unsteady / alexys

« Ta gueule, je vais bien. » D’un mouvement du bras je dégage la main de Zack qui passe dans mes cheveux. Ce con me fait vraiment chier. Je sais que me charrier comme il le fait c’est sa façon de s’inquiéter pour moi mais je n’ai pas besoin qu’on s’inquiète pour moi. Ma vie amoureuse est devenue une grosse merde et le reste de mon existence suit le même chemin. C’est comme ça et personne ne peut y faire quoi que ce soit. Peut-être que moi je pourrais mais je n’en ai pas la moindre envie. Ça me fait du bien de me détruire comme je le fais, d’oublier avec l’alcool et de me perdre dans des femmes à défaut d’avoir celle que je veux. Complètement dépravé mais je l’ai été des années, c’est juste un retour à la case départ et j’emmerde les personnes qui ont un problème avec ça. « Je te laisse gérer l’histoire avec Bridgestone, faut que ça soit régler pour demain. Je dois voir Lex. » On est carrément large avant la prochaine saison mais je tiens à ce que le prototype de voiture sur lequel on bosse le soit un peu moins d’ici la fin de l’été. Je doute qu’on puisse la mettre en circulation d’ici novembre mais putain j’ai déjà assez de prises de tête en privée sans avoir à ajouter des fournisseurs qui n’en font qu’à leur tête. « T’inquiète, je gère Winston. » D’un simplement mouvement du chef je lui fais comprendre que je n’en doute pas. Zack ne m’a jamais déçu ce n’est pas aujourd’hui qu’il va commencer. J’enfile ma veste en cuir, passe par le bureau d’Alexya pour la saluer et je file droit vers ma Maserati dont le ronronnement du moteur chasse immédiatement mes tracas. C’est toujours comme ça une fois derrière le volant, une fois sur le circuit. Je chasse tout de mon esprit et me concentre uniquement sur ce que j’ai sous les yeux. Il ne me faut pas très longtemps pour gagner le Starbucks où j’ai promis à ma sœur de la retrouver. Avec la petite fortune que je touche, je prends facilement le risque de dépasser la limitation de vitesse et la voiture garée non loin de ma destination, je vois des regards se poser dans ma direction et mon prénom être prononcé. J’en ai pris l’habitude mais j’espère vraiment ne pas être emmerdé une fois avec ma sœur. C’est à ça que servent les lunettes de soleil que je mets sur mon nez en remontant la rue vers le café dans lequel j’entre. Il ne me faut pas longtemps pour repérer la tête blonde de ma sœur et laissant tomber l’idée de commander immédiatement, je vais vers elle, dépose un baiser sur sa tête et me laisse tomber sur la chaise face à elle. « Tu sais qu’être en avance sans arrêt ça finira par transformer ta vie en un ennui total ? » Que je la taquine. Je sais que je ne suis pas en retard, je suis même un peu en avance, ce qui veut dire qu’elle est arrivée là encore plus tôt que prévu. J’analyse son visage et fronce légèrement les yeux. « T’as pas l’air bien … » Grosse ironie venant du type qui enchaîne les gueules de bois – hormis aujourd’hui. Mais mon mode protecteur se met toujours en marche dès que je remarque que quelque chose cloche chez mes sœurs et là … c’est le cas.

Voir ma famille a toujours été ma façon de penser à autre chose, d’avoir le sourire aux lèvres. Lorsque mon couple avec Oliana s’est officialisé c’est devenu un peu plus tendu avec les parents mais nos sœurs ont bien accepté et c’était elles qui nous permettaient de garder une connexion avec nos parents. Maintenant je les évite pour une toute autre raison, pour cette promesse que notre père m’a forcé à faire pour préserver sa fille. Je peux comprendre. Elle est le sang de son sang, sa chair et il veut la protéger. Moi je ne suis que son filleul et fils adoptif mais il m’a tout de même demandé de rejeter une partie de mon âme et le voir me le rappelle sans cesse. Résultat, je me contente de voir Alexys et Amelia, parfois notre mère qui se retrouve un peu coincée entre son mari et son fils adoptif. Jamais je ne lui demanderai de faire un choix mais j’aime pouvoir la voir autant que j’aime voir mes sœurs. Et aujourd’hui c’est Alexys que je tiens à voir et à la petite tête que j’aperçois en entrant dans le Starbucks je sais que ça ne va pas fort. A croire que nous avons un don chez les Winston pour avoir une vie de merde. « Trop tard ma vie est déjà d'un ennui total. » Déclare-t-elle alors que je me laisse tomber en face d’elle, mes lunettes ôtées de sur mon nez pour mieux discuter avec elle. « Va peut-être falloir que je te sorte dans ce cas … et que tu vois du monde. » Je continue de la taquiner, bien sûr, mais peut-être que ça lui ferait du bien et à moi aussi. Passer plus de temps ensemble et mettre de côtés nos emmerdes respectives. J’enchaîne directement sur le fait qu’elle ne semble pas être dans son assiette et elle n’essaye même pas de me dire l’inverse, parce qu’elle sait que je la connais par cœur. « Je pourrais te dire la même chose... » Touché ! Je lui passe la grimace mais ne retient pas mon soupire alors que je me glisse un peu plus sur la chaise et contre le dossier de celle-ci. « Et t’aurais raison mais on sait tous les deux qu’on va pas commencer à parler de ça. » Je n’ai pas envie de me plaindre encore une fois ou de penser à Oliana. Je le fais bien assez le reste du temps, j’aimerais pouvoir souffler par moment. « Ça va… J'essaie de tout gérer en même temps. » Mes yeux se plissent et mes doigts pianotent la table qui nous sépare. « Tu comptes bien sûr développer un peu plus ? » Je lui demande avec un petit sourire pour lui faire comprendre qu’elle peut quand même y aller à petit pas. « Tu sais quoi, je vais me prendre un café et je reviens. Tu veux quelque chose ? » Je repousse déjà ma chaise, me prépare à me lever en attendant sa réponse.

« Je crois que tu vas devoir remédier à la situation avant que je devienne la folle aux chats du quartier. » Je me mets à rire et pendant ce petit instant mon cœur s’apaise. Ça fait du bien et s’il m’arrive tout de même de le faire régulièrement, je sais que dans mon regard il y a toujours cette tristesse. Je la vois tous les matins dans mon miroir. Elle ne me quitte plus et prend de plus en plus de place. Je déteste ça ! Je déteste être autant affecté. Putain, on dirait une pauvre mauviette pas capable de se reprendre, sans couilles. Et je ne suis pas sans couilles. Je ne l’ai jamais été. Sauf que je n’ai jamais eu cette impression que mon cœur s’est brisé. Putain de femme et de pouvoir magique qu’elle peut avoir sur moi ! Mais au moins je sais que je suis toujours capable de sourire et de rire même si ça ne dure jamais très longtemps. Il suffit qu’elle insinue que je vais aussi mal qu’elle pour que me sourire disparaisse et que la mélancolie me gagne une nouvelle fois. « Très bien, la prochaine soirée que j’ai pour l’entreprise ou juste où je vais devoir faire acte de présence, je t’appelle ! » Hormis le fait de l’aider à se changer les idées et à sortir un peu de son monde de mère, ça me fera aussi du bien de passer du temps avec ma petite sœur. Depuis l’accident, j’ai l’impression d’être moins là, chose dont je ne suis pas fier. Alors autant me rattraper dès que je peux. « T'en fais pas, on en parle seulement si tu veux le faire. » J’apprécie et le lui fait comprendre d’un mouvement de la tête. Je n’ai pas envie de le faire alors autant éviter de rester focalisés trop longtemps là-dessus. A vrai dire, je n’aurais jamais envie d’en parler. A chaque fois ça rend la situation trop réelle et je ne suis toujours pas prêt à l’accepter. Il faudra des siècles avant que ça ne soit le cas et je serais donc déjà mort. Prêt à me lever, j’attends qu’elle me réponde et note qu’elle veut un café. Une fois dans la serveuse, son petit sourire me fait comprendre qu’elle n’est pas insensible à mon charme et, surtout, qu’elle sait très bien qui je suis. Café pris pour Alexys, je me prends un Americano et carrot cake histoire de caler mon estomac. Commande payée et servie, je remarque très vite le numéro de la barista sur l’une des serviettes et l’enfonce dans ma poche. A voir si je l’appellerai, peut-être si j’ai besoin de tirer un coup ce soir. De retour à notre table, notre commande posée, je commence à prendre un bout de ma pâtisserie lorsque ma sœur se met à inspirer longuement. Bien … elle a quelque chose de très sérieux à m’annoncer. « Il y a eu du développement un peu compliqué avec mon patron depuis la dernière fois que je t'en ai parlé.. » Curieux, j’arque un sourcil et oublie un instant mon gâteau. J’attends qu’elle m’en dise plus mais à la façon qu’elle a de me regarder je comprends qu’elle a besoin d’y aller petit à petit. « C’est-à-dire ? La dernière fois il était question d’une attirance il me semble, non ? » J’ai tenté de suivre autant que possible mais elle ne m’en a plus tellement parlé, sans doute pour éviter de m’en rajouter. Toutefois, peu importe mes problèmes, elle devrait savoir que je serais toujours présent pour elle. « Tu m’inquiètes, ce n’est rien de grave au moins ? » Bon j’imagine que si c’était le cas elle me l’aurait dit mais on ne sait jamais.

« Oh ce serait bien. Je crois que j'ai besoin de sortir un peu de ma routine en ce moment. » J’approuve d’un mouvement de la tête. Non pas que je considère qu’elle a besoin de sortir – quoi qu’un peu à trop s’enfermer dans son rôle de mère – c’est aussi que ça nous fera réellement du bien de nous retrouver. A force d’éviter la famille pour ne pas souffrir plus que nécessaire j’en néglige mes sœurs, ce que je n’aime absolument pas. Et si en plus de ça Alexys a besoin de se vider la tête, de vivre un peu, ce n’est certainement pas moi qui vais l’en priver. Bien au contraire. Je suis plus du genre frère qui va tout faire pour qu’elle s’amuse, qu’elle prenne conscience qu’elle a le droit de vivre elle aussi. Cette future sortie entre frère et sœur notée dans un coin, je me lève pour aller prendre nos boissons et de quoi grignoter. Je garde le numéro de la barista dans la poche de mon jean et retourne me laisser tomber sur ma chaise. Mais plutôt que de boire directement ma café brûlant, je lève les yeux vers ma sœur, intrigué par ce qu’elle commence à vouloir m’avouer. Quelque chose qui risque de ne pas me plaire étant donné la tête qu’elle fait. « C'est un peu plus que de l'attirance maintenant.. » Annonce-t-elle ce qui ne fait que confirmer ce que je pensais. Je la connais par cœur. Même si j’avais onze ans lorsque je suis arrivé chez les Winston c’est comme si nous avions toujours vécu ensemble. J’ai appris à la connaître en un temps record et malgré la distance que j’ai mis avec notre famille, ça n’a pas changé. « Je vois … » Alors que non, pas du tout. Je souffle sur mon café, continu de grignoter mon gâteau sans ajouter quoi que ce soit. Je ne veux surtout pas la brusquer. Elle semble déjà si mal à l’aise que je ne voudrais surtout pas en rajouter une couche. « Je.. je vais t’épargner les détails, mais on a couchés ensemble.. Sauf qu’il est marié.. » Ma bouchée passe de travers. Je tousse, attrape mon gobelet de café pour boire une gorgée sauf que je me brûle les lèvres et la langue, recommence à tousser. Les yeux légèrement volés de larmes, mes sourcils se froncent. « Pardon ? » Dis-je une fois ma respiration retrouvée. « Et depuis quand tu couches avec des hommes mariés exactement ? Qu’est-ce qui te prends bon sang ? » Elle aurait pu m’annoncer ce qu’elle voulait. Coucher avec un homme différent chaque soir par exemple, je suis loin de juger ça puisque je fais pareil avec les femmes. Mais une personne mariée ? Pour moi qui était fiancé, qui prend ce moment de la vie pour quelque chose de très sérieux et de sacré, autant dire que non … ça ne passe pas très bien.

C’est un enchaînement de merdes, le genre de truc qui prend vite la tête et qui agace. Par moment j’ai seulement envie de faire ma valise et de me tirer loin de cette merde. De dire adieu à tout ça et aller souffler au soleil. Mais je ne suis pas un lâche. J’ai déjà accepté de fermer ma gueule lorsque mon père adoptif me l’a demandé, je ne vais pas en plus faire ma femmelette et refuser d’affronter les choses comme un bonhomme. Seulement savoir que ma sœur va potentiellement me lâcher une information qui ne va pas me plaire c’est un peu trop. Je n’ai pas envie d’être dur avec Alexys mais je suis une boule de nerfs et cette boule de nerfs arrive à saturation. Depuis que j’ai revu Oliana trop de choses se sont remuées en moi à commencer par ce manque que j’étais parvenu à faire taire ces cinq derniers mois. Il a fallu d’une fois pour que je perde totalement les pédales et maintenant c’est Alexys qui risque d’en faire les frais. Mais il faut dire que ce qu’elle m’annonce me surprend tellement venant d’elle que je n’arrive pas à me taire. J’aurais sans doute mieux fait de peser mes mots, de réfléchir avant de parler, c’est simplement que ce n’est pas moi. Je dis les choses, point. A la façon qu’elle a de baisser les yeux je sais que j’ai été trop loin et que je l’ai blessé. Bravo Cameron, vraiment bravo ! Je m’insulte mentalement encore quelques instants et finis par soupirer. Je n’ai plus ni faim ni soif d’un coup. Non mais franchement qu’est-ce qui ne va pas en ce moment ? Est-ce que la Terre s’est mise à tourner dans l’autre sens en déréglant tout le monde sans qu’on ait été prévenu ? « Je ... je sais que c'est horrible Cam ... que je n'aurais jamais dû faire cela, mais je ... » Je me mords le bout de la langue pour éviter d’en rajouter une couche en lui demandant le fameux "mais quoi ?". Si elle m’en parle c’est qu’elle avait besoin de se confier et non pas que je l’enfonce. Enfin elle s’attendait à quoi ? Elle me connaît après tout. Elle sait que le mariage est une chose que je refuse qu’on bafoue, surtout que je n’ai pas pu aller jusque-là à deux reprises, l’une plus important que l’autre. « Tu le savais ? » Je lui demande peut-être un petit peu trop froidement mais tant pis. « Tu savais qu’il était marié avant de coucher avec lui ? Ou même avant de t’en rapprocher ? » Pour certains ça peut ne pas faire de grandes différences mais c’est tellement courant de coucher avec quelqu’un qui nous cache une information aussi énorme que je pourrais calmer ma colère, m’apaiser. Dans le cas contraire alors oui, je serais déçu par elle.