for the storm to rage on (aleksei)

it’s getting darker by the second
and there’s never a good reason
now you’ll just have to wait
for the storm to rage on

il était difficile d’imaginer un lieu plus gentrifié que brooklyn de nos jours. les hipsters ne cessaient jamais leur exode massive depuis manhattan en direction l’autre côté de l’east river. pourtant, aujourd’hui, starbucks était presque vide. peut-être que la bourgeoisie moderne avait trouvé un nouveau café vegan ou une bibliothèque underground de fond de ruelle à se mettre sous la dent. la raison n’avait pas vraiment d’importance. roxanne était contente qu’il n’y ait pas grand monde. elle n’appréciait que très peu les nouveaux riches et leurs lunettes factices. assise à un table près de la baie vitrée donnant sur la rue, elle attendait. chaque seconde qui passait l’énervait un peu plus. son humeur avait été très aléatoire ces dernières semaines. il y avait cette histoire ridicule avec elias qui lui pesait sur la conscience mais surtout, il y avait aleksei. ou plutôt, il n’y avait pas aleksei. le problème, c’est qu’il n’était jamais là. il était toujours trop occupé pour lui accorder son attention, trop amoureux, trop distant. la partie rationnelle de roxanne le comprenait tout à fait. ce n’était que naturel de vouloir passer du temps avec son copain. elle le concevait tout à fait, elle était même contente pour lui. mais la rationalité ne faisait pas le poids face à la déraison. il n’y avait qu’une façon de le dire : roxanne était jalouse. elle se sentait comme mise à l’écart, reléguée à un rôle de figurante en arrière-plan et ça lui faisait peur. ce n’était jamais vraiment une question de colère ou de haine. c’était toujours l’appréhension d’avoir été remplacée, qu’on se soit lassée d’elle, qu’elle ne soit plus nécessaire. ça la rendait méchante au lieu d’être honnête. aussi, lorsque finalement aleksei est entré dans le starbucks, c’est un regard froid qui l’a accueilli. « t’es en retard. » a fait remarqué roxanne, d’un ton agressif. il venait à peine d’arriver et elle ouvrait déjà les hostilités. c’est qu’elle adorait faire dans le dramatique, aussi. heureusement que la salle était calme, aujourd’hui. si la situation venait à devenir sanglante, ça ferait moins de témoins à éliminer. « merci de prendre la peine de m’accorder un peu de ton précieux temps. je sais à quel point tu es quelqu’un d’occupé. trop occupé pour moi, en tout cas. » son sarcasme a grincé comme un instrument mal accordé. elle a souri, mais ça n’avait rien d’aimable. même si elle l’avait voulu, elle n’aurait pas pu s’en empêcher. c’était comme si le sabotage était inscrit dans son adn. son entourage ne grouillait pas de gens comme aleksei : des gens qui écoutaient ce qu’elle avait à dire, qui ne la jugeait pas, qui la rendait heureuse. elle devait avoir à cœur de les garder auprès d’elle. pourtant, à chaque fois que les choses commençaient à aller bien, elle se sentait poussée à s’assurer du contraire. jusqu’à présent, et peu importe ce qu’elle faisait, il lui était toujours revenu. et même quand elle n’avait rien à lui dire sinon des paroles méchantes, elle espérait que cette fois ne serait pas la fois de trop.

quinze minutes dans la vie d’une impatiente c’était une éternité. en quinze minutes, elle aurait pu regarder 150 vines ; écouter bohemian rhapsody 2,45 fois ; regarder environ 8% du film titanic. le champs des possibilités était infinie! à vrai dire, roxanne n’aimait même pas titanic, mais si ça avait été le cas, à la place d’attendre aleksei, elle aurait pu regarder une fraction de ce film beaucoup trop long si elle l’avait voulu. le temps n’était que du temps et il n’y avait pas vraiment de bonne façon de le dépenser. mais s’il fallait choisir une mauvaise façon, patienter était défectivement la proposition numéro une. lorsqu’enfin aleksei a fait l’honneur de gracier roxanne de sa présence, il est entrée dans le starbucks avec l’audace de sourire, comme si sa gaité pouvait encore le sauver. d’ordinaire, roxanne aimait le voir afficher une expression joyeuse. même à l’instant, alors que son agacement grimpait lentement vers son apogée, elle avait du mal à résister à l’envie de lui retourner sa bonne humeur. elle s’est tout de même retenue. contrairement à lui, elle n’était pas venue en paix. il se montrait conciliant, l’appelant rox et tentant même une blague. roxanne a froncé les sourcils. de toute évidence, aleksei connaissait son adversaire. il était certain qu’il n’ignorait pas qu’elle adorait qu’on la surnomme – parce que ça lui donnait l’impression d’appartenir à quelque chose – et qu’il le faisait exprès. elle ne s’est pas laissé attendrir pour autant. il lui a demandé si elle voulait commander quelque chose et elle lui a souri, tous crocs dehors. « je ne crois pas qu’on serve des excuses pour retards et abandons répétés, ici. alors non merci, je pense que je passerai. » elle l’a toisé de son regard sans chaleur, espérant au moins lui effacer ce gigantesque sourire. c’était un affront à l’atmosphère hostile qui était tombée comme un épais voile sur la pièce. on aurait pu couper l’animosité au couteau et pour l’instant, il n’y avait que roxanne pour l’alimenter. elle a croisé les bras sur sa poitrine, résolue. « tu pourrais au moins faire semblant d’être désolé. je te pardonnerais pas si tu t’excuses, mais ce serait déjà un bon début. » son ton était égal. elle n’haussait pas la voix, du moins pas encore. elle n’avait pas envie de faire une scène et de créer un scandale mais d’ici dix minutes, qui sait ce qu’elle fera ? elle était imprévisible comme ça, roxanne. certains disaient déroutante, d’autres disaient hystériques. il y avait sûrement de la vérité dans les deux. « alors? qu’est-ce que tu faisais qui t’as mis en retard? » elle n’avait pas besoin de poser la question. elle devinait très bien la raison. c’était la même à chaque fois. elle ne demandait pas vraiment pour savoir, juste pour avoir une occasion de s’énerver un peu plus. aleksei n’était pas venu pour se battre, mais il fallait espérer pour lui qu’il avait pris ses armes. roxanne n’avait aucune intention de battre en retraite maintenant. les chances qu’ils sortent de ce café en bon terme diminuaient à chaque instant. c’était vrai pour chacune de leur entrevue. on ne pouvait jamais être sûr de quand le prochain éclat allait apparaître. mais tout portait à croire que ça ne saurait trop tarder.

la mention d’un chocolat viennois lui a donné fain. elle ne voulait pas de ça, étant une fidèle enthousiaste de la caféine, mais elle n’aurait pas dit non à un croissant. en plus, ça lui aurait donné l’occasion d’impressionner la barista avec sa prononciation impeccable de la viennoiserie tout droit immigrée de son pays natal. dommage pour elle, il était trop tard pour qu’elle revienne sur sa décision, maintenant. elle était trop fière pour se laisser amadouer par l’odeur, bien qu’enivrante, des grains de café fraichement moulus. il lui fallait plus qu’un goût de la maison pour redescendre en pression. c’était bien ça le problème avec roxanne. il lui en fallait plus, toujours plus. elle n’a pas cillé quand aleksei s’est excusé. ses yeux ont roulé dans ses orbites dans une expression peu convaincue. elle savait qu’il ne le faisait pas exprès. elle savait qu’il n’avait pas de mauvaises intentions. et malgré ça, une petite voix dans un recoin terni de son esprit ne cessait de lui chuchoter des absurdités aux oreilles. s’il n’est pas foutu d’être à l’heure, c’est qu’il s’en fout. l’idée était charmante. elle se prêtait bien trop parfaitement au désastre pour la laisser filer. la rengaine se formait déjà sur l’ourlet de ses lèvres. elle n’a pas eu l’occasion de propager son chaos. une bien meilleure opportunité a joué d’audace et s’est installée sur la table, si évidente qu’il était impossible de l’ignorer. nath. aleksei prononçait son nom comme s’il avait mis les étoiles dans le ciel. il le laissait fondre sur sa langue comme un bonbon, l’air enchanté. roxanne se faisait une joie de ne pas partager son bonheur. « nath, hein? » a-t-elle répété. son ton avait regagné son intérêt mais la raison était déplorable. elle n’avait pas le droit. elle savait qu’elle n’avait pas le droit. elle ne connaissait même pas nathanaël. elle ne savait de lui, que ce qu’aleksei racontait, les yeux toujours amoureux à chaque fois qu’il le mentionnait. elle ne l’avait jamais rencontré. il ne lui avait jamais rien fait. roxanne n'avait pas le droit de s’en prendre à nathanaël. mais l’opportunité n’était que trop belle. le marteau déjà entre ses doigts, il était trop tard pour éviter l’impact. « c’est drôle que ce soit avec lui que tu passes tout ton temps. y’a pas si longtemps que ça, t’aurai même pas oser t’afficher avec un mec à ton bras. mais maintenant que t’as surmonté cette épreuve, maintenant que tes amis – des gens comme moi – t’ont placé sur ton petit nuage, ça a l’air de te coûter un bras de redescendre dans le commun des mortels pour ceux qui t’ont aidé à peindre ton tableau de vie parfaite. » roxanne était assise tout au fond de sa chaise, mettant le plus de distance possible entre elle et aleksei. ses bras croisés sur sa poitrine parvenaient à peine à contenir son cœur qui s’affolait entre ses côtes. elle était contente qu’il fasse tant de bruit à se débattre dans sa cage thoracique. elle n’avait aucune entendre ce qu’elle disait. pourtant, elle ne semblait pas pouvoir s’arrêter. les mots jaillissaient de sa bouche bien avant que l’information n’atteigne son cerveau. quand il s’agit d’être vénéneuse, elle pilotait en automatique. « si j’avais su qu’il fallait avoir une bite pour mériter ton attention, j’aurai pas pris la peine de te prêter mon épaule toutes les fois où t’en eu besoin. d’ailleurs quand est-ce que tu présentes nath à tes parents? » elle a parlé d’une voix égale, mais dans sa tête, elle s’était entendu hurlé. roxanne a regretté ses paroles à la seconde où elle les a prononcé. elle s’est brulé les lèvres contre l’incandescence de sa propre idiotie. ses yeux ont quitté ceux d’alek et se sont refugiés sur un point fixe au-delà de lui. cette fois-ci, il ne lui pardonnerait jamais. elle en était sûre.

est-ce que pour une fois, ça te ferait mal d'être heureuse pour le bonheur des autres ? roxanne a encaissé sans un battement de cil. elle a senti l’effritement du château du sable de sa fierté, la même sensation que du papier de verre traîné le long de sa peau. perchée sur les grands chevaux d’une prétendu moralité, elle n’avait aucune grandeur. les disputes, elles étaient toujours plus douloureuses avec aleksei. parce qu’elle savait qu’il ne disait que la vérité. lui, il n’avait pas besoin de mentir ; c’était si facile de trouver des failles dans le mur qu’affichait roxanne. elle s’est soudain sentie minuscule. il avait raison. pourquoi ne pouvait-elle jamais être heureuse pour le bonheur des autres ? elle avait bâti sa vie et sa personnalité toute entière sur l’idée de rétablir dans le monde un ordre nouveau. pour les gens qu’elle ne connaissait pas, elle portait toute la bonté du monde entre ses doigts. mais quand il s’agissait de ses proches, elle les laissait lui glisser entre les mains, regardant du haut de son fracas l’étendue des dégâts. elle a ouvert la bouche pour parler. elle n’en a pas eu l’occasion. aleksei tapait juste. il ne le faisait même pas exprès. contrairement à roxanne, pleines de mauvais intentions, il ne faisait que renvoyer le venin qu’elle s’obstinait à lui cracher au visage. elle s’est mordu la lèvre, les yeux fixant ses doc martens usées. elle se savait stupide et immature, mais elle n’avait pas envie de s’excuser. elle était douée pour la bagarre bien plus que pour la paix. ce n’était pas l’âme d’une révoltée, juste celle d’une idiote. acculée, face à face avec son propre dédain pour ses affreuses manières, elle n’allait nulle part où aller sinon de l’avant dans ce puits de méchanceté. c’était comme trouver un trou d’abysse et s’y jeter, tête la première, espérant mourir avant de toucher le fond. « dur pour toi?! tu plaisantes. t’es gay, aleksei et alors ? get over it. ça n’a plus de rien de mélodramatique un mec qui aime les mecs. » elle n’a pas tenté de capter son regard. dans ses yeux à elle, des nuages gris menaçaient de faire tomber la pluie. elle était quelqu’un d’horrible. pas étonnant qu’il ne veuille jamais la voir, qu’il s’en aille à la moindre excuse. ce n’était pas une question de nath ou d’autre chose. le problème c’était elle. roxanne. roxanne. toujours roxanne. son instabilité et sa folie. si peu aimable que le monde entier préférait la fuir. les gens finissaient inlassablement par se tirer, c’était inévitable. si l’abandon pendait comme une épée de damoclès au-dessus de sa tête, elle faisait le choix de pousser les êtres aimés hors de sa vie, plutôt que de les regarder s’en aller. « t’as pas de quoi de plaindre, alek. peut-être que tes parents tireront une sale gueule quand tu rameras un mec à noël, mais ils finiront par s’en remettre. parce qu’ils en ont quelque à foutre de toi. » à travers lui, elle ne voyait que ce que son cœur désirait mais ne pouvait obtenir. elle ne se souvenait plus de l’odeur de sa mère. elle avait déjà oublié le rire de son père, les repas en famille. roxanne n’avait jamais été une fille à papa ou la meilleure copine de maman. elle n’avait jamais eu de relation privilégiée avec ses vieux, mais elle aurait donné n’importe quoi pour qu’ils lui transmettent autre chose que de l’indifférence. « tu devrais t’estimer heureux d’avoir des parents qui prêtent suffisamment attention à toi pour éprouver de la colère. je me suis tiré de chez moi quand j’avais dix-sept ans. j’ai déménagé de l’autre côté de l’océan, mes parents n’ont jamais cherché à me retrouver. » elle ne le savait pas de source sûre. peut-être que le lendemain de sa fugue, le foyer de château-jolly s’était affolé dans neuilly-sur-seine. peut-être qu’ils l’avaient cherché pendant des mois. peut-être qu’ils la croyaient morte. roxanne n’en savait rien, mais elle doutait fortement de leur souci. s’ils avaient jeté des bouteilles à la mer pour elle, elle n’en avait reçu aucune. « ta vie est parfaite! essaie d’être une artiste ratée, foutue d’un trouble mental et à des milliers de kilomètres de chez elle et là, tu verras ce que c’est que d’en baver. » elle ne parlait jamais de son trouble borderline. c’était son tabou personnel, les mots qu’elle ne s’autorisait pas à prononcer. au point où elle en était cependant, elle ne voyait plus l’intérêt de s’imposer quelconque frein. « je suis cliniquement cinglée, j’ai le mal du pays tous les jours, je bosse pour des enculés plein aux as à longueur de journée donc oui, aleksei, tes absences et ton retard, ça me tape sur les nerfs. » elle a arrêté de crier. elle avait atteint le point qu’elle atteignait toujours : moi je, moi je, moi je, ais pitié de moi. son univers avait un centre toujours changeant, c’est pourquoi elle tenait tant à ce que celui des autres ne tournent qu’autour d’elle. beaucoup moins fort, elle a ajouté. « si tu veux te casser, personne te retient. » menteuse, menteuse, menteuse. s’il partait maintenant, elle lui courrait après pour qu’il reste. sinon en acte, au moins en pensée. il ne méritait pas ce qu’il subissait. il le disait si bien, lui-même, roxanne devrait avoir honte.