Never ever underestimate the importance of having fun [18 Mai/Nina]

“ Never ever underestimate

the importance of having fun

ft. @Nina Young



_ Tu verras que j'ai raison, tu vas prendre ton pied, s'exclama le jeune homme de la vingtaine qui, à peine les portes de l'établissement de jeux passées, s'empressa de passer un bras autour du cou de Joddie. La demoiselle ne répondit pas à l'étreinte, seule une grimace incertaine se colla immédiatement à sa bouche : elle regrettait déjà d'avoir cédé à son colocataire. Cela faisait plusieurs jours qu'il la bassinait quotidiennement avec son désir de la faire sortir avec lui, loin de l'appartement, et à force de tenter il avait réussi à obtenir une réponse positive. Peut-être pas totalement réelle, mais ses lèvres avaient articulé un "oui" sur lequel elle ne pourrait revenir. L'étudiant avait des tas d'amis avec qui s'amuser mais depuis qu'il avait emménagé, il avait l'impression de n'avoir jamais profité d'un seul instant en compagnie de la demoiselle qui, le peu qu'elle restait au sein du foyer, s'enfermait à l'intérieur de sa chambre. Il était certain que nombreux travaux devaient être réalisés pour son cursus, -il savait ce que c'était, bien qu'il ne se cassait pas la tête cette année-, mais, selon lui, elle avait oubliée une chose primordiale depuis que son compagnon avait disparu : vivre.

Pourtant, on ne pouvait pas dire que Paulin était le type auprès duquel il faisait bon vivre. Ouais. Non. Si beaucoup de Français avaient pour habitude de déroger à la règle américaine qui voulait que tous les citoyens français soient peu agréables à côtoyer, si beaucoup d'articles tentaient de dis-crédibiliser ceux qui inscrivaient que le pays du fromage craignait concernant une possible sociabilisation avec les habitants, et bien Paulin, lui, il représentait exactement tout ces points de caractère qu'on semblait tant détester en Amérique. Venant de Paris, il avait gardé cette élégance aristocratique dans les gestes et ce raffinement vestimentaire aux tons chics à toute heure de la journée, excepté le week-end, -parce qu'il adorait se balader en sous-vêtement, peu importait qui pouvait bien être présent. Il s'en fichait complètement des diverses remarques, d'ailleurs, doté d'arrogance et de vulgarité, il n'hésitait pas à user d'expressions inconnues au bataillon et de grossièretés que même les gars de quartier ne semblaient pas utiliser. Paulin savait tout sur tout, et il était compliqué de le ramener à la raison; son meilleur ami était Google, bien évidemment. Aussi il ronchonnait pour un rien, probablement le défaut qui agaçait le plus.

Heureusement après plus d'une année à vivre à ses côtés, Joddie avait appris à faire avec le trait de caractère particulier du jeune homme et lui trouvait même quelques qualités qui faisaient du bien à la colocation. Paulin, grâce à son impertinence, avait le don pour ne pas avoir de porte de derrière et disait les choses comme elles venaient. Qu'elles soient positives ou négatives, on savait qu'il ne serait jamais hypocrite, et ce peu importait la personne qui se trouvait face à lui. Les non-dits étaient inexistants et, d'un côté, c'était appréciable. Il amenait aussi une certaine luminosité à l'appartement, toujours prêt à faire le fou et à mettre l'ambiance quand un nuage gris planait au-dessus des têtes; il n'avait absolument pas peur du ridicule, et encore moins de s'en prendre une. Il titillait pas mal aussi, parfois à tort, mais la plupart du temps il savait juger si la situation l'y prêtait. Il s'inquiétait discrètement pour autrui, n'aimait pas voir ces autres  qui l'entourent malheureux et, même s'il disait le contraire, était généreux quand on ne pouvait le prendre la main dans le sac. Aujourd'hui, il savait Joddie avoir besoin d'aide pour reprendre les rênes de son existence alors il avait feint de n'avoir personne pour l'accompagner pour lui proposer une partie de bowling.

Le petit couple de colocataires s'avançait donc, dans le sens de la marche de tous les autres New-yorkais qui avaient eu la même idée en ce samedi, contrastant indéniablement par leur style vestimentaire. Si le blond aux reflets châtains avait opté pour un col roulé en cachemire Mahogany blanc, un blazer décontracté aux fines mailles piquées gris clair et d'un jeans Levi's, la brune aux boucles étroites avait opté pour un body ton chair aux divers logo surpiqués, pièce colorée et originale achetée sur le net pour peu et d'un denim clair largement troué au niveau des genoux sur lequel elle avait craqué dans une boutique low cost. Souliers chics et baskets blanches streetwear arpentaient ainsi le parquet de l'établissement sans le moindre problème. _ Tu peux fouiner dans ma poche arrière, j'ai les places pré-payées à l'intérieur, fit-il, une fois qu'ils s'eurent arrêté en bout de fil d'attente; oui, Paulin avait trouvé un emploi depuis quelques mois qui lui permettait d'avoir quelques bonnes réductions sur bon nombre d'activités sur Williamsburg, d'où leur présence ici plutôt qu'à un tout autre espace de Manhattan. Bien tenté, de se faire toucher le postérieur par l'Aborigène, malheureusement, ça ne prenait pas aussi facilement.

_ Je crois que, comme tout le monde, t'es doté de deux mains. Alors soit tu utilises la gauche, soit tu peux me lâcher, je t'assure de ne pas m'envoler, envoya-t-elle d'une voix chantante et délicate, qui contrastait toujours avec son expression neutre, après avoir plantés ses yeux dans les siens. Un souffle rieur s'échappa des narines de Paulin avant qu'un sourire en coin ne vienne se dessiner sur ses lippes fines et toujours esquissées de manière séduisante. Il choisit la deuxième option, relâchant l'épaule opposée de son emprise pour glisser ses longues phalanges dans la poche de son Levi's. _ Qui ne tente à rien, n'a rien, lâcha-t-il de façon décontractée, habitué aussi bien à se faire rembarrer qu'à voir ses désirs exécutés. _ Effectivement, c'est ce qu'on dit souvent, renfloua la métisse en haussant les épaules, loin de vouloir se laisser aller dans un jeu d'attraction avec son colocataire, -ou tout autre homme, d'ailleurs. Ce n'était pas la première fois que Paulin lui faisait du rentre-dedans, dès son entrée dans les lieux il avait tenté de se la faire, arrêtant dès lors qu'il eut compris qu'elle se trouvait être en couple depuis quelques années et était motivée à être fidèle. Maintenant qu'elle était de nouveau célibataire, il se pensait avoir le droit de tenter sa chance à nouveau.

Parfois, il pouvait être lourd avec ça. Son besoin de séduire était permanent, probablement parce qu'il savait qu'il était charmant, mais ça ne faisait pas de lui un méchant garçon pour autant; Joddie laissait tout simplement couler après lui avoir mis un stop, elle n'avait jamais eu besoin d'élever la voix pour se faire entendre. Elle savait qu'il retenterait, demain ou dans les jours à venir, mais elle n'était pas à ce point défensive pour lui en coller une, une bonne fois pour toute. D'ailleurs, la seule fois qu'il avait eu le droit à sa paume sur sa joue avait été lorsqu'il s'était permis d'entrer dans la salle de bain, dont le verrou de la porte était vétuste, quand Joddie était entrain de l'utiliser. Elle avait tout juste eu le temps d'agripper sa serviette éponge et de meurtrir l'une de ses pommettes d'une gifle, -il l'avait bien mérité. La pilote, bien qu'elle était consciente de pouvoir plaire à certains, n'était pas dans ce même état d'esprit. Sept mois après la mort de Joa, près de huit depuis l'accident, elle avait encore besoin de temps pour se faire à l'idée de donner son coeur à une autre personne. Peut-être, aussi, que la celle qui saurait lui faire franchir le pas ne s'était pas encore manifestée officiellement.

_ Oh non, souffla Joddie, statique, tournée dans le sens de la file, évitant un face à face avec Paulin appelant à la promiscuité qui la rendrait mal à l'aise. _ Quoi, t'as oublié d'enfiler ta cup, déclara-t-il, se voulant taquin bien que loin d'être drôle. Il était certain que de se retrouver en colocation avec deux garçons n'étaient pas toujours chose aisée, et le Parisien se voulait parfois marrant concernant les menstruations de nanas, les tétons apparents en période de froid, les points sensibles lors de rapports sexuels ou les femmes fontaines qu'il avait croisées, oubliant qu'une demoiselle faisait également partie légitime du trio. Bien qu'il semblait stupide, sur certains points propres au genre féminin, Joddie avait toujours eu pour habitude de ne pas le contrarier et de fermer tout simplement les oreilles au flot de débilités qu'il pouvait superposer en une conversation. Pauvre Melech qui, lui, avait plus de mal à se défaire de l'emprise du Français, même lorsqu'il était gêné. _ Il y a une fille, devant, que je crois reconnaître, fit-elle en portant une main au niveau de son front, comme si cela pouvait lui éviter d'être reconnue. Paulin se leva sur la pointe des pieds pour apercevoir celle dont Joddie parlait, peu discret, gagnant quelques centimètres sur son mètre soixante-dix-huit.

_ Je ne savais pas que tu faisais partie de celles-là, joignit-il, faisant référence à une possible bi-orientation, ce qui lui valut un coup de poing vif sur l'épaule de la part de la métisse qui ne put se retenir. Une plainte sortie d'entre les lèvres du blond avant qu'il ne vienne frotter de sa paume l'endroit choqué par sa colocataire. _ Mais ça va pas, s'exclama-t-il, ce à quoi Joddie n'hésite pas de répondre. _ Jusqu'à preuve du contraire, c'est toi qui sors n'importe quoi depuis tout à l'heure, le tua-t-elle d'un regard froid avant de donner un coup de tête vers l'avant de la queue, j'étais pas très à l'aise quand je l'ai rencontrée et je l'ai laissée en plan alors que je lui avais proposé de partager un bout de la pause avec elle, pour me faire pardonner, expliqua-t-elle à son compatriote avant d'hausser les épaules, consciente qu'elle n'avait pas dû garder bonne impression de la conductrice experte qu'elle était. _ Te faire pardonner, interrogea-t-il, un sourcil levé d'incompréhension. Elle tourna la tête vers son voisin, hésita à lui répondre qu'elle l'avait battue à une partie de simulateur de course, avait supposé pouvoir prendre un repas en sa compagnie par politesse avant de se casser et la retrouver, entourée de fanatiques, au stand de hot-dog par pur hasard, s'obligeant à lui venir en aide.

Elle lui indiqua de ne pas chercher à comprendre davantage d'un geste de la main quand l'autre était toujours plantée sur le bas de son front et se mit à guetter à nouveau l'avancée de la file, se cachant derrière la masse imposante qui se trouvait devant eux. _ Et t'as pas envie de changer la donne, proposa-t-il naturellement, parce qu'il s'avérait être bien plus sociable que Joddie, ce à quoi elle répondit par la négative de la tête, -elle avait déjà assez donné dans le ridicule pour réitérer l'opération. Pourtant, Paulin n'eut pas l'air de comprendre la réponse dans ce sens et s'empressa de chercher le poignet de la demoiselle pour la tirer en-dehors de l'affluence droitement alignée et dépasser ceux qui les précédaient sans une once de remords, chose qui stupéfia et gêna sa comparse. _ Salut les filles, interpella-t-il l'Extrême-orientale et sa copine, accompagnant son bonsoir décontracté par un sourire charmeur, au même moment qu'il reprit possession des épaules de Joddie de son bras le plus proche, elle ne voulait pas venir vous embêter mais j'me suis dit que ça ne se faisait pas de ne pas se déplacer pour saluer des connaissances, joignit-il avant de tourner son faciès vers son amie, tu ne nous présentes pas ?

La pilote porta des billes tueuses et sauvages sur son coloc' avant de se résigner à l'introduire. _ Paulin, j'te présente Nina, eut-elle à peine le temps de présenter l'asiatique qu'il lui coupa la parole pour répéter son prénom et l'informer que c'était joli. Joddie roula de ses pierres précieuses, peu discrète, avant de les détourner sur les clients suivants qui semblaient grommeler dans leur barbe. Sacré dragueur, ce Paulin.

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Joddie aurait aimé pouvoir lever les bords de ses lèvres en une jolie esquisse pour accueillir amicalement les retrouvailles, mais elle ne put même pas la feinter. Ceci dit, cela n'avait absolument rien à voire avec la présence de Nina et de sa camarade au bowling, mais plutôt parce qu'elle connaissait parfaitement Paulin, beaucoup trop pour que son élan de générosité soit si anodin qu'il le prétendait. Bientôt deux ans qu'ils partageaient le même toit, deux années qu'elle avait eu le temps de le découvrir et d'apprendre davantage sur son caractère et sa personnalité. Aussi, elle qui n'avait déjà peu envie de passer du temps en extérieur n'allait pas avoir le choix d'être spectatrice de ses petits tours de drague. Et là plupart du temps, ça fonctionnait. Était-ce le charme à la française ou sa manière d'être direct sans foi ni loi qui plaisait ? L'Aborigène ne pourrait même pas le dire, sans nul doute que c'était apprécié de la majorité de la gente féminine qu'il prenait pour cible, en tout cas.

_ Les prénoms qui se terminent par une syllabe en "a" sont les meilleurs, osa-t-il dire alors qu'il se trouvait auprès de sa colocataire qu'il interpellait d'une intonation qui se finissait par un "i"; et on passera le fait que le sien s'achevait d'une sonorité peu délicate. Joddie roula automatiquement des yeux et se prit de passion pour les mains qui, les unes après les autres, sortaient le compte exact de billets de banque en échange d'une paire de chaussures peu esthétique mais qui permettait de ne pas se casser le coccyx sur le parquet. Des dollars contre son nom écrit de manière grossière sur un tableau de score, payer pour jouer. _ Si vous acceptez qu'un homme se joigne à vous, répondit-il, sans penser un seul instant que les nenettes qui lui faisaient face pourraient le foutre à la porte et insister sur le fait qu'elles ne joueraient qu'entre filles; forcément, on ne disait jamais non pour s'amuser avec Paulin. Deuxième fois que la métisse eut à écarquiller les yeux, laissant presque tomber ses billes de leurs trous.

Entouré de filles, plus rien ne pouvait exister autour. Toutes les bonnes actions qu'il s'était mises en tête pour sortir Joddie de son isolement s'envolèrent en une fraction de seconde, comme si elles n'avaient jamais existé, jamais été promises. La colocataire ne fut pas énervée contre l'étudiant, elle s'était probablement imaginée pire, à savoir qu'il la laisserait tomber au beau milieu de l'établissement de jeux pour passer un instant plus charnel avec une ancienne conquête; en somme, ça aurait pu être un enfer. Non, elle était tout simplement déçue qu'il ne puisse se contenter de profiter d'un moment tout bonnement amical avec une personne sans essayer de grappiller tout autour pour gagner entière satisfaction. Joddie piétina sur place pour éviter de montrer son désarroi. _ T'es d'accord qu'on se greffe à elles, interrogea-t-il finalement, et un peu tard, celle de qui il aurait dû être exclusivement accompagné. Que put-elle répondre à ça si ce ne fut d'hausser les épaules comme si elle s'en fichait, de ça, de tout ?

_ J'imagine que tu vas être charmant jusqu'au bout et payer pour nos trois places, demanda-t-elle d'un ton qui ne lui laissait pas vraiment le choix. Il avait voulu jouer, il n'avait qu'à assumer jusqu'au bout, se prenant ainsi de pleine face la tension décuplée qu'eut ressenti son amie. Il acquiesça d'un signe de tête, comprenant qu'il était forcément allé trop loin pour que Joddie puisse lui pardonner ce coup bas de si tôt. D'ailleurs, il se voyait déjà de corvées de vaisselle pour le restant de l'année. Peut-être qu'il y réfléchira à deux fois avant de la forcer à sortir pour, au final, ne pas lui accorder la totalité de son attention ? Il aurait dû le deviner, elle n'était pas comme ces demoiselles facilement sensibles à son jeu de séduction, aux jeux de séduction tout court. _ Je fais une pointure 38, l'informa-t-elle, passant une de ses mains sur son épaule pour lui tapoter, et je te conseille d'éviter de m'attribuer un surnom débile, tu seras gentil, finit-elle avant de s'éloigner du groupe, puis de la file d'attente.

Elle parut probablement rude aux yeux de Kyanna qui n'avait pas eu l'occasion de la croiser avant ça, mais elle comptait bien sur Paulin pour trouver un moyen de détendre l'atmosphère. Après tout, il avait été celui a décidé qu'il passerait sa soirée aux côtés de trois femmes à choyer; et pour sûr qu'il était habitué à ce genre de situation. Joddie trouva un mur auquel s'adosser, une de ses baskets s'éleva et toucha le pan coloré de beige quand un de ses bras se plia sur son abdomen. Elle attrapa son portable de l'autre main et plongea son regard sur les messages qu'elle avait déjà reçus de l'étudiant en art de New Haven avec qui elle correspondait depuis quelques mois déjà. Il appréciait lui écrire des paragraphes, espérait beaucoup quand elle était certaine de n'avoir rien à lui offrir d'autre en retour qu'une simple amitié d'une fanatique de mécanique à contacter en cas de pépin au garage familial que tenait son père.

Elle se concentra sur les mots choisis par le futur professeur d'arts plastiques, et c'eut le don de l'apaiser. Paulin avait de la chance, ce soir, un autre homme d'une finesse plus appropriée allait empêcher la jeune femme à sortir son poing pour l'aplanir sur son faciès de bébé. Ces derniers temps, la pression était grandissante. Joddie avait enfin trouvé le pass qui lui permettait de participer à quelques compétitions, voire aux qualifications pour la World Cup de Macao, en la personne du patron de l'Eden Club, mais ceci s'accompagnait d'un travail acharné et de limites dépassées sous le commandement de son coach qui réclamait toujours plus; à croire qu'il cherchait à la faire craquer, voire la faire reculer des championnats. Les examens étaient terminés, l'Université allait bientôt fermer ses portes pour l'été, et elle n'avait toujours pas envoyés ses vœux pour l'année prochaine. Elle débuta un texte dans ce sens à l'homme aux saphirs bleus du Connecticut dans l'espoir qu'il puisse mettre de l'ordre dans son esprit.

La voix de Paulin la stoppa dans son écrit et elle remit automatiquement l'envoi à plus tard, certaine qu'elle aurait un instant de paix lors duquel elle s'éclipserait pour, possiblement, préférer appeler le jeune homme plutôt que de s'exprimer sur le réseau social. _ J'ai proposé aux filles qu'elles débutent en premier la partie, prévint-il l'étudiante en mécatronique qui aurait dû être sa seule partenaire de jeu. Elle leva les yeux vers lui, les sourcils levés, ayant entendu la moitié de ses paroles. _ Comme tu n'étais pas là, je n'ai pas pu te demander, continua-t-il, laissant le flou planer tout autant par ses mots. L'Aborigène haussa alors les épaules pour lui faire comprendre que ce n'était pas important et le Français pointa la piste qui leur était réservée. _ J'espère que vous êtes prêtes à vous faire toutes écraser par le seul homme de la soirée, fit-il, le rire facile quand il espérait recevoir les félicitations, et probablement les faveurs, des nanas à la fin. Prétentieux, toujours, ce Paulin.

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La phrase lancée par Nina fut entendue par tout le groupe et Paulin ne broncha pas d'une semelle. D'ailleurs, il ne recula de l'asiatique que lorsque cette dernière daigna relâcher la pression qu'elle eut exercée à l'arrière de la tête de l'étudiant. Le Français, surpris, laissa ses yeux clairs un instant sur le faciès de celle qui incarnait le fameux rôle de la Reine, vint même porter une main à sa tête où il gratta les racines de sa chevelure avant de tourner le visage vers sa colocataire restée en retrait. Cette dernière croisa le regard du jeune homme et, les doigts encerclant ses biceps, elle haussa les épaules d'incompréhension. Après tout, lorsque cela concernait Nina, elle ne se posait plus de questions. Elle avait deviné la demoiselle pouvoir faire preuve d'un semblant de supériorité et, bien qu'elle ne la pensait pas être méchant, dans le fond, ne trouvait pas raison à tenter de comprendre ce qui pouvait bien lui passer par la tête. _ Tu ferais mieux de venir t'asseoir, proposa-t-elle à Paulin, histoire d'éviter qu'il ne se frotte encore aux épines de la rose qu'il avait tenté de draguer à sa manière.

Encore une fois, Joddie savait que Paulin n'était pas méchant, peut-être un peu trop sûr de lui et en proie à un appétit féroce. Il avait pris des refus la moitié du temps, mais ne prenait en compte que le fait qu'on lui avait déjà trouvé un air charmant. C'était probablement là qu'il faudrait changer la donne, mais le Parisien était bien trop optimiste pour s'occuper des faits négatifs. Que ça soit auprès des nanas ou des études d'ailleurs, le jeune homme jetait les résultats peu concluants sans jamais se demander s'il vaudrait mieux s'y attarder; ce n'était pas faute de lui avoir déjà suggéré. Paulin était ainsi, il parlait comme bon lui semblait sans tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche et la présence de nanas n'aidait en rien, comme si les hormones féminines l'appelaient et activaient instantanément ses besoins d'attention et désirs sexuels. Joddie avait appris à vivre avec, bien qu'elle gardait une certaine distance physique pour éviter le malentendu.

Kyanna les avait rejoint sur la banquette et s'était installée de telle sorte à ce qu'elle ne puisse être aux côtés de Paulin. Joddie se retrouva donc naturellement au milieu, tel un bouclier humain à travers lequel les paroles, murmurées par l'Européen, ne pouvaient trouver oreille attentive. _ Tu crois qu'elle est sourde, interrogea Joddie Paulin au mutisme de la Chinoise. _ Et si tu te concentrais un peu sur le jeu, proposa l'Aborigène, après tout, c'est toi qui m'as amenée ici, ajouta-t-elle dans l'espoir que sa remarque puisse le sortir de cette envie irrésistible de draguer tout ce qui bouge. Il releva les épaules de manière simultanée et Joddie eut gagnée la bataille; mais pas la guerre. Nina se mit à choisir la boule qui, supposé, devait lui apporter victime. A la place de quoi elle ne fit qu'un score de dix, laissant le troisième lancé rejoindre volontairement le côté de la piste. Et ça, ce n'était pas des habitudes dont Joddie avait été témoin. En effet, la cosplayeuse rencontrée à l'événement automobile s'était montrée plutôt déterminée à évincer les pilotes un à un.

_ Facile, jeta Paulin qui frappa dans ses mains avant de frotter ses paumes l'une contre l'autre. Il se leva, chauffant encore son épiderme, et s'approcha des boules de bowling desquelles il mit un sacré temps à choisir celle qui pourrait le satisfaire. Joddie soupira énergiquement et vint coller son coude sur sa cuisse puis sa mâchoire dans l'antre de sa main. Elle espérait qu'un jour sa confiance démesurée puisse être perdue et ne jamais retrouvée. Peut-être qu'en vieillissant, il finira par retirer les œillères qui l'empêchent de voir qu'il n'en ressort rien de viril. _ Tu verras par toi-même, répondit Joddie d'un air monotone, un peu plus grave que d'habitude, mais si ça t'ennuie tant que ça, tu peux dire que tu connais sa copine et il va paniquer pour quelques minutes, l'informa-t-elle. Quelques minutes de paix, on ne crachait jamais dessus. Qui plus est, Paulin avait tendance à embrasser toutes les filles qui répondaient à sa drague,  si bien qu'il puisse ne pas savoir de qui Nina ou Kyanna parlerait, rajoutant ainsi une pression des plus angoissantes.

Il rata son premier lancé et n'obtint qu'un point sur les trente maximum que l'on pouvait gagner. _ On parie combien qu'il revient en grommelant que c'est à cause de la boule, se sentit la métisse d'humeur à miser; dans le vent, bien entendu, car elle ne pariait jamais d'argent, même si elle savait être gagnante. Il garda un oeil rivé sur les quilles qui étaient remises en place par la machine et souffla de ses poumons l'air inspiré. Il revint d'un pas décidé, -ou peut-être énervé-, à sa place initiale et croisa les bras sur son buste qu'il tentait de travailler en salle de musculation. _ Elle était humide, elle m'a glissé des mains, trouva-t-il comme excuse à son échec sur piste. Et, pour la première fois, le coin des lèvres de l'étudiante en mécatronique se leva malicieusement, quand son regard resta planté sur les rangées. Le sourire fut bref, mais bien présent; dommage qu'elle ne pouvait gager, bien dommage. _ Et si t'allais payer ton coup, mauvais joueur, taquina la jeune femme aux cheveux bouclés, je prendrais un verre de Coke, fit-elle sa commande au Français, avant de tapoter son épaule de façon amicale et de se lever. C'était son tour.

La première boule fut la bonne, et elle ne chercha pas plus loin. Ses doigts entrèrent à l'intérieur des trous, et la prise parut bonne. Joddie jeta un coup d'oeil tout au fond, là où se trouvaient les proies à abattre, leva son bras en arrière pour donner un peu d'élan, fit un pas en avant, croisa ses mollets et tenta le premier lancé qui lui valut quatre points. Sachant Paulin partit prendre les premières boissons, Joddie profita du temps que mettrait la boule à revenir au point initial pour questionner, plus par politesse que par curiosité, les deux jeunes femmes encore assises dans son dos. _ Et vous faites quoi, sinon, dans la vie, fit-elle, assez fort pour que le brouhaha environnant ne puisse éteindre ses paroles. Même si elle savait Nina adepte des jeux vidéos et du cosplay, elle n'avait jamais pris la peine de poser la question, s'était même plutôt évadée à la première occasion. Elle les écouta, sans les regarder pour autant, dicter leur activité principale, pourquoi pas secondaire et une partie de leur vie et passion aussi. Après tout, on savait les nanas très adroites à parler d'elles-mêmes.

Le deuxième lancé lui ajouta deux points supplémentaires, pas de quoi grimper aux arbres donc. Tant pis !

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_ Vous vous êtes donc rencontrées à l'Université, si je comprends bien, tenta-t-elle de supposer, anima la conversation bien que Joddie n'ait jamais été très à l'aise dans ce genre d'exercices, moins féminin, précisa-t-elle lorsque la question lui fut retournée, je conduis des voitures et j'étudie la mécatronique à Columbia, conclut-elle par son dernier lancé du frame avant de rejoindre ses partenaires de jeu sur la banquette. Elle n'avait aucun mal à parler de cette différence qui ne la rattachait pas aux filles que l'on pouvait croiser au quotidien dans la rue. Ça n'avait pourtant pas été toujours le cas, les moqueries d'une partie de ses proches l'avaient empêché d'être fière de ses passions et Joddie s'était cachée pendant des années avant de se révéler au grand jour auprès des amis de ses parents. Heureusement, ces derniers l'avaient toujours soutenue, ça l'avait rendu plus forte pour emmagasiner les mots crus; parce que oui, elle avait bien été une fille, femme en devenir, qu'importait son goût pour la mécanique et les bagnoles. _ Je crois que c'est à ton tour, eut-elle vérifié avant de pousser Kyanna à donner de son énergie dans la partie. Et elle le fit, sans se prendre la tête pour huit points.

L'Aborigène était restée silencieuse auprès de Nina, avait gardé ses distances et son regard n'avait quitté la piste où s'affairait l'étudiante en musique. Ses coudes avaient rejoint ses cuisses non accolées et sa tête s'était portée dans ses paumes pour une position décontractée. Ce n'était pas qu'elle détestait Nina, Joddie ne haïssait personne, mais elle avait peiné à comprendre ses réactions. Un coup sur deux, elle était plutôt volage, très excitante à l'exposition, elle avait envoyé balader Paulin, très en confiante, elle n'hésitait pas à appuyer sur des faits qui la plaçaient très haute sur le podium quand elle ne semblait pas avoir été très déçue d'avoir perdu contre Joddie sur le simulateur. Un jour elle était une déesse, l'autre l'opposé. La métisse avait perdu le fil et avait pensé que le silence pourrait résoudre l'énigme qu'était l'asiatique. En vain, cela ne semblait pas lui faire comprendre quoi que ce soit de la personnalité de la cosplayeuse qui, plutôt que de s'étaler, respecta le mutisme, elle aussi. Clairement, rien n'avait de sens. Nina était-elle une de ces femmes qui se chargeaient encore, n'avait-elle pas assez vécu, ou avait-elle vues trop de situations différentes ?

Joddie s'autorisa à entrevoir la cause de ses réflexions du coin de l'oeil, assez furtif pour qu'il puisse passer inaperçu, avant que les deux femmes n'aient à échanger leur place. Kyanna revint se poser, heureuse de ses tirs, quand son amie se leva pour choisir la boule qui, elle l'espérait, ferait tomber le maximum de quilles pour garder la tête. Comme elle le fit pour Nina, la pilote professionnelle se tut et se concentra sur les lancés de son adversaire. Tout du moins, avant que la demoiselle aux cheveux lisses à ses côtés ne s'approche d'elle pour lui parler, en toute confidence. Joddie tendit l'oreille, attentive, elle préféra attendre la fin de la phrase de Kyanna pour intervenir. _ Je n'en attendais pas moins d'elle, fit-elle, à voix basse, le faciès tourné vers l'Orientale, comme pour lui partager un secret; non, elle était certaine qu'elle aurait mis un stop à Paulin, mais pour ta gouverne, nous ne sommes pas amies, continua-t-elle de chuchoter, secouant la tête de droite à gauche lentement, nous nous sommes juste rencontrées par hasard à une convention automobile, mit-elle les points sur les "i", ce n'est ni plus ni moins que le fruit du hasard si nous nous sommes retrouvées ici. Joddie, elle, n'avait pas d'amis; plus.

L'exclamation de la joueuse réveilla celles qui étaient restées assises. Elles feignirent pour l'une d'un sourire, pour l'autre d'un hochement vif de la tête; et nul besoin de préciser qui avait souri à Nina. Au même moment, Paulin réapparut, fier comme un coq de subvenir aux besoins de la gente féminine, avec un plateau sur lequel étaient posées les quatre boissons. Aussitôt, et par réflexe, Joddie tira son portefeuille de sa poche, l'ouvrit et fouina pour quelques billets afin de régler sa consommation. L'argent suffisant en main, elle le montra au Français qui, d'un geste de la main, arrêta sa colocataire. _ C'moi qui invite, fit-il, incluant à ce propos que la prochaine tournée serait au compte d'une autre des personnes de la partie. Joddie insista, le bras bien droit et rigide devant le seul garçon de la bande, secouant la maigre liasse, en vain. Il finit par se tourner vers la piste et s'apercevoir que c'était à lui de faire ses jeux. Il n'eut aucun autre regard pour la tablée, prévint simplement qu'on ne touche à sa boisson et choisit à nouveau une boule qu'il jeta. Les deux premiers lancés lui permirent un spare qu'il n'hésita pas à hurler. Joddie applaudit fébrilement pour accompagner l'ambiance, bien que ça ne voulait aucunement dire qu'il avait gagné la manche, elle savait que ça lui ferait plaisir d'être acclamé.

Il ajouta seize points son tableau des scores et, tout heureux, revint auprès des nanas, ses pas accompagnés par quelques pas de danse. Il n'était peut-être pas le meilleur danseur que la terre ait porté, mais son énergie ne pouvait passer inaperçue. Elle était appréciée, au sein de la colocation, et Joddie eut réussi à sortir un souffle rieur d'entre ses narines, sans que ses lèvres ne mouvent. Elle prit le verre qui lui était dédié et en but une gorgée afin de se désaltérer. L'endroit était chauffé par les nombreux joueurs venus manifester leur goût pour le bowling et autres machines d'arcade qui demandaient une certaine précision également. Sans chauffage, c'était tout comme s'il y en avait un installé à chaque table. _ Voyons voir ce que ça donne, articula Joddie après avoir reposé le faux cristal sur le plateau en plastique. _ Peut-être que la Coke donne des ailes, reprit-il une fameuse pub, changeant juste la consommation pour laquelle elle avait été faite. Les billes de la jeune femme prête à lancer son deuxième coup montrèrent ô combien la réplique ne lui avait pas semblé drôle, ce à quoi Paulin répondit par un haussement des épaules.

_ Bah quoi, c'était pas drôle, demanda-t-il en se tournant vers les asiatiques restées sur l'assise. Sérieusement, il n'était pas compliqué de comprendre pourquoi les parents de Paulin n'avaient pas décidé de remettre le couvert après l'avoir enfanté. Il comprit très vite que son humour n'avait touché personne et décida de changer de sujet. La conversation porta sur le célibat des jeunes femmes qui l'entouraient; à croire que ça l'intéressait particulièrement. _ Depuis quand, interrogea-t-il, attendant la réponse des filles pendant que Joddie qui, profitant de la conversation, réussit à mettre un premier strike aux quilles, moi j'suis dans une relation libre, pour l'instant, ouvrit-il la porte. _ Il est dans une relation libre tout le temps, s'exclama Joddie, moqueuse, qui revint une fois terminé, et si on parlait de quelque chose qui intéresserait tout le monde, proposa-t-elle, comme les vacances d'été ? Elle venait d'ajouter vingt-six points à son total, avec deux strikes.

“ Never ever underestimate

the importance of having fun

ft. @Nina Young




_ Cela semble être une belle destination, hocha de la tête Joddie en direction de l'Asiatique qui s'était levée pour ses deux lancés. A y réfléchir, Joddie n'était jamais réellement partie en vacances. Que ça soit avec son père ou son conjoint, il y avait toujours eu une raison professionnelle qui avait sollicité le départ. Un match de boxe dans l'un des Etats voisins de l'Ohio, une course en Europe, un contre-la-montre dans les pays chauds d'Afrique; finalement, tous ces déplacements s'étaient avérés obligatoires et elle n'avait jamais choisie une destination. Elle n'était tellement pas habituée que, si on lui demandait clairement le voyage qu'elle trouverait idéal, elle ne saurait répondre avec certitude. Aimerait-elle se prélasser au soleil sous quelques palmiers à siroter un cocktail à la noix de coco ? Préférerait-elle prévoir une randonnée sur les montagnes les plus froides portées par la terre ? Tenterait-elle le soleil ou la glace ? Malgré ça, elle en avait vu des paysages, aussi bien forestiers que maritimes, et en avait connu, d'innombrables activités; le temps accordé au repos avait joué en leur faveur, à l'époque.

_ Je comprends, forcément. Le boulot avant tout, articula-t-elle à l'adresse de Nina. Oui, encore une fois, on y revenait bien vite, et Joddie n'était certainement pas la dernière à porter une attention particulière à ses obligations de pilote professionnelle. Elle avait eu vent bien assez tôt des croisières qui avaient été programmées par la ville de New-York. Comme chaque année, elle aurait aimé inscrire son nom sur la liste des participants, mais, comme chaque été, elle avait dû se résigner et se concentrer sur les entraînements. Elle n'avait pas encore retrouvé le niveau qui l'avait fait connaître, et en était bien loin. Les courses régionales approchaient et elle ne pouvait se satisfaire des scores minables notés au tableau. Elle et David avaient un projet : celui de participer à la World Cup de Macao. Si elle avait tiré une croix sur le championnat d'Europe pour des raisons qui se voulaient être évidentes, elle voulait donner tout pour obtenir le pass des qualifications. Concourir à cette coupe, c'était tout ce qu'un bon conducteur ambitieux de GT pouvait désirer, la gagner était un plus non négligeable; ça l'aiderait, d'ailleurs, à faire remonter une bonne partie de la notoriété perdue.

Le tour de Nina vint et Joddie posa ses billes sur la chevelure de la jeune femme et suivit ses mouvements du regard jusqu'à ce qu'elle termine de faire rouler sa dernière boule. Le coup à pas de chance, elle ne réussit pas à marquer un nombre suffisant de points pour prendre énormément d'avance; le jeu n'était ainsi pas encore terminé. _ Je... Je te demande pardon, s'exclama la métisse en bafouillant quelque peu en réponse aux paroles de Nina. Paulin s'était concentré sur sa boisson jusqu'alors et n'avait trouvé de réelles opportunités à intervenir auprès des femmes qui l'entouraient, -cette fois-ci était peut-être la bonne. _ Ça se voit que tu ne connais pas Jodd', retira-t-il ses lippes de son verre, porta un regard sur sa colocataire avant de pointer ses iris sur le faciès de la cosplayeuse, pour te donner une idée, j'ai plus de chance de t'avoir engrossé dans l'année que toi tu n'en as de t'asseoir à ses côtés dans l'une de ses voitures, se mit-il à rire, amusé. En effet, même le simple fait de toucher aux véhicules de la pilote, qu'ils soient d'entraînement ou de compétition, relevait du miracle. C'était probablement la seule chose qu'elle ne daignait pas partager, en plus de ses problèmes personnels.

La métisse plongea dans ses pensées, le regard fuyant, comme si elle n'avait pas envie que l'on mette cette conversation sur le tapis; pour cause, ça lui rappelait d'autant plus, qu'à présent, elle était seule à pouvoir profiter de ces engins. Autrefois, son compagnon et elle en avaient l'exclusivité. Aucun mécanicien n'avait jamais été autorisé à rentrer l'une ou l'autre des automobiles : Joa avait pris l'habitude de s'en charger à chaque fin de piste, d'exercice ou de course. Que ça soit pour la monter dans le camion ou pour la parquer, il avait été l'unique. Maintenant qu'il n'était plus là, quelques concessions avaient dû être prises, et nul besoin d'indiquer ô combien il avait été difficile pour Joddie de voir le chef de la première équipe s'asseoir à la place conducteur, là où le fils Grahams prenait place. _ Vingt-six, chuchota-t-elle alors, les yeux perdus sur la ligne droite prise entre deux barrières, vingt-six, répéta-t-elle plus fort, ce sont les points sur lesquels tu devrais te concentrer à dépasser; vingt-six, son dernier score de la soirée, en attendant, je vais aller nous chercher de quoi se mettre sous la dent.

Et elle se leva, l'Aborigène. Elle s'enfuit aussi vite qu'elle le put de la table pour que la discussion ne prenne un tournant qui lui serait compliqué à gérer. Fuir, ce n'était pas la mer à boire pour elle : elle avait tellement l'habitude de faire ainsi au quotidien, de ne pas se confronter à la douleur. Elle contourna la banquette et se retrouva très vite dans la file qui lui permettrait de prendre quelques petites bricoles à mâcher; juste pour dire. Joddie, elle avait toujours eu pour coutume de manger au lance-pierre depuis qu'elle avait gagné un emploi du temps chargé, David avait fait le nécessaire pour équilibrer tout ça. La nutritionniste personnelle de la demoiselle avait eu du fil à retordre, mais elle était parvenue à contracter un accord avec la pilote. Aujourd'hui, on ne pouvait pas dire que les choix étaient importants, une petite entorse à la règle ne pourrait ni se voir, ni se savoir. Au pire, elle prendrait quelques boules de chocolat, pour se joindre aux autres, et laisserait les confiseries à ses camarades; après tout, n'oublions pas que cela ne valait qu'une échappatoire. Et ça lui fit du bien, à l'Aborigène, de se retrouver seule le temps d'un quart d'heure.

Elle revint les mains chargées de paquets. Le Français avait déjà terminé son tour depuis un petit moment, et en avait profité pour en apprendre toujours plus sur les nouvelles qu'il venait à peine de rencontrer. Il s'était peut-être montré un peu moins lourd, jouant une autre carte de son jeu de séducteur. _ Désolée pour l'attente, fit-elle d'un ton peu enjoué, comme si de rien n'était, feignant d'avoir oublié le sujet de discussion sur lequel elle les avait laissé, j'espère que vous aimez le sucre, s'inquiéta-t-elle faussement en posant le tout au centre. Elle pivota son corps vers le tableau, et ce dernier afficha les huit points de Paulin; il était bien loin de la réalité, celui-là ! A sa suite, elle n'en marqua pas plus. Sept, uniquement sept.