noé&solal - nothing's better than this

Il va vraiment regretter de m’avoir invité. Remarque, je préfère qu’il dise ça parce que j’arrête pas de l’emmerder avec cette histoire de billard plutôt qu’à cause d’autre chose. Mais à croire que je ne peux pas m’en empêcher. Parler billard me rappelle le bon vieux temps et… disons que dans le bon vieux temps, y a Noé et son incapacité à jouer correctement. « Tu crois pas que t’exagère un peu ? » lance Noé en ricanant. Je crois bien que oui. Surtout que mon choix de vocabulaire est intéressant, je ne l’ai pas réalisé tout de suite. Briser mon cœur. Oui, oui, même sans le vouloir, il l’a déjà fait.    « Bon peut-être légèrement… Mais je suis sûr que t’y as cru ! » ai-je répondu en prenant un air innocent. En parallèle, mon esprit m’envoie deux trois rappels de l’époque où j’avais vraiment le coeur brisé. Tellement brisé que j’avais l’impression que c’était vraiment le cas, qu’il s’était littéralement brisé. Difficile de bosser à la boutique Disney quand vous êtes dans cet été. Bref, pourquoi je pense à tout ça moi ? Ah oui, moi et mes choix de vocabulaire. Non, je veux profiter de cette soirée. La première que je partage avec Noé depuis… un bon moment. J’ai l’impression que ses collègues et moi allons encore devoir batailler longtemps pour qu’il accepte de faire une partie au billard mais il nous surprend tous en finissant par se décider. Une fois le choc de la surprise passé, nous nous levons tous les quatre. « Mais bien sur, t’en as d’autres des bêtises comme ça à raconter ?  » rétorque Noé quand je dis que si ça se trouve dans un heure ça sera le plus doué d’entre nous. Ses collègues rigolent, ce qui m’encouragent encore plus. « C’est moche d’avoir si peu confiance en soi. » ai-je fait avec un léger sourire sarcastique. Parce qu’à moins d’un miracle, ça m’étonnerait que le résultat final ça soit ça : Noé Pelletier, joueur professionnel de billard. Mais bon, c’est plus marrant de faire comme si. Après j’ignore lequel d’entre nous va essayer de lui apprendre, j’imagine qu’on va tous s’y mettre. Je devrais envoyer un message à son frère pour qu’il ramène son cul de ce côté de l’océan Atlantique tiens. Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les quatre autour du billard. Pendant un instant, j’observe les gens autour de nous qui sont en train de jouer sur les autres tables de billards avant que les collègues de Noé ne reprennent la parole. Un match France/USA. Du coup, je fais la remarque à celui qui a tout à l’heure dit à Noé qu’on pourrait lui apprendre à jouer qui veut manifestement, me refiler le rôle. « Faut savoir c’est pas toi qui disais que je serai bientôt le plus doué de nous tous et maintenant on dirait que je suis un boulet » fait remarquer Noé. Ses collègues s’empressent d’approuver. « Je crois que tu viens de te faire avoir. » Je lève les yeux au ciel avant de prendre une gorgée de bière. Ouais bon… S’ils veulent la jouer comme ça… j’ai aucune chance. « Rien n’empêche que vous donniez un coup de main, à moins que le “on peut t’apprendre si tu veux” soit des paroles en l’air... » ai-je fait avec un sourire en prenant une des des queues à disposition. Je demande ensuite à Noé si ça lui va, parce que c’est quand même le principal intéressé. « Je pense qu’il y a de fortes chances pour que tu échoues encore vu ta performance de la première fois » Mes yeux roulent à nouveau dans leur orbite. « Merci pour le vote de confiance. » ai-je répondu avec un sourire en coin. Après c’est vrai qu’on a essayé plusieurs fois et que ça n’a pas été concluant. En même temps, avec les gars c’était le bordel et en plus, c’était y a pas mal de temps. « Mais qui ne tente rien n’a rien, tu m’as bien appris des mouvements de boxe aujourd’hui donc qui sait » Mon sourire s’élargit un peu. « C’est pas faux. C’est ta journée apprentissage aujourd’hui on dirait. Je vais finir par te faire payer mes cours. » ai-je plaisanté. Ouais, non, je me prends pas au sérieux à ce point. Sur ce, nous commençons la partie. « Au pays hôte de commencer ! » ai-je lancé. L’un des deux s’empresse de casser le triangle de billes dans un grand bruit. Notre partie est officiellement lancée. Vu qu’une des billes pleines tombe dans une poche, les gars choisissent de jouer ces sept là, nous les laissant les billes à bande. Le deuxième collègue de Noé enchaîne mais contrairement à son camarade, n’arrive pas à faire entrer une bille pleine dans l’une des poches, ce qui veut dire que c’est à nous. « C’est le début de la fin. » ai-je dit pour les emmerder. « Aaah les français et leur arrogance légendaire. » Tout en me mettant en position, je ris. Je doute qu’on est une seule chance donc autant les titiller un peu, qui sait, ça peut jouer sur le mental. Ça me paraît peu probable mais sait-on jamais. Je me penche sur la table de billard et prends quelques secondes de plus pour être sûr de mon coup. La seconde d’après, la queue glisse doucement entre mes doigts et la bille blanche heurte une bille blanche et rouge qui, après avoir fait bouger d’autres billes, tombe dans l’une des poches à l’autre bout de la table. Un sourire apparaît sur mon visage alors que je me redresse. Les autres me lancent un regard amusé alors que leur attention se reporte sur Noé quand je lui donne la queue. Comme j’ai réussi à rentrer une bille, c’est à son tour. « Montre moi que t’as quand même réussi à retenir certains trucs, histoire de voir si on parlait dans le vide à l’époque. »

Vu que Noé a accepté de jouer au billard, je dirai que la soirée a officiellement commencé. Bon, si je lui disais la chose comme ça je ne suis pas sûr qu’il serait d’accord. Il aurait dû savoir que ça me tenterait trop de toute façon, venir ici sans faire une partie… Ca serait dommage. En tout cas même s’il n’a pas l’air très confiant, je me dis qu’on sait jamais. Cependant, Noé est sûrement le plus réaliste de nous deux… et je suis bien placé pour savoir de quoi il a l’air quand il joue au billard. Après ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu jouer, alors il a peut-être progressé, rien qu’un peu. Une fois le choc de voir Noé accepter aussi facilement, nous nous rendons à une table de billard libre et commençons à parler équipe. L’idée de faire la revanche du mondial féminin de cet été me tente bien mais ce qui me fait marrer, c’est qu’il y a encore quelques minutes, les deux autres disaient qu’ils allaient aider Noé s’il acceptait de venir faire une partie. Résultat, dès la première seconde, ils en profitent pour me refiler le rôle. Non pas que ça me dérange en soit, après tout je viens de passer un certain temps à apprendre les bases de la boxe à Noé cet après-midi. C’est juste que ça me fait marrer. En tout cas, Noé ne semble pas avoir beaucoup confiance en moi car il doute que je puisse faire mieux qu’il y a quelques années, quand son frère, les gars et moi avons essayé de lui apprendre. Je comprends qu’il n’ait pas trop confiance du coup, moi aussi j’étais là pendant ces premiers essais. Mais bon, autant essayer de rigoler un peu. « Voyons d’abord si tes cours portent leurs fruits tu veux bien  » dit-il quand j’émets l’idée de faire payer mes cours, vu que c’est le deuxième que je lui donne de la journée. « Tu peux déjà préparer ton argent ! » ai-je fait à moitié sérieux. C’est pas que je suis confiant mais autant essayer de partir en étant positif. Surtout que c’est sympa, ça rappelle des souvenirs et surtout, ça va me préparer à revoir les gars en août. Je pourrai dire à Ilyès que j’aurais réussi à faire jouer son frère au billard. Je préfère pas penser à ce que ça va donner, à moins que Noé se soit transformé en surdoué, mais on va bien voir. La partie commence avec les collègues de Noé. Heureusement, ils perdent rapidement la main, ce qui me permet de jouer ensuite. Je réussis à mettre une bille à nous dans une poche. J’ai du mal à me retenir de sourire. Faut bien que j’en profite parce que ça va sûrement se compliquer mais on a toujours une chance de gagner, j’en suis sûr. Je tends la queue à Noé. Alors que je lui dis de me montrer qu’il a quand même retenu des choses de l’époque, Noé regarde la disposition des billes avec un air qui me rassure pas trop. « Mettez vous pas derrière moi on sait jamais vous pourriez vous prendre un coup » dit-il en riant. La phrase de Noé nous fait rire alors qu’en effet, je m’écarte pour ne pas me prendre un coup de queue. Malgré son envie de détendre le truc, je sais qu’il est nerveux. Je sais pas si je m’en veux de l’avoir mis dans cette situation mais… En fait pas trop. Un de ses collègues lance un « tous aux abris » qui nous fait rire. Pauvre Noé. Entre les gars, ses collègues et moi, il va vraiment finir par détester le billard et être traumatisé. En tout cas, rien qu’en voyant la position qu’il prend avec la queue… Je constate qu’il n’a pas retenu grand-chose. La bille qu’il visait n’a toujours pas bougé après son coup. Il a manqué. Bien, au moins ça me fait revenir sur terre. « Bon je pense que t’as la réponse à ta question, je suis vraiment un cas désespéré » lance Noé avec un air dépité. Son expression me fait de la peine. Alors que je lui reprends la queue je pose une main sur son épaule et la serre légèrement pour le réconforter. « T’inquiète, le principal c’est qu’on passe tous un bon moment. Au prochain coup je te donnerai un coup de main… Faudrait pas que tu ressortes traumatisé par cette soirée. » Sauf qu’ensuite, les gars enchaînent deux billes et manquent la troisième de justesse. Il leur reste quatre billes et nous, toujours six. C’est donc à mon tour. J’hésite à prendre le risque de jouer deux fois pour les rattraper. Au final c’est ce que je fais : je prends le risque et il est payant. Deux de nos billes rejoignent les proches du billard. Sourire satisfait aux lèvres, je me redresse et lance aux collègues de Noé : « Le match est serré ! Les États-Unis sont accrochés par la France. » « Et voilà que Noé Pelletier s’avance pour la France... » lance l’un d’entre eux avec un air malicieux. La guerre est bel et bien déclarée. « Eh ! Le déconcentrez pas, il va y arriver. » ai-je dit sur un ton protecteur… que je refuse de suranalyser. Je donne la queue à Noé et lui fais signe de se mettre en position de tir, enfin… Ce qu’il pense être une position de tir. « Non... Pas comme ça ta main. » J’essaie de lui montrer comme ça, sur le billard en mettant mes mains et faisant comme si je tenais une queue imaginaire. Mais ce n’est pas pratique du tout, j’ai l’impression de mimer dans le vide et sans l’objet entre les doigts… C’est pas la même chose. Comme ce n’est pas facile de lui montrer en étant sur le côté, je viens me placer derrière lui pour… Non, je suis limite obligé de me coller à lui pour pouvoir manipuler mes bras comme il faut. « Essaie plutôt comme ça. Il y a différentes façons de tirer mais si tu mets tes doigts comme ça par rapport à la queue, c’est la position la plus facile. » ai-je expliqué à son oreille.
C’est à ce moment précis, alors que mon torse est pratiquement collé à son dos et que je viens de sortir cette phrase que je me rends compte que vouloir qu’il joue au billard était une grossière erreur.

J’aurais dû me douter que Noé et moi on finirait ensemble. Enfin dans la même équipe pour jouer au billard je veux dire. Bon après tout, je n’ai pas à me plaindre vu que j’ai bien insisté pour que Noé vienne jouer.Alors après tout, comme on a déjà passé la fin de l’après-midi ensemble, dans la salle où je fais de la boxe, pourquoi ne pas continuer sur notre lancée ? « Il est dans ma poche prêt à dépensé si vraiment ton cours en vaut la peine » répond Noé quand je lui lance qu’il peut déjà préparer son argent. Un léger sourire en coin étire le coin de mes lèvres et je prétends me frotter les mains. « C’te pression ! » Honnêtement, je comprends qu’il puisse douter de mes talents de professeur, surtout au niveau du billard. Ce n’est pas comme si on avait déjà essayer il y a quelques années. Je fais comme si j’avais toute confiance en mes capacités d’instructeur mais je prends pas le truc au sérieux. J’ai juste envie qu’on profite de cette soirée, notre première depuis très, très longtemps et je pense que c’est bien parti. C’est ce que je lui dis après qu’il ait râté son premier coup, que le but c’est de passer un bon moment, pas de le traumatiser à vie. Je l’ai laissé faire dans un premier temps parce que j’ai voulu voir s’il avait retenu quelques trucs mais je me rends compte que ce n’est pas vraiment ça. Alors je lui dis que je lui donnerai un coup de main quand ça sera à nouveau son tour. Il faut bien qu’on essaie de gagner quand même. Je ne suis pas du genre super compétitif au point d’être mauvais joueur et tout ça, mais bon. « Je compte sur toi c’était le pacte » dit-il. Je hoche la tête. C’est vrai qu’on peut dire que c’est un pacte. Un pacte pour qu’on s’en sorte le mieux possible face à ses collègues et un pactet Quand c’est à nouveau à notre équipe de jouer, je prends un risque pour revenir à égalité avec les gars. Je joue deux coups d’affilés et les deux billes rentrent dans une proch à chaque fois. Je suis un bon joueur mais je sais déjà que je ne vais pas pouvoir refaire ça ensuite parce que je ne suis pas bon à ce point là. Fier de mon coup, je donne la queue à Noé que ses collègues ne manquent pas d’emmerder. Ca me fait sourire mais je leur lance de le laisser tranquille pour se concentrer. Il a déjà été traumatisé par notre bande alors si on en rajoute une de plus… Il va vraiment haïr le billard. Noé essaie de se débrouiller comme il peut mais les mauvaises positions sont toujours là. J’essaie de lui indiquer le plus simplement possible tout en étant sur le côté mais même moi, je suis pas sûr de comprendre ce que je dis. Il galère à essayer de bien faire mais n’y arrive pas, alors naturellement, je viens me placer derrière lui pour corriger ses gestes. C’est là que ma connerie m’est renvoyée en pleine gueule. Je suis derrière Noé, pratiquement collé à lui, mes bras  sur les siens, comme si je voulais l’enlacer en fait. Putain. Ma mâchoire se crispe. J’essaie de forcer mon cerveau à se concentrer sur le billard, pas sur son corps tout près de moi ni sur la phrase que je viens de lui sortir où il est question de doigts, de queue et de position. J’essaie de faire le vide mais mon corps tout entier s’est crispé, comme s’il réagissait instinctivement à ces retrouvailles. Il y a un moment de flottement, un moment que je ne peux pas être le seul à avoir ressenti. Il a une copine, de quoi tu parles ? Rien, rien… Je parle de rien. « C’est bon là je peux tirer ? Avec quelle force ? » Sa voix me ramène sur terre. Je ne sais pas où j’étais parti mais loin, très loin, des années en arrière peut-être, quand je mourrais d’envie de le toucher et que je le pouvais. Son visage est vraiment trop proche du mien. Je me racle la gorge. « Ouais euh… Pas énormément je pense. Je te montre. » J’ai vraiment eu une idée de merde. J’ai pensé qu’on était suffisamment bien dans notre relation pour qu’on puisse faire ça mais… J’ai l’impression que tout me revient en pleine figure par vague. Mais je me force à réagir, à ne pas lui montrer mon trouble. Je ne veux pas qu’il se fasse des idées, je ne veux pas qu’on reparte à la case départ et pour ça, je dois mettre tout ce que je ressens de côté. C’est moi qui me suis foutu dans cette merde tout seul comme un grand, à moi de m’en sortir. J’essaie de montrer à Noé le geste exact pour qu’il puisse voir la force avec lequel il doit tirer… Enfin, à mon avis. Mes mains recouvrent un peu plus les siennes pour pouvoir mimer le mouvement qu’il doit faire avec la queue, pour qu’il ait une idée de la force qu’il doit mettre dans son geste. L’instant dure quelques secondes à peine mais ça suffit à mon cerveau pour faire un blocage sur son odeur. Quand on était ensemble, j’avais tendance à être obsédé par ça et je finissais régulièrement la tête nichée dans son cou. J’aimerais aussi pouvoir dire que l’image de la queue en train de glisser doucement entre nos doigts entremêlés ne m’a rien fait du tout, que des images pas très sages n’ont pas envahi mon cerveau, mais ça serait mentir. Je ne suis qu’un homme. Lui aussi, un homme qui a une copine. « Comme ça. » ai-je murmuré de la voix la plus neutre possible quand j’ai l’impression qu’il a capté le truc. « Je te laisse faire ou tu veux que je reste pour le faire avec toi ? » Je sais pas du tout quelle réponse je veux à cette question pour être honnête.

J’essaie de forcer mon cerveau à rester concentrer sur le billard et sur le fait qu’on soit en public. Je me demande de quoi on a l’air comme ça. J’ai l’impression que notre histoire est écrite sur nos fronts en mode Las Vegas, que tout le monde peut savoir. Mon idée de jouer au billard était en fait une très mauvaise idée. Ou alors, une très bonne idée... Haha, nope. Surtout pas ça, c’était pas une bonne idée. Mais comme j’étais supposé savoir qu’être aussi proche de lui me ferait encore autant d’effet ? J’essaie de lui donner des conseils comme je peux, mais une partie de mon cerveau refuse d’oublier les faits. Son dos est contre ma poitrine, mes bras entourent les siens et ma bouche est proche de son oreille. Mes mains sont pratiquement sur les siennes alors que j’essaie de lui montrer le mouvement qu’il doit faire avec la queue pour que la bille finisse à l’endroit voulu. Oooh c’est de ma faute, cette situation est totalement de ma faute. Le prie c’est que ma tête sait très bien qu’il a une copine et qu’on est séparés, mais visiblement, mon corps n’est pas au courant. Il apprécie un peu trop de retrouver celui de Noé et j’ai tout le mal du monde à ne pas me laisser totalement aller. Ma tête semble sur le point de craquer par moment. Je me dis que je devrais m’éloigner le plus rapidement possible, surtout une fois lui avoir montré la façon dont il doit tirer mais non… Je lui demande s’il veut que je le fasse avec lui. Parce que… parce que je n’ai pas envie que ça s’arrête. Ça doit faire des années que je ne me suis pas retrouvé aussi proche de lui et ça m’avait tellement, tellement manqué… « Je veux bien que tu m’aides à le faire » murmure Noé. Je déglutis, sachant très bien que c’est la répons que je voulais entendre mais que je redoutais en même temps. C’est dur de ne pas se faire d’idées, de ne pas s’imaginer des choses alors qu’il ne me demande pas de dégager, mais je me force à me dire que tout ça, c’est dans ma tête. Il a une copine. Je ne fais que hocher la tête et nos corps ne s’éloignent pas d’un millimètre. J’ai l’impression d’être enfermé dans une bulle avec lui, que ses potes et le reste du bar ont disparu. Mon esprit est en pause et je laisse mon corps prendre le dessus et nous tirons le prochain coup ensemble. Par miracle, la bille qu’on visait tombe dans un trou. La suite… comme mon cerveau a beaucoup de mal à se concentrer sur autre chose que la proximité de Noé, je vais avoir un peu de mal à l’expliquer. Nous restons un fraction de seconde dans la même position. C’est impossible que ça soit juste dans ma tête. Au moment où je me fais cette réflexion, il a le malheur de se tourner vers moi. Résultat, nous sommes toujours aussi proches mais cette fois, nos visages sont juste en face l’un de l’autre. La chaleur envahit tout mon corps et mon cerveau a rendu l’âme en voyant son visage si proche du mien. Le moment de flottement entre nous me semble si intense que je me demande comment les autres n’ont pas remarqué quelque chose. « On l’a fait » murmure Noé. Je jure que ses yeux descendent sur mes lèvres. Il veut me tuer. Naturellement, mon regard fait la même chose, attiré comme un aimant par cette bouche que j’ai bien connue à une époque. Ca paraît si naturel que ma tête a du mal à se rappeler pourquoi il ne faut pas faire ça. Pourquoi je ne dois surtout pas combler ce vide qu’il y a entre nos lèvres. Il a une copine. « T’es peut-être pas un cas désespéré en fait. » ai-je murmuré. Ce moment entre nous… Putain. C’est comme si on avait tout bloqué depuis des années, tout ce qu’on a pu ressentir l’un pour l’autre a été mis derrière un barrage depuis notre rupture. Théoriquement, tout ça aurait dû disparaître avec le temps. J’étais sûr que ça avait disparu avec le temps et en fait… J’ai l’impression que, ce soir, on a découvert que c’était le contraire. Tout est encore là. La réalisation me donne un coup au coeur. Arrête de regarder ses lèvres, merde. « France, on vous attend ! » Évidemment, les collègues de Noé nous ramènent sur terre, ils nous font sortir de notre bulle. Je fais un pas en arrière et me râcle la gorge. J’évite de reposer les yeux sur Noé parce que ce qui vient de se passer… c’est trop. Je regarde ses collègues à la place. Ils n’ont pas l’air suspicieux, comme s’ils n’avaient rien vu. Faut croire que ce qui m’a paru durer un long moment n’a duré qu’une fraction de secondes à leurs yeux. Pour le moment, je dois mettre un minimum de distance entre mon ex petit ami et moi. « Hâte de vous en prendre encore une ? Je comprends. » ai-je lancé pour essayer que mon corps tendu se relâche un peu. Je devrais pas dire ça. C’est encore à nous de jouer et comme je ne peux pas reproduire ce que je viens de faire avec Noé, je reprends la queue. Seulement, mon esprit est tellement en vrac que je sais avant même de tirer que je vais louper. Et c’est exactement ce qui se passe. Je loupe royalement mon coup, redonnant la main aux gars. « Tu disais ? » « J’attends de voir votre prochain coup, on verra si vous pouvez vous moquer. » ai-je rétorqué d’une voix qui se veut légère alors qu’en fait… Je crois que j’ai envie de cogner dans quelque chose. J’ai changé d’avis, je ne veux plus jouer au billard. Raide comme un poteau, je vais boire plusieurs gorgées de bière et me dis qu’il faut absolument que je garde une distance de sécurité entre Noé et moi jusqu’à la fin de la soirée.

Je me traite de tous les noms depuis que la scène a commencé. Je suis sûr que si j’avais réfléchi deux minutes, j’aurais vu ce qui allait arriver. C’est le problème justement : je n’ai pas réfléchi. Porté par cette nouvelle relation amicale qu’on a, lui et moi, je ne me suis pas posé de questions tout simplement… Après tout, on est potes maintenant… Non ?  Apparemment c’est plus compliqué que ça et je ne l’ai pas anticipé. Aucun de nous deux ne l’a anticipé. Voilà comment on se retrouve dans une telle situation. Je l’aide à réussir son coup et c’est limite un miracle. Ma tête est obnubilée par sa proximité que mon corps apprécie un peu trop à mon goût. Je me force à ne pas me laisser totalement aller parce que… parce qu’il ne faut surtout pas. Seulement c’est vraiment difficile de résister à tous ces sentiments qui reviennent comme une claque dans la gueule. Le pire, c’est que j’ai beau me dire de me calmer parce que tout est dans ma tête, la réaction de Noé n’est pas mieux. Cet instant qu’on passe face-à-face… J’en ai le souffle coupé. Ça fait quoi, cinq ans que nous ne sommes plus ensemble ? Plus de cinq ans ? Alors pourquoi, merde, mes yeux n’arrivent pas à quitter ses lèvres ? Et encore… l’embrasser est loin d’être la pire chose à laquelle j’ai pensé ces dernières minutes. Putain, c’était quoi tout ça ? Pendant ce moment suspendu, où on ne se quitte pas des yeux alors que nos visages sont beaucoup, beaucoup trop prêts l’un de l’autre, je réussis à dire quelques mots sur le fait qu’il n’est peut-être pas un cas désespéré. Ces mots ne sont que des murmures qui ne brisent en rien ce qui est en train de se passer. Mon cerveau est totalement bloqué et j’ai beau lutter, je ne pense qu’à l’embrasser… Mais, heureusement, les collègues de Noé nous ramènent sur terre. C’est brutal. J’ai l’impression que mon cerveau redémarre mais qu’il refuse de comprendre ce qui vient de se passer. On faisait quoi au juste ? Pas le temps Solal, pas le temps. Je me remets les idées en place en un temps record et lance le mode automatique pendant les prochaines minutes. Là tout d’un coup, je n’ai plus trop envie de jouer au billard. Ma tête repasse en boucle ce qui vient de se passer alors que je parle aux collègues de Noé et me prépare à faire un autre coup. Les mots sortent comme ça, pour essayer de masquer mon trouble et surtout, me faire revenir complètement sur terre. Avant même de me mettre en place, je sais que je vais louper mon coup. Mon corps a toujours l’impression que celui de Noé est là. Je pourrais jurer ressentir sa légère pression contre ma poitrine. Bien sûr, ce qui devait arriver arriva : je foire. Alors que la température de mon corps redescend progressivement, je fais ce que je peux pour être sûr que les collègues de Noé ne remarquent rien. « En attendant on a toujours une bille d’avance sur vous je vous rappelle » rétorque Noé quand on recommence à se chercher. Malheureusement, notre avantage ne dure pas longtemps. Ils en profitent pour rentrer une nouvelle bille et ça veut bien dire ce que ça veut dire. Entre temps, on ne s’est même pas regardés avec Noé, preuve qu’il y a bien quelque chose qui cloche. Je reste silencieux alors que les autres disent que c’est à son tour de jouer. Après avoir bu un peu de sa bière, il se met en position pour jouer. Je brûle d’envie de le rejoindre pour “l’aider” à nouveau mais reste figé sur le côté. Noé manque son coup. Non, aller l’aider n’aurait pas été raisonnable. « On peut pas avoir de la chance à tous les coups on dirait » finit-il par dire. Phrase qu’on peut appliquer à beaucoup de choses. On a eu de la chance quand on s’est vus au café, pour le jogging ou encore la séance à la salle de sport… On a eu de la chance de pouvoir être l’un avec l’autre en croyant vraiment pouvoir être amis, mais faut croire que là… Le facteur chance a disparu et ce qui reste… Ce qui reste n’est qu’un aperçu de ce qui vient de se passer. Ça, ce n’est franchement pas possible. « C’est votre excuse pour votre future défaite, France ? » lance celui qui se met en position pour jouer. Ce gars s’y croit un peu trop. « Joue, au lieu de parler. » ai-je fait en soupirant. Au moins, moi j’ai vraiment essayé d’aider Noé. Je l’ai pas poussé à jouer pour refiler la tâche à quelqu’un d’autre. Mais bon, vu ce que ça a provoqué… Au final, quand notre équipe récupère la main, il nous reste trois billes à faire rentrer alors qu’eux n’en ont plus qu’une. Je récupère la queue et… Je fais le con. Je fais le con parce que je veux en avoir le coeur net et parce que j’ai envie. Je vais pour chercher ma bière et Noé est sur mon chemin. Je ne fais pas d’efforts pour l’éviter. Je finis planté devant lui. « Pardon. » ai-je murmuré. Pendant deux ou trois secondes, nos visages sont à nouveau très proches l’un de l’autre et le vide entre nos corps ne demande qu’à être comblé. Non, ce qui se passe n’est pas que dans ma tête. La façon dont il me regarde… Le moment ne dure que quelques secondes, juste le temps de… Je sais pas trop ce que j’ai en tête en fait, mais j’en assume la responsabilité. Histoire de ne pas nous faire griller par ses collègues, j’arrive à ne pas m’attarder et finis par contourner Noé pour aller récupérer ma pinte de bière. J’ai le coeur qui bat à toute allure. Il y a toujours quelque chose entre lui et moi. Je sais pas ce que ça me fait ressentir. Après avoir terminé ma bière, je me mets en position pour jouer. Je réussis à faire rentrer une bille, ce qui est limite un miracle vu mon état psychologique mais évidemment, j’ai moins de réussite avec le deuxième coup. Ce qui nous laisse deux billes alors qu’eux, n’en ont plus qu’une. Je jette un coup d’oeil à Noé. « C’est la fin, France. » annonce celui qui va jouer.