I look up from the ground to see your sad and teary eyes / tomessa (+18)

« C’était plutôt pas mal pour une première fois. » J’ai un petit sourire de fierté qui vient illuminer mon visage à l’instant où j’entends ce compliment sortir de la bouche de mon manager. Agacée de faire des services en salle ou en caisse, de devoir supporter des clients lourds – et généralement aux mains baladeuses – j’ai voulu étoffer un petit peu mon expérience dans cette pizzeria. Je ne compte pas faire carrière ici, mais pourquoi pas essayer ? Après tout j’ai encore quelques mois à tirer dans cet endroit. Emmagasiner tout un tas d’informations, ça me connaît et assez rapidement je me suis adaptée au travail en cuisine. Au point d’avoir le droit à un compliment tandis que je me sépare de mon tablier à la fin de mon service. « Merci, mais je dois vraiment filer là. » Un coup d’œil à l’horloge m’indique que j’ai peu de temps pour me changer et partir rejoindre Tommy chez lui. Ma tenue lui importera peu, mais je sens déjà assez la cuisine comme ça, autant éviter d’en rajouter une couche avec mes vêtements imprégnés de l’odeur de friture et compagnie. Changée, mes cheveux relâchés, je fourre mes vêtements dans mon sac pour le travail, attrape mon sac à main et m’empresse de sortir par l’arrière du restaurant. Je cours presque en direction de la bouche de métro la plus proche, impatiente d’arriver à destination. Impatiente de le retrouver surtout. A chaque fois j’attends ces moments avec impatience. Même si je sais que je le verrais ce week-end après sa soirée avec ses coéquipiers, je réagis comme une adolescente à chaque fois que je sais que je vais le voir. C’est la simple pensée d’être en sa présence et dans ses bras. Le sexe ne compte même pas – ou peut-être un peu – j’ai surtout envie de le voir. Arrivée à la station la plus proche de chez lui, je tente de me contrôler, de ne pas courir comme une folle jusqu’à sa maison. Mes joues sont assez rougies par les heures de travail sans avoir besoin que j’en rajoute une couche. Pourtant, j’avance d’un pas plus rapide que d’habitude, remonte la petite allée vers la porte de chez lui, frappe et attends avec impatience de voir son visage qui fait manquer des battements à mon cœur apparaître. Cependant, lorsqu’il m’ouvre, il n’y a pas cette étincelle de joie dans son regard. Non en fait, il se contente de me saluer et de s’éclipser vers le salon. Bien … Je referme la porte derrière moi, pose mon sac dans l’entrée, me défait de mon manteau et finis par le rejoindre dans l’autre pièce. « Je sens si mauvais que ça ? Parce que si c’est ça, je peux me doucher … ou tu peux t’en occuper. » Je tente dans l’espoir de détendre un peu l’atmosphère. Je n’arrive même pas à lui décrocher un petit sourire. « Tommy, ça va ? » Je demande un peu plus inquiète cette fois. Il est clairement distant et je le connais assez pour savoir que quelque chose le tracasse hormis que d’habitude il ne se ferme pas à moi comme il le fait.

Sincèrement, je ne m'attendais pas à un accueil aussi froid. Qu'il me prenne dans ses bras, embrasse mon front ou mes lèvres, c'est ce à quoi il m'a habitué. Ce soir je n'ai le droit à absolument rien hormis une certaine froideur que je n'arrive pas à m'expliquer. Ai-je fait quelque chose qui ne fallait pas ? Ai-je dit quelque chose ou commence-t-il à regretter cette histoire d'exclusivité ? Qu'importe le fait que je connaisse extrêmement bien cet homme, je tente de le décrypter sans y parvenir. Plutôt que de m'affronter, Tommy décide de me fuir. Perplexe quelques secondes, je finis par lui emboîter le pas en direction du salon en tentant d'alléger la tension qui règne entre nous. « Oui. Je suis juste ailleurs. Si tu veux prendre une douche, tu peux. » Sa réponse ne me plaît pas et je ne suis pas douée pour lui mentir ce qui doit se lire très clairement sur mon visage. Malgré ça, je préfère ne rien dire et le suis du regard lorsqu'il se lève du canapé et se dirige vers le bar. « Tu veux un truc à boire ? » Bras croisés contre ma poitrine, je commence par secouer la tête de gauche à droite et réponds enfin : « Non merci, ou simplement de l'eau ça me suffira. » Après des heures en cuisine, il est vrai qu'un peu d'eau ne me ferait pas de mal, cela dit c'est la dernière de mes préoccupations pour le moment. « Et si tu me disais ce qui se passe réellement dans ta tête ? » Osant m'avancer vers lui, j'arrive à sa hauteur, hésite un instant puis glisse ma main sous son menton pour l'obliger à regarder vers moi. « T'es distant, qu'est-ce qui se passe ? Si j'ai fait ou dit quelque chose qu'il fallait pas tu sais que tu peux me le dire… » J'accepte tout mais pas cette distance qu'il m'impose.

Mes iris suivent chacun de ses mouvements, admirent presque les muscles saillants de ses bras tandis qu'il rempli les deux verres devant lui. Un verre de whisky pour lui, un verre d'eau pour moi. Information suffisante pour confirmer que quelque chose ne va pas. Oh, il n'a rien contre le fait de boire une verre sans raison particulière chez lui mais du whisky ? Ça reste tout de même assez rare. Suffisamment pour que mon inquiétude augmente d'un cran lorsque je franchis les derniers mètres qui nous séparent. J'ai l'impression qu'une information me manque. Il y a quelque chose que je ne comprends pas, peut-être parce que je me suis trop habituée à ce qu'il soit doux avec moi. Je savais que je n'aurais pas dû m'y faire, que je prenais un trop gros risque mais j'ai plongé la tête la première et maintenant je sens que je vais le regretter. « Tessa, c’est pas ça… » Son geste a beau être tendre, c'est comme une claque à laquelle je ne m'attendais vraiment pas. Avec Tommy je n'ai jamais essayé de cacher ce que je ressens, je suis un livre ouvert et je sais par conséquent qu'il peut lire toute mon incompréhension dans mon regard. « On a besoin de parler » Cette phrase n'a jamais été bon signe de toute ma vie, c'est toujours une préparation pour une conversation qui ne va pas plaire. « D'accord… » Dis-je simplement en m'approchant du canapé. J'hésite un instant et décide de m'asseoir sur le fauteuil à côté. S'il met de la distance entre nous depuis mon arrivée peut-être qu'il ne veut pas de moi à côté de lui. Et cette pensée fait trembler ma main sans que je puisse me contrôler. Une chance pour moi qu'il regarde partout sauf vers moi. Pourtant ça me fait mal de le voir agir ainsi et je serre les dents pour ravaler et faire taire la douleur dans ma poitrine. « J’ai…j’ai été approché par un nouvel agent. Comme d’habitude, je lui ai dit que je n’étais pas intéressé, mais il m’a affirmé qu’il avait de quoi me faire changer d'avis. Il sait pour nous deux, Tessa. Du moins, il prétend l’être. », « Et ? » Je demande aussitôt sans réfléchir plus que ça. Une fois fait, je réalise ce que ça signifie et surtout le risque que ça peut me faire courir. C'est du chantage, ce n'est pas la première fois que ce genre de tactique est utilisée dans ce milieu. Tommy représente un sacré contrat pour n'importe quel agent. Certains se battent pour lui mais jusqu'à présent aucun ne savait ce qui nous lie en dehors du contrat. « On peut trouver un moyen, chercher de quoi faire pression sur lui aussi… Y a bien une solution… » Autre que celle qu'il a en tête et qui m'explique la distance qu'il nous impose. Une solution qui me fait paniquer avant même qu'elle ne soit prononcée de vive voix. Parfois je déteste le fait de le connaître aussi bien. Je me serais passé de comprendre où il veut en venir, préférant être stupide. « Tommy… » Je commence sans pour autant réussir à dire quoi que ce soit. Je l'ai dit, je déteste qu'on m'annonce qu'il faut qu'on parle, c'est toujours mauvais signe. Là ça l'est tellement que je regrette d'être venue. Je refuse de l'entendre me dire ce qu'il a à me dire. Je ne veux pas. Sa solution, je ne vais pas la supporter, pas maintenant que j'ai accepté que mon attirance pour lui n'est justement pas que ça, qu'elle est plus, bien plus. Tellement plus que l'idée de le perdre ne serait-ce qu'un temps me fait trop mal.

Cette conversation, je la déteste à présent. Si je n’étais pas plus mature, j’y couperai court en partant le plus loin possible de cette maison pour ne pas avoir à l’entendre me dire ce qu’il va me dire. Je sais déjà ce que Tommy va me dire, la solution à laquelle il a pensé pour me protéger et ça ne me plait pas. Ça ne me plait absolument pas. Pourquoi faut-il toujours que tout se mette à capoter quand on obtient enfin ce qu’on désir ? Du moins une partie de ce qu’on désir. Cette exclusivité, c’était un grand pas dans notre relation, un pas que je voulais depuis un moment sans oser l’admettre. Maintenant, elle est mise à mal à cause d’un pauvre type qui ne pense qu’à son profit plutôt qu’à autrui. Il va nous détruire dans l’espoir d’avoir un contrat juteux. Ce que Tommy ne laissera pas à faire et pour ça, il va falloir faire une croix sur ce "nous" qui commençait à se former. J’ai besoin qu’on trouve une autre solution quand bien même je sais qu’il n’y en a pas. « On a pas le choix. On peut pas risquer ta carrière. Je ne peux pas risquer ta carrière alors que tu trimes comme une malade pour ça. C’est hors de question que je sois celui qui la détruise avant même qu’elle ait commencé. Et…t’as besoin de cet argent, de ce contrat. Tu l’as dit toi-même, ça t’évite des dettes monstres » Mes sourcils se froncent, mon regard toujours posé sur lui. Agacée, j’humecte mes lèvres avant de soupirer. « J’aurais préféré que t’évite d’utiliser ça contre moi. » Je n’ai jamais eu honte d’être à la limite de fauchée hormis lorsque Leonel m’a proposé d’emménager chez lui gratuitement. La vie n’est pas facile pour tout le monde, elle ne l’est pas pour moi mais je vis bien avec ça et je n’aime pas spécialement qu’on me rappelle que je galère à joindre les deux bouts. Mais ce qui m’agace encore plus c’est que Tommy ait raison. « Rends pas ça plus difficile que ça ne l’est. On va trouver une solution, mais en attendant, je refuse de prendre aucun risque » Sur mes pieds si rapidement que j’ai moi-même du mal à m’en rendre compte, j’ai également abandonné mon verre d’eau sur la table basse. L’arête de mon nez pincé, je ferme les yeux, ravale le grognement plein de frustration qui s’éveille en moi. « J’aime pas ta solution. Je l’aime vraiment pas. » Dis-je en me tournant vers Tommy. « Je ne suis pas d’accord avec ça. Je ne suis pas d’accord avec le fait de devoir tout abandonner pour un pauvre type. C’est … injuste et je fais pas un caprice ou peut-être que si. C’est difficile pour toi, alors imagine ce que ça va être pour moi et ma fichue jalousie. C’est une rupture dans notre exclusivité et pour qu’il te croit ça veut dire que tu vas devoir être toi-même, que tu vas tourner autour d’autres femmes … est-ce que t’as la moindre idée de ce que cette pensée me fait là, tout de suite ? » Elle me donne à la fois envie de vomir et de pleurer. Je ne vais pas supporter ça, j’en serais incapable.

« Parce que c’est ta situation, Tessa. Je l’utilise pas contre toi, je ne fais que dire les faits. T’as besoin de ce contrat pour t’en sortir. » Bras croisés contre ma poitrine, je pose sur lui un regard à la fois agacé et sévère. En réalité, ce n’est pas tant le fait qu’il ramène ça sur le tapis qui m’énerve, c’est qu’il ait raison. Encore une fois. Son argent, ce qu’il me paye pour être son agent, ça m’évite d’avoir à prendre un prêt étudiant que je mettrais des années à rembourser. Mes parents adoptifs sont loin de rouler sur l’or et je ne leur ai jamais rien demandé. Je ne vais pas commencer maintenant même si ma situation ne me plait pas. « Et j’ai besoin de toi aussi. » Tant pis si je ferais mieux de me taire. Je m’estime être assez franche, autant continuer sur cette voie, particulièrement lorsque je suis en colère. Est-ce qu’il ne voit pas à quel point il est devenu important pour moi et à quel point l’idée de devoir m’éloigner me fait peur ? Il y a tellement de choses qui peuvent se passer en un mois que … oui, je panique totalement. Je ne pourrais pas gérer le fait de perdre notre relation et surtout de le perdre lui. Et à quoi bon être son agent si par la suite je ne suis même pas capable d’être dans la même pièce que lui ? « Si je dois me pavaner auprès d’autres femmes pour te préserver, Tessa, je le ferai. Parce que je ferai n’importe quoi pour toi. », « Je ne sais pas si j’ai envie de te frapper ou de t’embrasser. » Grogné-je en me mettant à faire les cents pas près du canapé sur lequel il est toujours installé. La tête entre ses mains. Je voudrais l’embrasser pour être aussi protecteur et le frapper de me forcer à voir une image de lui au bras d’une sublime femme au point d’avoir envie de crier. « T’auras beau ne pas aimer cette décision, on n’a pas le choix » Un instant silencieuse, j’arrête de marcher, mon regard verrouillé sur Tommy. « Si je comprends bien, je n’ai pas mon mot à dire c’est ça ? T’as décidé pour nous deux, Tommy ? Je dois faire quoi maintenant ? Te dire au revoir et passer les prochaines semaines à essayer de pas t’imaginer en train d’en baiser une autre ? » Sans cacher ma colère, je sens aussi ma douleur faire monter bien trop de larmes à mes yeux. Je n’ai pas envie d’être en colère contre lui pourtant, mais c’est plus facile que d’accepter bien gentiment ce qui ressemble un peu trop à une rupture.