- life happens. shit happens.

Mon pied tape nerveusement le sol du bus dans lequel je me trouve. Le regard rivé sur les rues qui défilent à toute vitesse alors que j’approche de ma destination, j’ai un noeud dans l’estomac. Rien à voir avec l’angoisse que je pourrais éprouver à l’idée d’affronter une nouvelle merde dans ma vie. Je ne peux pas prétendre être rodé mais ce n’est pas loin. Ma crainte actuelle c’est plutôt vis-à-vis de la réaction que Tommy pourrait avoir. J’ai fait ce que j’ai dit que je ferais : j’ai fouillé pour trouver un moyen de pression utilisable contre Lisa mais je pensais pas tomber sur ça … Descendant à mon arrêt, je marche les quelques minutes qui me séparent de la colocation avec l’envie de faire demi-tour. J’ai promis que lui ferais part de ce que je trouverais mais ça je ne sais pas trop et pourtant … je sais qu’à sa place j’aimerais savoir. Je ne saurais pas quoi en faire mais je voudrais le savoir. Laissant de côté la clé de secours, je sonne et n’attends pas même deux minutes avant que Tommy ne m’ouvre. « Désolé de passer à l’improviste mais je dois te parler. » Ça annonce la couleur, je le sais et je n’ajoute rien avant d’être entré et d’avoir atteint le salon que je connais par coeur après des mois à vivre sous ce toit - et pour avoir dormi sur le canapé lors de mes soucis avec Cassie. « Tessa est là ? » S’il doutait de la raison de ma présence maintenant il doit se faire une petite idée et remarquer le dossier que je tiens roulé dans ma main.

Je suis fatigué : entre les allers-retours en avion, les matchs officiels, les entraînements, m’occuper de Tyler dans les journées de repos. La période des matchs a toujours été compliquée pour gérer ma vie professionnelle et ma vie parentale. En ajoutant Tessa à l’équation,  j’ai du mal à joindre les deux bouts, mais ce sont les moments avec elle qui me font tenir le coup. Comme un roc. Comme une bouée de sauvetage. Parce que même si je suis épuisé le soir, son simple visage me fait changer les idées. Aujourd’hui, jour de repos, sans Tyler, sans Tessa, sans les coachs qui me mettent la pression, les autres contrats qui me demandent un rendez-vous. Juste moi. Mon lit. La maison tranquille. Lorsque la sonnerie retentit, mon épisode de Titans sur l’écran de la chambre, une bière la main, je peste littéralement. Je descends cependant assez rapidement, avant de voir Wyatt de l’autre côté. J’arque un sourcil, en lui ouvrant la porte : « Désolé de passer à l’improviste mais je dois te parler. » « Heu…oui. Va y entre » Il n’ajoute rien, rentre avant de passer dans le salon. Je ferme la porte un peu surpris, de son ton et de sa posture. Le connaissant, il est détendu. Mais pourquoi ? « Tessa est là ? »  La réponse est là. A-t-il trouvé quelque chose contre Jason ? Quelque chose qui l’implique elle ? Mon cœur bat déjà la chamade lorsque je réponds : « Non. Je suis seul » Je regarde le dossier qu’il a dans les mains et ne sait pas trop quoi en penser. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je viens de la trahir elle ? D’avoir fouillé dans son passé alors qu’elle me fait confiance ? Que je lui fais confiance ? S’il y avait quelque chose qui aurait pu m’aider, elle me l’aurait dit non ? Alors, pourquoi Wyatt affiche sa tête d’enterrement comme s’il était sur le point de m’annoncer une terrible nouvelle ? « T’as trouvé quelque chose » dis-je. Ce n’est pas une question, c’est une affirmation. Parce que tout m’indique à le croire.

« Heu…oui. Va y entre » Je n’ai pas attendu son feu vert pour le faire. Il a suffit qu’il se décale pour que je m’engouffre à l’intérieur, plus nerveux que jamais. Après tout, avec ce que je m’apprête à lui balancer je me vois difficilement agir autrement. « Non. Je suis seul » Bien. Parfait même ! Je ne voudrais surtout pas qu’elle nous surprenne durant la discussion qui va y avoir lieu. Pour le bien de Tommy et de n’importe quelle personne en fait. Je doute qu’elle apprécie que je sois sur le point de déterrer une chose qu’elle doit vouloir oublier. Mais maintenant que je sais, je sais qu’il a besoin de savoir aussi. Ça va lui faire mal mais il doit l’entendre. « T’as trouvé quelque chose » J’approuve d’un mouvement du chef et lève le dossier que j’ai dans la main sans pour autant le lui donner. « Je te donnerais ça qu’après coup parce que t’as besoin de l’entendre de vive voix, surtout pas de le lire. » Ce serait trop d’informations d’un coup, trop à encaisser. Assis sur le canapé, j’attends qu’il en fasse de même en cherchant de quelle manière commencer. Je doute qu’il y ait une bonne façon de le faire. « Elle t’a parlé du fait que Jason a subi des accusations d’abus sexuels quelques années après son départ ? » Merde, j’arrive pas savoir comment lâcher ça. Humectant mes lèvres, je recommence à taper nerveusement du pied. « Je sais pas si ça va t’aider, parce que t’auras besoin de son accord mais, merde, à ta place je voudrais le savoir. »

Je ne sais pas quoi penser en voyant Wyatt débarquer avec un tel sérieux. Mon cœur se serre sous l’emprise de la panique et de l’anxiété. Qu’importe ce qu’il va m’annoncer, je sais que la nouvelle ne va pas me plaire. « Je te donnerais ça qu’après coup parce que t’as besoin de l’entendre de vive voix, surtout pas de le lire. » Je sais que le passé de Tessa a toujours été sombre, et qu’il y’a des choses que je ne voudrais pas savoir. Ais-je franchis une limite ? Devrais-je lui dire de ne rien me dire ? En même temps, si c’est pour la protéger…nous protéger, ne devrais-je pas le savoir ? Je regarde Wyatt et le fameux dossier qu’il a dans la main s’asseoir alors que je reste incapable de le rejoindre. Je commence à faire les cent pas en lui faisant signe d’accoucher. « Elle t’a parlé du fait que Jason a subi des accusations d’abus sexuels quelques années après son départ ? » Je fronce les sourcils, en me remémorant cette grosse dispute qui nous a ramené directement au poste de police.  « Oui. Enfin, elle m’a juste dit qu’il avait tenté de la toucher » Enfin, c’est peut-être pas ça. Ou peut-être a-t-elle minimisé ? Oh…Aurait-elle minimisé les faits ? Non, impossible. « Je sais pas si ça va t’aider, parce que t’auras besoin de son accord mais, merde, à ta place je voudrais le savoir » Je passe une main dans mes cheveux avant de m’arrêter net et de regarder mon meilleur ami : « Quoi Wyatt ? Qu’est-ce que je devrais savoir ? » Je commence à m’énerver. Pas envers lui. Surtout plus rongé par l’anxiété parce que je refuse de voir la vérité en face.

« Oui. Enfin, elle m’a juste dit qu’il avait tenté de la toucher » J’évite la grimace autant que je le peux. Avec Tommy nous nous connaissons depuis le lycée, c’est bien assez d’années pour qu’il parvienne à décrypter mes mimiques en un rien de temps. Je l’angoisse déjà assez comme ça, je n’ai pas non plus envie qu’il me fasse un arrêt cardiaque. Cela dit, je sais que sa colère va exploser lorsque je vais lâcher la bombe. « Quoi Wyatt ? Qu’est-ce que je devrais savoir ? » Langue passée sur mes lèvres, je pose le dossier sur la table basse et me lève. Je sais, je le connais, il va falloir que je le contienne. « Il a pas tenté de la toucher, Tom. Il l’a fait. J’ai voulu me rassurer, j’ai recoupé avec son dossier médical lorsqu’elle est retournée à l’orphelinat … Il y avait des traces d’abus sexuels. » Je suis en train d’annoncer à mon meilleur ami que sa petite amie a été violée par celui qui était son beau-père alors qu’elle n’avait que douze ans et que personne ne s’en est inquiété à l’orphelinat. J’aimerais mieux me pendre que de lui mentir mais, putain, à sa place je sais que j’aurais une envie immédiate de meurtre.

« Il n’a pas tenté de la touché, tom. Il l’a fait... » Les paroles qu’enchaîne Wyatt passent en second plan, tandis que ma myocarde s’accélère. Mes oreilles bourdonnent avec des bruits agaçants, anxiogènes. Parce que je n’ai aucun doute : peu importe les preuves que Wyatt m’offrira, ou ce que le dossier pourrait contenir, je sais qu’il dit vrai. Je connais assez Jason pour savoir que ce mec est un pervers. Cependant, les paroles de Tessa apparaissent rapidement en mémoire : 12 ans. Elle n’avait que 12 ans. PUTAIN DE MERDE ! Cet enfoiré a osé la touché alors qu’elle n’était qu’une gamine ! Ça me donne envie de vomir. Mais ça me donne surtout envie d’aller lui exploser sa sale gueule de pédophile. Mes poids se referment presque intensément devant l’afflux de colère qui monte en flèche. Je ne remarque pas Wyatt qui s’est levé, ni qu’il attend ma réaction : elle ne tarde pas à venir de toute manière. Mes poids s’écrasent dans un fracas sur la table basse en verre que j’explose en mille morceau. Mon cri de rage fait trembler les murs : « PUTAIN L’ENFOIRE ! » Les bras puissants de Wyatt me font reculer pour tenter de me canaliser, mais il n’y a rien à faire. La douleur de mes mains légèrement coupées est loin comparée à ce que je ressens à l’intérieur. Lorsque j’essaye de m’extirper de Wyatt, il revient en force pour tenter de me calmer : « LÂCHE-MOI ! PUTAIN, LÂCHE-MOI !! J’VAIS LE TUER ! »

Ça va exploser. Tommy devient une bombe à retardement au moment où je lui dis les choses. Il doit assembler les pièces du puzzle, peut-être comprendre certains comportement que sa petite amie a pu avoir en présence du grand-père de Tyler ou pour toutes autres choses. Je ne vis pas dans leur intimité mais pour avoir vu trop de victimes d’un acte aussi cruel et immoral, je sais qu’elle doit tenter de cacher certains traumatismes depuis des années. Je sursaute en entend le fracas causé par le poing de Tommy sur la table basse qui se brise. « PUTAIN L’ENFOIRE ! » Ça y est, la rage l’emporte. Je m’empresse de faire barage de mon corps sachant pertinemment qu’autrement il ira chez son ex beau-père pour le tuer. Littéralement. « L CHE-MOI ! PUTAIN, L CHE-MOI !! J’VAIS LE TUER ! » Je le repousse un peu plus fermement. C’est une armoire à glace mais je suis plutôt imposant dans mon genre aussi et il n’est pas question que je le laisse faire la moindre connerie. « Arrête ! » Je lui ordonne en le plaquant contre le mur le plus proche. « Tom, ça ne t’apportera rien de le tuer ! Je comprends, vraiment, mais elle n’a pas besoin de te perdre ! » Il essaye encore de se dégager et je le recolle au mur avec fermeté. « Tessa a besoin de toi ! Tu sais qu’elle est plus fragile que ce qu’elle veut bien dire et tu sais que si tu fais cette connerie, elle s’en relèvera pas. Il va payer pour tout ça mais pense à elle putain ! » Il m’a dit d’en faire autant à l’époque où je merdais avec Cassie, je peux pas le laisser prendre le risque de jouer au con. Il est comme un frère pour moi et sa petite amie est la meilleure amie de la mienne, il ne peut pas risquer aussi gros pour un type qui n’en vaut pas la peine quitte à le frapper pour le calmer si je le dois.

« Arrête ! » Je peux pas. Putain, je peux pas laisser passer ça. Savoir que quelqu’un ait pu lui faire autant de mal me met hors de moi. Savoir qu’en plus il s’agit de mon ex-beau-père, et qu’en plus de cela, les faits remontent à quand elle était gamine ? Putain ! J’ai envie de tout bousiller. Je me débats alors que Wyatt me bloque contre le mur. « Tom, ça t’apportera rien de le tuer ! Je comprends, vraiment, mais elle n’a pas besoin de te perdre ! » Tout s’éclairci en moi : pourquoi elle ne voulait jamais parler de son passé. Elle m’en a énuméré la plupart, et j’avais pas chercher plus parce que ça faisait déjà…beaucoup. C’est encore pire maintenant que je sais. Quel con putain ! Comment j’ai fait pour la brusquer à vouloir m’en parler ? Je tente une nouvelle tentative de débat, mais Wyatt a sans doute plus d’expérience que moi pour immobiliser un homme. « Tessa a besoin de toi ! Tu sais qu’elle est plus fragile que ce qu’elle veut bien dire et tu sais que si tu fais cette connerie, elle s’en relèvera pas. Il va payer pour tout ça mais pense à elle putain ! » Je ne pense qu’à elle. A elle et à ce salopard ! Bloqué par les bras de Wyatt, il me regarde de ses grands yeux, prêt à dégainer encore plus si je continue à me défendre. Mais ses paroles ont touché quelque chose en moi. Quelque chose qui se fissure une seconde et qui finit par me faire craquer littéralement. Mes yeux n’ont pas été humides depuis très longtemps. La mort de Gary, je crois bien. Il y’a 9 ans. Ma résistance s’amoindrisse, je secoue la tête, en ne sachant pas comment réagir ce tsunami d’émotions. « Il l’a touché…merde. Il l’a… »

Je n’ai pas la moindre idée de la marche à suivre dans ce genre de situation. Enfin je le sais mais c’est totalement différent quand l’une des victimes par ricochet s’avère être mon meilleur ami. La seule certitude que j’ai est que je ne dois absolument pas le lâcher, il serait capable de partir en vendetta et il n’en est pas question. Ça me rend malade qu’un pervers comme ce type soit encore dehors, capable de toucher à une nouvelle gamine et que la justice n’ait rien fait pour le stopper, mais ça arrivera. Même si je dois pousser mes collègues à enquêter là-dessus et que ça doit être ma dernière action en tant que je flic, je le ferais. Pour Tommy et pour Tessa qui traîne ça depuis une dizaine d’années sans rien dire. Et c’est douloureux de le voir lui s’écrouler en apprenant ça. Je savais qu’il allait mal le vivre, comment réagir autrement après tout, mais le voir c’est difficile. « Il l’a touché…merde. Il l’a… » Mon emprise sur lui diminue à mesure qu’il se laisse abattre par la nouvelle. « Je sais. » J’ai envie de vomir en imaginant la pauvre gamine qu’elle était subir ça en pensant sans doute qu’elle le méritait. Est-ce qu’elle le croit encore aujourd’hui ? « Et je sais aussi que c’est impossible à digérer parce que tu l’aimes, que tu supportes pas l’idée qu’on ait pu lui faire ça, mais ce dont elle a le plus besoin c’est que tu sois là. » Dis-je en le relâchant enfin même si je crains de le voir s’écrouler par terre. « Tu peux ne pas lui en parler et je peux enterrer ça. Mais si tu veux mon avis, un jour tu le devras et il faudra qu’il paye parce que je suis persuadé qu’il ne s’est jamais arrêté. » Sauf que c’est à lui de décider de lui en parler et à Tessa d’accepter d’être témoin dans une potentielle affaire.

« Je sais. Et je sais aussi que c’est impossible à digérer parce que tu l’aimes, que tu supportes pas l’idée qu’on ait pu lui faire ça, mais ce dont elle a le plus besoin c’est que tu sois là. » Le simple fait de sentir quelques larmes perler sur mes joues me suffisent à montrer mon désespoir. Neuf ans sans larmes…et c’est la première chose qui me désarçonne autant. Non, pas le fait d’apprendre que la maladie de Meredith va bientôt l’emporter, ni même le fait d’apprendre que Tyler est sur la table d’opération et que je ne peux rien faire parce qu’il n’est pas mon fils. Non. C’est le fait d’apprendre que Tessa – la femme de ma vie, l’ange qui m’éclaire depuis tant d’années, ma raison de vivre, mon oxygène – ma confidente, mon amante, ma meilleure amie, mon amour ait pu subir des atrocités aussi jeune. Elle s’est toujours donné des airs de rebelles et de femmes courageuses alors qu’au fond, elle a juste été détruite par la vie. « Tu peux ne pas lui en parler et je peux enterrer ça. Mais si tu veux mon avis, un jour tu le devras et il faudra qu’il paye parce que je suis persuadé qu’il ne s’est jamais arrêté. » J’ai le cœur et l’estomac tellement serré que ça me donne envie de vomir à l’idée qu’il continue encore à abuser de gamines. Je tente de ravaler cette bille une seconde avant de secouer la tête : « Pas…pas maintenant. Elle est pas prête » La preuve elle ne m’en a pas parlé quand elle en a eu l’occasion. Sans doute parce qu’elle veut simplement oublier cette histoire. « Et je refuse d’utiliser Tessa pour me sauver la mise. » La faire passer avant mon propre bonheur, putain je pourrais crever en enfer et subir les hordes démoniaques de Lisa…tant que Tessa reste hors de tout ça.