there's a lot that you don't know. (naleya)

« C’est l’heure de manger. À table ! » Que je lance en direction de mes parents, prenant un plaisir fou à leur donner des ordres comme ils l’ont toujours fait à la maison. Ça fait toujours légèrement rire ma mère, alors que mon père grogne toujours autant. J'en profite aujourd'hui. Ils ne viennent pas souvent ici, parce que je ne parle jamais de ma famille à mes colocataires et que je n’ai pas envie qu’ils les rencontrent. Il y aurait sûrement bien trop de questions, rien qu’à ma couleur de peau différente de la leur. Aucun doute sur le fait qu’ils m’ont adopté et je n’ai clairement pas le désir qu’on s’interroge sur mes origines et tout ce qui tourne autour. Mais il faut croire que j’en demande trop parfois, surtout ce midi. Alors que je sors de la cuisine avec le plat en main, la porte d’entrée s’ouvre et laisse apparaître l’une des colocs que j’aurais préféré ne pas voir arriver. Naleya. Et le sourire que j’avais avant qu’elle entre, il disparaît rapidement. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Pas de bonjour, pas de sourire. C’est la première chose qui me vient en tête quand je la vois, ça ne me fait pas plaisir. Certes, je commence à vraiment apprécier sa présence, mais là, non. Parce qu’elle ne devait pas être là, il ne devait y avoir personne. Juste mes parents et moi. Elle n’aurait jamais dû arriver. Et le pire dans tout ça ? C’est que je n’ai pas le temps de lui dire quelque chose de plus, de lui demander de nous laisser, que ma mère apparaît comme par magie à ses côtés. « Bonjour, je suis la mère d’Anton. Vous devez être une de ses colocataires, vous déjeunerez avec nous ? » Les yeux fixés sur Naleya, je tente de lui faire comprendre de répondre par la négative, mais j’oublie souvent que ma mère a tendance à faire les questions réponses d’elle-même. Avant même que la jeune femme ait pu en placer une, elle déclare : « Je vais rajouter une assiette. » Et elle part faire ce qu’elle a dit, ne prêtant même pas attention une seule seconde à mon regard désespéré. Un regard qui n’a toujours pas quitté celle qui partage mon lit quasiment toutes les nuits depuis quelque temps. Bordel de merde. Pourquoi ça tombe sur elle ? « Maman, elle a peut-être pas envie de rester. » Que j’essaie en dernier recours, et la voilà qui demande à la belle : « Vous ne voulez pas déjeuner avec nous ? » Je soupire en la voyant abusé de son regard qui fait toujours céder. Elle ne pourra jamais lui dire non, ça en est fini.

@Naleya Farrell

Elle n’était pas censée rentrer manger chez elle ce midi, ayant cours toute l’après-midi, mais étant donné que son prof est absent, elle n’a aucune raison de rester à l’université. Elle ne sait pas lequel de ses colocataires sera présent, ni s’il y aura quelqu’un tout court, mais avec un peu de chance oui et elle ne mangera pas toute seule. Sauf que quand elle entre elle tombe sur Anton et apparemment elle aurait mieux fait de souhaiter se retrouver seule, vu la façon dont son sourire s’efface quand il la voit. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Ok, accueil sympathique. Elle sait bien qu’ils ne sont toujours pas ce qu’on peut appeler des amis et qu’ils ne se parlent toujours pas vraiment quand ils ne sont pas que tous les deux mais quand même, elle ne s’attendait pas à quelque chose d’aussi froid, comme si ça le faisait chier qu’elle soit là. Mais avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, elle aperçoit une femme qu’elle ne connait pas s’approcher d’elle. « Bonjour, je suis la mère d’Anton. Vous devez être une de ses colocataires, vous déjeunerez avec nous ? » La mère d’Anton ? Cette information entraîne plusieurs questions dans sa tête. Elle imagine donc que l’homme qui est présent est son père. Sauf que si c’est le cas, aucun de ses parents ne lui ressemble, du genre pas du tout, alors il y a forcément quelque chose qu’elle ne sait pas. Quant à la question qu’elle lui pose, le regard d’Anton lui fait comprendre qu’il n’a apparemment pas envie qu’elle reste et il essaie avec insistance de l’en dissuader. Elle est un peu perdue là, et vexée surtout, elle ne comprend pas pourquoi il y tient si peu. Mais alors qu’elle ouvre la bouche pour parler, la mère d’Anton reprend aussitôt. « Je vais rajouter une assiette. » Naleya referme donc la bouche puisqu’elle part directement le faire sans lui laisser l’occasion de répondre quoi que ce soit. Mais c’est sans compter sur son fils, qui continue de vouloir la faire refuser de manger avec eux. « Maman, elle a peut-être pas envie de rester. » Le fait qu’il persévère pour qu’elle refuse lui fait froncer les sourcils et l’agace, mais encore une fois elle n’a pas le temps de parler avant que sa mère reprenne la parole. « Vous ne voulez pas déjeuner avec nous ? » Posant le regard sur Anton elle attend une seconde avant de répondre, au cas où il aurait encore envie d’en placer une pour la forcer à partir, puis c’est avec un grand sourire sur les lèvres qu’elle se tourne à nouveau vers sa mère en voyant qu'elle peut enfin parler. « Si, ça me ferait très plaisir. » Elle n’avait pas l’intention d’accepter au départ, préférant les laisser tranquilles si c’était ce qu’il voulait, mais son insistance lui a fait changer d’avis. Tant pis pour lui, il n’avait qu’à être plus sympa. « Enfin, si c’est Anton qui a cuisiné j’hésite, mais si c’est vous je suis d’accord. » Elle a eu un petit avant-gout de ses repas et tant qu’à faire elle aimerait vraiment en manger un cette fois, c’est vrai, mais elle dit surtout ça pour envoyer une pique à son fils.

Elle accepte. Naleya veut manger avec nous et elle dit même que ça lui ferait plaisir. Je fronce légèrement les sourcils. Elle est sincère ou c’est juste une façon comme une autre de me faire chier ? Je ne sais pas trop comment je dois prendre sa décision pour le coup, mais je n’ai pas le temps de me questionner plus longtemps. Ce qu’elle ajoute ensuite me faire ouvrir la bouche, avant de la fermer et j’affiche une moue clairement boudeuse. « Fait pas genre, t’aimes bien ce que je cuisine. » Je râle, elle n’a pas le droit d’insinuer que je cuisine mal. Surtout que je ne fais que des trucs basiques, tel que des pâtes par exemple, et que ça serait vraiment être un empoté de ne pas savoir bien en faire. Devant mon air boudeur, j’entends mon père ricaner légèrement, lâchant un : « Je crois que je vais bien l’aimer cette petite. » C’est la première fois qu’il ouvre la bouche en présence de Naleya, et pour dire un truc comme ça. Non mais, aucun soutien de la part du paternel, ce n’est vraiment pas cool. Du moins, j’aimerais bien le penser réellement, mais j’ai du mal à retenir le petit sourire qui pointe au coin de mes lèvres. C’est étrange, mais ça me fait plaisir de voir que mes parents l’apprécient déjà un peu. Je ne devrais pas avoir ce plaisir, elle n’est rien de plus qu’un plan cul régulier, mais c’est ainsi et je ne saurais pas l’expliquer. « Chéri, cesse donc de faire ton grognon, et viens t’asseoir. » Que me dit ma mère, petit sourire amusé sur les lèvres. Elle l’a vu, mon sourire, et ça me fait soupirer. Je peux commencer à me préparer pour l’interrogatoire au sujet de la jeune femme la prochaine fois qu’on se verra elle et moi. J’apporte le plat à table, des travers de porc, et m’installe à côté de ma coloc, tandis que mes parents prennent place côte à côte. Silencieusement, on se sert les uns après les autres et une fois tout le monde servi, je déclare : « Bon appétit. » Pas besoin de plus d’attente pour qu’on se mette tous à prendre nos premières bouchées. C’est bon, comme toujours et je ne tarde pas pour complimenter ma mère. « C’est délicieux maman, tu fais encore des merveilles. » Je regarde ma mère, sourire sincère aux lèvres. Comme à son habitude, elle me sourit en retour, murmurant un simple "merci" entre deux bouchées de son assiette. « Puisqu’Anton en oublie les bonnes manières, je m’appelle Mickael et ma femme, c’est Nora. Et vous ? » Que lance alors mon père à Naleya, ne manquant pas de me foudroyer du regard. Bordel, il va finir par me faire la leçon sur la bonne conduite à avoir en présence d’une tierce personne. Mais non, ce n’est pas que j’ai oublié papa, c’est juste que je ne sais pas comment agir. Je suis complètement gêné qu’ils puissent se trouver tous les trois dans la même pièce, encore plus en sachant qu’elle se pose des questions. Parce que je ne suis pas con, j’ai bien vu son regard inquisiteur lorsqu’elle a compris que ces deux personnes étrangères étaient mes parents. Et je sais que je vais devoir y répondre, à ses interrogations, à moins de trouver une façon d’y échapper -et je préfère largement cette option à l’autre-.

Le voir froncer les sourcils quand elle accepte de passer le repas avec eux, ça la rend assez fière de son coup et ça l’encourage même à ajouter une taquinerie au passage. La réaction ne se fait pas attendre et elle se retient de rire en le voyant se mettre à bouder. « Fait pas genre, t’aimes bien ce que je cuisine. » Certes, on ne peut pas dire qu’il est mauvais en cuisine, mais elle ne peut pas dire qu’il est bon non plus vu les plats qu’il fait. Alors ok elle aime bien mais ce n’est pas très dur, donc elle hausse les épaules et c’est à ce moment-là qu’elle entend son père rire. « Je crois que je vais bien l’aimer cette petite. » En posant le regard sur lui son sourire s’agrandit, ça lui fait plaisir d’entendre ça et ça lui donne envie de narguer Anton comme une gamine. Ce qu’elle ne fait pas, elle ne voudrait pas déjà gâcher la première bonne impression qu’elle vient de faire, ce serait dommage. Anton toujours en train de bouder, c’est ensuite sa mère qui reprend la parole. « Chéri, cesse donc de faire ton grognon, et viens t’asseoir. » Heureusement elle semble amusée elle aussi et ça soulage Naleya. Des mères qui ne supportent pas qu’on se moque ne serait-ce que gentiment de leur enfant elle en a déjà vues et c’est vraiment difficile de s’entendre avec elles. Mais elle elle a l’air vraiment sympathique et continue sur la lancée plutôt que de le défendre. « Ouais ché… » Alors qu’elle allait répéter exactement la même phrase pour l’embêter toujours un peu plus, Naleya s’arrête avant de finir le mot "chéri", se rendant compte que ce serait bizarre. Ça la perturbe un instant et elle enchaîne sur ce qui lui vient. « Arrête un peu de râler. » Etant donné que c’est ce qu’il fait depuis qu’elle est arrivée, elle espère que ça passera comme si de rien n’était. Et elle s’empresse de s’installer pour oublier ce qu’elle a failli dire. Anton met le plat sur la table, s’assoit à côté d’elle, ses parents en face d’eux, et après que tout le monde se soit servi et se soit dit bon appétit, ils commencent à manger. « C’est délicieux maman, tu fais encore des merveilles. » Hochant spontanément la tête, elle ne peut qu’être d’accord avec ça et confirme en la complimentant à son tour. « Vous êtes vraiment une très bonne cuisinière, je mange rarement aussi bien. » Et c’est la vérité. Elle ne peut pas dire jamais parce que la cuisine de sa propre mère sera toujours la meilleure selon elle, mais là le niveau est quand même très haut et elle se régale. « Puisqu’Anton en oublie les bonnes manières, je m’appelle Mickael et ma femme, c’est Nora. Et vous ? » Un sourire apparaît sur son visage quand il mentionne les bonnes manières. Ça lui rappelle étrangement quelque chose. Il faut croire qu’elle n’avait pas vraiment tort la fois où elle lui avait dit la même chose, lui reprochant d’être entré dans sa chambre sans frapper. « Naleya. Et je crois que votre fils a un peu de mal avec les bonnes manières malheureusement. » Son ton est taquin. Est-ce que ça l’amuse encore plus que d’ordinaire de le chercher alors que ses parents sont là ? Totalement. Elle doit avouer qu’elle adore ça. Et puis le taquiner c’est simple, elle a l’habitude. Mais faire la conversation ça la gêne un peu plus, elle ne sait pas quoi dire. Pourtant il y en a des questions qui lui traversent l’esprit, mais elle n’ose pas, pas encore, cette situation est trop étrange.

Naleya commence à parler, reprenant visiblement les mêmes paroles que ma mère, avant de buter sur l’un des mots. Le début ne laisse aucun doute. "Chéri". Je l’observe, les sourcils froncés, attendant qu’elle continue sur sa lancée. Chose qu’elle fait, partant totalement sur autre chose, dans le but certain de faire oublier ce qu’elle s’apprêtait à lâcher. Moi, ça me fait doucement sourire. Ça m’amuse, clairement, de la voir perdre la face à l’emploi d’un simple mot. Je compte bien l’embêter avec ça, mais pas devant mes parents. Ça serait une très mauvaise idée, ils se feraient un peu trop d’idées sur la relation entre la belle et moi-même, et je ne me vois pas leur sortir qu’il n’y a rien entre nous, hormis du cul. Je n’ai jamais eu à parler de mes relations charnelles avec des femmes à mes parents, ce n’est pas aujourd’hui que ça commencera. Sauf qu’à en juger par les regards que ma mère me lance depuis tout à l’heure, je crois bien qu’elle se doute qu’il y a anguille sous roche. Que le côté tactile et intime est franchi depuis un moment avec la demoiselle à mes côtés. Mais, comme toujours, je fais celui qui n’a pas compris ce qu’elle soupçonne, elle arrêtera peut-être de s’interroger. Prenant tous place à table et se souhaitant un bon appétit, on commence à manger et la tablée est silencieuse, jusqu’à ce que j’ouvre la bouche pour complimenter ma mère. Des compliments bien vite suivis par ceux de Naleya, de quoi toucher encore plus ma mère. Si elle cherche à marquer des points, elle réussit plutôt bien, et je ne sais pas pourquoi ça me fait autant plaisir. Une énigme, en plus, que je résoudrais un jour ou l’autre. M’accusant de zapper les bonnes manières, mon père se présente lui et ma mère de manière plus officielle à ma coloc. Silencieux, je ne dis rien, prenant mon verre pour boire une gorgée d’eau. Malheureusement pour moi, la jeune femme répond et ce qu’elle sort me fait avaler de travers. Je toussote, faisant de mon mieux pour m’éviter l’étouffement, puis je tourne la tête vers la jeune femme et la foudroie du regard. Elle n’en manque pas une celle-là, et elle réussit bien son coup. Mes parents ricanent suite à ce petit pic de sa part à mon égard, ainsi que face à ma réaction. « Tu perds rien pour attendre, ma vengeance sera terrible. » Que je lui balance, affichant un air coquin qu’elle seule peut voir, puis retrouve ma position de départ pour recommencer à manger. Cependant, avant de mettre ma fourchette pleine en bouche, quelque chose me vient en tête. « Et comment ça se fait que tu sois là d’ailleurs ? Tu sèches tes cours ? » Ouais, parce qu’il me semble bien avoir vu qu’elle aurait cours toute l’après-midi. Bah oui, je regarde son planning de cours... Juste pour savoir si on a des moments communs -et seuls dans la maison- dans la journée pour s’envoyer en l’air, c’est tout. « Vous étudiez Naleya ? » Naturellement, ça intéresse ma mère qui se montre bien trop enthousiaste, elle qui aurait désiré que je fasse des études plus poussées. Je m’attends déjà à ce qu’elle en rajoute une couche, ce qu'elle fait toujours. « Anton vous a dit qu’il a préféré faire le tour du monde que faire des études ? » Ah bah non, cette fois, c’est mon père qui fout les pieds dans le plat. « Non, mais maintenant elle le sait. » Je commence à m’inquiéter sur tout ce qu’elle va savoir à la fin de ce repas. Il ne manquerait plus qu’ils abordent le sujet de ma maladie et ça en est fini de moi.

Son moment de bug passé, ils se mettent tous à table pour manger, laissant le silence s’installer quelques secondes. Jusqu’à ce qu’Anton fasse des compliments à sa mère sur le plat, compliments que Naleya ne peut qu’approuver. Puis c’est son père qui prend la parole pour faire les présentations. C’est vrai que maintenant qu’ils sont en train de partager un repas, c’est quand même mieux. A la remarque qu’elle fait sur son absence de bonnes manières en répondant, elle ne réussit pas à se retenir de rire en le voyant manquer de s’étouffer avec son eau. Même s’il la foudroie du regard, ce qui la réjouit même encore plus. C’est décidément vraiment très amusant les repas avec lui et ses parents, elle en veut plus souvent. Elle aime que la situation soit inversée et que pour une fois se soit elle qui le met mal à l’aise plutôt que le contraire. « Tu perds rien pour attendre, ma vengeance sera terrible. » Discrètement il lui lance un regard coquin, lui faisant bien comprendre à quel genre de vengeance il pense, ce à quoi elle répond simplement par un regard plein de défi. Dans ce cas-là, elle attend impatiemment de voir ça. « Et comment ça se fait que tu sois là d’ailleurs ? Tu sèches tes cours ? » Elle, sécher les cours ? Elle ne se souvient pas que ce soit arrivé ne serait-ce qu’une seule fois dans toute sa vie. Ouais, elle a toujours pris son statut de petite intello de la classe très à cœur. Puisqu’elle était déjà fichée de toute façon, autant faire les choses à fond, ça ne lui coûtait rien de plus. « C’est pas vraiment mon genre. Le prof est absent. » Tellement pas son genre que si elle rentrée c’est pour quand même se mettre au boulot après avoir mangé et aller avancer ses révisions. Son temps est précieux, même quand elle essaie elle n’arrive pas à le gâcher à ne rien faire. « Vous étudiez Naleya ? » Hochant la tête sans répondre, elle finit d’abord de mâcher et d’avaler pour ne pas parler la bouche pleine. Un truc qu’elle ne fait pourtant pas souvent quand elle est avec sa famille, ses amis ou même quand il n’y a que ses colocs -chacun ses défauts, il lui en faut bien quelques-uns- mais elle sait quand même se retenir de parler avec de la nourriture dans la bouche avec les gens qu’elle ne connait pas. « Oui, des études d’art. » Pas ce qu’il y a de plus prestigieux, mais c’est ce qu’elle aime et elle ne se serait pas vue reprendre des études supérieures plusieurs années après le bac, alors qu’elle avait déjà commencé à travailler, pour faire autre chose que ça. « Anton vous a dit qu’il a préféré faire le tour du monde que faire des études ? » La surprise doit se lire sur son visage et suffit surement à répondre à la question. Le tour du monde, voilà une information à laquelle elle ne s’attendait vraiment pas, mais avant qu’elle puisse dire quoi que ce soit c’est Anton qui prend la parole. « Non, mais maintenant elle le sait. » Posant les yeux sur lui elle le scrute pendant qu’elle parle. Son regard est sérieux, concentré, cette annonce à propos d’une partie de sa vie la fait réfléchir. « A vrai dire, je sais pas grand chose de lui, il est pas très bavard. Pas quand ça le concerne personnellement en tout cas. » Si ça ne la dérangeait pas plus que ça il y a plusieurs semaines, maintenant elle a de plus en plus envie d’apprendre à le connaitre. Et finalement elle remercie son prof de ne pas avoir été là cette après-midi, elle aurait manqué cette occasion parfaite pour en savoir plus en peu de temps. Sans ça elle n’est pas sûre qu’elle aurait un jour été au courant.

Elle me défie du regard de mettre en œuvre ma vengeance et je ne manquerais pas de le faire. Avec un immense plaisir d’ailleurs. Je la questionne ensuite sur sa présence ici et sa réponse ne m’étonne pas vraiment. « Évidemment. » Comment j’ai pu croire qu’elle aurait manqué les cours ? On parle de Naleya, celle qui en plus des études combine non pas un, mais deux boulots. Oui, celle qui est un peu trop cinglée de faire tout ça à la fois, mais qui n’est que plus qu’admirable par sa force pour tenir encore. Enfin, ça, je le garde pour moi. Ma mère profite de cette nouvelle information pour l'interroger sur ses études. La demoiselle lui indique ce qu’elle étudie et mon père rajoute alors une couche en précisant ce que moi, j’ai fait au lieu d’étudier. Mon air désapprobateur doit se voir et il a dû comprendre qu’il a fait une connerie lorsque je formule à voix haute une réponse négative. Sentant le regard de ma coloc sur moi, je dévie la tête dans sa direction, captant son regard au moment où elle prend la parole. Une légère moue s’affiche sur mon visage. Ça ne semble pas la convenir d’en savoir si peu sur ma personne. Pourquoi cette simple pensée me dérange ? Je n’ai jamais senti le désir de lui en apprendre plus sur ma vie, alors pourquoi je ressens le besoin de lui en raconter un peu plus maintenant ? « J’ai toujours voulu voir le monde, aider les autres et tous ces trucs-là quoi. » Ça sort tout seul sans que ça me perturbe. « Mon Anton est un brave garçon. Il a été à Haïti pour aider après le séisme il y a quelques années. » Ma mère ne peut s’empêcher d’en rajouter, vantant mes mérites comme bon nombre de fois. « Ça va, on était énormément de bénévoles, j’ai rien fait d’exceptionnel. » C’est le cas, à mes yeux ce n’était pas grand chose. J’ai juste fait ce qui me semblait normal, c’est aussi simple que ça. « Il est bien trop modeste. » Je lève les yeux au ciel, regardant ensuite la belle du coin de l’œil. « C’est mon père qui le dit. » Je ne peux pas me retenir de lui balancer ça, petit sourire narquois aux lèvres. Je le sais, elle n’est sûrement pas d’accord avec ça, elle me le sort assez souvent. D’où le petit pic bien placé, avec amusement. De courtes durées, malheureusement, puisque ma mère décide d’intervenir et elle aurait pu s’abstenir de le faire. « Dire qu’il a failli ne plus revenir ici... Tout ça pour… » « Pour rien, maman. » Je ne la laisse même pas terminé, parlant bien plus prestement que ce que j’avais prévu, la main serrant trop fortement ma fourchette, démontrant ainsi sans réellement le vouloir à quel point ça me gêne ce qu’elle dit. Ou du moins, ce qu’elle s’apprêtait à dire. Que j’ai failli ne plus revenir pour une femme, pour rester avec elle et un bébé qui n’était finalement pas de moi. De base, il s’agit d’un sujet qu’on n’aborde pas parce que je ne veux plus en parler, c’est du passé. Mais là, Naleya est présente dans la pièce, juste à mes côtés, aux premières loges pour tout entendre. Hors, si je suis prêt à ce qu’elle en sache plus sur moi, je ne suis pas en état de le faire pour ce côté-là. Je ne regarde même pas cette dernière, par crainte qu’elle puisse comprendre ô combien cette histoire m’affecte encore de trop, et fixe ma mère du regard. Un silence pesant se fait alors dans le salon, calme non désirer rapidement interrompu par mon père. « L’art est un choix très intéressant. Vous aimez plus l’art moderne, contemporain ou un tout autre genre, Naleya ? » Je le remercie du regard pour relancer une conversation moins piquante, bien plus simple. Et doucement, ma main desserre ma fourchette et glisse se positionner discrètement sur la cuisse de la jeune femme, que je serre en douceur.

« Évidemment. » La réponse qu’elle a donnée ne le surprend pas et c’est plutôt normal. A force, même sans se parler vraiment, ça finit par se voir qu’elle est du genre sérieuse et qu’elle ne s’arrête jamais. C’est le fait qu’il ait pu imaginer ça qui est un peu plus étonnant par contre, mais au moins, sa question permet à Naleya d’en savoir plus sur lui puisque la conversation s’engage alors sur les études. Et après qu’elle ait indiqué le domaine dans lequel elle est, elle apprend qu’Anton a lui préféré faire le tour du monde plutôt qu’étudier. Une information qu’elle ne pouvait pas connaitre puisque, comme elle le dit quelques secondes après, elle ne sait vraiment pas grand-chose de sa vie. Elle ne sait pas pourquoi mais ça provoque l’apparition d’une petite moue sur son visage et il fait une chose à laquelle elle ne s’attendait pas. « J’ai toujours voulu voir le monde, aider les autres et tous ces trucs-là quoi. » Elle qui pensait qu’il couperait court à la conversation en changeant de sujet, elle est surprise qu’il en ajoute un peu plus. « Mon Anton est un brave garçon. Il a été à Haïti pour aider après le séisme il y a quelques années. » Difficile de ne pas ressentir la maman fière de son fils dans ces paroles et ça fait sourire Naleya. Ça lui fait vraiment très bizarre d’apprendre tout ça aussi, elle ne s’y serait jamais attendu. Quoi que quand elle pense au métier qu’il fait, elle trouve que ça lui correspond mieux maintenant qu’elle sait ça. « Ça va, on était énormément de bénévoles, j’ai rien fait d’exceptionnel. » Vu ce que son père ajoute ensuite, il ne semble pas d’accord avec ça et elle ne l’est pas non plus. Ce n’est pas quelque chose que tout le monde fait, beaucoup n’y penseraient même pas et c’est tout à son honneur d’avoir été là-bas pour aider, il a le droit d’en être fier. « Il est bien trop modeste. » Ça aussi ça la fait sourire cependant et au regard en coin qu’Anton lui lance, elle sait qu’il pense à la même chose qu’elle. « C’est mon père qui le dit. » D’accord, parfois, là notamment, elle veut bien l’admettre. Mais en même temps, elle doute qu’il se vante de ses prouesses sexuelles auprès de son père, si c’était le cas il ne dirait pas la même chose. « Dire qu’il a failli ne plus revenir ici... Tout ça pour… » Ce qu’elle dit interpelle Naleya et elle se met à écouter plus attentivement, mais il stoppe sa mère avant qu’elle n’ait eu le temps finir sa phrase. « Pour rien, maman. » Ok, donc elle allait aborder un sujet sensible, ce n’est pas difficile à comprendre, et visiblement il n’a pas envie qu’elle soit au courant. Sauf que maintenant ça l’intrigue beaucoup et elle est frustrée de ne pas savoir ce qu’elle allait dire. Gênée aussi, vu l’ambiance pesante qui s’est créée d’un seul coup. Elle ne sait plus où se mettre et pendant un instant son regard voyage entre Anton, sa mère, son père, puis sa propre assiette qu’elle ne lâche plus des yeux. « L’art est un choix très intéressant. Vous aimez plus l’art moderne, contemporain ou un tout autre genre, Naleya ? » Le changement de conversation est plus que bienvenu et semble détendre Anton puisqu’il pose la main sur sa cuisse. « Plutôt l’art contemporain. Je trouve ça plus sympa de s’intéresser à l’évolution de l’art à notre époque, notamment avec ce qu’on apportées les technologies. Les artistes sont plus libres et du coup plus créatifs, plus ouverts. Ça me semble plus enrichissant que de s’accrocher à ce qui est passé. » Elle pourrait sûrement en parler pendant des heures mais elle préfère faire court, ne voulant pas les bassiner avec un monologue ennuyant pour quelqu’un qui n’est pas passionné par tout ça. Et puis parce qu’une question lui trotte dans la tête et lui brûle les lèvres depuis le début du repas. Passant doucement les mains sous la table, elle resserre les doigts autour de celle d’Anton et lui lance un regard gêné. Elle est désolée d’avance, son but n’est pas de le braquer une nouvelle fois mais pour maintenant, autant mettre les deux pieds dans le plat directement. « Je suis désolée de poser cette question, c’est indiscret mais… vous n’êtes pas ses parents biologiques n’est-ce pas ? »

Interrompant ma mère de façon abrupte, je parviens à mettre fin à cette conversation qui ne me plaisait guère grâce à l’aide précieuse de mon père. Ce dernier interroge ma coloc sur ses études, tandis que de mon côté, ma main glisse sur sa cuisse. Je suis bien plus détendu à présent que le sujet ne me concerne pas et la demoiselle se lance dans ses explications. Si moi, ça ne m’intéresse pas plus que ça, l’effet inverse se produit chez mon paternel. Ais-je mentionné son goût pour l’art ? « Je vous comprends, vous devriez voir les toiles que j’ai en ma possession. Anton, tu devrais l’emmener à la maison un jour, je suis sûr qu’elle appréciera contrairement à vous. » Je roule des yeux. Non mais il ne manquait plus que ça. « Ouais, j’y penserais. » Ou pas aussi. Je n’ai jamais ramené une conquête à la demeure familiale, pourquoi je le ferais avec elle ? C’est tout bonnement impensable. Les doigts de la belle me ramènent sur la terre ferme quand ils s’emparent de ma main. Je me retiens de sourire, appréciant un peu trop ce contact. Et là, sans que je m’y attende, Naleya ose poser la question qui brûle ses lèvres depuis son arrivée, me faisant tourner la tête dans sa direction. Quand bien même j’avais capté qu’elle se posait des questions, je ne pensais pas une seule seconde qu’elle la poserait là, devant mes parents. J’avais imaginé qu’elle voudrait me le demander en privé, et forcément, j’aurai trouvé un moyen de détourner la demande par autre chose de plus facile. Mais non, elle l’a fait, me regardant d’un air gêné. Je ne détourne pas les yeux, fixant les siens. Dans son regard, je vois qu’elle ne pense pas à mal, qu’elle est juste intriguée. Elle veut comprendre. Je suppose que c’est normal, il y a de quoi s’interroger lorsqu’on nous voit tous les trois ensembles. C’est une question qui revient régulièrement sur le tapis, bien trop de fois pour mes parents qui se doivent de répéter toujours la même histoire. Celle qui rend les choses bien plus belles et qui n’en dit pas trop sur mon passé, sur ma vie avant eux. Enfin, plutôt sur ce calvaire avant eux. Le faire est encore plus éprouvant pour eux parce qu’ils savent que je n’aime pas parler de ça, de cette adoption, de ce truc d’enfant biologique. Certes, ils ne sont pas mes parents biologiques aux yeux des scientifiques, mais ils le sont tellement plus que les vrais sur tous les plans de ma vie que ce n’est que futilité pour moi. Comment ils ne pourraient pas l’être ? Ce n’est pas très dur de rivaliser contre un père fantomatique et une défunte mère prostituée camée jusqu’à la moelle... Et pour toutes ses raisons, je ressens leur appréhension à vouloir en parler, de peur que je m’agace comme tout à l’heure lorsque ma mère a failli lâcher pour mon ex et le bébé. Alors, je prends les devants. Ce n’est clairement pas le sujet de discussion que j’aime le plus au monde, mais pour une fois, je veux bien faire l’effort. « Tu sais déjà la réponse à ta question, Naleya. » Mon ton se veut neutre, et je m’arrête quelques secondes pour observer mes parents, plongés dans le silence. Je me mords légèrement la lèvre inférieure, mes doigts s’entrelaçant d’un mouvement lent à ceux de la jeune femme, mes yeux déviant un court instant vers nos deux mains liées, avant de remonter et de fixer à nouveau les siens. « J’avais 6 ans quand je suis devenu leur fils. » Quand ils m’ont sauvé parce que je le sais pertinemment. Sans eux, je ne serais plus de ce monde, mort de faim ou tuer par quelqu’un, sûrement. « Et c’est le plus beau cadeau que la vie ait pu nous offrir, notre petit garçon courageux. » Je n’ai pas besoin de le voir pour savoir qu’une larme coule de ses yeux. Elle est sensible ma mère, bien trop, mais ça ne la rend que plus parfaite. « On ne va quand même pas se mettre à pleurer ? On est tous heureux maintenant, cessons d’y penser. » Je me contente d’hocher la tête, approuvant complètement les paroles de mon père, même si je sais d’avance qu’il me faudra faire preuve de stratagème pour éviter les interrogations de Naleya plus tard. Ça va encore la travailler cette histoire, je le sens. C’est donc le moment de changer de discussion, sans attendre plus longtemps, avec l’espoir qu’elle finisse par la zapper de sa mémoire. « Je vais chercher le dessert. Tu m’aides ? » Je m’adresse à la demoiselle à mes côtés, bien évidemment.

« Je vous comprends, vous devriez voir les toiles que j’ai en ma possession. Anton, tu devrais l’emmener à la maison un jour, je suis sûr qu’elle appréciera contrairement à vous. » Elle qui pensait ennuyer tout le monde elle ne s’attendait pas à voir le père d’Anton amateur d’art. Elle aime bien ça partager des points communs avec lui. « Ouais, j’y penserais. » Discrètement elle rit légèrement en entendant ça, parce qu’elle elle sait très bien qu’il ne croit pas une seconde à ce qu’il dit et que ça n’arrivera jamais, alors ça l’amuse. La suite par contre est beaucoup moins amusante. Elle sent le malaise qui se réinstalle suite à ce qu’elle demande et cette fois ses parents n’osent pas parler, préférant surement le laisser choisir ce qu’il a envie de dire vu la gêne provoquée quelques minutes plus tôt. Cependant cette fois il ne détourne pas les yeux et ça la rassure. « Tu sais déjà la réponse à ta question, Naleya. » C’est vrai, il a raison. Sa question elle n’est là que pour avoir une confirmation de leur part, au cas où. Elle aurait pu être surprise, même s’il n’y a qu’une infime chance, on ne sait jamais, et elle elle aime être vraiment sûre d’elle. Maintenant elle l’est. Mais elle ne sait même pas quoi ajouter. Elle est à nouveau mal à l’aise d’avoir osé demander ça, parce qu’elle sait très bien qu’elle est loin d’être la première, et surement pas non plus la dernière, à leur faire répéter tout ça. Et pour l’avoir vécu elle-même bon nombre de fois, elle sait à quel point ça peut devenir fatiguant. Ses pensées reviennent à l’instant présent quand il mêle ses doigts aux siens, sur lesquels elle pose le regard avant de le remonter vers le sien en même temps que lui. « J’avais 6 ans quand je suis devenu leur fils. » Ça la surprend qu’il en dise plus après ce qu’il vient de répondre, mais surtout ça lui fait plaisir. Elle imagine bien qu’elle n’en aura pas beaucoup plus mais pour l’instant ça lui convient. Petit à petit ils avancent et elle ne s’attendait pas du tout à ce que ça arrive au début. Fixée sur le fait qu’il ne va pas se braquer à nouveau, sa mère prend ensuite la parole. « Et c’est le plus beau cadeau que la vie ait pu nous offrir, notre petit garçon courageux. » Et à la réaction qu’elle a, à la larme qui coule sur sa joue, Naleya se sent mal. Elle comprend qu’elle ne sait qu’une toute petite partie de ce qui s’est passé et que les choses ont l’air d’avoir été dures, et finalement elle regrette d’avoir fait remonté tout ça. « On ne va quand même pas se mettre à pleurer ? On est tous heureux maintenant, cessons d’y penser. » Elle est d’accord avec ça, changer une nouvelle fois de sujet est le mieux à faire. Même pour elle, elle n’a pas envie de repenser à ses propres souvenirs, ça lui rappelle un tas de choses et ce n’est pas le moment. Elle est donc ravie de la proposition que lui fait Anton. « Je vais chercher le dessert. Tu m’aides ? » Hochant la tête elle lâche sa main et se lève pour l’aider à débarrasser les assiettes et couverts sales, emmenant le tout jusqu’à la cuisine. Et pendant qu’elle remplit le lave-vaisselle elle jette un coup d’œil vers la table, avant de murmurer assez fort pour qu’Anton l’entende mais pas assez pour que ça arrive aux oreilles de ses parents. « Je suis vraiment désolée. Je rencontre ta mère et je la fais pleurer. Elle va me trouver horrible. » Ça la dérange, vraiment beaucoup en fait et elle ne sait pas trop pourquoi. Certes c’est habituel chez elle de se sentir un peu mal quand elle ne fait pas bonne impression, mais pas autant. Ça ne devrait pas, elle doute de toute façon la revoir un jour et ça ne change donc pas grand-chose, pourtant là elle culpabilise vraiment. Attrapant ensuite le fondant au chocolat qui attend sur le plan de travail, elle le ramène au salon, le posant au milieu de la table. « Un des desserts préférés de l’un d’entre vous ? » Bien plus futile comme sujet de conversation, c’est mieux pour tout le monde.