a heart of steel starts to grow ☆ jalista

Quand on devient pompier, on s’imagine forcément entrer dans des bâtiments en feu, sauver quelqu’un des flammes, sortir quelqu’un d’une voiture réduite en bouillie et apparaître comme le héros. Forcément. Ceux qui disent qu’ils n’ont pas choisi ce métier pour ça sont des menteurs. Les pompiers ont forcément un fort besoin d’adrénaline, et l’envie d’être un héros, au moins un peu. Et puis quand on l’est, on réalise que ce n’est pas toujours ça. Parfois, les interventions vont être moins folles, vous laisseront même peut-être un peu déçu, lassé. Mais maintenant qu’il y est, Jamal ne s’imagine pas faire autre chose. Il adore son équipe, et même si les interventions s’avèrent peu intéressantes, ses co-équipiers arrivent toujours à les rendre un peu plus drôles, à l’aide de quelques blagues internes. Aujourd’hui, alors que lui et deux co-équipiers rentrent vers la caserne après une intervention à la maison de retraite, ils sont rappelés pour un incident non loin de leur position. Un enfant coincé dans un vide-ordure. Sirène en marche, et ils sont immédiatement en route. Jamal ne peut s’empêcher de se demander comment on peut laisser ça se produire. Un enfant, ça se surveille, non ? Surtout pour monter dans un vide-ordure, il faut le faire. Arrivés sur place, ils prennent vite connaissance de la situation. Une petite fille, deux ou trois ans, coincée au bout de ce tunnel juste assez grand pour elle. En théorie, elle n’est pas coincée, mais la peur l’empêche de bouger, et elle est hors de portée d’un adulte. Sa collègue, bien plus fluette que les deux hommes, parvient à passer la tête par l’autre côté, tandis que l’autre va sécuriser l’entrée. Elle pousse la petite du bout du bras, alors que Jamal tend la main vers elle, prononçant quelques paroles qui se veulent rassurantes. La petite fille ne doit sans doute rien entendre, ses cris créant un écho dans le tunnel. A force d’efforts, il finit par toucher la jambe de l'enfant, et peut donc l’attirer doucement jusqu’à lui. Enfin sortie, elle s’accroche dans ses bras, sans cesser de pleurer. Sa collègue et lui font un check-up rapide, aucune blessure. Le bébé toujours dans les bras, il passe la porte de l’immeuble, où se trouve son collègue. « C’est bon, t’avais pas plus facile comme mission ? Tu sais si on a pu prévenir un parent ? » D’après ce qu’il a compris, c’était la baby-sitter qui avait laissé ça arriver. Compliqué de confier à nouveau l’enfant à cette personne. « Calista ? » Il fronce les sourcils, alors que son regard se pose sur la blonde qui se trouve face à son collègue. Et la petite fille qui tend ses bras vers elle.

C’était l’une des dernières personnes su qui il pensait tomber. Aujourd’hui ou un autre jour en fait. Dans son esprit, Calista était restée au Brésil, dans cette petite bulle qui avait duré une semaine. C’était plus logique comme ça. Elle n’existait pas en dehors de cette ville, de cette durée limitée, parce qu’à l’époque, ç’aurait été trop pour son mariage déjà bancal. Mais tout ça n’était qu’une illusion bien sûr, et il ne peut que le réaliser quand il se retrouve nez à nez avec elle, en plein milieu d’une intervention. Avec, en prime, une petite fille qui tend les bras vers celle qui doit être sa mère. Ce que confirme Calista quand elle ouvre enfin la bouche, visiblement encore plus choquée qu’il ne l’est. La petite fille change de bras, et ses cris semblent faiblir maintenant qu’elle est rassurée. Il croise les mains derrière son dos, sans trop savoir qu’en faire, alors que Calista lui pose plusieurs questions. Ses collègues semblent avoir remarqué qu’ils sont de trop, et sont rentrés à nouveau dans le bâtiment pour rassembler leurs affaires. « Ça va bientôt faire trois ans, pourquoi ? » C’est vrai que quand elle l’a connu, sa vie était bien différente. Athlète professionnel, il voyageait sans cesse pour des compétitions aux quatre coins du monde. Son pied-à-terre était son île natale, mais ça allait tant qu’il n’y restait pas trop longtemps. Y vivre toute l’année ne lui conviendrait pas. C’était pour ça qu’il avait rejoint New York à la fin de sa carrière sportive. « Et j’habite à New York maintenant, je savais pas que c’était interdit. » Il hausse les épaules, en regardant Calista. Elle est toujours aussi belle, ça n’a pas changé. Non pas qu’il trouve ça surprenant. Elle a toujours été d’une beauté rafraichissante. Dans une destination exotique ou beaucoup plus citadine comme New York, elle ressemble toujours à un soleil. « Tu as une fille alors ? » Logique implacable. « Elle est douée pour ramper dans des endroits improbables. Enfin je pense pas qu’elle recommencera, elle s’est fait peur toute seule. Et elle n’a rien au fait. »

Forcément qu’il est surpris, lui aussi. Il est même surpris par toute la situation. Par la probabilité qu’ils habitent dans la même ville, alors que leur courte relation – si on peut appeler ça une relation – avait pris place dans un pays qui leur était étranger, à tous les deux. La probabilité qu’il soit appelé pour une intervention concernant sa fille. Le fait qu’elle ait une fille. Il ne peut qu’être surpris face à tout ça, mais il le montre moins que Calista, qui enchaîne les questions. Lui non plus, ne pensait jamais la revoir, il ne prend pas un ton accusateur pour autant. Surtout que s’il doit être tout à fait honnête, il pourrait même être heureux de recroiser son chemin. C’est vrai qu’il aurait pu s’installer n’importe où ailleurs, il ne sait même pas exactement pourquoi il avait choisi New York. La ville lui plaisait, sa richesse et son activité non-stop aussi. Et puis sa petite sœur y habitait, et même s’ils ne s’entendent pas, ça avait peut-être un peu motivé son choix. Même s’il dit que c’est pour l’emmerder qu’il est venu. Il sourit en entendant Calista parler de sa fille. Maintenant qu’il les regarde toutes les deux, la tête de la petite fourrée dans le cou de sa mère, il voit la ressemblance. Il n’empêche qu’il est toujours étonné de voir qu’elle a un enfant. « Ça va, elle a été courageuse. » Du haut de son jeune âge, on peut sans doute dire ça. En fait, Jamal ne sait pas exactement pourquoi il dit ça. Il prend le compliment de Calista avec un sourire, et bombe un peu le torse, presque machinalement. « Tu trouves ? » Au-delà de l’uniforme, c’est vrai que le métier lui convient parfaitement. Un rêve de gamin, après avoir perdu son premier, par sa faute. D’ailleurs, il est agréablement surpris que Calista ne soit pas au courant de cette histoire de dopage qui avait signé la fin de sa carrière. « J’aurais pas pu finir ma vie derrière un bureau, il me fallait de l’action, et un peu de sport aussi. Donc pompier, ça m’a semblé pas mal. » Comme une évidence finalement. Sa vie d’avant lui manque toujours un peu, mais il parvient à être heureux dans celle-ci aussi. « Et toi alors, tu fais quoi maintenant ? Tu chasses les trésors mais avec une petite fille accrochée sur ton dos ? »

Hors de leur bulle, il y a comme quelque chose qui sonne faux. Différent. Pas exactement comme il s’en souvenait, et pourtant, il n’a pas l’impression qu’elle ait changé. A part la petite fille qu’elle a dans les bras bien entendu. Mais le décor n’est pas le même, la situation non plus. Et l’ambiance paraît plus froide. Leur histoire avait été une brève aventure, une petite parenthèse dans la vie de tous les jours. A l’époque, les voyages faisaient partie intégrante de la vie quotidienne de Jamal, alors que maintenant, ce sont ses vacances. Et là, Calista est dans sa vie quotidienne. La nouvelle. Et quelque part, ça paraît étrange de la revoir. Mais peut-être pas si mal. Après tout, il garde un très bon souvenir de leur semaine ensemble. Un excellent souvenir, même. « Ça serait dommage en effet. Sinon faut faire du sport, c’est bon pour le cardio. » A l’époque, ils n’avaient pas tellement parlé. Pas de leur vie du moins. Quelques conversations sur des sujets simples qui avaient semblé tellement importants à l’époque. Mais ils ne se connaissaient pas non plus. Pas vraiment. Peut-être avait-ce été un acte inconscient de sa part. Pour éviter que ça signifie quelque chose. Que ça soit réel. « Quels risques du métier ? » Il hausse les épaules, comme si ça n’était rien. Ça serait mentir que de dire qu’il n’a jamais eu peur dans l’exercice de son métier, mais ça ne va pas avec l’allure d’homme courageux qu’il veut montrer. A Calista en particulier. Il se souvient tout de même de ce qu’elle faisait à l’époque, et est un peu surpris d’apprendre qu’elle a arrêté. Elle aussi, elle est moins aventureuse. Mais avec un enfant, c’est sans doute normal. D’ailleurs, pour la première fois de la conversation, il s’interroge sur le père. Elle a parlé de se poser. Sans doute cela voulait-il dire qu’elle s’est aussi posée avec un homme. Qu’elle a une famille maintenant. Ça expliquerait qu’elle ne voyage plus autant, et ait donc changé de voie. Changement assez radical d’ailleurs, mais il peut bien parler. « Ah j’ai déjà été photographié pour Vogue, mais c’était pas encore toi à l’époque. » Quand il était encore en plein boum de sa carrière, et assez connu dans le milieu sportif. Un numéro spécial pour des jeux olympiques, et il s’était retrouvé dans le magazine. « C’est sympa en tout cas. Au moins, t’es pas derrière un bureau non plus, et ça doit laisser plus de temps pour la vie de famille. » Est-ce qu’il devrait l’interroger là-dessus ? Sans doute pas. De toute façon, il n’en a pas le temps puisque c’est le moment que choisissent ses collègues pour sortir de l’immeuble, et s’arrêtent à côté d’eux. « Donc maintenant, tu dragues les mamans dont tu sauves les gamins ? T’as aucune limite Valentyne. » Et en se tournant vers Calista. « Vous n’êtes pas obligée de prendre son numéro, vous inquiétez pas. Même si c’est vrai qu’il présente bien comme ça. »

« Tout est question de point de vue, c’est encore plus risqué pour la personne restée coincée et évanouie à cause des fumées. A côté, j’ai pas la pire position. » Même s’ils discutent de choses relativement normales, Jamal essaye bien sûr de se montrer sous son meilleur jour. Il a toujours cette tendance quand il discute avec une femme, mais avec celle avec qui il a passé une semaine parfaite, c’est peut-être encore pire. Même quand il était marié, même avant de seulement envisager d’être infidèle, Jamal a toujours aimé plaire. Et peut-être qu’il pourrait être intéressé pour remettre le couvert avec Calista. Même s’il ne sait rien de sa situation actuelle. Même si elle pourrait très avoir tourné la page et fondé une famille. C’est du moins ce que semble indiquer la petite fille dans ses bras. Mais tant qu’elle ne dit rien, qu’elle semble même jouer le jeu un peu, pourquoi s’en priver ? Il s’étonne de son nouveau métier, mais comme elle s’était étonnée elle-même du sien, c’est sans doute normal. Ils ont tous les deux évolué. Et de toute façon, ils ne s’étaient croisés qu’à une petite étape de leur vie respective. Jamal ignorait complètement qu’elle aimait la photographie, ou voulait un enfant. Tout comme elle ignorait beaucoup sur lui. Comme le fait qu’il portait habituellement une alliance à son doigt par exemple. Mais qu’est-ce que ça pouvait faire ? Ce n’était pas fait pour durer, ç’avait été évident dès le départ. Et c’était même elle qui était partie, sans qu’ils aient l’occasion de se dire au revoir. Peut-être avait-elle bien fait. Eviter un moment embarrassant après cette semaine parfaite. N’empêche que ça lui avait toujours laissé un goût inachevé. Tout comme cette conversation, interrompue par ses collègues. Il va être temps pour eux de repartir, il le sait. Et les plaisanteries de son co-équipier ne manquent pas de lui faire lever les yeux au ciel. Calista ne semble pas s’en formaliser, heureusement. La petite fille se retrouve par terre, alors que sa mère demande subtilement à Jamal son numéro de téléphone. « On sait jamais, t’as raison. » Et il prend le téléphone qu’elle lui tend, pour y entrer son numéro. Ses collègues lui font signe et se dirigent vers le camion, alors qu’il rend son téléphone à Calista. « Je vais devoir y aller. Ils ont besoin de moi pour sauver la ville, tu comprends. » A part ça, il ne se prend pas pour un héros, non. « Ça m’a fait plaisir de te revoir en tout cas. Même si les circonstances n’étaient pas aussi… plaisantes. N’hésite pas à m’appeler surtout, je t’ai donné mon vrai numéro en plus. » Et peut-être qu’il espère qu’elle le fera. Ça serait dommage d’en rester là. Peut-être que leur bulle pourrait exister à un autre moment dans le temps, à un autre endroit dans le monde.