n’aurait pas deviné ça après le moment où elle lui a annoncé, tant il paraissait perturbé par la nouvelle. « J’ai eu beau réfléchir, je n’ai pas trouvé de façon idéale de t‘annoncer ça. » Est-ce qu’il en existe une ? Meghan n’en est pas certaine. « Merci en tout cas. Ça me fait plaisir d’entendre ça. » Elle a encore tout un tas de questions en tête, mais ils arrivent devant le restaurant, et ça peut attendre. Leo lui ouvre la porte et elle le suit à l’intérieur, jusqu’à la table où les amène un serveur habillé très chic. Installés, elle s’appuie contre le dossier de sa chaise et regarde Leo, à nouveau un peu gênée. Si elle veut être à l’aise, elle doit jouer franc jeu, elle le sait. « Ça me fait bizarre d’être ici avec toi... ça ramène des souvenirs. »