Run ♦️ Eileen & Caleb

Notre rupture remontait à ce qu'il me semblait être une éternité, mais il était évident que certaines choses n'étaient pas encore complètement réglé entre nous. Cependant, autant de vie commune avec Eileen m'avait appris la manière qu'elle avait à chercher une dispute. « Je n'ai pas vraiment eu d'autres choix, de toute façon. » C'était typique de sa part et ce fut sans doute ce qui me permit de faire la part des choses et de me contenter de lui lancer un regard peu amène plutôt que de lui balancer quelques phrases que j'aurais sans doute regretté un peu plus tard. Je ne pouvais cependant pas nier que nos retrouvailles ne se passaient pas tout à fait comme je l'avais espéré. Mais j'avais sans doute été un peu naïf d'espérer des retrouvailles souriantes et détendues étant donné notre passif.

Cette histoire d'interrogatoire et de déposition terminés, nous avions retrouvé la fraîcheur agréable de la nuit. Et il était désormais temps de rentrer chez nous, sauf que je ne me voyais pas laisser Eileen rentrer seule après ce qu'elle avait vécu. Je ne lui laissais d'ailleurs pas tellement le choix de la raccompagner ou non, sachant qu'elle allait refuser si je lui en laissais la possibilité. « Tu n'as pas à faire ça, c'est gentil mais tu es peut-être attendu, le soleil va se lever. » Je levai machinalement les yeux en direction de l'est en l'entendant parler, pour voir si le ciel se mettait déjà à rougir. Il fallait bien avouer que les levers de soleil en Syrie étaient un peu plus resplendissant que ceux à New York, souvent voilà par la pollution lorsqu'on se trouvait dans la rue. Mais c'était définitivement la seule chose qui me manquait là-bas. C'était un peu le calme avant la tempête. « Calia sait que je vais bien, j'ai le temps de te raccompagner » répondis-je calmement. Calia, qu'elle connaissait bien. En six ans elle avait eu le temps de faire la connaissance de ma rêveuse et tête en l'air de soeur jumelle. Là où j'avais les pieds sur terre, elle avait définitivement la tête dans les nuages. « Et je crois que marcher me ferait du bien. » J'acquiesçai d'un signe de tête. « Alors je te suis » répondis-je calmement, les mains glissées dans mes poches.

C'était encore une fois étrange de se retrouver de cette manière, et je ne savais une nouvelle fois pas réellement quoi dire. Pour ma défense, je n'étais pas quelqu'un de très bavard. Plutôt observateur que dialogueur, dans la vie de tous les jours. Cela avait ses avantages comme ses inconvénients, même si cela me permettait de jauger assez rapidement les personnes en face de moi, j'aurais peut-être préféré savoir parler pour ne rien dire afin de combler ce silence malaisant qui naissait entre nous. « Tu habites loin de là? » fini-je donc par demander.

Ma soeur avait un petit côté rêveur et tête en l'air, mais elle avait également ce côté attachant et gentil, qui faisait que les gens se mettaient facilement à l'apprécier. Elle était douce comme un agneau, pas une once de méchanceté en elle. Sauf si on venait à s'en prendre à quelqu'un ou quelque chose qu'elle appréciait, peut-être. Dans ce cas-là, elle sortait les griffes. Mais donc, Calia avait eu le temps de faire la connaissance d'Eileen, et vice-versa. Sans compter que j'avais beaucoup parlé de l'une à l'autre et vice-versa. Calia était ma principale confidente à l'époque, et même maintenant d'ailleurs. Même si je retenais certes des informations concernant ce qu'il s'était passé en Syrie pour le moment. Il n'y avait qu'à Ciela, ma psy, qui avait le droit à tous mes détails. Et mes supérieurs étant donné que nous avions du faire un rapport, mais eux n'avaient pas forcément les détails de ma santé psychologique, secret médical oblige. « J'espère qu'elle va bien. » fit Eileen lorsque je mentionnai ma soeur jumelle. « Elle va bien. Fidèle à elle-même » répondis-je avec un léger sourire.

J'avais emboité le pas d'Eileen tranquillement, les mains dans les poches de mon jogging. On ne pouvait pas dire qu'il faisait froid, mais il ne faisait pas extrêmement chaud non plus. En tout cas, cette marche était agréable. Je questionnai Eileen, histoire de savoir où se trouvait son domicile. « A deux blocs, par là bas. » Je suivis du regard l'endroit qu'elle me désignait et acquiesçai d'un signe de tête. Même si je me promenais souvent dans les rues de New York, j'avoue que je n'avais pas encore totalement en tête tous les noms de rues. « Qu'est ce que tu fais à New-York ? » Je reportai mon attention sur elle quelques fractions de seconde, avant de regarder à nouveau devant moi. L'image de Jake, mon regretté meilleur ami, dansa devant mes yeux quelques secondes avant que je ne lui réponde. « Après ma mission en Syrie, j'ai reçu une promotion » répondis-je simplement. « Je navigue entre Washington et New York, mais puisque Calia s'est installée ici il y a quelques temps, j'ai décidé de la rejoindre. Mes parents se sont mis en tête de faire le tour du monde, maintenant que mon père est à la retraite » Je les enviais un peu, pour tout dire. Pouvoir voyager et profiter sans avoir à se poser trop de questions... Cela devait être agréable. « Et toi? » questionnai-je en retour.

C'est vrai que mon métier de militaire permettait que je ne m'ennuie pas. Et c'était ce dont j'avais besoin, j'aimais l'imprévu, l'action et le sport. Mais c'était aussi agréable d'avoir des endroits où je me sentais chez moi. Ce n'était pas forcément question d'un appartement ou d'une ville, c'était plutôt rapport des personnes avec qui je me trouvais. Calia était en quelques sortes mon point d'encrage. « C'est agréable de voir que certains ne changent pas. » Je souriais toujours alors que j'acquiesçai d'un signe de tête. Calia ne m'avait jamais vraiment parlé de ma rupture avec Eileen. Je devais bien avouer que la brunette était en quelque sorte devenu un sujet tabou, avec elle comme avec le reste de mes proches. Ils savaient que nous n'étions plus ensemble naturellement, mais je ne leur avais jamais donné les véritables raisons. Dans le fond, je partais du principe que cela ne regardait qu'elle et moi. C'était notre vie privée et par définition... Personne d'autre n'était concerné.

Je répondis aussi honnêtement que je pouvais à Eileen concernant les raisons de ma présence à New York. Une promotion, cela faisait toujours bien quand on la mentionnait dans un endroit mondain rempli de gens qui pétaient plus haut que leur cul. « Félicitations. » Je ne répondis rien d'autre qu'un léger grognement. L'amertume que je ressentais à l'évocation de cette promotion ne s'effaçait pas, malgré ce qu'on m'avait promis. J'avais eu une promotion? Certes, mais mon meilleur pote était décédé. La belle affaire. Je serais redevenu éplucheur de patates si cela avait pu le ramener à la vie. « Calia doit être la plus heureuse de t'avoir avec elle et tes parents ont raison de profiter, ton père a toujours tellement donné à l'armée. » Il est vrai que mon père avait très bonne réputation dans la base de Chicago, et même plus loin. Il avait énormément travaillé durant toute sa vie. « Honnêtement je ne pensais pas le voir prendre sa retraite un jour » répondis-je en levant les yeux au ciel. Inutile de lui faire un dessin, elle savait parfaitement que mon père était un accro du boulot. « Mais ça a l'air de lui plaire. Ils nous envoient des cartes postales toutes les semaines » Bon et ils nous appelaient plusieurs fois par semaine, mais apparemment ma mère tenait à nous écrire de cette manière. Le problème était qu'on commençait à manquer de place sur le frigo.

Mais Eileen se trouvait aussi à New York et je lui retournai la question puisqu'elle me l'avait posée. J'estimais donc être dans mon bon droit. « J'ai été détachée de l'armée enfin de la base du moins, et je suis arrivée ici, dans un nouveau service en lien avec le NCIS et les renseignements de la police. » J'avais été surpris d'apprendre qu'Eileen avait quitté Chicago en premier lieu, c'est vrai. Mais il y avait désormais une explication logique à cela. « Ca doit être très intéressant » répondis-je pensivement, essayant d'imaginer les tâches qu'elle avait à faire. « Ça change mais je ne regrette pas, j'adore New-York. » Je la regardai pensivement, alors que je continuais de marcher paisiblement. « Ah oui? » fis-je pensivement. « Je ne viens que d'arriver... Mais même si c'est agréable de pouvoir se faire livrer de la nourriture à 3h du matin, ça va quand même bien plus vite qu'à Chicago. Mais j'imagine que c'est une question de temps. » Et puis il ne fallait pas oublier non plus que j'avais un peu de mal à me refaire à mon train-train quotidien par rapport à ce que j'avais pu vivre en Syrie.

Mon père était un exemple à mes yeux. Toujours courageux tout en restant humain, il avait apporté beaucoup à la base de Chicago. J'imagine donc que certains de ses collègues avaient du un peu faire la tronche quand il a annoncé son intention de prendre sa retraite. D'autres étaient sûrement content d'avoir un peu l'occasion de briller à leur tour. C'était le cycle de la vie, en quelques sortes. « Je t'avoue que je ne le pensais pas capable de s'arrêter... Il était tellement passionné. Mais c'est bien, et je suis contente pour eux. » J'acquiesçai pensivement, l'esprit tourné vers mes parents. J'avais toujours entretenu une relation très bonne avec eux, même si j'avoue que je devrais les appeler plus souvent. Encore qu'ils avaient parfois du mal à capter quand ils se trouvaient à jouer les aventuriers. « Je crois que ça fait plaisir à ma mère d'avoir entièrement récupéré mon père » répondis-je avec un léger sourire. Mon père avait fait beaucoup de sacrifices dans sa vie, mais c'était également le cas de ma mère. Ne pas avoir son mari quotidiennement à la maison devait être quelque chose de particulier quand même. Surtout quand on se retrouve à avoir des jumeaux à élever.

Tout endroit avait ses avantages et ses inconvénients, alors je suppose que je finirai par me faire à ma nouvelle vie entre New York et Washington.
« Pour le faire souvent, je te confirme, c'est carrément plus rapide qu'à Chicago et le choix est plus large... Il n'y a que des avantages à New-York ! » Eileen semblait complètement fan de cette ville en tout cas, si je me posais la question jusqu'à maintenant, j'en avais désormais la réponse. Son enthousiasme m'arracha un sourire alors que je reportai mon attention sur elle. « Ton enthousiasme ferait sans doute plaisir aux dirigeants de la ville » fis-je remarquer sur un ton léger. « Je me ferai sûrement à la vie ici. Calia semble beaucoup aimer cet endroit aussi, il n'y a pas de raison » ajoutai-je plus sérieusement en haussant les épaules. Même si j'avoue que pour le moment j'avais une préférence pour Washington. Cela faisait un peu moins grande ville, c'était peut-être pour cela. « En parlant de temps, ce nouveau poste est définitif ? Je t'ai toujours connu en homme de terrain, ça ne va pas te manquer ? » La question était légitime étant donné mon passé et la manière que j'avais de fonctionner lorsque nous étions en contact elle et moi.

Elle ne savait rien de ce qu'il s'était passé là-bas. « Pour le moment » fini-je par répondre après quelques secondes d'hésitation. « Mais je t'avoue que l'action et le terrain commencent déjà à me manquer » Ce n'était pas un mensonge, pour le coup. Mes dirigeants le savaient et ils avaient promis avoir une solution au cas où ce nouveau travail deviendrait trop pesant. On verra bien ce qu'ils ont à me sortir de leur chapeau. J'espérais cependant qu'Eileen ne grillerait pas ma manière de passer légèrement à côté du sujet.

Mon père était un modèle pour beaucoup, mais il ne fallait pas oublier que derrière tout homme qui réussi, il y a forcément une femme. Que ce soit une compagne, une femme, une mère, une soeur, une grand-mère... Tout le monde avait besoin de quelqu'un pour le ou la soutenir. Mon père avait eu de la chance de tomber sur quelqu'un d'aussi compréhensif et patient que ma mère. Mais cela avait toujours été un deal implicite entre eux. Lui donnait ce qu'il avait à donner le temps de sa vie professionnelle et se consacrerait ensuite à ma mère et à sa vie de famille. Il avait tenu parole, n'avait apparemment jamais été chancelant dans ses faits et gestes. Pour cela aussi, il méritait le respect. Ce n'était pas toujours facile de garder le moral dans certaines situations, ni la tête froide. « On ne peut pas la blâmer, elle s'est pas mal sacrifié pour sa carrière. » J'acquiesçai d'un signe de tête aux mots d'Eileen, qui faisait un peu écho à mes propres pensées. Lorsque nous étions en couple elle et moi, nous avions la chance de pouvoir nous comprendre. J'étais son supérieur, je savais donc ce qu'elle faisait et ce qu'elle avait à faire. Pouvoir contrôler ainsi sa carrière et m'assurer de ne pas l'envoyer vers une mort certaine était agréable, mais sans doute légèrement malsain. Pourtant, j'aurais été face à un extrême cas de conscience à l'époque si j'avais du la désigner comme membre potentiel ou non pour une mission compliqué. Heureusement cela n'était jamais arrivé.

En tout cas, sa vie à New York semblait la combler. Je me demandais s'il y avait un homme là au milieu pour consolider son bonheur, mais je ne crois pas que ce soit le genre de questions à lui poser pour le moment. « Ce n'est pas pour rien que je postule à la mairie ! On se fait toujours à une nouvelle vie. » Hum. « Tu crois? » fis-je pensivement sans réellement m'en rendre compte, avant de me reprendre. « Enfin, sûrement. Pourtant autant qu'on l'ai choisi » ajoutai-je, histoire de préciser le fond de ma pensée. Mais cela venait peut-être de mon besoin quasi maladif d'avoir envie de tout contrôler. Sûrement.

Pourtant, mon comportement et mes réponses avaient sans doute fini par mettre la puce à l'oreille à Eileen étant donné sa question suivante. « Est ce que tout s'est passé normalement en Syrie ? » Que répondre à cela? Je ne savais pas trop, et je n'avais pas spécialement envie de lui mentir. Je n'avais jamais été doué pour cela. « La mission a été menée à bien » commençai-je par répondre, me donnant l'impression de parler à mon supérieur. Avant de soupirer légèrement et de hausser les épaules. « Mais officieusement, moins bien que cela. Comme tu t'en doutes, c'est secret défense, alors je n'ai pas le droit de t'en parler... » Pouvait-on sentir l'amertume dans ma voix? Certainement. C'était frustrant. Mais Eileen ne faisant plus parti de mon unité ou de la caserne, j'avais perdu l'autorisation de lui parler de tout cela. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui manquait. Je savais pertinemment au fond de moi qu'elle était la mieux placée pour me comprendre. « C'est assez étrange de se parler comme deux vieux collègues... » Elle avait raison, c'était vrai. On se retrouvait là à parler de nos vieux souvenirs comme deux potes de bureau qui se croisaient en allant prendre un verre dans le bistrot du coin. « Tu n'as jamais été une simple collègue » fis-je néanmoins remarquer. Dès les premières secondes où je l'avais vue, j'étais tombé sous son charme. Même si j'avais un peu lutté contre ça, à l'époque. Il était hors de question de perdre mon boulot, et on n'avait alors pas le droit de sortir ensemble. Et puis j'avais fini par céder à la tentation, comme le conseille ce bon vieux Oscar Wilde.