Un beau jour d'automne | Katamï

Un beau matin de novembre, il fait beau, il fait froid, Eve ouvre les yeux. Réveillée par un rayon de soleil s’immisçant entre les rideaux, la belle métisse tire sur sa couverture pour se cacher le visage. La nuit a été courte, elle s’est couchée tard, et en plus elle a la gueule de bois. « Je n’aurais pas dû boire autant » pense-t-elle sans vraiment le penser. Elle a l’habitude de se réveiller avec un mal de crâne qui lui vrille le cerveau, comme si une aiguille le perçait de part en part, encore et encore. Comme si son cerveau pensait qu’elle était sur une péniche, parce que son estomac est sur le point de se retourner. Elle se redresse brusquement, inspire, expire, inspire, expire. « Bon, ça devrait aller pour ce matin. »

Eve s’extirpe de son lit après quelques dizaines de minutes à repousser l’échéance. Si elle veut manger, et peut-être boire un peu ce soir, elle doit se bouger. Il n’y a rien ici, pas même de café. Elle se demande même pourquoi elle a pris un appart plutôt qu’une simple chambre dans un foyer. Ça lui correspondrait mieux. Mais elle devrait voir des gens en allant à la salle de bain commune, et aux toilettes communes. Ça ne lui correspond absolument pas, finalement.

Une heure après, elle s’engouffre dans Central Park et part chercher un emplacement visible. Ainsi, elle s’arrête près de la fontaine, les gens passent beaucoup ici, c’est une belle place. Ce sera peut-être une bonne journée. Elle pose son lecteur CD, retire sa doudoune et prend un instant pour s’habituer au froid. Elle aurait peut-être dû mettre un t-shirt de plus sous son sweat, mais bon, elle se réchauffera en dansant. Elle met la musique en marche et commence à se déhancher en rythme.
Voilà, c’est comme ça qu’elle vit, et c’est la seule façon qu’elle a de se sentir un peu vivante. Quand elle danse, elle peut oublier la malédiction qui plane sur elle, la peur au ventre qu’elle a de rencontrer des gens, d’être proche de qui que ce soit… La peur qui permet à la solitude de se lover en elle, comme un serpent cherche la chaleur, rampant insidieusement, cette solitude qu’elle a appris à aimer… la seule chose solide et stable de sa vie. Même elle disparait dans la danse, dans les notes qui s’élèvent dans le froid, pendant qu’Eve ondule devant les quelques personnes qui l’observent en passant. Il n’y a plus rien dans sa tête, peut-être seulement ses addictions qui piquent ses veines, mais elle les ignore tant qu’elle le peut.

Et les gens passent durant les deux heures qui suivent, certains mettant des pièces dans le gobelet posé à côté du lecteur, le gobelet se remplit bien d’ailleurs, plus vite que d’habitude. Le froid commence à faire son effet, les gens ont pitié d’elle, à devoir danser pour gagner de quoi manger. S'ils savaient qu'il y a pire que ça... Mais ça aussi, elle l’ignore.