Hântée par les fantômes du passé

Dix déjà, toutes ses années représentaient le fossé qui me séparaient de mon amie assassinée, qui a succombée dans mes bras. Si chaque année j’avais espéré un jour arriver à tourner la page, aujourd’hui je pouvais vraiment respirer en sachant qu’elle pouvait reposer en paix, c’était la première fois que je ressentais ça depuis 10 ans.

Je ne travaillais pas ce jour-là, j’avais pris la journée pour penser à elle et essayé d’oublier ce bracelet que j’avais à la cheville. Aujourd’hui je voulais passer cette journée qu’on nous avait volée, la veille de son vingtième qu’on aurait dû partager ensemble. Je n’avais même pas une photo pour la pleurer, simplement ces images qui ne quitteront jamais mon esprit.

Quand je marchais dans la rue, j’essayais de sourire en oubliant ce qui c’était passé avant. Je pensais à elle d’une façon si soutenue que j’avais l’impression de la voir à chaque coin de rue. A cet arrêt de bus, en sortant de cette supérette, attendant au passage piéton. Je clignais des yeux, juste quelques instants en croisant cette femme avant que mon cœur ne défaille.

- Lana ?

Je croisais cette fille comme j’avais pu en croiser mille autre comme elle avant, j’avais pu voir son visage dans tellement d’autre femme, et pourtant le sien m’était familier. Je soupirais en m’arrêtant en plein milieu du passage que je ne terminais pas de traverser. Quand je me retournais, je la cherchais du regard en espérant la revoir.

- Lanaaa !

En criant son nom dans la rue, je voulais qu’elle se retourne. Cette femme brune que je venais de rencontrer, j’en étais persuadé, je l’avais sentie, mon amie était toujours avec moi. En m’avançant vers elle, je tendais la main pour attraper la sienne, elle n’était qu’à quelques centimètres, celle qui me manquait tellement.

J’aurais pu toucher ses doigts si le feu n’avait pas changé de couleur. En quelques secondes une voiture déboulait dans l’allée, son pilote certainement heureux d’avoir le feu pour lui. J’avais juste eu le temps de faire encore un pas avant de me faire propulser par tout l’air quelle déplaçait dans une chute en avant.

Mon genou touchait le sol avant que je pose la première main par terre. La voiture n’avais fait que me frôler, mais le déplacement d’air m’avait fait perdre l’équilibre. Mon cœur s’accélérait pendant que je regardais la brune s’éloigner. Je voulais encore crier son nom, mais aucun son ne sortait d’entre mes lèvres cette fois si, je restais à la regarder, impuissante avant de laisser mon corps gire sur le sol sans plus assez de force pour le soutenir.

Elle était là, juste devant moi, je l’avais vu juste avant de m’effondrer. J’étais sur le sol, gisant sans bouger en essayant de remettre mes idées en place à mesure que mon souffle venait gonfler chacun de mes poumons. Ce qui venait de se passer avec la voiture n’avait aucune importance, la seule chose qui comptait c’était de la revoir.

J’essayais d’entrouvrir un œil quand une voix étrangère se mis à fendre l’air. Je l’écoutais, elle avait quelque chose d’apaisant, mais à peine j’eu un œil ouvert que je ressentais le besoin de reculer. J’aurais sursauter si mon corps avait répondu, mais c’est comme si je restais paralysée par ma torpeur.

En essayant de hurler son prénom, je me rendais compte qu’aucun son ne sortait. Je ne sais même pas si mes lèvres remuaient à ce moment-là, ce que je savais c’est qu’elle était là, près de moi, une belle et tendre inconnue sous les traits de celle que j’avais tant espéré revoir un jour. Pourquoi est-ce qu’on me la ramenait si c’était pour me la reprendre ?

- La … lana ?

Un maigre son sortait cette fois d’entre mes lèvres quand la brune m’expliquait qu’elle était infirmière. Elle m’aidait à me relever et je me laissais faire. Je reprenais doucement le contrôle de mon corps mais les questions continuaient à fracasser mon crane encore endoloris. Quand elle se dressait en face de moi, le sourire au lèvre, je tendais la main pour caresser sa joue avec deux doigt.

- Tu n’es pas …

Est-ce que mes yeux me jouaient des tours ? Je la regardais en étudiant chaque pore de sa peau. Son visage, c’était celui de mon amie, mon cœur se serait un peu plus à chaque seconde et je me sentais manquer d’air. Une larme coulait sur mon visage et je fermais les yeux dans un soupire lancinant, ma main était restée sur la joue de l’inconnue.

Tout c’était passé si vite, les idées se brouillaient dans ma tête, mais la voir là, près de moi, même si elle n’était pas elle me mettait du Beaume au cœur. Pourquoi est ce que cette femme était arrivée là aujourd’hui ? Une coïncidence certainement, mais sa voix tant était elle différente de celle de Lana restait douce et prévenante.

La jeune infirmière c’était reculée d’un pas, je continuais de la dévisager en essayant de regarder les différences au lieu de la ressemblance troublante qu’elle avait avec mon amie. Elles étaient peut-être de la même famille ? Même si nous n’avions pas connue notre famille, qui sait ce qu’a pu faire notre patrimoine génétique dans notre dos.

- Je suis désolée, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise.

Une main sur ma hanche, je massais l’endroit qui me faisais mal en réfléchissant à tout ce que cela impliquait. Je devais en avoir le cœur net, au moins pour le souvenir de Lana, si elle avait une sœur quelque part, elle méritait de le savoir. J’essaye de trouver une position assise tant bien que mal en soupirant.

- Tu es infirmière ? C’est grave docteur si j’ai mal au-dessus de la fesse, la ?

Je montrais avec un doigt l’endroit endolori, défaisant le bouton de mon jean, je baissais juste mon pantalon à mi fesses pour essayer de voir, de montrer cet hématome, l’endroit qui me faisait mal en bas de ma hanche. J’essayais de tourner la tête pour voir dans mon dos mais ça faisait trop mal et après avoir plisser les yeux je me ravisais.

- Ça fait encore plus mal quand je bouge la tête.

Après l’avoir entendu à deux reprise m’expliquer qu’elle n’était pas Lana, j’en acceptais l’idée, même si cette dernière me faisait mal. Il y avait cet hématome, mais pas seulement, et c’était la situation toute entière qui devenait douloureuse. Je voyais bien que j’ennuyais cette fille, et d’une certaine façon je m’en voulais pour ça.

J’essayais de me plonger dans sa tête à elle, qu’est-ce que j’en penserais si une inconnue s’accrochait à moi avec un prénom qui ne me correspondait pas ? J’avais eu 10 ans pour faire mon deuil, mais de la revoir devant mes yeux faisait remonter ces souvenirs, ce qui se rapprochait le plus de souvenir heureux dans ma vie si compliquée.

- Excuse-moi, je vais pas t’embêter plus longtemps, juste … ahhh

En me cambrant pour essayer d’attraper mon téléphone portable dans ma poche, je sentais la douleur de plus en plus présente à mesure que je faisais des mouvements trop étriqués. Je prenais quand même sur moi pour extraire l’appareil de ma poche en soupirant, comme un soulagement de plaisir qu’on ressent à l’accomplissement d’un besoin trop présent.

- Je vais appeler quelqu’un qui viendra m’aider.

Je n’avais pas envie de rester seule à aller voir dans un hôpital. J’avais trop de mauvais souvenir, et après aujourd’hui ça serait encore pire que tout. J’avais déjà les images de mon amie à l’esprit, je lui avais tenu la main jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’on m’annonce que c’était trop tard et qu’il fallait la laisser partir.

Je me pinçais la lèvre en essayant de refreiner une larme qui ne tarderait pas à forcer le passage contre ma joue. J’essayais de déverrouiller mon téléphone pour passer mon appel mais l’écran ne réagissait pas. Je répétais l’opération plusieurs fois avant de le secouer et de remarquer la fissure sur l’écran.

- Putain … non …

Est-ce qu’il était foutu ? Ce qui était sur c’est que le choc n’avait pas arrangé l’état de mon vieux téléphone. Je recommençais, encore, avant de le poser par terre à côté d’une façon sèche. Je regardais l’écran qui ne changeait pas d’un iota avant de tendre une main vers l’inconnue pour lui demander de l’aide.

- Tu peux … juste m’aider à me lever ?

Elle était près de moi, et sa simple présence à la fois m’apaisait et me faisait du mal. Tout restait confus, mais j’étais tout de même heureuse de ne pas être seule dans cette situation. L’inconnue me faisait comprendre qu’elle ne saurait pas s’occuper de moi, et d’une certaine façon je savais bien que je ne pourrais pas l’y obliger.

J’aurais aimé la soulager, même si ça voulait dire ne jamais la revoir, j’acceptais de prendre mon téléphone pour demander de l’aide. Je n’avais juste pas envisagé que ce dernier n’était plus fonctionnel. C’était comme si l’univers me renvoyait des signes incessants pour m’expliquer que la belle jeune femme n’était pas entrée dans ma vie pour rien.

- Ne parle pas de mourir, s’il te plait ! On va trouver quelqu’un pour moi, et je te laisserai repartir te coucher.

Chaque geste devenait douloureux, mais elle restait là, et au son de sa voix je retrouvais une âme sensible, même si ça n’était pas celle de mon amie défunte. Quand elle prenait son téléphone pour appeler, j’étais assis grâce à son aide et me tenais comme je pouvais adosser en appuyant ma main contre la sienne qui ne tenait pas le téléphone.

- Merci !

Elle était en train de composer un numéro, certainement celui de l’hôpital le plus proche, de celui dans lequel elle travaillait. C’était étrange de penser que la jeune femme venait de cet endroit où on allait me conduire. Je lui souriais quand elle faisait le nécessaire pour qu’on vienne me chercher, et attendais qu’elle raccroche pour lui poser une dernière question.

- Comment est-ce que tu t’appelles ?

Il fallait que je sache, que j’arrive à mettre un nom sur son visage, ce même visage qui avait hanté mes nuits. J’avais besoin de dissocié les deux filles pour arriver à me faire une raison, et ça serait certainement la première étape vers la guérison. Je savais bien qu’elle n’avait qu’une hâte c’était que l’ambulance arrive et de retourner se coucher, après quoi on ne se reverrait peut-être jamais.