[-18] So happy to see you again ! Ft. Asher

19h. Je me regarde une dernière fois dans le miroir en pied de ma chambre en soufflant. Si je me change encore, mes enfants vont vraiment se moquer de moi cette fois. Mes tatouages sont visibles. Pas que cela me gêne réellement, cela dit je ne sais pas ce qu’il va en penser. On n’a pas vraiment parlé tatouages, et puis quand on s’est vu je portais des vêtements qui les cachaient, pur hasard. Bref, me voilà vêtue d’une robe d’été m’arrivant un peu au-dessus du genou, sur les conseils de ma fille. Les cheveux relevés, un peu de maquillage. J’ai essayé tellement de tenues aujourd’hui que je suis perdue. J’espère seulement lui plaire.

On ne s’est pas revus depuis notre première rencontre, mais j’y ai beaucoup repensé. Repensé aux choses qu’on s’est dites au bar, à notre balade ensuite. Repensé aux regards et aux rires que l’on a échangés, au frôlement de nos mains quand nous marchions côte à côte. Je n’ai pas osé… j’aurais pu, sans doute, attraper ses doigts, ce n’est pas l’envie qui me manquait… mais je n’ai pas osé, il y avait tant de monde autour de nous.
Et après de longues discussions par messages, j’ai décidé de l’inviter à dîner à la maison. Je voulais que l’on puisse se voir au calme, juste nous deux. Alors, évidemment, je n’avais pas prévu que mes enfants seraient là alors qu’ils m’avaient dit être invités à une fête pour la fin de l’année.

Je redescends au salon pour vérifier la présence de Sean, affalé devant la télé, et Daria, sur la terrasse, son portable entre les mains. Le garçon lève un regard amusé après quelques instants à sentir ma présence.



Je sais aussi qu’ils ne font pas ça pour m’embêter, enfin pas uniquement. Ils se demandent à qui j’ai passé tant de temps à envoyer des messages, chose inhabituelle pour moi. Au début, j’ai refusé de leur parler d’Asher, craignant leur réaction… mais quand il a été évident qu’ils partiraient après son arrivée ce soir, j’ai dû leur dire au moins son âge, histoire que leur surprise soit déjà passée.

J’ébouriffe les cheveux de mon garçon, pour le faire râler un peu, et vais ajuster le couvert sur la table avant de filer à la cuisine pour terminer les préparations de dernières minutes. Je n’ai rien fait de très compliqué, déjà parce que je ne suis pas non plus hyper douée, et puis parce que je n’ai pas très envie de lui faire peur en en faisant trop.

La sonnette retentit finalement, et je dois bondir dans l’entrée pour empêcher mes enfants d’aller ouvrir les premiers. En silence, je leur fais signe de repartir dans le salon, puis j’ouvre la porte. En le voyant, je ne peux m’empêcher de sourire, et mon cœur se met à battre plus vite. Seigneur, j’avais presque oublié à quel point il était beau.


Je m’écarte un petit peu pour le laisser entrer, et du coin de l’œil je vois mes enfants passer innocemment devant la porte du salon avant d’obéir. Les chameaux !

Asher me tend un magnifique bouquet de fleurs en me disant que ça aurait été impoli de venir les mains vides. Je le prends en me retenant de lui dire que tout ce que je veux ce soir, c’est lui, et que peu m’importe la politesse, même si cela me fait très plaisir. Au lieu de ça, j’inspire profondément le délicat parfum des fleurs, et par-dessus, celui d’Asher.
Il se tourne vers mes enfants avant que je puisse le remercier et les salue. Je leur fais discrètement signe de lui répondre. Je sais qu’ils sont très polis quand ils veulent, et qu’ils n’ont sans doute pas envie de faire fuir mon… « rencard » ? Non, je suis trop vieille pour dire ça…
Comme ils obéissent, je relève les yeux vers Asher.


C’est toujours un peu délicat de les présenter. Je ne peux pas dire qu’ils sont mes enfants, même si pour moi c’est un peu le cas, car ils ont une famille… et au-delà de ça, ils n’aiment pas trop que je les traite d’enfants, ce que je peux comprendre.
J’entends Daria dire qu’elle va chercher un vase et Sean retourne dans le salon. Nous nous retrouvons seuls dans l’entrée, et je tiens toujours les fleurs contre moi.


Je voudrais embrasser sa joue, mais la présence des enfants m’en empêche, même dans la pièce d’à côté. Tant pis, j’en aurai sûrement l’occasion plus tard. Je me sens comme une midinette, auprès de lui, à me sentir aussi fébrile, à ressentir ce besoin de le toucher alors qu’il est si près.
Je glisse doucement mes doigts le long de sa main, une seconde, pour l’inviter à me suivre plus avant dans la maison. Dans le salon, je vois que Daria a installé le vase sur la table dressée, j’y mets les fleurs. Je me disais bien qu’il semblait manquer quelque chose sur cette table. Ce n’est plus le cas.

Un klaxon retentit dehors, et j’entends Daria attraper bruyamment ses affaires dans l’entrée, comme pour bien me faire comprendre que c’est Dustin qui est arrivé. Sean jauge Asher du regard quelques secondes avant de sortir de la pièce à son tour.


Les enfants nous souhaitent une bonne soirée dans un cri venant de la porte ouverte, puis ils partent en la claquant. Bon, nous voilà seuls…

Ce n’est jamais simple les nouvelles rencontres, en tout cas ça ne l’a jamais été pour moi, même quand j’étais plus jeune. Et ce, même si je suis de nature plutôt curieuse et que j’aime découvrir les gens. Mais quand on a un certain âge, et des enfants, je vous assure que la difficulté augmente encore de quelques niveaux. En parler, ne pas en parler ? Leur en parler, ne pas leur en parler ? Et les faire se rencontrer, quand, comment ? Trop de questions que ne peut pas s’empêcher de se poser un parent célibataire. Et alors quand on attaque les rencontres avec lesquelles la différence d’âge est importante, je ne vous laisse qu’imaginer le tumulte !

Et tout ça s’est réglé – un peu en tout cas – par mes enfants tout aussi curieux que moi, et Asher qui fait montre d’une ouverture d’esprit impressionnante. C’est que, on va être honnête, il est plus près d’eux que de moi, niveau âge… et que ce détail me met encore un peu mal à l’aise. Mais j’arrive à oublier, surtout quand il me dit malicieusement qu’il n’est pas « mécontent » que l’on soit seuls. Oui, passons tranquillement une soirée ensemble, et l’on pensera aux questions à un moment plus propices. Enfin, je vais essayer.

J’invite alors mon invité à s’installer sur le canapé, devant lequel se trouve la table basse, où est posé un plateau avec des amuse-bouche qui n’a pas été entamé. Venant de mon fils, cela m’étonne grandement, il faudra que je pense à le remercier pour avoir retenu sa gourmandise.


J’ai fait un petit voyage en Europe il y a quelques semaines, pour une convention. Voyage qui m’a permis de commander des bières d’abbaye que j’avais fortement appréciées, et dont j’ai parlé à Asher après qu’il m’ait demandé ce que je pensais de la brasserie où nous nous étions vus. Je suis grande amatrice de bière et en ai goûté un sacré nombre je crois.

Je le laisse donc seul quelques instants, le temps d’aller chercher les bières dans la cuisine et d’ouvrir les bouteilles. J’en profite pour jeter un œil sur le dessert qui est en train de finir de cuire. J’éteins le four, car je serais bien capable d’oublier et de le laisser cramer. Ce qui serait dommage, car c’est la recette que je réussis le mieux.

Je reviens dans le salon et surprend le regard de Asher sur le salon. Je vais m’asseoir à côté de lui et lui tend l’une des bières en souriant.


C’est une belle maison, le problème n’est pas là, mais elle est si grande… quand j’y vivais seule, c’était trop pour moi, et j’étais loin de m’y sentir bien. Elle en a vu passer des crises de colères et des gueules de bois.

Asher semble s’étonner qu’il s’agisse de la maison dans laquelle j’ai grandi. Je peux comprendre, il a fallu que je fasse une redécoration complète de toutes les pièces. Même s’ils aimaient le luxe, ça n’empêchait pas que ça fasse vieillot, je crois que ça n’avait même pas changé depuis que j’étais enfant. S’occuper de la maison, c’était pas vraiment le truc de ma mère. Et on ne recevait jamais à la maison, pour la même raison.
Il me questionne à nouveau, sur les enfants cette fois. Sa curiosité me surprend sans me surprendre, c’est l’apanage des gens brillants, et je pense bien qu’il l’est. Même si j’ai l’impression qu’il se retient un peu. Je ne veux pas qu’il soit gêné de m’interroger, ainsi je serai plus à l’aise pour le faire à mon tour. Alors je lui réponds après un petit rire.


Je fais de mon mieux pour les aider, dans ces cas-là, pour qu’ils puissent être indépendants le plus vite possible. Mon but est de les y mener, après tout. Mais ça se passe toujours différemment d’un enfant à un autre. Certains ne restent que quelques semaines d’ailleurs, parce que la vie ici ne leur convient pas. C’est ce que je pensais de Sean, au début, il me regardait à peine, mangeait au lance-pierre avant de retourner dans sa chambre. Heureusement, la situation s’arrange parfois.
Je verse doucement ma bière de mon verre, penché, pour éviter que ça mousse de trop. Avant, j’en mettais systématiquement à côté, mais finalement quand on a pris le coup, c’est pas la mer à boire.


J’esquisse un sourire. Je me rends compte que je vis de mieux en mieux, ou plutôt de moins en moins mal, ces séparations. Et puis, avec les grands, je garde souvent le contact même si c’est déconseillé. Quand ils ont besoin de moi, même s’ils ne sont plus sous ma garde, je suis là pour eux.

Quand Asher est servi à son tour, j’approche mon verre du sien pour les faire s’entrechoquer.


Je souris à nouveau. Un sourire qui m’échappe presque, mais je n’aurais pas eu envie de le retenir de toute façon.

Je trinque avec mon adorable invité, profitant de cet instant pour observer son visage, son sourire qui monte jusqu’à ses yeux. Mais ses paroles me sortent de ma contemplation, je ris doucement, les joues rosissant certainement.
Je suis heureuse que l’odeur planant dans la pièce lui plaise, c’est déjà un bon pas, il est rare que quelque chose qui sent bon ait mauvais gout, mais je me demande si cela sera à la hauteur de ses espérances. Parce que même si je ne le lui avouerai pas, j’ai passé plusieurs heures à cuisiner. J’ai toujours entendu ce proverbe « le cœur d’un homme passe par son estomac »… c’est la première fois que j’ai l’occasion de faire l’expérience. Certes, tenter mes talents culinaires parfois aléatoires sur une relation qui me tient à cœur n’est peut-être pas le plus malin à faire mais… j’aime vivre dangereusement !

Comme il plaisante sur le temps, je regarde dehors pour m’apercevoir, qu’en effet, le vent souffle fort. Je me félicite de ne pas avoir prévu un repas en terrasse.


Je souris et prends une nouvelle gorgée de bière. Pour eux, les calèches c’est ringard encore. Je me souviens un peu de cette phase, quand j’avais 17 ans, où ce qui était romantique m’ennuyait profondément. Daria est en plein dedans. Et Sean… c’est un garçon, quoi !

Je repense finalement à la question de Asher. Ce que je vais faire sans eux ? Quelle question… j’ai bien vu ce que cela faisait lorsque j’étais seule, avant de décider d’ouvrir ma maison… rien de très bon. Daria va partir à la faculté à la rentrée, elle a été acceptée à Princeton. Ce n’est pas très loin, mais elle ne reviendra qu’aux vacances. Et je ne sais jamais quand on me demandera si je veux bien accueillir un nouvel enfant. Parfois il se passe des semaines…
Peu encline à montrer cette faiblesse dès notre première soirée, je décide de jouer la maman libérée de son job.


Je force un petit rire, espérant que cela paraisse authentique. Quand je me retrouve seule dans ma maison, je me retrouve souvent à penser au bébé que je n’aurai jamais. A la famille que je n’aurai probablement jamais. Bon, stop ! Ce n’est pas le moment ! Et je prie pour que je ne fasse qu’imagine les larmes qui picotent mes paupières.
Je reprends une gorgée, nécessaire, puis attrape doucement le bord du plateau d’amuse-gueules pour le rapprocher un peu.


Cette fois, j’évite de le regarder dans les yeux, préférant attendre d’être certaine que je ne me mettrai pas à pleurer comme une idiote.