nights like this (jamal)

Il y a des soirs comme ça, où Jamal n’a pas envie de rentrer et de se retrouver seul chez lui. En général, il aime la solitude, pouvoir être tranquille, et c’est bien pour ça qu’il a presque toujours vécu seul, mais de temps à autres, il a besoin d’autre chose. Surtout après une dure journée. Surtout après avoir perdu un homme pendant le transport vers l’hôpital. Ce n’est pas la première fois, et ça ne sera sans doute pas la dernière. Après tout, ça fait partie du métier. On essaye de sauver les autres, ça ne signifie pas qu’on réussit à chaque fois. Mais ça ne rend pas les choses plus faciles. Encore plus quand la personne meurt sous ses mains, alors qu’il était en train de faire un massage cardiaque. Et dans ce genre de moments, on se demande toujours si on a tout bien fait. Si on aurait pu le sauver si on avait fait les choses autrement, si quelqu’un d’autre aurait pu mieux faire. C’est naturel de se poser la question, même si l’esprit s’égare alors dans des lieux un peu sombres. Jamal sait que ça finira par passer, comme à chaque fois, et qu’il deviendra peut-être même meilleur à son travail, mais sur le coup, ce n’est jamais facile. Et ce soir, il n’a pas envie d’être seul. A la fin du service, il avait bien proposé à quelques collègues de se joindre à lui, mais tous avaient d’autres obligations. Iain devait récupérer ses enfants chez sa sœur, un autre avait des plans avec sa femme, un autre un déménagement à préparer – il avait bien essayé de faire participer Jamal, sans succès. Alors Jamal s’était dirigé seul vers un bar où il va régulièrement. Presque toujours le même. Jamal est un homme d’habitude, depuis toujours.
Une bière, encore une. Il ne compte même plus à ce point-là. Il faut dire qu’elles lui font assez peu d’effet, il trouve juste que c’est bon. Et puis il s’ennuie. D’ordinaire, il trouve toujours quelqu’un qu’il connaît ici, bar assez fréquenté par les pompiers et policiers. Mais ce soir, il est tout seul, à une table, et se contente de boire une bière, puis d’en commander une autre. Il a bien essayé d’envoyer un message à Callie, pour tenter de la voir, mais elle n’y a pas répondu. Peut-être est-elle occupée ou dort-elle déjà. Il n’en sait rien. Et finalement, il a juste envoyé un message pour rien. Et maintenant, il a besoin d’aller aux toilettes. C’est ça de boire plusieurs bières, tout en grignotant quelques cacahuètes. Laissant sa veste, il quitte sa place pour rejoindre les toilettes des hommes. Une fois ses mains lavées, il ressort, se demandant s’il ne ferait pas mieux de rentrer se coucher finalement. Quitte à se morfondre, autant le faire confortablement. Alors qu’il retourne vers sa place pour prendre sa veste, son regard se pose sur une personne au bar. Elle doit venir d’arriver, parce qu’il l’aurait remarquée avant sinon. Sa veste sous le bras, il rejoint le comptoir et s’approche de Camila. « Tu dragues les policières maintenant Max ? » Il sourit au barman, qui s’écarte un peu, comme s’il n’avait pas le droit. Il est rapidement appelé par un autre client, ce qui permet à Jamal de s’accouder à côté de Camila. « C’est rare de te voir seule ici. » Il faut dire que d’habitude, il est avec elle, et Iain les accompagne aussi. Lui non plus, n’est pas souvent seul alors. « Ça ne va pas ? » Peu importe que la dernière fois qu’ils se sont vus, elle quittait son lit après une nuit un peu folle. Il lui semble détecter quelque chose de différent chez l’italienne, et ça semble normal de lui poser la question.

La solitude, ça n’a jamais été pour Jamal. Pourtant il a presque toujours vécu seul depuis qu’il est parti de chez ses parents, entre chambres d’hôtel à l’autre bout du monde et son loft acheté aussitôt arrivé à New York, et il aime ça. Il ne supporterait pas de vivre avec quelqu’un, de devoir s’adapter à une personne et de ne pas pouvoir faire les choses comme il l’entend. C’est déjà compliqué avec sa voisine, il ne serait pas capable d’avoir une colocataire. Et pourtant, Jamal n’aime pas être seul. Mais c’est tout à fait différent quand c’est pour être tranquille et ne pas changer ses habitudes, que quand c’est pour discuter, sans que ça bouleverse son quotidien. Et là, dans un bar, être seul lui pèse. Ce soir, il était venu pour ne pas être seul justement et pourtant, quelques bières plus tard, il a l’impression d’encore plus déprimer qu’en arrivant. Pas facile pourtant. Il fait un métier dans lequel il lui arrive souvent de côtoyer la mort. Ça fait partie du travail. Sauver des vies. Parfois échouer. Mais ça ne rend pas les choses plus faciles. Ça fait toujours réfléchir, on pense à notre propre vie, à notre mort aussi, même si on ne peut pas la prévoir. Et dans ces moments-là, il ne fait jamais bon d’être seul. Et heureusement, après un rapide passage aux toilettes, il s’avère que Jamal n’est plus seul. Quelqu’un qu’il connaît vient d’arriver et tout de suite, il va un peu mieux. Et il n’a pas de mal à cacher qu’avant que Camila n’arrive, ça n’allait pas fort. Il sourit quand elle lui répond. Il la voit rarement seule, parce qu’en général, elle est à une table, avec Iain et lui, en train d’enchaîner les verres d’alcools et de discuter de plus en plus fort à mesure que la soirée passe. « On ne doit pas avoir l‘habitude. » L’autre personne devait sans doute être le barman, avec qui elle parlait juste avant qu’il n’arrive. Peut-être que Camila est comme lui, rarement seule. En tout cas, Jamal est heureux qu’elle soit là. Et il imagine qu’elle doit préférer ne pas être seule, elle non plus. Surtout quand elle lui confie avoir des journées difficiles au travail. Visiblement, il n’est pas le seul. Même si leurs problèmes ne peuvent pas être les mêmes. Il se demande pourquoi les derniers mois n’ont pas été faciles, mais il sait qu’il ne posera pas la question. Ils ont beau se connaître depuis longtemps, ils n’ont pas ce genre de relation où ils parlent de choses sérieuses. « Plus maintenant, non. Grâce à toi. » Il sourit, essayant de son mieux de donner la pareille. Mais après tout, pourquoi faire ? Il sait bien que Camila ne le jugera pas. « C’était pas une bonne journée non plus chez les pompiers. Un homme est mort pendant que je lui faisais un massage cardiaque, c’est jamais évident. » Et ça ne le devient pas, peu importe que ça soit arrivé plusieurs fois. « Enfin je suppose que tu ne travailles pas sur des trucs très gais non plus. » Avec son travail, ça serait étonnant. Mais comme Jamal, elle doit tout de même avoir des bons jours, quand elle réussit à trouver le coupable. Ou quand lui réussit à sauver quelqu’un qui était promis à une morte imminente. Ils n’ont pas choisi les métiers les plus faciles du monde, mais il n’en changerait pas pour autant. Et il est presque certain que Camila ressent la même chose. « Je crois qu’on va avoir besoin de plus d‘alcool. » Déclare-t-il en faisant déjà signe à Max.

C’était tout ce que voulait Jamal ce soir. Ne pas être seul avec sa solitude. Il devrait être fatigué, mais il est presque sûr que s’il rentrait chez lui maintenant, il ne parviendrait pas à s’endormir. Pire, des pensées sombres risqueraient de lui prêter compagnie. Il pourrait toujours s’occuper devant un film, mais ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas ce dont il a besoin. Lui qui est rarement adepte du contact humain – ou en tout cas, qui peut vite en avoir marre – c'est pourtant ce qu’il lui faut après une journée comme celle-ci. Les premières personnes à qui il avait pensées ne lui ayant pas répondu ou ayant refusé, il était tout de même allé seul dans le bar où il va toujours. Que Camila soit là aussi ce soir, c’est un heureux hasard et Jamal en est ravi. Surtout qu’elle semble avoir besoin de quelqu’un, elle aussi. Ça tombe doublement bien. Connaissant bien la jeune femme, Jamal n’a pas honte de lui avouer qu’il va mieux depuis qu’elle est là. Il sait qu’elle ne le jugera pas. Sur bien des points, ils se ressemblent, même sans avoir passé des heures et des heures à se confier leur vie. « Il paraît que j’ai cet effet-là sur les gens oui. Tu as de la chance. » L’humour, une bonne façon de se sentir mieux, de cacher un peu son mal-être. Pourtant, il n’en a pas besoin avec elle, et lui explique tout de même pourquoi il ne va pas bien ce soir. Avec son métier, elle doit comprendre aussi. La mort, elle la connaît. Ils ne la côtoient pas de la même façon, mais elle est omniprésente dans leurs deux métiers. Elle compatit, et Jamal sait qu’elle le pense. Camila est une femme honnête, et il l’apprécie pour ça. « Pourtant, ça a l’air glamour vu comme ça. L’uniforme, la barre, la grande échelle. » C’était un peu ce qui l’avait séduit au départ. Il avait rapidement dû s’endurcir et il est heureux de l’avoir fait. Ce métier lui convient parfaitement, même s’il lui arrive d’avoir des moments difficiles. A côté, sa vie de sportif professionnel était plus facile. Moins stable et plus exigeante peut-être, mais aucune vie ne dépendait de lui. Aucune responsabilité si un homme ne survit pas. « Peu importe qui est le salopard, je sais que tu finiras par le mettre en prison. » Il n’a jamais travaillé avec elle, mais de ce qu’il a entendu, elle est douée pour son travail. Ce n’est pas pour rien qu’elle est montée en grade. Peut-être que Jamal devrait faire comme elle et Iain. Ça semble être l’évolution logique d’une carrière. Mais Jamal n’a pas envie d’avoir plus de responsabilité, de paperasse. Il veut être dans le feu de l’action, point. Avant même qu’elle confirme un besoin d’alcool, Jamal fait venir Max vers eux. Jusque-là, Il n'a bu que des bières et donc l’effet a été assez faible. « 6 shoots de tequila. » Autant y aller directement. « Et pour toi Cam ? » Il se tourne vers elle, hilare. Il trouve toujours ça drôle dans les films. Trois seront déjà bien assez pour l’instant. « La dernière fois que je t’ai fait boire autant, tu t’es réveillée dans mon lit. » Il y fait allusion, sans aucune gêne, peut-être pour savoir ce que Camila en pense. Peut-être que c’est aussi de ça qu’il pourrait avoir besoin ce soir. Même s'il se sent déjà un peu mieux. La compagnie d’une amie a des avantages certains.