jake&roxanna - hell is empty and all the devils are here

Matthew part devant quand il voit que, pour le moment, je n’arrive pas à obtenir quoique ce soit des filles. Il me dit que le temps que j’arrive, il s’arrangera pour que mon verre de vin blanc m’attende déjà. Je sais que j’avais une drôle d’impression le concernant depuis le début de cette soirée mais ce n’est peut-être que de la paranoïa. Je n’ai aucune preuve, alors je hoche la tête avec un sourire alors qu’il s’éloigne pour aller jusqu’au bar. Un soupir s’échappe de ma bouche alors que je me retourne vers notre tablée. Cette soirée est en train de prendre une tournure que je ne suis pas sûre d’apprécier. Nous sommes six en tout. Nous étions trois au départ, moi et deux amies du lycée : Samantha et Beverley. Mais nous nous sommes mêlées à un autre groupe de trois hommes parce que les filles sont en train de mouiller leur culotte. Depuis, une drôle d’impression ne veut pas quitter le creux de mon ventre. Non, ce n’est pas vrai, c’est depuis que nous sommes arrivées qu’elle est là.
Je suis rentrée de ma semaine en République Dominicaine en milieu de matinée et j’ai reçu le message de Samantha peu de temps après. Une soirée entre nous, en souvenir du bon vieux temps. Parce qu’après tout, on ne s’est pas vues depuis longtemps et il faut qu’on fête ce titre de championne du monde… D’ailleurs, le fait qu’elles veulent sortir avec moi n’a rien à voir avec ça, n’est-ce pas ? C’est le souci avec ces deux-là. Depuis que nous avons quitté le lycée nous nous sommes revues plusieurs fois, juste assez pour rester en contact. Juste assez pour que cette impression qu’elles m’utilisent pour ma célébrité ne soit qu’une impression très incertaine. C’est comme une pensée qui se balade sur le bord d’une falaise retenue par un élastique et qui passe sans arrêt d’un côté à l’autre. Elles m’utilisent. Non, t’es parano, elles veulent juste te voir un peu et rattraper le temps perdu. C’est le souci quand on commence à devenir connu. Soudain, des têtes qu’on n’avait pas vues depuis très longtemps se mettent à vouloir rentrer à nouveau dans votre champ de vision. Il faut faire attention et avoir le cœur bien attaché.
Les filles ont un peu trop bu. S’il y a quelques minutes, elles n’arrêtaient pas de vouloir prendre des selfies avec moi, maintenant, Sam à la langue dans la gorge de Tad et ça semble aussi bien parti entre Jerry et Bev. Je pourrais être invisible mais je ne me laisse pas faire. Matthew a pris la commande des gars et je réussirai à prendre celle de mes amies… peu importe si elles ne se comportent pas comme tel. Je hausse le ton et tape sur notre table. Elles me regardent avec de grands yeux étonnés. J’en profite pour poser ma question pour la troisième fois. Bev prend un Cosmo et Sam… un whisky. Elle déteste le whisky. Je comprends rapidement que c’est à cause de Tad. Il l’a mise au défi de ne pas prendre « une boisson de fille ».  Mais je ne dis rien parce que je commence à en avoir un peu marre. Avec mon retour de voyage, la journée a été longue, même si je ne souffre pas du décalage horaire et même si le trajet n’a pas été long… c’était long.
Avec quelques minutes de retard sur Matthew, je vais au bar. D’ailleurs, je le vois et le rejoins. J’ignore s’il s’attend à ce qu’on finisse comme les autres, c’est à dire ma langue au fond de sa gorge ou moi pratiquement assise sur lui mais je n’en ai pas trop envie. Ce n’est pas qu’il soit moche mais, j’ai juste pas envie. Il sourit en me voyant. Il a un joli sourire mais… La drôle d’impression  quand je le vois est toujours là. C’est comme s’il essayait trop fort. Dès que j’arrive, il pousse un verre de vin blanc devant moi. Matthew me l’avait dit que ma commande serait là quand j’arriverai. Je le remercie, puis il m’annonce qu’il va retourner à notre table. Il ne reste plus que la commande des filles à passer. Le barman est déjà prévenu qu’il me faudra de l’aide pour tout ramener. Sur ce, mon camarade d’un soir repart vers notre groupe non sans avoir posé quelques instants sa main dans le creux de mes reins. Je prends sa place sur le tabouret et en le regardant partir, je le suis reconnaissante de me laisser quelques instants seule. S’il veut obtenir quelque chose de moi, il ne me presse pas. À force de me méfier, je deviens vraiment trop parano.
Profitant de ma solitude dans un endroit bondé, je commence à siroter mon verre de vin blanc. C’est le premier verre d’alcool que je prends ce soir. Jusque-là, j’ai surtout pris des diabolo ou des cocktails sans alcool. Bien sûr, les autres m’ont charriée, mais je suis habituée donc je m’en fous. Après deux petites gorgées, je réussis à obtenir l’attention du barman et lui transmets les demandes de Sam et Bev. Je lui précise que ça va avec la commande que Matthew a passé avant. Il hoche la tête et repart. Quand je vois le monde qu’il y a, je me dis que ça va prendre un peu de temps. Tant pis. Si ça peut me permettre de ne plus voir Sam et Tad en train de se bouffer la bouche ou d’entendre parler de triple rencards, je prends. Je sens le regard d’une fille sur moi. Elle tente un sourire timide auquel je réponds avec un sourire plus large. Avec les années, j’ai appris à reconnaître ce regard et ce sourire chez de parfaits inconnus. Ils me rappellent pourquoi je fais ce travail. J’avale une autre gorgée de mon verre. Le vin est délicieux, doux, comme je les aime. Ça faisait longtemps que je n’en avais pas pris. Bercée par le brouhaha continue du bar et la musique, je continue mon attente en prenant mon portable. Nouvelle gorgée. Je balaie mes notifications d’un regard, ainsi que les messages qui me souhaitent un bon retour en ville. Est-ce que mes vacances ce sont bien passées ? Pourquoi je ne suis pas restée là-bas plus longtemps ? Encore une gorgée. Je pense que le vin blanc doux est vraiment ma faiblesse en ce qui concerne l’alcool. Je jette un coup d’œil au barman qui a pris ma commande pour voir si ça avance. Il est toujours pris dans l’euphorie des demandes. Encore une gorgée. Puis, je reporte mon attention sur mon portable pendant un peu près une minute, jusqu’à ce que...
L’écran se dédouble.
Je cligne des yeux pour faire partir l’impression. Il se dédouble encore.
Mon sang se glace.
La chaleur dans mon ventre n’est pas normale. Le sentiment de quiétude qui me gagne l’est encore encore moins. Le brouillard commence à envahir mon esprit.
Non.
Je regarde mon verre comme s’il m’avait trahi. Il est presque vide. Je n’arrive pas à croire ce qui est en train de se passer. Je ne bois peut-être pas beaucoup mais je connais mes limites. Je connais mon corps. Ce n’est qu’un verre de vin blanc à peine terminé. Je ne réagis pas si rapidement à si peu d’alcool.
Cette fois, c’est mon verre qui se dédouble.
Je tremble à l’idée de me retourner et de croiser le regard de Matthew.
Réagis, Roxanna.
Il a mis quelque chose dans mon verre. Je le sais. Maintenant, soit j’attends qu’il vienne me cueillir, soit… je tente quelque chose. C’est une sensation terrifiante. Les toilettes. Arriver jusqu’aux toilettes. Seulement ça veut dire marcher jusqu’à là-bas et je ne sais pas si… Non, ça vaut le coup d’essayer.
Est-ce que vous avez déjà vécu ça ? La sensation que tout ne tien qu’à un fil ? Les deux solutions semblent mauvaises. Si je reste ici, Matthew peut revenir et me faire faire ce qu’il veut. Si je tente de rejoindre les toilettes pour me mettre en sécurité… je peux tomber au milieu de la foule. Même si, dans le dernier cas, il pourra sortir un bon gros mensonge aux gens pour expliquer mon état, je sais déjà ce que je veux faire. Je dois réagir vite. Au moins, j’aurais essayé.
Je pose les deux pieds au sol en essayant de cacher le tremblement qui anime tout mon corps. Il faut que je rejoigne les toilettes. Debout à côté de mon tabouret, j’ai l’impression que jambes sont en train de se transformer en coton. Mon cœur tambourine à l’idée de tomber, à l’idée de sentir les bras de Matthew me retenir. Je déglutis. Les toilettes. Dents serrées à l’extrême, je fais un pas, puis un deuxième. Je me concentre pour paraître normale mais n’importe qui me connaissant assez bien comprendrait qu’il y a un problème. Malheureusement, il n’y a personne comme ça ce soir, surtout pas Sam, Bev ou les autres. À l’extérieur, je ne montre rien, mais en vrai, j’ai la trouille. J’inspire par la bouche, expire par le nez. Le brouillard gagne du terrain. La foule se dédouble. Un pas, puis un autre et un autre. C’est dur, c’est tellement dur. Un mec me bouscule. Mes jambes se dérobent. Je me retiens à une autre personne qui me parle, mais je ne l’entends pas. Je continue ma route, tendue comme jamais. Je me motive en me souvenant de cette maudite soirée, quand j’étais au lycée. J’y ai échappé cette fois-là, et je veux que ça continue ainsi. Je me fais l’effet d’un mur de briques en train de fendre la foule tellement chaque millimètre de mon corps est crispé. Je pose mes mains où je peux pour ne pas tomber.
Quand j’arrive devant la porte ouverte des toilettes, je suis en sueur. Encore un effort. Ma vision troublée ne voit pas de queue, c’est déjà ça. Le souffle court, j’entre. Je cauchemarde en imaginant les bras de Matthew s’enrouler autour de ma taille et me retenir mais non, toujours rien. Je ne vois même pas s’il y a des gens qui attendent, j’entends juste cette voix qui me dit de me mettre en sécurité et c’est ce que je fais. Il y a quatre cabines et par pur bonheur, l’une d’entre elle est libre. Je pourrais pleurer. J’ai envie de pleurer. Je me glisse dedans et verrouille derrière moi. Je m’écroule à moitié contre la paroi. Je sens la confusion me gagner. J’ignore ce qu’il a mis dans mon verre. Si c’est du GHB, je sais que les heures qui vont suivre vont dépendre de plusieurs choses : la quantité qui a été versée, la qualité du produit et simplement, comment mon corps va réagir. Je ne me rappelle plus exactement tous les symptômes… Je veux dormir. Maintenant que je suis en sécurité… Un gros bruit dans la cabine d’à côté me fait sursauter et ouvrir les yeux. Je suis en sécurité mais de façon provisoire. Je ne peux pas quitter le bar seule. Il viendra me chercher. Mon portable. Je l’ai tenu à m’en faire péter la main pendant tout le chemin jusqu’aux toilettes. Ma bouée de sauvetage. L’écran se dédouble. Je cligne des yeux avec force pour que ça s’arrête. Juste pendant quelques secondes.
Je ne peux pas demander à Wyatt. Je ne peux pas. Cassie, Tessa, Dani ? Hales, Clo ? Non, je ne veux pas les mettre en danger. Mon pouce glisse sur l’écran. Les messages bougent. J’ai mal au crâne. Soudain, mes yeux tombent sur le nom de Jake et dans mon esprit confus, ça me paraît être une bonne idée. Mon pouce appuie et l’écran affiche notre dernier échange de messages. Je tape lentement, tellement lentement.
Enfermée dans les toilettes du Harlem Nights.
Faut que je lui dise le truc, sinon il va pas piger. Je lui envoie un deuxième message.
On a mis un truc dans mon verre.
Je lui précise pas de m’aider, de venir au plus vite. Il est assez intelligent pour comprendre ce que mes messages veulent dire. Mon pouce appuie sur « envoi » une deuxième fois. Je me concentre sur ma respiration. Il ne faut pas que je m’endorme. Il faut que je sois réveillée quand Jake arrivera. Mais je suis si bien… si bien...

J’arrive pas à croire que ça soit en train de se passer. Je suis enfermée dans les toilettes d’un bar à essayer de maîtriser ma respiration, à me concentrer sur quelque chose de concret, dans le but de ne pas m’endormir. Mon front est contre le haut de mes genoux. Je ne sais pas où mettre mes bras. Mes doigts serrent toujours mon portable que je viens d’utiliser pour prévenir Jake. Je mets longtemps à réagir quand je sens l’appareil vibrer. Dans le brouillard, j’aperçois sa réponse : Reste là, j'arrive tout de suite ! Si la situation était différente, je lui aurais fait remarquer que je ne risque pas d’aller quelque part dans cet état. Mais la situation n’est pas différente. Elle est anormale. Je ne sais pas ce que Matthew avait en fête en faisant ça, je refuse d’y penser. Je n’arrive pas à comprendre comment un homme peut penser que c’est une façon d’arriver à ses fins. Je ne comprends pas le chemin de réflexion qu’il faut avoir pour faire un truc pareil. Je veux cette fille ? Bah c’est simple, je vais la droguer ! C’est mieux de faire ça que de prendre le risque qu’elle me dise non ! Mon rythme cardiaque s’accélère sous le coup de la colère, mais je doute que ça soit une bonne idée. Seulement, la colère semble mieux que la peur. La colère me réchauffe et me donne envie de rester éveiller pour frapper Matthew. La peur est comme une vague de froid qui me donne envie de fermer les yeux.
Je déglutis, attentive au possible. Inspire. Expire. Inspire. Expire. La musique du bar me parvient étouffer. Je sursaute en entendant du bruit dans les toilettes. Pendant une seconde, j’imagine que Matthew est là, de l’autre côté de la porte de ma cabine mais je n’entends que des voix féminines. Une part de moi aimerait les appeler à l’aide mais ma bouche reste fermée. Elles sont juste à côté, en train de vivre leur vie, totalement indifférente à ce qui est en train de se passer dans la mienne. La chance. Mes mains sont sur l’arrière de mon crâne… fermer les yeux… Non. J’expire bruyamment. Les larmes montent. J’imagine Jake se mettre en route. Dépêche-toi. Je l’imagine ouvrir la porte et le soulagement en voyant son visage… « Roxanna ? » Mon sang se glace pour la deuxième fois de la soirée. J’ai reconnu sa voix. Mon corps tremble en l’imaginant juste à côté. La peur. J’enroule mes bras autour de mes genoux et plonge mon visage entre l’espace qu’il y a entre mon torse et mes cuisses. Avec un petit effort, je peux presque imagine que je ne suis pas là, que je ne suis pas dans cette situation. Je respire doucement, comme s’il pouvait m’entendre avec le bordel du bar juste à côté. Après, je n’entends plus sa voix. En fait… je l’ai peut-être imaginée ? C’est pas un des symptômes du GHB ? J’ai tellement peur qu’il apparaisse de l’autre côté de cette porte la prochaine fois qu’elle s’ouvrira…
Les minutes passent. Enfin, je suppose, parce que j’ai l’impression de passer une éternité dans cette cabine. C’est de plus en plus dur. Je me raccroche à ce que je peux pour ne pas m’endormir mais mon esprit est en train de se dérober. Je me motive en disant que je dois le faire parce qu’autrement, Jake ne pourra pas entrer et il faudra qu’on reste ici plus longtemps que nécessaire. Il pourrait croiser Matthew. Je pourrais croiser Matthew. Là tout de suite, j’ai juste envie d’aller dans un endroit où je serai en sécurité pour de bon, avec un visage connu en prime. Merde combien de temps les effets de cette merde vont durer ? Dans le brouillard de ma tête, j’ai l’impression d’entendre frapper à la porte mais je ne réagis pas. Rien d’autre se passe. C’était peut-être quelqu’un qui voulait utiliser les toilettes. Ensuite, il y a à nouveau du bruit autour des cabines. Je suis paumée. Je sais même plus si mon esprit invente des trucs ou si les choses se passent réellement, je sais même pas si je suis dans cette cabine depuis cinq minutes ou une autre, je sais même pas si… « Rox? C'est moi, tu peux sortir. » Le soulagement qui m’envahit est indescriptible. Mon menton tremble. Non, je suis sûre que je n’ai rien inventé. C’est bien Jake qui est de l’autre côté de la porte. Son prénom meurt sur mes lèvres. Un effort, Farrell, c’est presque fini… Ma tête penche en arrière toute seule. Okay. Je tente de me redresser. Tout mon poids repose sur ma main droite alors que la gauche tente de retirer le loquet. C’est tellement dur que j’ai l’impression de réussir au bout de trois heures. Je souffle bruyamment et me laisse retomber sur mes fesses. J’ai réussi et il ouvre la porte de la cabine. Soudain, son visage remplit mon champ de vision. « Jake... » ai-je murmuré d’une drôle de voix. Je me retiens de pleurer parce que c’est lui, mais la peur, le soulagement et la colère sont tous en train de se mélanger. « Garde les yeux ouverts, ne t'endors pas, d'accord? » poursuit Jake. Je hoche la tête. Je peux le faire, peu importe si j’ai l’impression de m’enfoncer dans du coton. Sa main est posée sur ma joue et je m’accroche à la sensation qui est bien réelle pour ne pas me laisser couler.  « Ça va aller, je suis là Roxy. » Le sourire sur ses lèvres me prouvent qu’il l’a fait exprès. Malgré ma situation, je réussis à lui lancer un regard meurtrier. « Dès que je vais mieux… je te tue. » S’il veut voir comment je vais, il a sa réponse. J’imagine que ça doit être rassurant vu que c’est la nature de notre relation. Je m’accroche à son avant-bras et prends une profonde inspiration. « Fais-moi sortir d’ici, Jake. Je veux sortir d’ici... » ai-je réussi à dire en gardant mon calme.

J'ai tendance à ne pas me laisser faire par les gens, en particulier quand ça concerne des hommes qui se sont mis en tête de participer au concours du plus gros connard de la planète. Cependant à cet instant, j'en mène pas large. La drogue m'a rendue vulnérable dans une situation où je ne peux pas me permettre. Je déteste ça. Mais je sais aussi que si je sors seule de cette cabine... il va se passer quelque chose d'irréparable. C'est pour ça que Jake doit venir, et vite. En attendant, je me concentre sur ma respiration, j'ai l'impression de me noyer dans le brouillard. J'ai même l'impression d'entendre la voix de Matthew à un moment mais je ne bouge pas. Figée, recroquevillée sur le sol des toilettes de l'Harlem Nights, je me dis qu'elle est bien loin, la championne du monde. À la merci d'un homme mal attentionné. Je perds toute notion du temps, ce qui fait que quand j'entends la voix de Jake, je sais pas si je dois lui crier dessus pour avoir mis beaucoup de temps. Ouais, non, ça demanderait trop d'énergie, et ça serait complètement injuste. Mais honnêtement, faudra pas qu'il s'étonne si je le fais parce que même si j'essaie de rester calme, la panique n'est pas loin. Malgré tout, je réussis à ouvrir le loquet de la cabine et la seconde d'après, il est là. Voir son visage et entendre sa voix me fait vraiment du bien. Enfin sur le moment, c'est le soulagement, parce que quand j'entends le "Roxy" sortir de sa bouche... Je lui jette un regard noir, le fameux "Farrell Glare" comme les médias l'ont nommé. Et du coup je le menace de mort. « J'aimerais bien voir ça Farrell. » Je plisse les yeux mais souris tout de même. Parce que je sais exactement ce qu'il est en train de faire et je lui en suis reconnaissante. On a beau se chercher tout le temps avec Jake, je sais que je peux compter sur lui. J'ai beau être au plus mal, je ne lui ai pas envoyé un message par hasard. Seulement après le soulagement de voir Jake avec moi, la détresse revient. Je me sens toujours vulnérable. Je suis toujours assise dans les toilettes d'un bar et le mec qui m'a droguée est toujours pas loin. J'ai du mal à empêcher ma voix de trembler quand je demande à Jake de me sortir d'ici. Je veux retourner dans un endroit où je me sens bien. Il n'a pas besoin de plus. Il m'aide à me relever et je m'appuie sur lui. Inspire. Expire. Je suis à 100% concentrée sur mon objectif. Grâce à lui, nous sortons des toilettes, lentement mais sûrement. J'ai l'impression d'avoir le rythme d'une grand-mère. Mais bon, c'est déjà une bonne chose que j'arrive à marcher. C'est juste que je déteste être dépendante à ce point là. Quand nous retournons dans la salle principale du bar, mes yeux hésitent à regarder tout autour. Les gens doivent penser que je bourrée. Mon corps me donne juste l'impression d'être une grosse loque. Mes yeux finissent par jeter un coup d'oeil autour et je le regrette aussitôt. Matthew est avec les filles et ses potes. Le groupe hausse les sourcils en me voyant. Tous sauf Matthew qui semble serrer les dents. Je ne me suis pas aperçue que mon visage s'était décomposé en le fixant, juste avant que je reporte à nouveau mon attention sur le sol. Je me déteste de réagir comme ça. Quand je me rends compte que je suis appuyée contre le comptoir et que Jake s'éloigne de moi, c'est trop tard. Mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine. « Non, Jake... » Reste avec moi. Mais ma voix n'est qu'un murmure et Jake frappe Matthew. Oh merde. « T'approches plus d'elle ou d'aucune autres femmes connard! » lance-t-il furieux. Les gens s'agitent. Un murmure de stupeur a parcouru la foule au moment où le poing de Jake rencontre le visage de Matthew. Je ferme les yeux, c'est un cauchemar. Jake et moi sommes des personnes connues, alors ce genre de situation c'est vraiment chiant à gérer. Peut-être que demain ou dans une semaine, je serais très heureuse qu'il ai foutu un poing dans la gueule de ce connard mais là, je veux juste rentrer et oublier. Et surtout, je veux qu'on soit à nouveau tous les deux en sécurité. Il ne manquerait plus que les potes de Matthew s'en prenne à Jake. Apparemment, ce n'est pas ce qui se passe car ensuite, je sens Jake se glisser contre moi. Sans un mot, il m'aide à rejoindre la sortie. J'ai l'impression de ressentir toutes les tensions qui habitent son corps. En même temps, il vient de frapper quelqu'un et il doit s'occuper d'un poids mort, c'est-à-dire moi. J'ai l'impression de tanguer sur un bateau en plein ouragan. La concentration qu'il me faut pour ne pas trébucher me coupe le souffle. « Ça va? T'es prête à sortir d'ici? » demande-t-il. J'ai un petit rictus mais je suis pas sûre que d'un point de vue extérieur ça ressemble à ça. Sûrement la pire grimace du monde. « Je suis prête à sortir d'ici depuis que je suis rentrée... » ai-je fait essoufflée. Non, je ne veux pas de pause. Je ne veux plus que ce type me regarde. Je ne veux plus être en présence de ces deux filles qui sont soit disant mes amies. Je ne veux plus être en présence de tous ces gens. Je veux le calme, le silence. Je m'appuie à nouveau sur Jake pour enfin, après quelques, nous atteignons la sortie. Nous laissons derrière nous les murmures des gens. Je m'inquiéterai demain des conséquences de cette soirée. C'est ce que je me dis en sortant de du bar. Sur le seuil, ma première réaction est de me sentir mieux grâce à l'air frais de la nuit. Je me dis, ça y est... jusqu'à ce que je vois le petit attroupement sur le trottoir d'en face. « C'est pas vrai... pourquoi ça me surprend même pas ? » ai-je grogné. Trois ou quatre flash transpercent la nuit. Je fais un effort pour tout ignorer. Ma tête tangue. « Elle est où ta voiture ? » J'ai envie de lui dire autre chose mais il n'y a que cette phrase qui sort parce que je préfère lui dire le reste en privé.

J’aurais dû faire confiance à mon instinct dès le départ. Pas seulement pour Matthew, mais aussi pour cette soirée dans son ensemble. Cette drôle d’impression que j’ai depuis le début en ce qui concerne Bev et Sam, comme quoi elles se servent de moi… je pense qu’elle est très certainement vraie. Je le vois quand nous passons devant le groupe en sortant des toilettes. Quand je relève les yeux vers eux, non seulement je vois celui qui m’a fait ça, mais je vois aussi mes pseudos amies ne pas bouger. Elles restent figées, avec de grands yeux ronds, mais elles ne font rien. C’est terminé. Au prochain message… C’est terminé. Je réagis trop tard quand Jake va frapper Matthew. Je sais qu’il m’a entendu mais c’est plus fort que lui. Je suis vraiment bien placée pour comprendre son envie de violence mais tout ce à quoi je peux penser c’est le fait d’être toute seule et surtout, le fait qu’il pourrait avoir des ennuis avec toute cette histoire. « T'as de la chance qu'elle soit juste là parce que c'est bien plus qu'un coup de poing que t'aurais reçu. » lance Jake en revenant vers moi. Je sens les regards des clients sur nous. J’ai l’impression que mes joues sont en train de cuir sous le poids de l’attention et tout ce que que je veux, c’est partir. Partir loin, très loin de tout ça. C’est dommage, j’aime bien cet endroit. Du coup je ne sais pas quand je vais revenir à l’Harlem Nights mais pendant un certain temps… Je ne regarderai plus cet endroit de la même façon. Je répète à Jake que je n’ai qu’une envie, c’est  sortir, et c’est ce qu’on fait. « Je te ramène chez toi, ne t'inquiètes pas. » Je le laisse remettre une mèche de cheveux derrière mon oreille et on y va. Chancelante, je fais mon maximum pour l’aider mais j’ai tellement de mal que je sais qu’il doit supporter pratiquement tout mon poids. Dans mon esprit, je tiens parce que je me dis que bientôt, je serai en sécurité, avec moi. Le souffle court, j’arrive avec Jake à la porte. Une fois sortis, j’ai le droit à une seconde de soulagement. L’air frais me fait du bien me réveille un peu… juste pour que j’aperçoive des paparazzis sur le trottoir d’en face. Merde. Forcément il fallait qu’ils soient là. Au point où j’en suis, dans mon cerveau embrouillé, je me dis que c’est peut-être Bev et Sam qui les ont prévenus. En tout cas, on doit offrir un drôle de tableau avec Jake. Je lui demande où est sa voiture. « Juste là, on y est en quelques secondes. » Je hoche la tête. On y est presque. C’est bientôt fini. On sera bientôt en sécurité. Mes yeux sont braqués sur le trottoir. Les bruits de la ville s’enfoncent dans le brouillard de ma tête. Tout glisse autour de moi.  Je ferme les yeux et sens Jake s’activer pour nous mener jusqu’à sa voiture. J’ai l’impression d’être dans un autre monde. Heureusement, on s’arrête rapidement. Il m’installe doucement dans sa voiture et encore une fois, j’essaie de l’aider mais je doute être très utile. Et puis soudain, je suis assise. La portière claque. Je me retrouve englobée dans une bulle de calme et surtout de sécurité. Sur le coup, je suis tellement soulagée que je pourrais pleurer. Oui je sais, j’ai très souvent envie de pleurer ce soir. Je rouvre doucement les yeux avec la sensation de mieux respirer. Pendant quelques secondes, le bruit revient avant qu’une portière qu’on referme ne le fasse taire à nouveau. Jake est bien à côté de moi, derrière son volant. « Ça va? J'ai une bouteille d'eau dans mon sac de gym si tu veux. C'est pas la plus fraîche, mais au moins ça va t'hydrater un peu...  »  me demande Jake. J’ai la tête qui tourne mais le fait d’être dans la voiture rend la chose plus supportable. « Oui, ça va… Ça pourrait être pire… vu la situation. Et je veux bien un peu d’eau… merci. » ai-je répondu doucement. J’attends qu’il me donne un peu d’eau et une fois quelques gorgées avalées, je me sens un tout petit mieux. « T’aurais pas dû le frapper, Jake. Je veux pas que t’aies de problèmes avec les paparazzi qui sont dans le coin... » ai-je soufflé.

Le temps s'écoule alors que j'ai l'impression de le regarder passer. Je n'arrive pas à réagir vraiment et ça m'énerve. Si j'avais réussi à réagir, j'aurais empêché Jake de frapper Matthew... pour ainsi pouvoir le frapper directement. Mais non, à la place, je suis dans un piteux état et tout ce que je peux faire, c'est de regarder tout ça d'un oeil lointain. Je peux pas faire autrement. Quand je vois les paparazzis, j'ai un pique d'énervement mais ce n'est rien par rapport à ce que ça aurait été si j'avais été... normale. C'est vraiment une situation difficile à décrire, toute ma tête est en vrac. Tout ce que je sais, c'est qu'une fois dans la voiture de Jake, j'arrive à respirer un peu mieux. Je me sens un peu plus en sécurité. Les images de la soirée défilent dans ma tête. Je veux dormir. Je sais qu'il faut que j'attende qu'on soit chez moi, mais je veux tellement dormir. À la place, je bois quelques gorgées de la bouteille qu'il me propose. Comme Jake me l'a dit, elle n'est pas très fraîche mais je sais qu'elle me fait du bien. Dans l'habitacle, il y a une certaine tension qui règne. Je le soupçonne d'en être à l'origine, parce que moi, j'ai l'impression que je vais juste... disparaître d'une seconde à l'autre. Débarrassée de la bouteille d'eau, j'en profite par lui dire qu'il aurait pas dû frapper Matthew. « J'aurais sans doute fait bien pire, mais je devais te sortir de là Rox. Ce genre de connards méritent de se faire arrêter. » me répond Jake. Sans le réaliser, je hoche la tête. Je laisse ma tête reposer contre la fenêtre et soupire. Le contact froid contre ma tempe me fait du bien. « J'aurais pas dû t'appeler... » Il n'a pas la suite de ma phrase. Il n'a pas la suite de ma phrase parce que je suis fatiguée, tellement fatiguée. Je le jure que je n'ai pas dit ce début de phrase méchamment. Je voulais dire à Jake que je n'aurais pas dû l'appeler parce que j'aurais dû savoir qu'il réagirait comme ça et que les paparazzis seraient là. Mais là, il va finir par croire, que je ne suis pas du tout reconnaissante de ce qu'il a fait pour moi. Ma tête tombe en avant. Pendant un instant, je somnole mais le mouvement de ma tête qui me donne l'impression de tomber me réveille. J'aperçois des silhouettes derrière les vitre de la voiture et gémis. L'angoisse me fait trembler à nouveau. « Jake... démarre... tout de suite. » ai-je murmuré avant que ma tête ne tombe à nouveau en avant.