jake&roxanna - hell is empty and all the devils are here

J’ai beau passer beaucoup de temps à l’emmerder, Jake n’en reste pas moins quelqu’un qui a une place unique dans ma vie. Il y a une raison pour laquelle je lui ai envoyé ce message ce soir. Je sais la réputation qu’il peut avoir dans les médias. C’est tellement facile pour les gens de nous juger que je m’en veux de l’avoir mis dans cette position ce soir, même si je sais qu’il ne le regrette pas. J’ai l’impression d’avoir donné aux gens une énième raison de voir Jake d’une certaine façon… Mais je sais aussi que quoiqu’on fasse, certains se plairont toujours à imaginer des choses sur nous. « Oh j'en ai, mais merci de te soucier de mon succès. » dit-il. Oui, mes yeux roulent pour la énième fois dans leur orbite et je me retiens de ricaner. Son succès au près des filles, je ne m’en soucie pas vraiment et il le sait. C’est… plus de lui dont je me soucie. Je n’arrive pas à m’enlever de la tête le fait qu’il pourrait avoir des problèmes à cause de tout ça. J’y pense alors qu’il monte les escaliers de mon immeuble avec un poids mort dans les bras, c’est-à-dire moi. Et je ne réponds pas. J’économise mes dernières forces. Enfin, en quelque sorte. J’ai l’impression d’avoir la tête tellement embrouillée que je ne comprends plus grand-chose. Notre relation est basée sur un chambrage mutuelle et permanent. Le souci c’est que là, tout de suite, je ne fais plus la différence entre ce qui est du chambrage et… ce qui pourrait être une réaction à un manque de reconnaissance de ma part. J’ai l’impression que je ne sais plus m’exprimer, que je ne suis plus cohérente et que les mots qui sortent de ma bouche ne sont jamais les bons. Je me sens vulnérable, totalement faible et à découvert et je déteste ça. Pour info, je détesterai ça aussi si c’était Wyatt qui était venu ce soir. Mais avec Jake, j’ai juste l’impression d’être une ingrate et mon cerveau embrumé est bloqué sur ça. « De un, j'suis pas bête et de deux, je sais très bien que je ne l'ai pas manqué. C'est ta façon de remercier qui... douteuse disons. » corrige Jake. Je suis sûre qu’il a levé les yeux au ciel aussi. Je garde les yeux sur son épaule, la tête toujours en vrac.    « C’est toi qui est douteux... » ai-je rétorqué pitoyablement. Mes yeux se ferment pendant de longues secondes avant que je ne trouve la force de les rouvrir. Je sais même plus ce que je disais et sur le moment, c’est tout ce que j’ai trouvé à redire. Une réplique digne d’un gamin de cinq ans. Il est vraiment tant que tout ça s’arrête. Heureusement, ça va être le cas. On arrive chez moi et en peu de temps, nous voilà dans mon appartement. Mon appartement. Sécurité. Pas de Matthew qui risque d’apparaître. Jake me mène jusqu’à ma chambre car je suis incapable de faire le chemin toute seule. Assise sur mon lit, je lutte encore un peu, encore… un tout… petit… peu. Je l’entends dire qu’il reste cette nuit. Le soulagement m’envahit parce que même si je sais que je suis en sécurité… Le réveil pourrait être compliqué. Je regarde le verre d’eau qu’il a mis sur ma table de chevet et le regarde ensuite. Chaque mouvement me semble être fait par quelqu’un d’autre. « J'enlève que la veste et les chaussures, je préfère t'avertir tout de suite. » répond Jake quand je lui demande s’il peut m’aider à enlever les deux éléments en question. Je plisse les yeux dans sa direction alors qu’il commence à m’aider. « Je te déteste. » ai-je rétorqué. Je sais… Je sais… j’ai dû avoir peur d’un truc… Comme quoi il me trouverait ingrate si je dis des trucs comme ça… Mais c’est sorti tout seul. C’est plus facile de ne pas me prendre la tête quand il dit des trucs comme ça. Après d’ultimes efforts, ma veste et mes chaussures sont retirées. La part de mon cerveau qui meurt d’envie de prendre une douche est étouffée par celle qui a juste envie de dormir jusqu’à la fin des temps. Malgré tout, je reste planté là quelques secondes. Plus rien ne me sépare de la possibilité de dormir mais je reste assise sur le bord de mon lit, à tanguer. « Tu n'as absolument rien gâché, repose-toi maintenant. » Je hoche doucement la tête. Je suis sûre qu’il n’imaginait pas que sa journée se terminerait ainsi… Mais de toute façon maintenant on y est. Impossible de revenir en arrière. Si je pouvais revenir en arrière je n’aurais jamais accepté d’aller avec Sam et Bev en soirée. Je prends une profonde respiration et soulève la couette et les draps. Avec des gestes qui semblent lents, tellement lents, je commence à m’installer dans mon lit. À cet instant, je me dis que si je pouvais, je ne bougerais plus d’ici. Rester dans son lit, ça veut dire rester en sécurité et ne jamais plus avoir à affronter ce que le monde te jette à la gueule. Je donnerai tout pour ne plus jamais ressentir ce que j’ai ressenti ce soir. Avec un soulagement palpable, je m’installe confortablement entre mes draps. Leur fraîcheur me fait du bien. Je les remonte, eux et ma couette jusqu’à mon menton. C’est dur de rester éveiller, vraiment dur. Maintenant que je suis allongée et confortablement installée, mon corps ne demande qu’une chose, se laisser aller. Seulement j’ai un peu de mal, je sais pas pourquoi. Je regarde Jake et pense à quelque chose. « Tu… n’as pas besoin d’aller sur le canapé… tu peux aller dans l’ancienne chambre de Cassie… La chambre d’amis. Tu me sauves la mise… de quoi j’ai l’air si je te laisse dormir… sur le canapé... »  

Dans les bras de Jake alors que nous approchons de mon palier, j’essaie de me concentrer encore un peu et de résister au brouillard épais qui m’a envahie depuis quelque temps maintenant. Je me demande si demain, je me souviendrais de tout. Le début de la soirée me paraît déjà si loin, pareil pour les minutes que j’ai passées dans la cabine des toilettes. C’est un sentiment vraiment bizarre où on se demande si la chose s’est vraiment passée. J’ai l’impression de conduire une voiture alors qu’on ne peut rien voir à l’extérieur. Derrière moi, le brouillard recouvre tout et devant moi, c’est la même chose. Il n’y a que le moment présent que j’arrive encore un peu près à contrôler, histoire de ne pas rentrer dans un arbre. La métaphore est pourrie mais pas tant que ça, je pense. Depuis que la drogue est dans mon corps, je m’évertue à ne pas rentrer dans un arbre. Quand Jake referme la porte de mon appartement derrière nous, je suis enfin tranquille. Même si je ne suis pas dans mon état normal, je sens que je peux me détendre et l’atmosphère de mon chez moi me réconforte. Ça fait du bien après une telle soirée. Grâce à Jake, je finis par m’asseoir sur mon lit sans trop de difficultés. Malgré nos piques incessantes pendant le trajet du retour, heureusement qu’il était là. Je serai définitivement rentrée dans un arbre sans lui. Je repense au moment où, enfermée dans les toilettes, il m’a semblé entendre Matthew appeler mon prénom. Je ne saurais sans doute jamais si c’était vrai ou si c’était mon imagination, mais le reste de ma soirée aurait été bien différent si c’était lui qui avait ouvert la porte, et non Jake. Je frissonne en y pensant. Jake répond qu’il me déteste aussi. Plus capable de trouver des répliques, je lui envoie un nouveau regard noir. C’est bien, malgré tout ce qui s’est passé, le monde tourne toujours rond. Pour un point de vue extérieur, j’imagine qu’on pourrait vraiment penser que c’est la guerre entre nous mais on fonctionne comme ça depuis toujours. Après qu’il m’ait aidée à retirer mes chaussures et ma veste, je me glisse dans mon lit qui ne m’a jamais paru aussi douillet qu’à cet instant. Le sentiment est tellement agréable que pendant quelques secondes, je ferme les yeux et j’oublie le reste du monde. Puis, le drap tiré jusqu’au menton, je reviens à moi et rouvre les yeux. C’est une bonne chose que Jake reste jusqu’à demain matin parce que… parce que même si le soulagement et le sentiment de sécurité m’ont envahie dès que je suis rentrée chez moi, quand je regarde la porte de ma chambre derrière lui, je me dis que peut-être… peut-être Matthew va apparaître et faire ce qu’il avait prévu. Je ne peux pas penser à ça. De toute façon, je sens mes dernières forces m’abandonner. Alors pour terminer, je pense à lui dire qu’il peut aller dormir dans la chambre d’amis et non sur le canapé. Il me regarde, attentif et avec un petit sourire. « J'irais dans la chambre d'amis alors. » répond Jake. Mes yeux se ferment et je sais que cette fois, ils ne se rouvriront pas avant une nuit de sommeil. Mais tout de même, je prends le temps de murmurer un : « Bien... » qui au fond ne sert pas à grand-chose. C’est juste que c’est bien de savoir que tout est réglé avant que je ne m’endorme. Pour le moment, j’évite de penser à demain matin où tout va me revenir en pleine gueule et où le brouillard ne pourra plus m’empêcher de penser. Tout ce que je fais, à cet instant, c’est enfin me laisser aller.