No pain, no tartines - Akira

@Akira Masuda

Comme tout bon sportif qui se respecte, j'ai cédé à la tentation. Celle de la salle de sport, où règne la virilité, la testostéronité, la masculinité... Et j'en passe. Mon objectif était de travailler surtout mon souffle. Je faisais du running depuis des années maintenant, mais quand une des filles de la compagnie m'a dit "qu'il fallait absolument que j'essaye le Planet Fitness, car il ont des supers machines, les coachs sont très dispos, et en plus, il y a un mec qui s'appelle Bryan et qui est beau comme un Dieu", j'ai tout de suite craqué à l'appel des machines dernier cri. Et effectivement, elle avait raison. La salle était très moderne, avec des sortes de zones un peu partout : cardio training, renforcement musculaire, cours collectifs... Il y en avait pour tout les gouts. Pour ma part, cela faisait déjà quelques semaines que je m'y rendais, privilégiant un programme de gain d'endurance. Comme je faisais ça en parallèle de mes répétitions, il en fallait pas que ce soit trop éprouvant physiquement. En général, j'y allais tôt le matin pour ensuite pouvoir enchainer sur la journée de répétitions. Et il me plaisait l'idée que ce programme portait ses fruits, car de jours en jours, j'étais plus résistante à la répétition des efforts.

Mais ce mardi matin, sachant que les répétitions n'avaient lieu que l'après midi, j'étais libre de vadrouiller un peu dans la salle après avoir fini mes exercices. Ce qui me fascinait, c'était de voir des hommes immenses soulever des poids monstrueux. Et une petite voix en moi se demandait combien moi je pouvais soulever. C'était le moment ou jamais de le faire, la salle étant plutôt clairsemée. Sur les quatre bancs de développé-couché, trois étaient libres. Une aubaine. Ne voulant pas coller celui qui était déjà en train de travailler, je me mis le plus loin possible de lui. Je préparais donc ma petite serviette, et avant de mettre des poids sur la barre, je regarde cet inconnu. Il ne doit pas faire attention que je l'observe, il a de la musique dans les oreilles. Et je vois ce golgoth, avec 120 kilos sur la barre, la soulever dix fois et la reposer comme si c'était une plume. C'est que finalement, ça doit pas être si dur que ça. Prenant mon courage à deux mains, ainsi que les poids, je mets en tout et pour tout 60 kilos, soit la moitié de ce que l'armoire à glace d'à côté soulève, et ce qui est aussi mon poids lorsque je ne suis pas astreinte à un régime pré représentation. Je m'allonge sur le banc, et je serre la barre dans mes mains. Il faudra légèrement la sortir de son emplacement pour ensuite enchainer les dix répétitions. C'est parti..... Putain, que c'est lourd. La première répétition se fait facilement, mais je sens que je n'ai déjà plus de carburant dans la machine... La deuxième passe, la troisième passe, la quaaaaaatrième paaaaasse... Je ne respire même plus, je bloque ma respiration pour donner sur la cinquièèèèèème........ Noooon, noooooooon, la barre revient vite sur moi, j'ai plus rien dans les bras !! 60 kilos sont en train de m'écraser le sternum, et personne ne me voit à l'agonie.... Je réunis ce qu'il me reste de force pour appeler à l'aide...

- Au s'cours, j'suis coincé.... J'arrive plus... à... respir....

Et là, je sentis deux mains aggriper la barre et la soulever pour la remettre dans son emplacement. J'ai la vision un peu trouble, j'ai gaspillé beaucoup d'énergie. Lorsque tout fut plus clair, je vis la tête d'un homme, me fixant, et me demandant si tout va bien. La honte.

@Akira Masuda

Je sentis mes joues rougir instantanément. Je n'arrivais pas à déterminer si c'était à cause de l'effort très (trop ?) intense que cette foutue barre m'obligea à faire, ou alors l'humiliation que je venais de subir. Etre coincée comme une débutante sous cet instrument de torture était de très loin la chose la plus désagréable qui m'avait été donné de vivre ces derniers mois. Et pourtant, Dieu sait que j'ai le chic pour me retrouver dans des situations peu confortables. La douleur sur ma poitrine se faisait vive, ce qui paraissait logique, ma cage thoracique venait de se faire écraser sous 60 kilos de fonte. Je me sentais tellement bête que je n'osais même pas regarder mon sauveur. Pourtant, grâce à lui, mes poumons pouvaient à nouveau se remplir d'air. Mais quoi lui dire, à part merci ? Et puis, le ton avec lequel il m'a parlé était à la fois plein de mépris et de condescendance. Oui, je me suis sentie beaucoup trop forte. Oui, j'ai commis une erreur. Mais pour autant, est-ce vraiment la peine de me parler comme si j'étais une enfant ? Lui ne l'est pas, assurément. Malgré la tête un peu dans les nuages suite à l'irrigation beaucoup trop importante de mon cerveau, je parvins cependant à observer sa silhouette, et il n'y a pas à dire, il était très agréable à regarder. Et parmi les petits détails sexy qui font la différence, voir cette minuscule goutte de sueur couler le long de son pectoral droit était d'une chaleur incroyable. A ce moment précis, j'aurais aimé être une goutte de sueur. Sa goutte. Rien qu'à lui. Je sais, j'ai beaucoup de mal à contrôler mon côté fleur bleue.

- Désolé, j'ai voulu tester ma force. Ca avait l'air si facile à faire, je me suis un peu surestimée...

Je me redressai doucement, mes jambes toujours de part et d'autre du banc. Je pris ma bouteille d'eau pour en boire une gorgée, puis une deuxième, puis une troisième. Cet effort m'avait donné très chaud, et la vision du torse de cet homme encore plus. Sans aucune discrétion, j'observai les moindres détails de ses courbes. Il était dessiné à la perfection. Bien loin des standards des salles de sport et ces monstres de 120 kilos continuellement sous stéroïdes. Lui donnait l'impression d'un travail naturel, ce qui le rendait encore plus beau à regarder. Cet instant dura quelques secondes, jusqu'au moment ou mes yeux plongèrent dans les siens. Sa mine avait l'air toujours aussi fermée, mais pour quel raison ? Est-il en train de se demander ce qu'une femme fait sur un banc de muscu, surtout quand visiblement elle n'en a aucune expérience ? Ou alors c'est la peur qui l'a mis en colère, peur qu'il me soit arrivé quelque chose de plus grave et que mon erreur ait des conséquences sur ma santé physique ? Je voulais tenter une petite blague pour détendre l'atmosphère, mais n'étant pas sûre de sa réussite, je préférais lui demander quelque chose d'autre.

- Tu as l'air de bien maitriser l'exercice. Tu pourrais me montrer le geste exact à faire ? Et promis, je mettrais pas autant de poids sur la barre cette fois.

Finalement, je l'ai tenté cette petite blague. Je l'accompagnais d'un sourire, pour détendre un peu l'atmosphère.

@Akira Masuda

Pourquoi se donner la peine d'aller déranger le petit personnel de la salle quand vous pouvez avoir un membre élite, assis juste à côté de vous, acceptant de vous aider ? Cet homme, en plus d'être fort agréable à regarder, avait pris la peine de me montrer pendant 5 bonnes minutes les gestes à faire, tout en étayant ses propos de notions théoriques sur la musculation. Cela était fort intéressant, et c'est à cet instant que je me rendis compte de mon énorme bourde. Cet exercice, ce n'est pas juste soulever bêtement une barre à la force de ses bras. Tout est question d'équilibre, de technique, d'objectifs fixés... Pour ma part, je ne cherchais rien d'autre que d'assouvir ma curiosité en soulevant la plus grosse charge.

L'air condescendant de mon coach particulier s'évaporait au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient. Il n'était pas hautain, prétentieux ou arrogant. Juste d'un calme et d'une concentration hallucinantes. Et le voir répéter le mouvement, avec autant de poids sur la barre, et dans une facilité extrême renforçait le côté mystérieux qui l'entourait. Lorsqu'il finit la démonstration, ce fut à mon tour. J'écoutais son conseil en ne chargeant que très peu la barre, puis je repris place à nouveau. Les yeux fermés, je me concentrai comme jamais. Petit à petit, cette barre se transformait en scène, lieu ou la moindre défaillance de concentration est fatale. Ma respiration était parfaitement contrôlée. Je tendis mes bras vers l'avant, puis en l'air, puis vers l'arrière. Mais, alors que les deux premiers mouvements trouvaient de l'air et du vide, le dernier trouva à son arrivée un doux postérieur, à la fois ferme et légèrement bombé. Sans m'en rendre compte, le bout de mes doigts se posèrent sur les fesses de cet homme. Grand moment de solitude, acte deux. Je sentis mes joues devenir rouge écarlate, et mon coeur s'accélérer. Je ne sais pas si c'était la honte ou l'excitation, mais clairement, le bellâtre ne me laissait pas insensible. Je repris mes esprits après de longues secondes, puis, une fois que ce fut le bon moment, je me saisis de la barre pour la soulever.

Effectivement, c'est beaucoup plus simple avec un poids réduit. Les répétitions se firent de façon beaucoup plus souple et contrôlée. Je n'avais pas vraiment conscience de ce que cet exercice pouvait m'apporter, car pour le moment, je ne sentais pas une quelconque douleur quelque part. Ce qui m'aurait permis de mieux localiser les muscles sollicités. Ce sera peut-être pour demain matin. Une fois les dix répétitions enchainés, je posais la barre, sous l'oeil de mon bienfaiteur. Je ne pus m'empêcher de lui sourire à nouveau, fière de la prestation que je venais de réaliser, et oubliant que quelques minutes plus tôt, je venais de lui coller une main aux fesses, au calme, en plein milieu de la salle de sport.

- C'était mieux comme ça ?

Parfois, je suis pire qu'un chien attendant la récompense de son maitre. Il pouvait me mentir, cela m'irait aussi. Je veux entendre de sa bouche que j'ai été parfaite, éblouissante, et qu'il n'a d'yeux que pour moi depuis que son regard a croisé le mien.

- D'ailleurs, je ne t'ai pas demandé. Comment tu t'appelles ? Moi c'est Sarina.

Machinalement, comme lors d'une présentation standard, je lui tendis ma main, espérant qu'il la saisisse.

Son stoïcisme était plein de classe et de mystères. Cela fait déjà une dizaine de minutes que nous nous parlons, et pourtant, son visage n'a toujours pas changé d'expression. Il est neutre, terriblement neutre. Je ne sais pas encore si je trouve cela attirant ou angoissant, mais une chose est sûre, cela me donne envie d'en savoir plus sur lui. Il se livra sur sa profession, qui n'était pas des plus classiques. Joueur de poker professionnel. Cela me donnait un premier élément de réponse du pourquoi ce visage était si figé. Le bluff, le calme... Un ensemble qui fait partie de son travail et qui pourtant rejaillit sur son espace personnel. Voyait-il la vie comme une partie sans fin dans laquelle il serait condamné à jouer, encore et encore, pour survivre ? Que chaque main en sa possession doit être jouée à la perfection sous peine de perdre le contrôle de sa vie ? Je me faisais tout un tas de films, où à chaque fois, Akira était le héros. Un peu amusée et maladroite, je me fis la réflexion, presque raciste, qu'il aurait parfaitement sa place dans un manga. Un joueur de poker qui frapperait ses ennemis avec des cartes magiques, aiguisées comme des lames de rasoir. C'est pour ça que d'un coup, un sourire se dessina sur mon visage.

Néanmoins, je fus surprise par son vouvoiement. Malgré ma grande timidité, de là ou je viens, le tutoiement est quasiment obligatoire. Lorsque l'on rencontre une nouvelle personne, qui en plus à un âge similaire au sien, on la tutoie. Cela brise la glace tout de suite, et facilite la discussion, grâce à cette première barrière de franchie. D'autant qu'il me semblait bien l'avoir tutoyé juste avant. Après, c'est peut être une façon pour lui de rester distant. Quel dommage, j'aimerais tellement que lui et son corps de dieu japonais se rapproche encore un peu de moi. Il faudra vraiment qu'un jour je soigne ce truc de tomber sous le charme d'un homme tout les trois jours. Même si dans le cas présent, Akira est vraiment un très bel homme.

- Je suis danseuse professionnelle. J'aime rajouter la notion de "professionnelle", j'ai tellement travaillé pour y parvenir que chaque jour est une bénédiction de pouvoir vivre de ma passion.

Je sentis mon visage s'illuminer. Je ne sais pas si cela durera encore longtemps, mais à chaque fois que j'évoque mon métier, je ressens tellement de fierté ! Et c'est avec cet air guilleret que je fis à nouveau une série de dix répétitions, m'efforçant d'appliquer à la lettre les conseils de mon coach. Dos bien plaqué contre le banc, barre baissée jusqu'à en toucher mon buste, expirer au moment du remonté... Tout y était. Le faible poids aidant beaucoup. Mais il fallait avoir le geste juste avant de pouvoir charger encore plus la barre. Une fois l'exercice fini, je me tournais vers Akira, à la recherche d'un commentaire sur la qualité de ma série. Impossible de chercher un indice dans son visage, il n'a toujours pas bougé...

- Dis, sans vouloir abuser de ta gentillesse, tu pourrais me montrer un ou deux autres exercices pour renforcer la masse musculaire du haut de mon corps ?

J'écoutais avec attention tout ce que cet homme pouvait me dire. Effectivement, ce calme et cette sérénité qui l'habitaient était déconcertant au premier abord. Mais une fois ce trait de caractère intégré, il était plus facile de le cerner. Après tout, il est japonais, pas vraiment le peuple le plus expressif du monde. On parle quand même d'un pays ou quand les gens font grève pour revendiquer des droits, ils vont quand même travailler, mais avec un brassard noir pour que le déshonneur s'abatte sur leur patron. Un tout autre concept que certains pays où pour une diminution de 5 euros des aides sociales, les gens sont prêts à faire la guerre. Mais c'est un autre débat, vous en conviendrez. J'aimais beaucoup cette citation de Confucius. J'avais déjà du l'entendre étant petite, et de la voir ressurgir maintenant, après avoir accompli mon rêve était un joli clin d'oeil du destin. Il était possible que cette formule s'appliquait pour lui aussi. Etre joueur de poker, c'est rarement par défaut. Et Akira a dû bosser comme un dingue pour y parvenir. Avec pour consécration cette venue à New York, pour participer à des tournois encore plus démesurés. Enfin, cette histoire, c'est mon esprit qui la fabrique, encore et encore. De petits éléments je suis capable de faire une montagne...

Sans vouloir forcément s'exécuter, Akira m'expliqua quelques exercices assez simples, basiques, car je n'avais pas les bases. Tout était question de décomposition des muscles à travailler. Si je voulais tonifier mes biceps et mes triceps pour gagner en force dans les bras, je n'allais pas faire la même séance que quand je dois faire travailler mes épaules et mon buste. Finalement, la musculation était quelque chose de beaucoup plus complexe que ce qu'il n'y paraissait.

- Merci en tout cas pour toutes ces informations Akira. Je ne vais pas t'embêter plus longtemps, j'vais aller faire un peu de gainage par là bas. Si tu te sens te vouloir gainer un peu, n'hésite pas à me rejoindre.

Et c'est sur un sourire que je partis un peu plus loin dans la salle, le laissant seul. Avec ma petite serviette sur l'épaule, je me retrouve dans un espace dédié au travail sur tapis. Pompes, abdos, gainage... Je n'étais pas la seule à avoir eu cette idée, trois autres personnes y étant déjà. C'est une femme d'une trentaine d'années qui me fit un peu de place afin que je puisse m'installer. Je voulais commencer fort, et le gainage était parfait pour ça. De toute façon, avec toutes les années de danse que j'ai cumulé, j'espère bien que cet exercice se passera sans trop de difficultés. Les jambes bien tendues, je me mets en appui sur mes coudes et c'est parti pour une minute. On commence doucement. Durant ces soixante secondes, je scrute la salle, afin d'apercevoir Akira. Pas de chance, il ne passe pas dans mon champ de vision. Le temps est écoulé, et après un petit temps de récupération, je recommence. Je ne le vois toujours pas. Tant pis, il a peut-être du partir.