can we pretend ? / cole

« Vous avez de la chance, c’est la table la plus romantique du restaurant. » Sachant que c’est la réaction qu’elle attend, Freya sourit à la serveuse, comme si c’était la meilleure nouvelle de sa soirée. Romantique ou pas, ça lui importe peu. Tant qu’ils peuvent prétendre que c’est un rendez-vous, passer un bon moment et pourquoi pas, bien manger aussi. Un programme qui parait idéal. Ils l’ont déjà fait plusieurs fois. Après tout, s’ils doivent agir comme un couple, autant organiser quelques sorties. C’était Freya qui en avait eu l’idée, après leur retour de croisière et, à chaque fois, ils trouvent un programme qui leur plait à tous les deux. Restaurant japonais pour ce soir. Ensuite, ils ont des réservations pour monter en haut de l’Empire State Building une fois la nuit tombée. Un programme idéal. La seule fois où Freya est montée jusqu’en haut, elle devait être au lycée. Ce n’est pas le genre de choses qu’on fait tous les jours, mais leur soirée en ‘amoureux’ lui permet de vivre de nouvelles choses, de prendre un peu plus de temps pour elle aussi. Zach est ravi de ça, parce qu’il peut en général aller chez un de ses oncles, ou même dormir chez un copain. Une fois arrivée au niveau de la table, Freya s’installe et prend immédiatement la carte en main. « Il faudra m’expliquer ce qu’une table peut avoir de romantique. » A part peut-être qu’ils sont un peu à l’écart des autres tables. La décoration est jolie aussi, mais ça reste une table, sur laquelle ils vont manger. « Oh il y a un menu découverte sushis pour deux. Ça te tente ? » Au moins, elle n’aura pas besoin de choisir, ce qui l’arrange. « Alors, tu le sens comment ton entretien de ce matin ? »

« Tu dois avoir raison. N’empêche, je ne sais pas non plus qui a décidé que les bougies étaient romantiques. » Beaucoup de questions existentielles ce soir, auxquelles ils ne trouveront pas de réponse. Tous les deux plutôt cyniques concernant l’amour, difficile de comprendre pourquoi certaines choses sont romantiques. Pourtant, ça leur est arrivé de faire des choses romantiques, mais ça semble appartenir à une autre vie maintenant. Dans cette nouvelle vie, ils sont tous les deux engagés dans un mariage qui n’a de mariage que le nom. Pourtant, ils doivent faire semblant et avoir une table romantique dans un restaurant les y aide sans doute. « Oui, tant qu’on peut y poser des assiettes, on peut dire que c’est une bonne table. » Après tout, c’est l’objectif premier. Et un avantage certain à cette histoire de soirées rendez-vous. Ça représente un certain budget, mais ils mangent bien, et ça fait toujours plaisir. Le choix est rapidement fait, justement parce qu’ils n’en font pas vraiment. Au lieu de choisir différents types de sushis, ils choisissent un menu découverte. Alors en attendant que la serveuse revienne vers eux, Freya interroge sur son entretien du jour. Forcément, ça l’intéresse. Plus vite il aura trouvé un travail, meilleure sera leur situation. En plus, il sera moins souvent à l’appartement, ce qui arrangera Shay, qui y est aussi souvent la journée. « Ah… » Si Cole l’a senti comme ça, ça n’augure rien de bon. Freya n’aurait pas pensé qu’il aurait autant de mal à trouver un emploi, mais ces derniers temps, il a plus d’entretiens. « Je vais continuer de croiser les doigts et de faire quelques prières au dieu que tu préfères alors. » Elle plaisante, comme s’il avait besoin de ça. Il faut juste qu’il tombe au bon endroit au bon moment. Ce n’est qu’une question de temps. « Moi, ça va. A part un homme qui avait décidé d’emmener son chien au yoga alors que c’est interdit, rien n’est sorti de l’ordinaire. » En soi, c’est déjà bien comme événement anormal. « C’est un collègue prof du muscu qui a fini par le mettre dehors. »

Ne dit-on pas que qui se ressemble s’assemble ? Dans ce cas, Cole et Freya s’assemblent vraiment bien. Dans leur refus de laisser l’amour entrer dans leur vie, de trouver des choses romantiques, ils se ressemblent. Au fond, pour des raisons plutôt semblables. Ils y avaient cru, à tout ça. Freya était tombée amoureuse, avait cru à un futur avec certains, et avait systématiquement déçue. Cole avait aimé Meera autant qu’il l’avait pu, et ça n’avait pas suffi. Et c’est sans doute grâce – ou à cause – de tout ça que leur mariage parait tout à fait logique. « Je pense que c’est la meilleure théorie sur les bougies que j’ai jamais entendue. » Il faut tout de même relativiser : elle n’en a pas entendu beaucoup. Et elle ne s’était jamais posé la question non plus, donc elle n’a pas sa propre théorie sur la question. « C’est vrai, on a de la chance. » S’ils avaient dû manger à côté de bougies qui ont des odeurs désagréables, ça aurait été tout de suite moins plaisant. « Ha ha, très drôle. » Elle lève les yeux au ciel, n’appréciant pas trop que Cole se moque d’elle, alors que jusqu’à maintenant, ils étaient tous les deux ironiques. Enfin après avoir choisi ce qu’ils prenaient, Freya interroge Cole sur sa recherche d’emploi. Pour quelqu’un qui a trouvé un travail aussitôt sorti de ses études et y est resté depuis, ça n’a rien d’évident. Freya, elle, a toujours été polyvalente donc trouver n’était pas si compliqué que ça. Même si maintenant, elle n’a plus l’intention de changer. « Ah oui ? Tu as des idées en tête ? » Elle ne savait pas qu’il envisageait de changer de domaine, mais ça pourrait peut-être lui réussir. « De quoi tu rêvais quand t’étais enfant ? Et me dis pas que c’était les ressources humaines, j’y croirais pas. » Freya ne sait pas comment il a fait pour supporter aussi longtemps d’être assis derrière un bureau. Elle, elle ne pourrait pas. Mais elle est certaine que Cole peut trouver quelque chose qui lui conviendra, et avoir un salaire, ce qui n’est pas négligeable. « Je proposerais l’idée à mon patron. Par contre, la dame au deuxième rang qui était allergique ne serait pas ravie. » Et on peut la comprendre. Et puis certains animaux sont disciplinés, mais pas tous, ce qui rendrait un cours avec des animaux assez compliqué. Freya sait que ça se fait avec des chèvres, mais l’idée ne la séduit pas vraiment. Lorsqu’une autre serveuse vient vers eux, elle passe commande rapidement. Ils rajoutent des boissons, et le tour est joué. Une fois que celle-ci est hors de portée, Freya se penche vers Cole. « Je crois qu’elle aimerait bien que tu ne sois pas marié. » Pendant qu’ils passaient commande, elle n’avait pas arrêté de le regarder, même quand c’était Freya qui parlait.

Au fond, leurs rendez-vous en tant que couple marié ne différent pas tant que ça des moments passés ensemble entre amis. Ils y mettent peut-être des airs un peu plus romantiques, malgré leur cynisme, font des choses nouvelles. Mais sur le fond, leur relation n’a pas changée et, même le fait de passer plus de temps ensemble ne semble pas les gêner. Certes, la colocation n’est pas toujours facile, surtout qu’ils ne sont pas que tous les deux, mais ça pourrait être pire. Et, comme quand ils étaient amis, ils s’interrogent sur leur journée. Comme le ferait peut-être aussi un couple marié depuis peu. Peut-être avec plus de contacts physiques, ou de battements de cils. Ce genre de choses. Cole en profite pour avouer à Freya qu’il envisage de changer de domaine pour le travail. Comme il ne semble pas en trouver un nouveau, ça semble être une bonne idée. Même s’il a l’air encore un peu confus là-dessus. Alors Freya l’interroge sur ce qu’il rêvait de faire quand il était plus jeune. Sauf que ses rêves semblent un peu compliqués à mettre en place aujourd’hui. « Dommage, il n’y a pas trop de fermes en ville. » Et il semble qu’il n’en avait plus tellement envie, vu son refus de rentrer chez son père en Australie. « Et pour le dessin, je n’y connais rien alors je ne sais même pas si ça peut amener à un vrai métier. Mais tu peux toujours essayer. » Après tout, c’est quelque chose qu’il aime toujours faire, si Freya se souvient bien. Ça peut valoir le coup d’explorer l’idée, au moins. « Si jamais tu ne trouves rien, tu peux toujours te lancer dans le marché du yoga pour animaux domestiques. » Elle le taquine, mais elle sait qu’il va finir par trouver. Pour autant, il n’a peut-être pas envie de réfléchir à ça toute la soirée. Une serveuse vient prendre leur commande et Freya ne manque pas de remarquer qu’elle regarde beaucoup Cole. Visiblement, celui-ci n’avait même pas vu. Il fait un parfait faux mari. Elle hausse les épaules quand il lui demande si elle est jalouse. Pourquoi le serait-elle ? S’ils n’en ont jamais discuté, il semble évident qu’ils peuvent voir chacun d’autres personnes. Mais avec eux, le risque de trouver réellement quelqu’un est très proche de zéro. Un problème de moins à s’inquiéter. Le compliment que lui fait Cole fait tout de même plaisir à Freya. Elle a fait quelques efforts ce soir, sans trop en faire. Elle a surtout mis une robe et remonté ses cheveux en une queue de cheval. « Tu sais, tu n’es pas obligé de me faire des compliments quand personne n’est là pour entendre. Réserve-les pour quand on nous écoute. Ou quand les services d’immigration viennent nous voir. »

Freya voit bien que Cole n’est pas dans une situation facile. Il avait un métier, peut-être pas passionnant aux yeux de Freya, mais un métier qui lui plaisait et le quitter n’avait pas été un choix. Maintenant, il se retrouve sans rien et à devoir tout remettre en question. Visiblement, ses rêves d’enfant ne vont pas trop l’aider à trouver ce qu’il fera ensuite, mais au moins, ça permet à Freya d’en apprendre un peu plus sur celui qui est désormais son mari. Et même s’ils n’ont pas encore trouvé de solution, elle sait que ça viendra. C’est pour ça qu’elle ne se gêne pas pour faire une blague sur une potentielle carrière dans le yoga pour animaux. En vrai, Freya est certaine que des personnes fortunées pourraient être intéressées. Mais elle, ça ne lui plairait pas de faire ça. Pas du tout. « S’il n’y a que ça, tu sais que tu peux toujours demander. » Elle sourit, consciente qu’il ne lui demandera pas à faire du yoga. Non, il préfère la regarder faire depuis le canapé, ou même la plage cet été. Cole est loin d’être sportif, et Freya aime se moquer de lui par rapport à ça. Sportif ou non, Freya est presque certaine qu’il a tapé dans l’œil de la serveuse, et elle s’en amuse. Ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’est que Cole lui fasse un compliment. Ce n’est pas leur genre pourtant. Même s’ils sont censés être un couple marié. « Je suppose que rien ne te l’interdit. » Elle fait mine de réfléchir, mais en réalité, ça ne la dérange pas qu’il lui dise des choses comme ça. Ça fait toujours plaisir à entendre. « C’est gentil en tout cas. » Elle sourit, et rougit peut-être un peu aussi. C’est peut-être juste un peu bizarre. « Donc c’était pas ton genre la serveuse ? » Après tout, elle ne l’a jamais vu qu’avec une seule femme alors elle ne sait pas par qui il pourrait être intéressé.