go yankees go ! ▬ Rafe

Par habitude, Rafe avait presque été tenté de refuser l'invitation de Lukas. Lui qui avait avant, été capable de faire des plans au dernier moment, à improviser et à suivre sa motivation du moment, se retrouvait forcé à avoir une routine bien réglée, désormais. C'était le seul moyen de ne pas perdre pieds, quand on compressait autant de choses en un temps limité : les semaines où il n'avait pas Myra, le brun s'appliquait à travailler le plus possible, comme s'il se sentait le besoin de récupérer les heures qu'il se devait d'enlever dans les temps où il devait s'occuper de sa fille. La crèche qui fermait à une heure précise ne tolérait pas les types qui voulaient faire des heures sup' – et même sans ça, la petite avait enfin trouvé un rythme, ce n'était pas pour que ses parents se mettent subitement à tout perturber, juste parce qu'ils pensaient avoir mieux à faire. Alors ouais, si on devait résumer les choses, on pourrait dire que depuis quelques temps, la vie sociale de Rafe se limitait à quelques interactions rares, généralement avec sa famille ou avec Terry. Le reste se faisait généralement par le biais d'un téléphone, et le jeune homme utilisait tous les moyens à sa disposition pour esquiver les sorties au bar, les escapades tard le soir, juste pour le fun. Elle était loin, sa vie de célibataire sans attache et d'temps en temps, le Hollins se sentait le regretter. Et pourtant, il n'effacerait Myra pour rien au monde- même si ça pouvait signifier qu'il n'aurait jamais revu Asteria, et qu'il aurait pu tracer sa route comme quand elle avait été à l'autre bout du monde, à n'pas lui donner la moindre nouvelle. Une quantité de sentiments bien contradictoires, qui ne faisaient que se bousculer dans ses tripes dès qu'il passait un moment avec la blonde : y'avait quelque-chose de déprimant, à briser l'coeur, à les voir aujourd'hui se partager la garde de leur fille comme un couple de divorcés. Mais ils n'avaient pas le choix de faire mieux que ça, hein- Rafe, il l'avait compris depuis belle lurette, la façon dont elle, elle voyait les choses. Leur nuit ensemble avait été une erreur qui avait pourri sa vie et mettait ses 'rêves' en pause, parce qu'elle était tombée enceinte, et que s'étaient succédé tout un tas d'obligations et de contraintes qui, aujourd'hui, gouvernaient sa vie. Qui sait, peut-être qu'elle le détestait encore plus aujourd'hui qu'elle n'le lui avait déjà fait comprendre l'une de ces rares fois où ils avaient été brutalement honnêtes l'un envers l'autre. La plupart du temps maintenant, ils semblaient simplement se tolérer et peut-être bien que c'était déjà pas mal, après tout ce qu'ils avaient vécu.

Pour aujourd'hui, si Rafe se dépêchait d'abandonner le chantier sur lequel il bossait et qu'il rejoignait sa voiture prêt à se débarrasser de tout ça, c'n'était pas pour accourir chez Terry pour récupérer Myra. Non, elle était chez sa mère et tous les prétextes étaient bons pour tenter d'ignorer la solitude glaciale qu'il ressentait, quand il n'avait pas sa fille avec lui. Ouais, même un match de baseball aussi fou et exceptionnel serait-il,  ne pourrait compenser ce sentiment rude et amer. Mais c'était déjà ça- c'était avec ces mots en tête, et la conviction insistante de Lukas, que Rafe avait fini par accepter. Heureusement, il fut assez malin pour se garer à une bonne distance du stade : il n'était pas con, hein, ayant vécu à New York toute sa vie, il savait bien qu'il gagnerait plus de temps à y aller à pieds qu'en bagnole. Même en claudiquant sur un pied il irait plus vite- c'était ça, la beauté de New York. A mi-chemin, il sentit son téléphone vibrer dans sa poche, synonyme d'un message de la part de son ami- il ne manqua pas d'y répondre, une p'tite pique à la 'chill, mec, je suis bientôt là', non sans un rictus. Il n'comptait pas lui poser un lapin – c'était déjà une bonne chose, hein ? Après tout, des imprévus pouvaient arriver n'importe quand, quand on avait un gosse. C'était ça tout le concept de parentalité, quand bien même il n'avait pas eu de nouvelle d'Asteria depuis la dernière fois qu'il lui avait envoyé un message pour prendre des nouvelles de Myra. Ça, c'était sans parler leurs habituels échanges haineux contre ce qu'était devenu Game of Thrones, une conversation qui marchait bien, contrairement à d'autres. « Hey- » arrivé enfin à hauteur du stade, il avait miraculeusement réussi à trouver Lukas – non sans avoir cherché pendant un certain nombre de minutes, prêt à s'impatienter. C'était fou le nombre de gens qui pouvaient vouloir s'amonceler dans les gradins d'un stade pour regarder un match : habituellement, Rafe, lui, il regardait ça de chez lui. Certes, ça devait manquer d'une certaine énergie propre aux stades de sport, mais fallait bien qu'il vive avec ses moyens. « Ça va, tu t'es pas trop impatienté ? » qu'il plaisanta dans un ricanement à son ami, posant une main ferme sur son épaule en guise de salutations. Ils étaient encore largement à l'heure – de quoi passer une bonne soirée, ouais, loin de tout ce qui faisait le quotidien du brun en ce moment. Peut-être bien, en effet, qu'ça lui ferait du bien de vivre comme ça, comme avant, au moins pour un soir.

Le baseball, ça n'avait jamais spécialement été son truc, Rafe- un sport qu'il avait su apprécier de loin, sans vraiment qu'il ne change son existence. Il n'était pas de ces gosses qui avaient de tendres souvenirs, de ces fois où il était allé lancer des balles dans le jardin avec son père, ou ces fois où celui-ci l'aurait emmené voir un match. Difficile, pour un gosse qui n'avait jamais connu son géniteur, et dont la vie avec sa mère s'était limitée à de mauvais souvenirs, mixés à de vagues tentatives de se faire pardonner, et l'abandon qui avait finalement mis un point final à l'ombre de famille qu'ils avaient eue. Ce ne serait pas non plus quelque-chose qu'il pourrait partager avec Myra, sans doute : il n'pouvait pas d'avance savoir ce que sa fille aimerait, mais ce dont il était sûr, c'était qu'il n'avait pas de passion particulière pour ce sport, au point de vouloir le transmettre à sa gamine. Au fond, il n'avait même pas d'idée sur comment il éduquerait sa fille une fois qu'elle grandirait : c'qu'ils partageraient, comme points communs. Comment est-ce qu'elle vivrait, dans cette atmosphère familiale bien particulière qu'ils avaient tous les trois, avec Terry. S'il serait même capable d'être un bon père, compte-tenu de son passif.

Sortir alors, ça lui vidait la tête- une rare échappée qu'il saisissait à la volée, difficilement, ces derniers temps. Il était trop occupé à augmenter ses heures de travail au maximum quand il n'avait pas la garde de sa fille- et pour les semaines où Myra était là, il n'imaginait certainement pas l'embarquer au milieu d'un stade en folie, pour 'profiter' d'un match de baseball dont elle ne se souviendrait même pas. Avec la chaleur qui subsistait, ce serait même dangereux d'faire un truc pareil. « T'es vraiment pessimiste. J'avais du boulot, quoi t'avais peur d'être tout seul ? » qu'il préféra railler son ami à sa réplique, avant d'arquer un sourcil- « Pourquoi est-c'que Terry m'aurait empêché de venir ? » et pourquoi est-ce qu'elle aurait eu son mot à dire là-dedans ? Il ne lui en avait même pas parlé, de sa sortie. Et si elle avait dû lui coller Myra au dernier moment, il ne lui en aurait pas voulu, bien trop conscient que ce ne serait pas quelque-chose qu'elle ferait pour l'emmerder, mais plutôt à cause d'une urgence particulière. Il le voyait, et il le savait assez pour le ressentir lui-même : cette garde alternée était difficile à gérer, c'était douloureux de perdre Myra comme ça pour toute une semaine. Des jours qui passaient souvent trop lentement : malgré la fatigue que ça infligeait, d'être parent célibataire, Rafe, il n'réécrirait l'histoire pour rien au monde. Alors, après des années à taire le nom d'Asteria ou à la blâmer intérieurement pour beaucoup de choses, voilà qu'il était prêt à la défendre, contre toute attente. Un sujet sur lequel il préféra ne pas s'étendre, lâchant une tape amicale sur l'épaule de Lukas ; « J'vais m'arranger pour te faire payer toutes les bières, va. » ricana-t-il alors qu'ils s'engageaient vers le stade. « Alors ? T'as eu ces places grâce à tes contacts riches, c'est ça ? » ce fut à son tour de remuer un certain couteau dans la plaie- Rafe avait sa façon de s'moquer du monde dans lequel Lukas évoluait- un univers bien différent de celui que le brun, lui, côtoyait au quotidien et depuis toujours. C'était presque bien difficile, de croire qu'ils pouvaient être amis, tous les deux.