Les quelques notes d'un joli morceau de Train traversaient ses écouteurs et orientaient les pas de la fleuriste. Violet évoluait presque naturellement dans les rues de Brooklyn, il y avait pourtant des années qu'elle n'était pas venue dans ce quartier. Au moins deux ans, songea t-elle en essayant de rassembler ses souvenirs. Même ses livraisons tardives pour la boutique familiale la menaient généralement dans des quartiers plus éloignés. Rien n'avait changé, les odeurs de déjeuners servis sur les terrasses des coffee shop, les bruits du marché du jour... La vie de quartier devait y être appréciable. Violet rasait les hauts bâtiments, sourire aux lèvres. La boutique était exceptionnellement entre les mains de son ancienne propriétaire cet après-midi : sa mère. Violet avait cumulé les heures depuis des mois, faisant l'impasse sur quelques jours de congés pour l'été, et la fatigue commençait à se faire sentir. Assez du moins pour qu'elle laisse sa mère reprendre le comptoir pour quelques heures.
"Il faut que tu sortes ma chérie, regardes-toi... Tu dors bien au moins ?" lui avait demandé sa mère, la veille, en passant lui faire une surprise chez Bloom!. Violet venait de raccrocher le téléphone ; une commande pour un bouquet de mariée. "Maman..." avait-elle lancé en notant le nom, l'adresse et le camaïeu de couleurs souhaité par la cliente. "Je vais bien, je t'assure. Et tu sais quoi ? La boutique aussi. Tu aurais dû venir mardi dernier, c'était la folie." souligna t-elle en déposant deux compositions automnales fraîches près de l'entrée. L'investissement presque permanent de Violet permettait aux affaires de bien tourner. "Demain après-midi, je te remplace... et c'est non négociable." avait fini par lancer sa mère sur un ton qui n'accepterait aucun refus. Violet soupira avant de s'essuyer les mains sur le tablier bleu du magasin. Et pourquoi pas après tout, il y avait une ou deux adresses qu'elle retrouverait avec plaisir. Et même si l'odeur des fleurs coupées avait ce quelque chose d'incroyable, Violet n'était pas contre un bon bol d'air pur.
Le clochette de l'entrée tinta pour indiquer sa présence. Les larges colonnes de livres semblaient s'étendre sur des dizaines de mètres, mettant en valeur les gros titres du moment. Violet retrouva ses marques en quelques secondes ; elle avait l'habitude de venir ici lorsqu'elle travaillait dans le commerce en ligne. Le gérant avait toujours eu l'oeil pour trouver des pépites littéraires que Violet revendait à des collectionneurs. Laissant une main effleurer la tranche rouge épaisse d'un ouvrage placé en hauteur, elle s'orienta vers la caisse avant de ralentir. Comme une odeur familière. Fronçant les sourcils, Violet s'était arrêtée au bout de l'allée. Comme si le parfum de Lucas pouvait la suivre jusqu'ici.
Cela fait quelques mois que je me suis réfugié ici. Cela fait quelques mois que je suis rongé par les remords. Les regrets se ponctuent les uns après les autres. Les matins à se réveiller aux côtés de ma rédemption. Le passage furtif des rayons de soleil sur son visage pouvaient apaiser les maux les plus faibles aux confusions les plus imposantes. Mais je me suis privé de ça, je me suis bêtement privé de ça parce que… je ne pouvais pas assumer de voir l’être aimé souffrir à cause de mon état. C’est un mauvais coup du destin.
C’est une sacrée connerie que j’ai fais. Mais assumer, c’est ce qu’il faut. Rester dans cette forteresse littéraire pouvait, de temps en temps, me permettre de m’évader. Comme dans un songe, quelque chose de vif, un rêve éveillé dans lequel je ne suis pas atteint par la maladie. Pourtant c’est inéluctable, j’y pense chaque soir, chaque seconde. Je me fais un mal tellement imposant, je me met des barrières. Je m’empêche d’aller de l’avant, à cause de mes décisions. Alors je me cache derrière le carcan de la fierté, je souris.
« La maison de l’arbre joueur. De Lian Hearn. À une époque où le Japon a dû s’ouvrir au marché mondial, de force. L’histoire se concentre sur une famille qui doit faire face aux changements, les traditions se bouleversent etc… »
Le peu que j’ai pu prononcer semblait convaincre la clientèle. En termes de roman historique, Lian Hearn m’avait appris à apprécier les choses les plus simples de la vie tout en me cultivant. Procédant à la vente du dit livre, je me suis empressé de me faire un café. Poussant un bref soupire, le dos tourné au comptoir, je me passais une main sur le visage. Allez, on peut sans doute espérer que mon collègue et patron sera aussi efficace. Je ne faisais plus spécialement attention à ce qui se passait autour de moi. J’entendis que quelqu’un rentrait, mais je ne me retournais pas.
Laissant les secondes s’étaler, je fis le tour pour passer à l’autre bout de la réserve, laissant ma tasse vide derrière le comptoir. Retournant ajuster quelques livres mal positionnés, mal rangés surtout… je finis par faire un tour d’horizon presque innocent dans la boutique. C’est à ce moment là que mon être tout entier s’est… stoppé. Je respirais doucement, en sentant mon souffle remplir ma poitrine et s’échapper par mes narines. L’inspiration était vigoureuse tandis que l’expiration, faible. La première était pleine de vie tandis que la seconde semblait liée à l’angoisse. Non ne flanche pas. Approche toi, un pas. Deux pas. Regarde la dans les yeux ne te défiles pas. De toute façon…
« Violet, comment tu as su que... ? » C'est la première chose qui te viens à l'esprit ? Pauvre con.
panic!attack
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Invité a posté ce message Mer 11 Sep 2019 - 10:08#
Les allées lumineuses lui rappelaient celles de la librairie dans laquelle elle avait travaillé, quelques années plus tôt. Simple étudiante, elle classait les nouveaux arrivages avec plaisir ; les positionnant en tête de gondole. Sous l'impulsion de son responsable de l'époque, elle s'était prise au jeu de lire plusieurs ouvrages par mois. Des lectures régulières qui lui permettaient d'ensuite insérer des notes de lecture discrètes, manuscrites et soigneusement découpées, dans diverses nouveautés littéraires. « L'avis de votre libraire ». A l'époque, c'était en fait le sien. Cette simple évocation fit sourire la fleuriste. Même si la vie à Williamsburg était agréable, ces fragments de souvenirs à Staten Island venaient à lui manquer.
Une odeur prégnante, comme un déjà-vu aussi déroutant qu'agréable. La réminiscence des matins passés avec Lucas, de cette odeur qu'elle avait eu l'habitude de respirer lorsqu'elle s'éveillait sur son torse. Évidemment qu'il ne s'agissait pas du parfum de Lucas... Elle avait besoin de garder les idées claires. Violet s'avança un peu plus vers le comptoir, s'attendant à croiser le propriétaire des lieux près des caisses. Mais celles-ci semblaient désertes. Il devait probablement être dans la réserve. Violet attendrait son tour ; le commerce passait avant tout. Sans compter que pour une fois, elle avait tout son temps.
Violet s'aventura dans une nouvelle allée, s'arrêtant brusquement en croisant des pupilles claires qu'elle avait tant espéré retrouver au détour des couloirs de l'hôpital. Lucas la fixait, interdit. « Que quoi ? » Les mots, durs et étrangement froids pour Violet, parvinrent enfin à franchir ses lèvres entrouvertes et légèrement tremblantes. « Que... tu allais bien ou que tu étais sorti de l'hôpital ? » Elle se força à inspirer profondément, tentant d'ignorer du mieux qu'elle le pouvait sa gorge serrée. « Personne..Personne, Lucas » poursuivit-elle en laissant ses lèvres se plisser sous le chagrin qu'elle refrénait. Il avait eu des mois pour lui donner des nouvelles, pour la rassurer. Un simple appel, un simple message, quelques mots tout au plus ; elle ne demandait pas plus. Malgré ce qu'il avait pu dire, Violet voulait juste savoir qu'il allait bien. Même ça, c'était apparemment déjà trop demander. Elle qui avait dû continuer à vivre dans l'ignorance, se levant tous les matins pour gérer la boutique sans compter ses heures. « Violet ! » Le large sourire du responsable de la boutique laissa place à une mine circonspecte lorsqu'il les trouva tous les deux dans le rayon. « Que nous vaut cette agréable surprise ? » ajouta t-il en se tournant vers Violet. « Même si c'est toujours un plaisir de vous voir... Tout va bien ?» poursuivit-il alors que la fleuriste affichait un mince sourire. « Parfaitement. » répondit-elle en quittant Lucas des yeux.« Je vois que vous avez fait connaissance avec notre nouveau libraire. Lucas, je suppose que vous avez déjà eu l'occasion de vous présenter... »
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Invité a posté ce message Mer 11 Sep 2019 - 20:32#
soulmate
Je le savais. Je savais très bien qu’en partant, j’allais devoir affronter les conséquences de mes actions. À tout choix, une conséquence. J'ai passé ces dernières semaines, ces derniers mois à anticiper les conséquences de mes actions. Pourtant rien ne pouvait me préparer à ça. Devant le fait accompli... Modifier le passé est impossible, de la même manière, changer l'avenir est inévitable. Le processus a été mis en place depuis que l'Homme est capable de raisonner ou même de bouger. Je ne peux pas contourner chaque problème, je ne dois pas. Violet, je dois lui faire comprendre…
Quelle aurait été ma vie si je n’avais pas… écouté cette voix dans ma tête qui me disait de partir ? Je n’en sais rien et maintenant que je l’ai fais, je ne peux pas… annuler ce qui a déjà été fait. Arrête. Tu cherche à gagner du temps. Elle est là, elle t’a vu. La suite, c’est à moi de faire couler l’encre sur la suite de notre histoire. Pourtant, ce frisson glacial s’éternise. Il enlace le moindre muscle, il m’impose une inertie et un calme olympien… Mais ce n’est que de l’extérieur. Le ton employé à son égard est aussi imbibé de surprise que de stoïcisme. Je ne peux décemment pas… lui imposer ça à nouveau.
Inspirant profondément, je m’apprêtais à prendre la parole. Je m’apprêtais à justifier ce choix, mais elle fut apostrophée par mon responsable. Je n’avais plus rien à dire… Il n’était même pas au courant de mon cas, j’espérais vraiment que Violet ne lui dévoile pas accidentellement … J’affichais le plus sincère des faux sourires en le laissant parler. Visiblement ils se connaissaient… Bon, ne réagis pas. Ce n’est pas le moment. Je finis par m’approcher de lui en lui glissant ces quelques mots :
« Je vais t’emprunter la réserve quelques minutes… si tu pouvais me remplacer, ça m’aiderait. »
Ce dernier accepta, la journée étant visiblement calme. Je pouvais gérer seul la boutique, mais lui aussi. Alors il accepta. Me tournant vers Violet je lui fis signe de ma suivre. Les quelques pas que j’entamais étaient discrets, traduisant une faiblesse dans ma démarche, ma façon d’être… moi qui est toujours été quelqu’un vivant sous l’égide de l’adrénaline. Ouvrant une porte à l’arrière de la librairie, un escalier menant vers un sous-sol se dressa. Choisissant cette voie je finis par rejoindre un large espace.
Comme une deuxième librairie où sont conservés d’anciens écrits comme ceux à venir. Tous conservés à une température adéquate, les préserver. M’appuyant sur une table, cette dernière supportait le poids de tout un atelier servant à réparer les livres. Mes doigts tapaient nerveusement sur le bois, un petit écho énervant émanait alors du mobilier. Je me retournais alors vers Violet. Le regard franc, imprégné de confusion, de culpabilité.
« Je sais ce que j’ai fais Violet. J’ai disparu sans donner la moindre nouvelle. Et… c’est ce qu’il y avait à faire. Je ne peux toujours pas accepter que tu sois là, à me voir m’affaiblir au fur et à mesure que les jours passent. C’est pas une vie pour toi. J’ai fais ce qui me semblait le plus juste… »
panic!attack
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Invité a posté ce message Jeu 19 Sep 2019 - 20:45#
Le simple fait de croiser ses pupilles azur lui donnait l'impression de revenir plusieurs mois en arrière, remontant le fil de ses souvenirs jusqu'à ce soir de juin. C'était leurs derniers échanges, sur le lit d'hôpital de Lucas. Presque comme des fragments d'une autre vie. Le dernier souvenir, abrupt, que Lucas lui avait laissé et qu'elle tentait depuis de garder le plus loin possible de ses pensées. La normalité, les horaires variables, le sourire des clients de Bloom!... étaient devenus son seul moteur ces dernières semaines, bien plus qu'une simple bouée de sauvetage. Elle s'était investie corps et âme dans la vie de la boutique, continuant de vivre malgré tout.
Lucas ne lui laissa pas d'autre choix que de prendre poliment congé du propriétaire des lieux, auprès duquel Violet espérait se faire pardonner plus tard. Il avait toujours été d'excellent conseil lorsqu'ils travaillaient ensemble et sa bonne humeur à toute épreuve faisait partie des raisons qui l'avait amenée à pousser de nouveau la porte de la librairie. Luttant entre l'envie de tourner les talons et celle d'avoir enfin les réponses qu'il avait tellement tardé à lui donner, la fleuriste suivit instinctivement Lucas et se retrouva à emprunter l'escalier étroit qui menait vers la zone d'archivage et de conservation des livres. Violet avait déjà eu l'occasion de découvrir cette zone avec le propriétaire de la boutique. Un espace à part ; les plus beaux ouvrages s'y trouvaient, des collections rares et anciennes.
Ce que tu as fait... répéta t-elle en se mordant légèrement la lèvre inférieure, les yeux fixés sur le sol gris plutôt que sur le visage qu'elle avait tenu si souvent entre ses mains. Elle attendait qu'il lui explique enfin, elle ne demandait qu'à comprendre. Le plus juste pour qui ? Pour moi ou pour toi ? Elle secoua la tête en signe de négation. A aucun moment tu ne m'as demandé ce que je voulais moi ou... ce que je pouvais supporter. Et tu n'as jamais été faible...Pas pour moi. ajouta t-elle avec un léger sourire. Peut-être qu'elle ne connaissait plus aussi bien le Lucas d'aujourd'hui mais elle n'avait pourtant aucun doute sur ce point. Lucas, dit-elle en cherchant finalement son regard. Comme un réflexe d'avant. Pourquoi t'être éloigné de tout le monde ? Il avait pris soin de fermer toutes les portes, y compris avec sa propre sœur. Même ta propre sœur, tu as jugé qu'elle ne méritait pas de savoir comment tu allais ? poursuivit-elle, sourcils froncés. Elle ne le reconnaissait pas.
