remind yourself that everything's gonna be ok (rafe)

Dans les moments où il n'alignait pas les heures de travail, Rafe s'retrouvait à se poser mille questions sur les temps à venir : deux mois, ça passait vite. Chaque jour qui passait le rapprochait d'une échéance immuable : il avait pris sa décision, signé les papiers, engagé un avocat. Il était sûr de lui. Parce que ouais, mine de rien, le brun était sûr de son choix : c'était terrifiant, d'sentir chaque rendez-vous chez le médecin devenir de plus en plus concret, d'commencer à former dans sa tête des pensées qui le rendaient aussi nerveux qu'esseulé. Il en était presque à s'dire qu'il ne savait pas comment sa mère avait pu faire, quand elle avait encore été enceinte de lui et toute seule, pour tout gérer : pourtant, elle n'avait pas été la mère exemplaire. Mais elle avait réussi à lui trouver un nom, à faire en sorte qu'il ait une chambre, de quoi s'habiller. Ou même des couches, tiens. Mais le Hollins, lui, il en était encore à s'demander comment on faisait tout ça : comme un con, la veille au soir, il s'était retrouvé sur un site de prénoms, à chercher une idée, une illumination qui ne venait pas. Ils avaient récemment appris le sexe de leur bébé, avec Asteria : mais paradoxalement, c'n'était pas synonyme de joie, bonheur ou  excitation. C'n'était même pas la porte ouverte pour qu'ils commencent à s'prendre la tête sur leurs différentes idées de prénoms, leurs préférences et ce qu'ils détestaient absolument. Elle n'avait toujours pas pris sa décision, la blonde- à deux mois de son accouchement, il semblait qu'elle n'savait toujours pas ce qu'elle allait faire.

Son projet d'adoption n'était allé nulle part, et de l'autre côté, elle n'avait rien préparé non plus, pour l'arrivée de cet enfant. Quelque-part, il n'en était pas des masses surpris, Rafe ; rien que par orgueil, il était tenté d'lui demander ce qu'elle aurait fait, si indécise qu'elle était, si elle avait vraiment engagé une procédure pour faire adopter cet enfant, alors qu'il semblait si clair qu'elle n'était pas aussi impatiente qu'elle le croyait, de s'en débarrasser. Bordel. Quand son téléphone sonna, alors, et qu'il entendit la voix de Cassie à l'autre bout du fil, Rafe fut presque tout autant soulagé qu'inquiété par l'appel de la jeune femme. Il connaissait assez la brune pour la sentir différente. Et pourtant, ça n'faisait pas si longtemps que ça, qu'ils avaient pris des nouvelles l'un de l'autre- et la dernière fois qu'ils avaient parlé, la jeune femme avait été fidèle à elle-même. Peut-être un peu trop, même. Pas de quoi le faire l'envoyer chier, hein- évidemment que dès qu'il eut raccroché, il rassembla ses affaires, ses outils, pour retrouver sa voiture et aller chez la Rhodes. Il frappa, attendit quelques longues secondes, mais lui offrit un sourire quand elle ouvrit, visiblement humide- est-c'que c'était tant la catastrophe que ça, dans sa cuisine ? « Hey... » la dernière fois qu'il avait été sur le pas de cette porte, il avait été bourré- cette fois, il était plus composé, mais ce n'était manifestement pas le cas de la brune. Il se retint de la presser de quoique ce soit, pourtant, c'n'était pas son genre. Et puis, était-ce vraiment pour ça qu'elle l'avait appelé ? Ils se comprenaient ; elle parlerait en son temps, Cassie. Si c'était ce qu'elle voulait. « Alors, c'est quoi ce problème dans ta cuisine ? On dirait que t'as pompé toute l'eau de New York... » qu'il se moqua gentiment- peut-être que ne serait-ce que pour la voir sourire un peu, il était prêt à faire des blagues de merde et lourdes comme ça.

Dépanner n'était pas quelque-chose de bien compliqué pour Rafe ; c'était l'avantage d'avoir eu à abandonner ses études et d'se lancer dans des jobs manuels plutôt. Un vrai bonus dans le monde du travail qui, peut-être un beau jour, finirait par le rendre assez indispensable pour qu'on arrête de le virer à chaque fois que la police viendrait l'emmerder sur l'affaire de la disparition de Shea Drake. C'était bien la seule chose qu'il pouvait espérer, alors qu'il n'avait aucune idée de ce qu'Asteria avait décidé de faire de toute cette histoire : si elle allait vraiment rouvrir le dossier comme elle l'avait dit, des mois plus tôt, ou si elle avait finalement décidé de laisser tomber, pour il ne savait quelle raison. Techniquement, ouais, elle avait tous les droits de vouloir rechercher la vérité pour sa sœur- comme Cassie le lui avait fait remarquer, et comme il le savait si bien, le brun. Mais pour les Drake, pendant de longues années, la vérité n'avait pas été ce qui avait importé : et Terry, quoiqu'elle en dise, elle avait quand même eu dix-sept ans et plus à cette époque- pendant toute cette décennie durant laquelle ses parents l'avaient harcelé lui, et avaient manqué de peu de l'faire finir en taule, pour une histoire qui ne le concernait pas. Tout c'qu'il avait retenu, lui en tout cas d'son côté, ç'avait été qu'elle s'en était fichue, de toute façon, ce que ses parents avaient fait, ce n'était pas à elle qui fallait le lui reprocher et qu'en Australie, tout ce qu'elle avait laissé derrière à New York, n'avait pas eu beaucoup d'importance. Lui inclus. Ça en faisait beaucoup, des sujets, aujourd'hui, que Rafe et la blonde n'cherchaient pas à ramener sur le tapis : au contraire, leurs échanges cordiaux semblaient tout à fait superficiels, alors qu'ils avaient tous les deux pleinement conscience de tourner autour du pot, sur tout un tas de sujets. Rafe avait fait tout un tas de démarches judiciaires pour conserver ses droits parentaux et les faire valoir, si Asteria décidait d'envisager l'adoption pour leur enfant- et qu'est-ce qui s'était passé ensuite ? Rien, parce qu'ils n'en avaient pas parlé- la blonde n'avait pas daigné se demander ou lui demander à quoi pouvait rimer toute cette histoire, et lui d'son côté, il en avait déjà marre d'se sentir être le seul ne ressentir qu'un quelconque intérêt, ou la moindre affection pour ce bébé qui était le leur.

Tant de choses dont il ne parlait pas, mais qui pesaient sur lui comme une enclume. Il était un expert alors pour dépanner, mais quand il était question d'attendre quoiqu'ce soit des autres, il avait appris autrement. Rafe n'était pas l'type qui s'ouvrait le plus facilement à qui qu'ce soit – la dernière fois qu'il s'était tenu sur le seuil de l'appartement de la Rhodes, ç'avait été après qu'une quantité non négligeable d'alcool ait commencé à lui délier la langue. Heureusement pour son orgueil, cette fois, il n'était pas bourré et quoiqu'il puisse s'passer dans sa vie, c'était Cassie qui avait surtout l'air d'être au fond du trou. « Le coupable. J’ai coupé l’arrivée d’eau avant que ça ne dégénère. » peut-être qu'ils pourraient bien blâmer l'évier, et rien d'autre- mais Rafe n'était pas idiot au point de s'contenter de ça. Déjà quelques temps plus tôt, y'avait eu quelque-chose pour la préoccuper, et maintenant, visiblement, c'était pire encore : un évier qui explosait une tonne d'eau dans sa cuisine, c'n'était qu'un petit bonus de malchance dans une période bien plus déplaisante. Pourtant, le brun n'eut pas besoin d'inspecter grand-chose avant de pouvoir faire un bilan plutôt simple : « C'est pas grand-chose, juste un problème avec le robinet. » au moins, leur petite colocation compliquée, à Maze, Wyatt et elle, n'se retrouverait pas privée d'eau pendant des heures, voire des jours. En ouvrant le placard sous l'évier, Rafe le débarrassa de tout ce qui pouvait s'y trouver ; « J'veux bien un café, ouais. » haussa-t-il les épaules, conscient qu'il n'en aurait pas pour des heures, pas même plus de quelques minutes, mais quand même, s'attarder avec Cassie était aussi dans ses plans. Ils étaient amis, après tout, et il n'était pas aveugle et sourd et con au point de n'pas se rendre compte qu'elle avait la mine basse et déprimée. Elle avait été là pour lui, quand il s'était littéralement imposé dans son chez elle, alors la moindre des choses, c'était d'lui rendre la pareille. « Comment va le bébé ? » à la question de la brune, il fut bien content d'être déjà occupé, pour n'pas qu'elle remarque qu'il avait tiqué, avant de faire le tri dans ses pensées ; « Il va bien, ouais... le bébé va bien. » c'était une certaine façon de dire les choses, alors qu'il se redressait pour fouiller dans la boîte à outils qu'il avait ramenée ; « J'veux dire... la fin de la grossesse est-... un peu compliquée, mais c'est pas grand-chose. » et puis, Asteria serait vite débarrassée, il ne lui restait plus que deux mois avec ce maudit bébé non-désiré dans le ventre, après, elle pourrait faire sa vie de son côté sans demander son reste à personne. Plutôt que de s'mettre à cracher sa frustration, Rafe esquissa un sourire, préférant se concentrer sur le positif- et aussi pour n'pas avoir à s'étendre plus longuement sur le sujet de tout ce qui allait mal ; « Enfin-... j'dis 'il' mais j'devrais plutôt dire 'elle'. Elle va bien. » une façon bien à lui d'annoncer qu'Asteria et lui avaient fait toutes ces choses bien niaises qui rendaient les vrais couples totalement heureux : s'rendre à l'échographie pour découvrir le sexe de leur enfant, de quoi leur futur serait fait, toutes ces choses qu'ils n'arrivaient pas à avoir, tous les deux. Lui qui n'était pas un expert pour envoyer des sms avec ce genre de news à tous les gens que ça pourrait intéresser, comme sa famille ou ces quelques amis à qui il avait parlé de ce bébé, il s'essayait à la subtilité, maintenant.

S'il semblait être expert en plomberie comme le disait Cassie, c'était sûrement une des rares choses en c'moment, en lesquelles Rafe pouvait prétendre avoir un quelconque talent. Pour ce qui était du reste, tout n'était que complication, prise de tête, et essais hasardeux autour d'un sujet de conversation qui pourrait très vite partir dans tous les sens. Il avait toujours eu son caractère, hein- mais il semblait qu'en c'moment, c'était la base de tous les reproches qu'on pouvait lui faire. Ou qu'Asteria pouvait bien lui faire, quand il était question d'justifier pourquoi ils ne parlaient pas, ou même pourquoi il semblait si inconcevable pour elle, d'imaginer garder cet enfant qui était dans son ventre. Du moins, aux dernières nouvelles. Fatigué de s'prendre dans la tronche, des vérités dont il s'passerait bien, le brun avait arrêté d'essayer de s'lancer dans des sujets de conversation de c'genre : il tournait autour du pot, plus souvent muet que bavard. Au fond, venir voir Cassie pour quelque-chose d'aussi basique et simple qu'une fuite d'eau, était un réconfort habituel bienvenu : oui, au moins il maîtrisait les histoires de tuyauteries, les p'tits problèmes ménagers qui le faisaient souvent se déplacer pour son travail. Et force était d'admettre qu'il était devenu plutôt doué dans ce domaine- assez doué pour que certaines personnes autour de lui commencent à essayer de le convaincre de peut-être se mettre à son compte : techniquement, ça lui permettrait de gagner plus d'argent, s'il se construisait une liste de clients assez importante. Mais est-c'qu'il avait vraiment assez d'audace pour ça ? A quelques mois de la naissance de son bébé imprévu, est-c'que c'était vraiment une décision sage à prendre ? Probablement que s'il avait été tout seul d'son côté, comme il l'avait été depuis dix longues années maintenant, la décision aurait été plus facile à prendre pour le Hollins. Mais d'ici peu d'temps, beaucoup de choses allaient changer : pourquoi rajouter son job en plus du reste ? Tant de doutes desquels il ne parlait pas- ou que trop peu, quand on calculait l'temps qui lui restait avant qu'sa vie ne prenne un tout autre chemin, vers une direction à laquelle il n'avait absolument plus pensé depuis bien longtemps. Mais bien sûr, qu'il n'avait suffi de rien d'autre qu'une nuit, une simple nuit avec Asteria pour que son monde s'retrouve mis sens-dessus-dessous, avec des conséquences qu'il essuyait tout seul dans son coin : n'devait-il pas en avoir l'habitude, à force, avec les Drake, hein ?

Et après quelques minutes à peine dans l'appartement de Cassie, Rafe était déjà arrivé à la conclusion que ce n'serait pas son amie qui l'aiderait. Un peu comme quand il avait débarqué bourré sur le pas de sa porte, à déblatérer quatre-vingt pour cent de ses problèmes, sans vraiment se préoccuper de c'qu'elle pouvait traverser au quotidien. Oui, même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu remarquer grand-chose, dans son état. Peut-être n'était-ce que justice, alors, que la brune semble si imperméable à tout c'qu'il disait: heureusement qu'il n'était pas c'type ouvertement gaga à l'idée d'avoir un bébé, pris dans sa bulle de bonheur- sans quoi, il serait tombé de haut à voir la réaction de la jeune femme – ou sa non réaction – et il aurait presque été capable d's'en vexer. « Vous allez la garder ? » s'il n'était pas du genre à mettre de l'eau dans son vin et qu'ça se savait dans tout son entourage, voir Cassie mettre les pieds dans le plat de la sorte, avait quelque-chose de surprenant. Assez pour qu'il en hausse les sourcils un instant, pinçant les lèvres, prenant le temps de fouiller dans ses outils, à la recherche de l'objet idéal et de la réponse la plus diplomate qui soit. « Moi, en tout cas. » il allait droit au but, au moins : peut-être qu'il pouvait reconnaître à la Rhodes, l'aide qu'elle avait pu lui apporter dans ce sens-là – rien d'autre que quelques sms très passionnés, ouais, mais peut-être de quoi confirmer les pensées qu'il avait eues, depuis un bon moment, enfoncées dans le crâne. « Il s'avère qu'Asteria et moi... on est pas un lot en commun. Qu'on est rien du tout à vrai dire... Alors c'que j'fais... c'est pas spécialement ses affaires. Et pareil dans l'autre sens. » et il avait été élevé par sa mère biologique, toute seule, pendant de longues années : et encore aujourd'hui, sa nostalgie et la rancœur qu'il éprouvait à son égard, n'pouvaient l'empêcher de lui faire s'dire qu'il aurait pu être totalement heureux comme ça. Sans l'alcool et la drogue et l'abandon brutal dont il avait été victime, évidemment. « J'suis allé voir un avocat, alors. Et j'ai envoyé tout un tas d'papiers à Terry mais... elle a rien dit, alors j'suppose qu'elle s'en fout. » c'était devenu leur truc, de ne rien dire- et d'après la blonde et ses critères, c'était mieux que de s'disputer. Chacun son truc. « Et toi alors ? Parce que bon, j'ai beau être pris jusqu'au cou dans c't'histoire, j'suis pas devenu aveugle ou con, depuis l'temps. » et même s'il n'prétendait pas être le meilleur ami du monde, celui qui était passionné et compatissant envers tous les gens à qui il tenait, ouvertement affectueux et observateur, Rafe avait quand même remarqué que quelque-chose clochait avec Cassie. Elle n'était pas très subtile- même pas par sms. « Les éviers qui fuient, c'est chiant, mais quand même. Pas au point que tous mes clients aient ta tronche... » heureusement que c'n'était pas une critique ou une insulte – il en sourit légèrement, de sa p'tite rixe provocatrice, avant de boire une gorgée de café. L'eau était coupée, la cuisine ne menaçait pas d'être engloutie par les flots, alors ils avaient le temps de s'raconter quelques trucs, non ? Si elle avait simplement eu besoin d'un plombier, elle aurait pu appeler n'importe qui.

Une bonne chose. Alors que l'avenir était encore incertain, rien d'autre qu'une idée logée dans le ventre d'Asteria, un bébé qu'il ne voyait que sur des images loin d'être grandeur nature, Rafe avait du mal à croire qu'il avait pris les bonnes décisions. Peut-être qu'il serait un père nul sur tous les points, incapable de comprendre pourquoi son bébé pleurerait à longueur de journée. Il s'doutait que ce serait épuisant, mais de c'qu'il avait entendu, on n'avait pas vraiment idée de l'ampleur de la fatigue qu'on ressentait en s'occupant d'un enfant, avant de l'avoir vécu. Comment garantir qu'il s'en sortirait, alors ? Oui, contrairement à ce qu'Asteria semblait croire quand elle avait des doutes et que lui, s'escrimait à n'pas exprimer les siens, il en avait par certaines- mais c'était vouloir essayer qui importait, non ? Personne n'pouvait naître naturellement talentueux à être un parent, c'n'était pas inné, c'n'était pas quelque-chose que les savants trouvaient plus faciles, comme les maths, ou le piano ou il n'savait quoi. Il n'avait certainement rien su de la construction en bâtiment ou de la plomberie quand il avait commencé à se lancer dans ses premiers jobs, mais il avait appris, par la force des choses : parce que s'il avait baissé les bras, il se serait retrouvé sans diplôme, sans travail, sans toit sur sa tête, sans salaire régulier, sans sécurité quelconque. Il n'aurait été rien d'autre que le déchet de la société qu'on avait si souvent vu en lui, quand il avait atterri dans le système et que son seul mécanisme de défense avait été l'attaque. Si Cassie s'estimait contente alors, avec ses sourires faiblards, ses airs distants, son regard vague, il ne pouvait qu'être préoccupé, lui : et beaucoup diraient que c'était le bon instinct à avoir. Il doutait, et n'était-ce pas le plus important ? Il n'se disait pas que ce serait facile, comme un claquement de doigts, qu'il aurait raison sur toute la ligne et qu'il s'en sortirait à cent pour cent. Mais au moins, il serait toujours mieux que son père qui avait déserté son rôle, que sa mère qui l'avait élevé dans la drogue, l'alcool et tous ces dommages qui auraient pu ruiner sa vie. Il n'serait pas le père le plus fortuné, capable d'offrir à sa princesse tout pour réaliser ses rêves les plus fous, mais il ferait d'son mieux- ça, il le savait, dans ses tripes, dans son cœur, dans cette détermination qui l'avait toujours poussé à s'en sortir. A l'heure actuelle, alors qu'Asteria n'était encore qu'à sept mois de grossesse, qu'il n'avait pas encore tenu son bébé dans ses bras, ni même capté que cet enfant était bel et bien réel, projeté dans son futur, changeant sa vie pour toujours, il n'pouvait pas voir les choses mieux que ça. C'était tout c'qu'il avait eu à offrir comme assurance à la blonde, et visiblement, ça n'avait pas été assez.

Il n'pouvait qu'espérer que ce serait assez pour cette fille, qu'il allait sans doute devoir élever seul- est-ce que les pères célibataires étaient des bons partis, aux yeux des femmes ? Il en avait vu, bien sûr, des téléfilms débiles sur des mecs divorcés ou à la femme morte, qui reconstruisaient leur vie, comme si c'était facile comme bonjour. Mais lui qui déjà, n'avait jamais voulu de relation sérieuse, avait bien du mal à imaginer une de ses conquêtes devenir mère. Il n'avait peut-être même pas l'oeil pour les repérer, ces femmes qui voulaient des relations sérieuses, sur le long terme, intenses et réelles. Il n'avait toujours que côtoyé des demoiselles bien contentes, de pouvoir reprendre leur vie le lendemain. Tant de choses dont il n'parlait pas à haute voix ; de toute manière, s'il commençait à chercher à se caser juste pour diviser la pression de devenir parent, ce serait bien con. C'était déjà bien, qu'il ait quelques personnes dans son entourage, avec qui parler de ce futur de plus en plus pressant, soit une possibilité – chose qu'il n'arrivait pas à faire, avec Asteria elle-même. D'habitude, Cassie était même plus ouverte au dialogue, plus expressive il le savait bien ; et c'n'était pas son genre à lui, d'y aller par quatre chemins. Et il s'était attendu à tout, honnêtement, à ces problèmes qui pouvaient brusquement subvenir dans la vie de quelqu'un, et qui chamboulaient tout. Mais les mots qu'il entendit de la brune, presque trop familiers et étrangers à la fois, le laissèrent muet. Enceinte. A croire que c'était la saison- il aurait pu facilement blaguer comme ça, s'il n'avait pas conscience de la réalité que ça pouvait être, cette épée de Damoclès planant sur la tête de quelqu'un. Un peu comme il s'était attendu à ce que Freya soit une des personnes de son entourage les plus capables de comprendre son désarroi, la brune devait en attendre de même, de lui. Quelques mois plus tôt, ç'avait été lui qui avait été concerné par une telle nouvelle- cette fois-ci, au moins, il était sûr à deux cent pour cent que cette nouvelle ne le concernait pas. Qui, alors ? Avec qui est-ce qu'elle avait pu avoir une histoire, récemment ? Et comment ? Comment est-ce qu'elle avait pu s'faire avoir par un hasard comme celui-ci ? Il était le dernier qui pourrait juger de quoique ce soit- alors à défaut d'avoir la phrase idéale à balancer, Rafe se contenta d'essayer de la consoler, d'la serrer contre lui. Rien d'idéal, rien qui n'pourrait effacer complètement le chagrin et le désarroi de son amie -ça, c'était autre chose, c'était plus compliqué, plus douloureux. Il le savait bien. Il n'eut même pas le temps de la retenir, elle qui avait perdu le Nord, quand elle se dirigea vers l'évier pour y vomir ses tripes – faute de mieux, Rafe grogna pour lui-même, une main s'écrasant sur ses hanches alors qu'il levait les yeux au ciel ; « C'est sympa ça. J'fais comment moi maintenant ? » aux dernières nouvelles, il était censé le réparer, cet évier- mais quand bien même Cassie et lui étaient proches, il n'avait pas spécialement envie de foutre ses mains dans son vomi. Heureusement qu'il esquissa un sourire, réconfortant et sardonique à la fois ; signe qu'il n'la jugeait pas, qu'il n'allait ni la clouer au piloris, ni même la harceler de questions pressantes, comme il en avait trop souvent entendues, lui. « Qu'est-c'qu'y s'est passé, hein ? Si tu veux en parler, en tout cas... » demanda-t-il donc, en s'appuyant contre le plan de travail, attrapant son café en la laissant elle, reprendre ses esprits. Il n'voulait pas la coller, ni la brusquer, ni remuer le couteau dans la plaie- mais Cassie en avait beaucoup sur le cœur, littéralement- lui son réflexe, ç'avait été de gueuler, de s'dire que c'était impossible, mais chacun son truc.

Réparer certaines choses, comme une fuite d'eau ou un trou dans un mur, était devenu un genre d'expertise chez Rafe. Peut-être qu'au moins, ça lui avait permis un peu d'endiguer l'affreux sentiment qui s'était emparé de sa vie, à une époque : quand rien de c'qu'il avait pu commencer n'avait jamais abouti où que ce soit – principalement à cause des Drake, de l'histoire de la disparition de Shea, débordant sur son quotidien. Comme ça, il avait eu un genre de carrière sur laquelle se concentrer, une justification pour ne jamais rappeler aucune des filles avec qui il avait pu partager une nuit, ou pour ne jamais prendre le temps de chercher quoique ce soit d'autre que de l'éphémère, pur et dur. Oui, somme toute, un an plus tôt, le brun aurait facilement pu dire qu'il était bien équilibré dans ce monde qu'il s'était construit, à New York, à essayer d'oublier c'qui faisait trop mal au cœur, à éliminer d'sa vie les gens qui lui rappelaient trop ce passé douloureux, et à tracer sa route, sans jamais trop s'accrocher à son confort. On le lui avait pris tellement de fois, qu'il avait fini par être un habitué de c'mode de vie – des changements constants qui forçaient à s'adapter. S'il ne s'était pas relevé à chaque fois, le brun aurait fini à la rue bien assez tôt, sans personne pour l'aider. Il n'aurait été rien d'autre qu'un gosse du système, un énième échec dans les statistiques alarmantes que l'état essayait tant bien que mal de cacher, et auxquelles personne ne prêtait vraiment d'attention. Ce job qu'il avait aujourd'hui, alors, aussi minable semblait-il aux yeux de certaines personnes – de Rafe lui-même, parfois – avait pourtant été sa bouée de sauvetage, en bien des occasions. Il avait un salaire grâce à ça – grâce à cette entreprise en bâtiment qui, contrairement à d'autres, avait décidé d'ignorer les histoires qui tournaient sur lui, et lui avait offert une opportunité de n'pas crever la bouche ouverte, avec tous les soupçons des flics sur son dos. Et aujourd'hui, après le coup de fil quelque peu inquiétant de Cassie, le Hollins pouvait au moins avoir la conviction qu'il ne viendrait pas pour rien : s'il n'était pas l'ami le plus diplomate, capable d'avoir les mots idéaux en toutes circonstances et de rassurer les inquiétudes de tout le monde, il était au moins assez bon plombier pour savoir quel était le problème avec l'évier de la jeune femme. Sa visite, alors, quoiqu'il advienne, serait utile jusqu'à un certain degré. En ce moment, c'était le seul aspect non-frustrant de sa vie – quand la communication avec Asteria n'était rien d'autre qu'un aller-retour chaotique et chargé de non-dits, que sa vie sociale se limitait de plus en plus à préparer l'arrivée d'un bébé dont il allait devoir s'occuper tout seul, il avait de quoi s'sentir blasé par tout ce qui s'étendait plus loin que les frontières de son job.

Aux révélations de Cassie, alors, Rafe tenta de ravaler sa surprise – cette électricité qu'il avait tant détestée, lui, toutes les fois où il avait annoncé qu'il allait être père, à tous les gens autour de lui. Un genre de joie toute simple et presque primaire que tout le monde ressentait, à l'idée qu'un bébé voie le jour d'ici peu – comme si la société se limitait à ça. Après tout, il avait trente-trois ans maintenant, largement l'âge de devenir un parent responsable : il était indépendant financièrement et, sans rouler sur l'or, il se débrouillait plutôt bien, loin d'être un dépensier dans l'âme. Ouais, d'une façon pragmatique, se retrouver avec un bébé sur les bras n'serait pas la pire malédiction pouvant le frapper à la trentaine passée – mais c'était les circonstances autour qui compliquaient cette information toute simple et joyeuse. Probablement qu'il en était de même pour la brune, hein ? Parce qu'elle aussi, dans son bel appartement, avec son super job, à son âge, il n'y avait pas d'quoi s'alarmer à ce qu'elle devienne mère – ça pourrait être tout simple, elle n'aurait pas forcément besoin de cumuler deux jobs pour pouvoir nourrir son bébé, et elle n'était pas non plus une ado créchant chez ses parents, encore. Mais hein, y'avait bien quelque-chose pour lui remuer l'estomac de la sorte ? Et Rafe, il connaissait bien cette émotion-là, si paradoxale et déchirante – presque culpabilisante quand on y réfléchissait. Alors, à la première bombe balancée par la jeune femme, le brun ne put que lâcher un ricanement – peut-être méchant en de telles circonstances, mais de quoi détendre l'atmosphère, non ? « Évidemment que t'as couché avec Wyatt... » qu'il leva les yeux au ciel. Il avait toujours trouvé ça particulièrement hypocrite d'la part du meilleur ami d'Asteria, qu'il l'ait si amèrement jugé pour passer à autre chose quand lui, il avait été du genre Don Juan, à draguer tout ce qui bougeait. Ils étaient techniquement du même type, mais bizarrement, alors que Terry était à l'autre bout du monde et n'donnait plus aucune nouvelle, il avait été totalement scandaleux aux yeux du Farrell, que Rafe essaye de tourner la page. Ç'avait été ça, leur vraie déchirure, dans cette pseudo-amitié qu'ils s'étaient construite, dans le vide qu'avait créée l'absence d'Asteria. Mais là où Rafe avait été l'oublié abandonné à cent pour cent, Wyatt avait été le meilleur ami qui avait continuellement reçu des lettres de la part de la Drake – assez pour que ça l'foute en boule, Rafe. Tant d'histoires qui n'avaient rien à voir avec Cassie ; « J'veux dire... c'était pas vraiment subtile la genre de... haine sexuelle que t'avais contre lui. » il la taquina un peu pour le coup, arquant un sourcil : il avait pourtant été bourré comme un idiot, la dernière fois qu'ils en avaient parlé, mais même là, ç'avait été évident comme le nez au milieu d'la figure. « Tu sais... un peu comme quand j'passe trop d'temps à parler d'Asteria, quoique j'dise à son sujet. » peut-être alors qu'il était un des mieux placés pour la comprendre, Cassie – définitivement, ils se retrouvaient dans une situation bien similaire tous les deux, sauf qu'en comparaison d'elle, Rafe avait quelques sept mois d'avance. Au moins au niveau de la grossesse. Pour ce qui était du reste, il n'avait pas fait beaucoup d'progrès, malheureusement pour lui. S'il avait croisé les bras, marmonné au sujet d'Asteria, il ne put que relever le regard vers la brune, se pencher vers elle en s'appuyant contre le comptoir, quand elle parla du reste ; « Comment ça t'as perdu ton boulot ? Qu'est-c'qui s'est passé ? » probablement – il l'espérait – quelque-chose qui n'avait rien à voir avec Wyatt, ou le fait qu'elle soit enceinte : c'était loin, très loin d'être quoique ce soit de visible ou de potentiellement gênant, pour l'instant. Et puis, jusqu'à preuve du contraire, c'était illégal pour un patron de virer quelqu'un s'annonçant enceinte : et encore, il doutait qu'elle l'ait crié sur tous les toits, pour l'instant. Non, Rafe faisait partie d'une infime frange de ce monde, dans la confidence de tout ce qui avait mal tourné dans la vie de Cassie, ces derniers temps.