Happy 4th of July / le feu d'artifices

Joddie n'avait cessé d'entendre parler de la fête de l'Indépendance ces derniers jours. Que ce fut par l'excitation de parents qui préparaient avec soin le pique-nique familiale, griffonnant chaque ingrédient sur un morceau de papier, installés à une table de Starbucks non loin de la sienne, - sur laquelle elle s'était accordée une pause-, tout en donnant les derniers résultats commerciaux à leur patron, ou par les conversations des petits génies qui s'attardaient à la bibliothèque malgré les examens terminés, tout comme elle qui tentait de gagner un peu d'avance, -parce qu'elle savait parfaitement qu'elle ne pourra être présente à la rentrée-, le quatre Juillet était sur toutes les bouches. Et, quand bien même elle adorait son Amérique natale, la pilote professionnelle n'avait, dans le grenier de son cerveau, que le souvenir de ses échecs sur piste.
Elle avait pourtant gagné le pass qui la menait directement aux qualifications de la World Cup de Macao, et aurait pu s'en contenter, mais les trois premières courses ne lui avaient pas donné entière satisfaction, si bien qu'elle continuait à remuer ses méninges pour trouver une explication claire à ces cinquièmes et septième places. On n'avait cessé de lui répéter que, pour une reprise, elle avait réussi à gérer son temps ainsi que son endurance sur l'asphalte, pourtant toutes les erreurs de débutant commises étaient restées bloquées dans sa gorge. Il fallait avouer que la situation actuelle n'était pas aux beaux fixes : la santé de son père se dégradait de jour en jour à cause de l'alcool, et elle craignait souvent de retourner à l'appartement du paternel un soir, et de le découvrir décédé au milieu de son salon, une bouteille de liqueur à la main.
Elle réfléchissait peut-être un peu trop, Joddie. Mais qui, à sa place, ne se ferait pas des films morbides quand on savait son parent incapable de se sortir d'une addiction destructrice ? Cela avait failli être sa meilleure excuse pour ne pas assister au feu d'artifice; comme toujours, d'ailleurs. Oui, comme toujours, lorsqu'elle n'avait trouvé la foi d'accorder du temps à un événement, elle spécifiait que Stephan était malade et avait besoin d'elle à ses côtés, sans jamais pointer son goût pour les boissons fortes. Devoir garder le secret était aussi un poison qui consumait peu à peu son mental, d'ailleurs. Cette tâche était bien trop compliquée à gérer seule, et pourtant elle n'avait pas le choix : son père, ancien boxeur professionnel, méritait de garder une part de sa fierté, et elle savait que, révéler ça à quelqu'un d'autre, pouvait lui être fatal, à lui, médiatiquement parlant.
Pourtant elle se trouvait là, sur la rive de l'East River, entourée de personnes qu'elle ne connaissait pas et que, peut-être, elle avait croisé une fois dans sa vie au détour d'une ruelle, sans réellement s'en rendre compte. Elle était présente, un pull léger écru aux quelques ficelles d'or à col en V, un jeans des plus banals et des sandales plates beiges, parce qu'elle avait horreur des talons qu'elle réservait pour les soirées plus V.I.P. Les mains au-dessus de ses coudes, bras croisés sur son abdomen, les yeux rivés sur le pont, le ciel était encore bien trop clair pour laisser échapper quelconques explosifs de couleur. Elle prit d'ailleurs le temps de passer un coup d'oeil sur la montre à son poignet droit, balayant l'air pour écarter un moustique qui semblait l'avoir prise pour cible. _ Ah non, s'exprima-t-elle, par réflexe de ne vouloir son sang aspiré.

621 mots @Sasha N. Pierce

Contrairement à ce que beaucoup pouvaient penser d'elle, Sasha aimait la solitude. Sous ses airs de femme fatale, quelque peu exubérante, elle s'était créer un personnage de scène. Et sa scène, c'était l'espace public. C'était sa façon à elle de se protéger, sa parade contre une potentielle attaque qui pourrait la heurter à tout moment. Finalement, n'est-il pas impossible de souffrir si on ne se dévoile jamais complètement, si on ne dévoile qu'un masque de soi-même ? Il était alors bien plus simple de jouer un rôle, le rôle de sa vie, à l'image de sa mère danseuse célèbre de Music-Hall qui avait eut son heure de gloire. Et pourtant, Sasha se complaisait dans la solitude. Quelque part, elle avait toujours été livrée à elle même. À devoir constamment taire son passé, elle taisait forcément une partie d'elle-même. C'était de cette façon que, dans les moments où elle se retrouvait seule, face à elle même, la sulfureuse brune pouvait lâcher prise. Dans ces moments là, elle pouvait refaire vivre la petite fille Tchèque de ses souvenirs d'antants, qui jouait encore à la poupée aux bords de la Vltava. Elle pouvait alors être la Natalia de son passé.
C'était dans cet état d'esprit qu'elle s'était rendue sur les abords de l'East River, dans le but d'assister aux feux d'artifices du 4 juillet. Elle savait pertinemment qu'elle risquait d'y croiser des têtes connues, mais elle était la reine de l'improvisation. S'il fallait trouver une excuse du "tac au tac" à sa présence solitaire en un tel lieu, en une telle occasion, elle saurait forcément quoi dire. Sasha parcourait les lieux sans véritablement prêter attention aux individus qui s'étaient déjà installés patiemment sur le sol, dans l'attente du fameux spectacle pyrotechnique annuel. C'est à cet instant, contre toute attente, qu'elle l'aperçu. Joddie. En une fraction de seconde, Sasha hésita à faire demi-tour, ou tout du moins, à éviter la jeune femme en la contournant, puisque celle-ci ne semblait pas encore avoir remarqué sa présence. Mais il y avait quelque chose en Joddie qui attirait Sasha comme un aimant. Une sorte de force d'attraction contre laquelle elle avait du mal à lutter.
Bien-entendu, la terre entière était au courant des penchants que Sasha pouvait éprouver à l'égard de la gente féminine. Mais avec Joddie, c'était différent. Tout d'abord, parce que Joddie n'était pas réellement son genre de femme au prime-abord. Mais surtout, parce que leur relation avait été basée sur un intérêt très spécifique pour Sasha : en savoir plus sur la mort du compagnon de Joddie, le coureur automobile international, Joa Grahams. Non-pas que Sasha aurait pu ressentir une quelconque culpabilité à l'idée d'utiliser les gens pour arriver à ses fins, mais plutôt parce qu'elle avait appris à connaitre cette jeune femme brisée, portant un poids bien plus lourd sur ses épaules qu'elle ne voulait bien le montrer. Elle ne se l'avouerait sans-doute sous aucun prétexte, mais Sasha s'était attachée à Joddie. À l'heure actuelle, elle ne voulait plus seulement en savoir plus sur la vie de la jolie colombienne/Aborigène dans le seul but de rendre un travail digne de ce nom à l'université, mais également parce qu'elle avait commencé à réellement lui porter un intérêt sincère. Abandonnant son idée première de passer la soirée seule, à faire face à son passé plus qu'aux feux d'artifices, Sasha s'avança d'un pas chaleureux vers Joddie, comme s'il avait presque été prévu qu'elles se retrouvent ici. « Holà Chica ! ». Sasha afficha son plus grand sourire et s'installa près de la jeune femme sans demander d'autorisation, comme à son habitude. Après-tout, il fallait oser prendre des risques dans la vie ! « Tu attends de la compagnie ou tu avais prévu de rester là toute seule pour la fête nationale ? ». Peut-être que Joddie aurait pu être exaspérée que Sasha s'impose de cette façon, mais il était évident que les deux femmes avait besoin de compagnie à cet instant précis.

Elle envoya balader d'un revers de main la bestiole qui survolait sa peau, dans l'espoir que les coups puissent dissuader le suceur de sang de goûter au sien, et jeta un autre coup d'oeil aux aiguilles de sa montre qui semblaient être au ralenti ce soir. Loin d'être devin, elle avait pourtant imaginé trouver le temps long avant même d'atterrir sur les bords de l'East River; elle n'avait pas eu totalement tort. Coincée près de la rive entre divers groupes de citoyens trouvant le moment agréable, elle ne put tracer une allée lui permettant de rebrousser chemin, et dut alors se résigner à rester jusqu'aux dernières exclamations de la foule. Debout depuis tout à l'heure, elle trouva l'idée de s'asseoir au sol grâce à ses voisins qui, épuisés de la journée, préférèrent retrouver la fraîcheur du carré d'herbe dont pouvaient profiter les premiers arrivés; dont Joddie, plutôt que de passer la soirée à meurtrir leurs membres inférieurs.
A présent sur la pelouse tondue au plus raz, Joddie prit son téléphone de la poche arrière de son pantalon denim et se mit à dessiner le schéma qui déverrouilla l'écran pour avoir accès aux applications téléchargées sur son Androïd. Elle n'eut pas grand-mal à choisir celle qui lui permettrait de passer ces vingt dernières minutes hors de l'ennui et mit en route Logic Pic, un jeu qui permettait de découvrir des images par thème une fois l'emplacement de carrés noirs trouvés sur un quadrillage qui comptait plus ou moins de lignes et colonnes. Ses doigts glissèrent dessus et elle omit les conversations de ces uns qui pensaient se faire bien mieux comprendre en élevant la voix, invitant involontairement les autres à tendre une oreille curieuse. Après tout, chacun trouvait, à sa manière, de quoi occuper le laps de temps qui les séparait du feu d'artifice. Une voix, cela dit, vint la déconcentrer du jeu.
Détournant son regard du moniteur, elle posa ses quartz aux touches d'or sur la jeune femme qui avait trouvé le moyen de prendre place à ses côtés, faisant décaler les spectateurs à la droite de Joddie. Cette dernière dévisagea sans retenue la brune qui semblait posséder une énergie d'enfer et une motivation à toute épreuve; il y en avait au moins une qui paraissait être heureuse d'être là. _ Ni compagnie, ni solitude, répondit-elle alors que son pouce appuya sur l'écran pour stopper les secondes qui se décomptaient en haut à droite de l'appareil, à dire vrai je n'ai surtout rien prévu du tout, ne trancha-t-elle ni pour l'une ou l'autre réponse, et si je m'étais écoutée, probablement que tu ne m'aurais pas croisée ici, avoua-t-elle sans qu'aucune émotion ne soit perceptible sur son visage. Comme d'habitude, Joddie restait peu démonstrative et gardait le plus souvent une expression neutre.
Sasha était une étudiante qui l'avait interpellée un jour alors que Joddie s'apprêtait à quitter les allées de l'Université. Sans trouver sa demande indécente, elle avait insisté pour que l'Aborigène puisse l'aider à peaufiner son devoir de mi-trimestre en répondant à quelques questions. Joddie avait tenté d'évincer la demoiselle par moult mouvements négatifs, mais la détermination de la future criminologue eut raison d'elle, et de nombreux entretiens suivirent. Elles ne s'étaient pas revues depuis le début de Juin. _ Et toi, passa-t-elle un coup d'oeil aux alentours dans le but de déceler un quelconque ami de la jeune femme, t'es aussi venue seule te faire piquer par les moustiques, se vit-elle surprise qu'elle n'ait trouvé une personne pour l'accompagner à un tel événement; le jour de l'Indépendance étant important pour les Américains. _ Et les exams, articula-t-elle ensuite, en un léger ton interrogateur, comment ça s'est passé ?

661 mots @Sasha N. Pierce

Tout en ne détachant pas son regard de Joddie, Sasha tentait de déceler une quelconque émotion sur le visage de sa compatriote. S'il y avait bien une chose que Sasha savait faire, c'était creuser pour découvrir la vérité. Elle avait déjà commencé à développer cette faculté à l'adolescence, dans un contexte particulièrement propice aux cachotteries et autres secrets : le lycée. Au final, ce n'était pas tant le contenu plus ou moins croustillant des "gossips" qu'elle réussissait à découvrir qui la faisait jubiler, mais plutôt l'expression des visages de leurs protagonistes au moment où ils se livraient à elle. Selon Sasha, pour pouvoir véritablement comprendre un être humain, il fallait être capable de lire dans ses pensées. Et pour se faire, il fallait être en mesure de décrypter les émotions qui survenaient au moment où le secret était dévoilé. Avec Joddie, ça n'avait pas été une mince affaire. La jeune femme s'était montrée réticente à répondre aux nombreuses questions de Sasha concernant la mort de son compagnon, bien que l'intérêt premier de celle-ci était purement académique et se justifiait en lui-même. Mais une telle carapace cachait forcément une douleur intense. Ce qui était certain aux yeux de Sasha, c'était que Joddie avait beaucoup de mal à lâcher prise. Constamment dans le contrôle, elle semblait percevoir tout intérêt porté de la part d'autrui à son égard comme une intrusion, forcément agrémentée de mauvaises intentions. C'était sa façon de se protéger et Sasha l'avait bien compris. Fort heureusement pour elle, Joddie avait fini par céder à ses demandes incessantes car elle avait compris qu'il serait également dans son intérêt de se livrer à la jolie Tchèque. En lui racontant sa version des faits, il lui serait peut-être possible d'approcher la vérité, même si c'était infime. La théorie de Joddie soulevait la possibilité d'un homicide volontaire. Selon elle, la mort de son compagnon aurait été préméditée et intentionnelle. Depuis, Sasha avait su prendre très au sérieux son histoire et avait commencé à mener son enquête, en cachette. Peu à peu, elle avait fini par découvrir quelques pistes tangibles, se rapportant aux faits relatés par sa nouvelle amie. Le dossier que devait au départ constituer Sasha afin de valider son semestre, s'était avéré l'emmener sur une véritable piste à enquêter. Néanmoins, son statut d'étudiante ne l'autorisait pas à approfondir ce genre de "conspirations", comme l'aimait à l'appeler ses professeurs d'université. C'était quelque chose de proscrit dans le cadre de la formation. Du coup, elle avait rendu un dossier tel qu'attendu par l'université, selon les normes imposées. Mais elle n'avait jamais lâché l'affaire et elle s'était promise d'aboutir à quelque chose, en l'honneur de Joddie, qu'elle appréciait de plus en plus. « ... et si je m'étais écoutée, probablement que tu ne m'aurais pas croisée ici », lui avait répondu la jeune femme. Sasha continuait à la fixer. Il était évident qu'elle n'avait pas dit ça par hasard... même si son expression semblait visiblement trahir son intention d'y faire comprendre à Sasha. « Comment ça ? Tu ne voulais pas vraiment venir ici ? Alors... Pourquoi es-tu là finalement ? ». Creuser pour en apprendre plus, c'était son truc. « Et toi ? t'es aussi venue seule te faire piquer par les moustiques ? ». Il fallait reconnaitre que Sasha avait du mal à rompre avec son image bien encrée de fille toujours très occupée et sollicitée. Mais, selon elle, l'honnêteté amène à l'honnêteté alors elle répondit avec la plus grande sincérité. En esquissant un rire, elle affirma : « Haha oui j'adoooore les piqûres de moustiques ! Très franchement, j'ai un peu attendu la dernière minute pour m'organiser et comme il s'agit d'une fête que j'avais l'habitude de passer en famille, j'ai du mal à m'en réjouir maintenant que papa n'est plus là ». Elle posa son regard sur l'East River, fixant un point, au loin. « On dit qu'avec le temps, la douleur s'atténue, mais elle refait parfois surface si violemment, qu'il est impossible de lutter ». Sasha avait laissé échapper cette phrase sans même songer à ce qu'elle pouvait refléter chez Joddie. Après-tout, elles devaient certainement ressentir la même chose en cet instant précis. La discussion s'écourta rapidement et Joddie décida de changer de sujet.« Et les exams ? Comment ça s'est passé ? ». Joddie faisait sans-doute allusion au fameux dossier, à ce fameux prétexte qui aura finalement permis aux deux femmes de se rencontrer. « Ah oui je ne t'ai même pas encore dit ! Mon dossier a reçu une mention ! Je suis super contente et tu y es carrément pour quelque chose. C'est plutôt drôle qu'on se retrouve ici en ce jour festif non ? On va fêter ça ! Tu voudrais un hot-dog ? ».

Pourquoi Joddie était là ? La demoiselle en question garda un oeil sur sa voisine, planta ses billes marron glacé dans celles de la brune qui lui tenait compagnie, et ne dit rien l'espace d'une seconde. Réfléchissait-elle à la réponse ou pensait-elle pouvoir dissimuler une part de la vérité ? Depuis Avril, l'étudiante avait pris l'énorme responsabilité d'apprendre à vivre en l'absence de son conjoint. Oui, elle s'était promise de ne plus attendre lâchement le retour de son défunt compagnon; il était certain qu'il ne reviendrait jamais. Les choses étaient plus compliquées que ce qu'elle avait imaginé, et être poussée par quelques personnes de son entourage ne pouvait lui faire grand-mal, parce qu'elle sentait une certaine culpabilité l'assaillir à chaque fois qu'elle faisait un pas vers la liberté, comme si Joa, de son âme errante, la retenait encore. Il avait toujours été très possessif, le fils Grahams, si bien que ça ne pouvait choquer Joddie qu'il en soit de même dans l'au-delà. Alors, elle ne répondit pas, garda le silence. Elle ne savait pas pourquoi elle s'était décidée à suivre les conseils d'autres plutôt que d'écouter sa conscience.
Passer à un autre sujet l'aida à contourner la curiosité naturelle de Sasha, et tous ceux qui s'étaient un peu attardés sur Joddie savaient que la pilote professionnelle préférait être à l'écoute que de se livrer. Bien qu'elle savait la jolie criminologue  être parfaitement à l'aise en société, elle n'aurait jamais parié sur tant d'aveux. En effet, la question banalement posée eut comme réponse une incroyable révélation qui fit baisser le regard de l'Aborigène. La disparition d'un être cher avait de lourdes conséquences sur les proches dont le cœur battait encore, plein de vie, plein d'amour. Le quotidien se voit chambouler, tout autant que les habitudes dont on ne sait s'il est préférable de les perpétuer ou de les oublier. Un léger souffle s'échappa des narines de la métisse, car elle savait deviner ce que ressentait sa voisine pour l'avoir vécu elle aussi, -et peut-être le vivre encore par instant. Elle hocha la tête, le mutisme compatissant. Il n'y avait besoin de plus : Sasha savait par quoi Joddie était passée, et probablement que ça avait aidé à la confidence. _ Se faire mordre laisse toujours des cicatrices, murmura-t-elle pour faire comprendre à Sasha que sa peine était normale.
Par contre, la mort n'avait pas à enterrer les vivants, c'est ainsi que la discussion alla à un autre sujet qui ne mériterait pas aux disparus d'y prendre part; cela concernait le présent, et l'avenir. _ Je suis heureuse pour toi, fut-elle sincère, les yeux à nouveau posés sur le faciès de la brune, tu t'es donnée, je ne vois pas comment ça aurait pu être autrement, avoua-t-elle , faisant indirectement allusion à la puissante motivation dont elle eut usé pour arriver à ses fins. D'ailleurs, l'énergie reprit vite le dessus. _ Un hot-dog, pour fêter ça, lança-t-elle, surprise par l'originalité. Cela ne se fêtait ainsi plus avec une bière ou une coupe de champagne ? Quoi qu'il en soit, ça lui allait : Joddie ne buvait pas d'alcool pour des raisons qui lui étaient personnelles. _ Je crois que j'ai vu un panneau, un peu plus tôt, qui indiquait un vendeur itinérant installé plus bas, leva-t-elle le menton sur l'East River, il existe même un nombre de sauces jamais testées qui ont l'air d'être une belle invention, s'appliqua-t-elle à expliquer. Il y avait tout de même un détail qui ne devait pas être oublié auquel Joddie pensa sur le fait.
Tout autour d'elles, les groupes d'amis s'étaient amassés et n'attendaient qu'une chose : pouvoir trouver une raison de se faufiler plus en avant sur la rive. Le départ des deux étudiantes serait ainsi utilisé pour voler la place où elles avaient trouvé bon de se poser et Joddie ne voyait pas la légitimité dans cet acte. _ Je t'attends ici, proposa-t-elle à Sasha qui, intelligente de surcroît, ne pourrait que comprendre la pseudo-flemmardise de l'Aborigène.

724 mots @Sasha N. Pierce

C'était une évidence. Quelque chose de fort liait intrinsèquement les deux jeunes femmes. Il est de coutume de dire que "rien n'arrive par hasard". C'était leur cas. Leur destin était de se rencontrer, par le biais d'événements dramatiques qui forgeaient leurs passés respectifs. Pour l'une, le meurtre d'un père aimant l'avait poussée à s'orienter dans un domaine professionnel qu'elle n'aurait jamais envisagé autrement. Pour l'autre, la perte subite et tragique d'un conjoint, l'être aimé, avait laissé un goût amère qui l'avait poussée à ne jamais se résigner. C'était leur ténacité qui avait fini par les réunir. Il fallait toujours découvrir la vérité, et ce, au risque de réveiller quelques souffrances au passage. Mais peu leur importait de souffrir, tant que justice était faite. Ces trais de caractère liaient Joddie et Sasha bien plus qu'elles n'en avaient encore conscience à l'heure actuelle. Seule Sasha semblait gentiment laisser remonter à la surface ce qui était jusqu'ici bien enfoui. Il était question de quelque chose de plus profond qu'une simple attirance, car Sasha était familière à ce type de situations. Hommes ou femmes, elle s'était rapidement avouée ses orientations et s'était assumée sans grandes difficultés. Elle connaissait donc bien les mécanismes qui venaient englober un potentiel "début de relation" et l'attirance réciproque entre deux individus était la clé de voute de ces rouages, nécessaires à la caricaturale parade nuptiale de la séduction humaine. Or, entre Joddie et elle, il n'y avait pas d'attirance au prime-abord. Mais il était facile de remarquer qu'il ne s'agissait pas non-plus d'une simple amitié. Leurs échanges en étaient la preuve. Elles étaient dans la confidence, dans le partage d'émotions - certes timides - au sujet d'événements qui les avaient changées à jamais et qui faisaient d'elles les personnes qu'elles étaient aujourd'hui. Alors forcément, leur lien ne pouvait être que peu banal et leur relation prenait une tournure qu'elle n'aurait jamais pu prendre auprès de quelqu'un d'autre.
En se voyant suggérée d'aller chercher les fameux hot-dogs, Sasha esquissa un sourire en coin, en réponse à son acolyte du moment. « J'ai compris madame "la flemme m'a pris d'assaut". Je m'en vais de ce pas nous ravitailler. ». Et comme pour tâter le terrain, sans vraiment s'en rendre compte, la sulfureuse brune interrogea Joddie, d'une façon détournée. « Si j'ai bien compris, niveau "inventions de sauces originales" t'as envie d'être surprise ? Me laisserais-tu te surprendre à ma sauce ? ». Sans pour autant cacher sa satisfaction quant au jeu-de-mot plutôt médiocre qu'elle venait de sortir, Sasha se posa immédiatement la question de ce qu'elle avait bien pu vouloir faire passer comme message à Joddie. Que cherchait-elle à provoquer ? Et en quoi l'envie d'être surprise sur un plan culinaire pouvait signifier quelque chose sur le plan relationnel ? Il fallait avouer que Sasha était quelque peu déstabilisée par la jolie aborigène. D'habitude, la Tchèque avait le contrôle. En tant que séductrice invétérée, les intentions entre sa conquête et elle étaient toujours explicites, la drague un simple moyen de communication et elle savait toujours qu'elle finirait par faire flancher l'objet de sa convoitise. Cette fois, c'était différent et Sasha ne savait même pas si Joddie était en mesure d'arborer le statut de "conquête". Et puis, il y avait ce respect mutuel entre elles, dû à leur vécu, qui empêchait Sasha de se montrer trop incisive et trop enjôleuse. Face à ce qu'elle venait de ressentir, Sasha n'avait q'une hâte, se précipiter vers le stand itinérant, telle la souris qui irait se cacher dans son trou.

Ne laissait-elle pas le choix à la plus âgée ? Bien évidemment que non. Et cette dernière ne mit pas bien longtemps à comprendre qu'elle s'était elle-même faite piégée à la seconde où elle proposa de fêter cela avec un hot-dog. L'idée n'était pas mauvaise, l'endroit l'était peut-être; l'heure choisie : carrément. Joddie releva légèrement les jambes, encore croisées, simplement pour pouvoir les entourer de ses bras, liant ses index sur le devant de la position. _ Je te garde la place, promit-elle, au cas où Sasha ne se doutait déjà pas que l'Aborigène pouvait être aimable lorsqu'elle le désirait, et sans qu'on ne lui demande. Elle faisait des efforts la métisse. Même si elle aurait adoré passer la soirée seule à regarder le peu d'étoiles briller dans le ciel de New-York, maintenant que l'étudiante en criminologie avait pointé le bout de son nez, elle ne pouvait qu'apprécier sa présence. Qui pouvait se sentir pleinement satisfait de passer le quatre Juillet seul sous un feu d'artifice énergique et coloré ?
Pensant que la brune était déjà sur le point de partir, Joddie porta un regard sur le téléphone portable qui avait glissé entre ses cuisses et avait rejoint le gazon naturel sur lequel elle s'était posée. Un message venait tout juste d'apparaître sur l'écran, S.M.S. qui succédait à quelques appels négligés de la part de la pilote professionnelle. Certes, elle ne les avait pas entendu, mais n'avait pas compté sur le fait d'appeler en cette fête nationale. Elle ne se concentra pas bien longtemps sur l'illumination qu'avait provoqué l'appareil, la voix de Sasha ayant articulé une phrase à laquelle il parut intéressant  de réfléchir. Les billes brunes aux reflets dorés de l'Aborigène se portèrent sur le faciès de la Tchèque. Un sourcil prit de la hauteur sur son front signant l'incompréhension. Qu'y avait-il de similaire entre une sauce et Sasha ? Joddie fixa le visage de la demoiselle, bien plus pâle et expressif que le sien, et secoua la tête doucement en réponse au charabia. _ Euh..., eut-elle tout juste le temps de prolonger avant la fuite de sa partenaire de soirée.
Le départ de la plus vieille fut bref, si bien que l'Aborigène n'eut d'autre choix que de suivre le mouvement des jambes empressées de la brune qui se frayaient un chemin entre les couples et groupes d'amis déjà postés devant la rive, ayant goûté aux meilleures places. Joddie resta plantée un instant là, à penser à ce qui avait bien pu gêner Sasha pour qu'elle ne s'échappe vers le marchand itinérant. Elle immobilisa ses pierres précieuses sur le trajet qu'eut emprunté l'étudiante avant de soupirer légèrement. Était-ce ce qu'elle avait débité qui eut cet effet sur elle ou le peu de réaction de celle aux cheveux frisés face à sa phrase ? Elle passa une main sur sa tignasse attachée en une queue de cheval mi-haute et gratta de ses ongles coupés courts le dessus de son crâne. Elle avait beau avoir toujours été asociale, quelque peu effacée et solitaire, elle n'avait jamais apprécié être vue comme une personne inapte à acquérir la confiance d'une autre. Elle n'avait peut-être pas la facilité de conversation, mais ses oreilles étaient à l'écoute de toute tentative.
Elle plongea son regard une dernière fois sur un autre message reçu qui fit vibrer un coin de son adducteur, mais elle ne l'ouvrit pas. Elle attrapa le téléphone portable, le rangea dans son pantalon denim effilé aux chevilles, décroisa les jambes et se leva de toute sa hauteur. Par réflexe, elle tapota son fessier avant de l'essuyer de tout restant d'herbe qui se serait collé à cet endroit de son anatomie. Ses sandales plates mouvèrent et s'éloignèrent étrangement du bord, gagnant de la distance quand il était plutôt nécessaire de se rapprocher pour dévorer le spectacle d'une place agréable. Elle leva ses membres inférieurs au moindre obstacle, qu'il soit fait d'homme, de femme, d'animal de compagnie ou de sac. L'emplacement qu'elle eut trouvé fut très vite pris d'assaut par les voisins de derrière, heureux de s'approcher de l'East River. Pourtant, Joddie n'était plus dans cet état d'esprit. Bien que tout Américain qui se respectait aimait par dessus tout cette fête nationale, il n'était plus question de ça, à présent.
_ On dirait que la cabane a été assaillie par de nombreux affamés, ce soir, articula-t-elle lorsqu'elle arriva auprès de Sasha, les mains dans ses poches arrière. N'ayant eu aucun mal à se faufiler pour la rejoindre, la surprise de la Tchèque de la retrouver à sa hauteur eut don de laisser un faible sourire emprunté les lèvres de l'Aborigène, quelques secondes à peine avant que son visage ne retrouve son air neutre habituel. Ouais, la culpabilité de n'avoir réagi au jeu de mots de sa voisine l'avait gagné, sans qu'elle ne puisse vraiment savoir pourquoi. _ T'as déjà fait ton choix, interrogea-t-elle la plus vieille en portant ses yeux pétillants sur l'affiche suspendue au-dessus du camion. La concernant, elle fera confiance à Sasha et la laissera choisir à sa place, puis payera l'addition, ou tentera de le faire, -pour se faire pardonner.

918 mots @Sasha N. Pierce

Spoiler:

Sasha s'avançait d'un pas rapide en direction du stand à Hot-dog, tentant aussi bien que mal de dissimuler son désarroi. Il était clair qu'elle essayait de fuir la situation. « Qu'est-ce qui te prends ma vieille ? », se murmura-t-elle, tout en fermant fermement ses paupières, comme pour réaliser ce qui venait de se produire. La jeune femme secoua sa tête et, en même temps qu'elle rouvrait ses yeux, prit une profonde inspiration. Elle enchaîna, presque à haute voix : « Tu te mets à draguer Joddie maintenant ? Tu dois vraiment être en manque d'affection ! ». Il fallait avouer que depuis quelques temps, la jeune femme avait du mal à rencontrer de nouvelles personnes, conquêtes potentielles. Elle s'était, par ailleurs, même confiée à sa meilleure amie et colocataire Cassidy, afin d'y voir plus clair dans sa vie sentimentale du moment. Elle, la séductrice invétérée, la femme fatale, celle qui obtient toujours ce qu'elle convoite - qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes - se retrouvait soudainement à avoir de l'espoir. Espérer quoi exactement ? C'était la question qui avait subitement prit possession de ses pensées depuis cette petite remarque qu'elle avait adressée à son acolyte du jour, pourtant Ô combien si anodine au départ. Il est certain que ça avait été particulièrement maladroit de sa part mais tellement spontané par la même occasion.
Une fois arrivée à hauteur de la file d'attente qui permettait l'accès au si convoité mets typiquement américain, la Tchèque tenta de mettre de l'ordre dans ses pensées, s'obligeant à se conditionner par quelques tournures d'auto-persuasion. « Tu n'es pas attachée à cette fille Sasha. En plus, tu sais pertinemment qu'elle vient de traverser un drame qui implique son petit-ami, PETIT-AMI ! ». Forcément, placer les gens dans des cases rendait toujours la solution du problème plus évidente. Considérer Joddie comme une hétérosexuelle encore meurtrie de la perte de son bien-aimé, revenait à la placer dans un statut de "non-réciprocité" inévitable dans le cas où Sasha viendrait à ressentir des quelconques sentiments à son égard. Il fallait dire que la jolie brune savait se convaincre et la douleur d'un rejet engendré par des sentiments non-partagés lui était familière, au point de l'avoir à jamais dégoûtée de vouloir réitérer l'expérience. « Ressaisis-toi ! À la base, tu ne devais même pas te retrouver en compagnie de qui que ce soit aujourd'hui. Estimes toi déjà heureuse d'avoir une âme charitable qui acceptes ta présence pour assister à la fête nationale. ». Cette phrase résonna en contradiction avec ces fameux espoirs qui avaient commencer à s'installer au fond d'elle. Au fond, même si Sasha s'était jurée de ne jamais se mettre en couple, elle n'en restait pas moins humaine, et les humains, ça tombent amoureux. Qu'on le veuille ou non, des sentiments peuvent surgirent au détour d'un chemin, alors qu'on ne les attendaient plus. Et il fallait reconnaitre que les points communs qui liaient Joddie et Sasha étaient un terreau fertile à d'éventuels sentiments amoureux. Mais de là à parler d'amour, Sasha était encore bien loin du compte. C'est pourquoi il était encore possible, à son humble avis, de réfréner cet étrange pulsion qui l'avait poussée à commencer à flirter avec la belle aborigène.
« On dirait que la cabane a été assaillie par de nombreux affamés, ce soir. ». Sasha sursauta en entendant le son de cette voix à laquelle elle pensait depuis plusieurs longues minutes maintenant. Prise de cours, elle resta stoïque, à fixer Joddie droit dans les yeux. Il y avait quelque chose de presque "trop beau pour être vrai". Comme lorsque l'on se réveille d'un doux rêve dont on souhaiterait qu'il prenne vie à l'instant où l'on a émergé. Quelqu'un avait-il entendu ses pensées au point de faire en sorte que Joddie apparaisse, comme par magie, juste à côté d'elle. « T'as déjà fait ton choix ? » interrogea la plus jeune. Sasha saisit cette opportunité pour dissimuler son étonnement - agrémenté d'une gêne - pour répondre du tac au tac, sans relever le fait que, par sa venue, les deux femmes venaient certainement de perdre leurs places sur l'herbe, face au futur spectacle. « Pas encore ! Mais je ne vais pas tarder à me décider. De ton côté, qu'est-ce que tu voudrais ? »

Spoiler:

Joddie plissa davantage les yeux sur l'affiche qui répertoriait les mets salés et sucrés servis par la cabane. Elle avait pensé pouvoir se référer au choix de sa comparse, mais cette dernière ne semblait pas plus à l'aise qu'elle dans cet exercice, ce qui obligea la pilote professionnelle à prendre une décision. _ Je crois que je vais jeter l'éponge sur le hot-dog, glissa-t-elle de son accent chantant, et opter pour un wrap au fromage, juste là, leva-t-elle l'index, certaine de pointer la ligne quand pour l'autre elle ne faisait que montrer le ciel illuminé de peu d'étoiles ; la faute aux luminaires électriques plantés dans toute la ville. Le coupe-faim qui lui faisait appel n'était pas plus dans sa liste d'aliments validés par sa nutritionniste personnelle, mais ces derniers temps, elle tentait de se laisser aller parfois, la faute à ces petits canapés qu'elle eut dégusté à bord d'un yacht en compagnie d'un autre sportif de l'asphalte le mois dernier. Elle eut très vite compris que son équilibre alimentaire n'allait pas être faussé par quelques malbouffes mensuelles. Et quand bien même, n'était-ce pas important pour le mental de lâcher prise ?
_ Quels sont tes plans pour l'été, interrogea la métisse après qu'une courte pause se soit installée entre elles. Ses mains glissèrent de ses poches arrières pour venir se croiser sous sa poitrine, alors qu'elle piétinait ses sandales sur le goudron, chaussures qui ne lui faisaient gagner qu'un ou deux centimètres sur son mètre soixante-treize. Elle était connue pour ne pouvoir garder son calme une fois debout, ça avait toujours été compliqué, pour elle, de stagner quand ses jambes étaient étendues de toute leur longueur. _ Tu as entendu parler de la croisière programmée en Août, demanda-t-elle. Même si Joddie avait rêvé de pouvoir y participer, elle savait les entraînements de ces deux mois importants pour son classement aux qualifications de la World Cup, de ce fait elle n'en serait pas. Par contre, elle avait pas mal de retours de ses camarades de classe et autres compagnons de route auxquels elle parlait rarement mais avec qui elle avait gardé contact. Ils avaient pour habitude de bénéficier de réductions sur le voyage en étant étudiants et, habitués chaque année à y céder, l'aventure avait été rapportée comme étant splendide.
_ Je me suis inscrite à des sessions d'études pour rattraper mon retard, confia-t-elle à Sasha. Si l'Aborigène s'était sentie de rater le mois de Septembre l'année dernière, la mort de Joa n'avait jamais été prévue au programme, si bien qu'elle n'avait participé à moitié qu'aux cours d'Octobre. Elle avait réussi à avoir son année de justesse, mais était également consciente qu'elle ne pourrait démarrer son master dans de bonnes conditions sans une remise à niveau. Elle avait donc jugé utile de contacter quelques anciens étudiants en doctorat qui proposaient leur service pour vingt dollars de l'heure. _ Avec le championnat de Novembre à Macao, je ne peux pas me permettre de rester les bras croisés cet été, haussa-t-elle les épaules ; à moins de vouloir redoubler son année avant même de l'avoir débuté. Elle baissa ses billes sur ses bras emmêlés encore sous sa poitrine, et trouva marrant d'avoir utilisé cette expression quand, littéralement parlant, ses membres supérieurs étaient liés. _ Simple façon de parler, préféra-t-elle ajouter, le ton amusé même si ses lèvres ne bougèrent pas d'un pouce en une esquisse. Elle les décroisa tout de même et profita de l'attente pour regarder l'heure à sa montre.
_ J'espère que nous n'allons pas devoir profiter du feu d'artifice en faisant la queue, fit-elle.

641 mots @Sasha N. Pierce