noé&solal - nothing's better than this

J’essaie, dans un premier temps, d’évacuer de ma tête ce qui vient de se passer. C’est… trop. Ça ramène beaucoup trop de choses à la surface, des choses que je pensais avoir effacé depuis longtemps. Quand il a quitté la France, il a bien fallu faire avec. Il a fallu se faire à l’idée que oui, on venait bien de se séparer, oui, c’était bien arrivé. Seulement, rompre avec quelqu’un pour des raisons extérieures alors qu’il y a toujours des sentiments… c’est plus que compliqué à gérer. J’ai fait ce que j’ai pu pour tourner la page  et ce, le plus rapidement possible pour me protéger. Je me souviens à quel point c’était douloureux. C’est pour ça que je ne comprends pas ce moment qu’on a eu. Je pensais la page définitivement tournée. Y a pas moyen que je souffre à nouveau, que je me mette à ressentir à nouveau des choses pour lui alors qu’il a une copine. Non. Mon histoire avec Noé est terminée depuis des années, point à la ligne. Pourtant, la courbe de ses lèvres à nouveau imprimer au fer rouge dans ma mémoire et réchauffe à nouveau mon corps. Quelle putain de blague. Les minutes suivantes… on essaie de terminer la partie. L’idée de perdre cette partie ne me faisait déjà ni chaud ni froid mais alors là, j’en ai vraiment plus rien à faire. Je veux juste que ça se termine parce que là, on a l’air un peu con. Aucun de nous ne semble prêt à oublier ce qui vient de se passer. Parce qu’on est d’accord, ce n’est pas que moi ? Cette question me hante. Une part de moi a envie d’utiliser cette excuse pour m’assurer que… Je ne sais pas à quoi je pense. D’un côté, je me dis que ce n’est pas possible de retomber là-dedans et de l’autre… j’ai envie d’être sûr que je ne suis pas en train de me faire des idées. Et j’ai envie de revivre ça, rien qu’une seconde. Je ne devrais pas le faire mais je cède en allant jouer. Je vais pour aller boire ma bière avant de jouer et Noé est sur mon chemin. Je ne fais pas d’effort pour l’éviter ou le contourner dans un premier temps. Je sais que je ne devrais pas mais c’est plus fort que moi. La façon dont il me regarde… Impossible que ça ne soit que dans ma tête. Je fais en sorte que la scène ne dure pas longtemps, histoire que les collègues de Noé continuent de ne rien remarquer. C’est horriblement bon de retrouver cette proximité mais je me force à m’éloigner, il le faut. Je contourne Noé pour aller boire ma bière. Je n’arrête pas de me dire que ce n’est pas que dans ma tête et je ne sais pas ce que je ressens à ce propos. Ma concentration est fortement fragilisée et ça se voit encore une fois quand je joue : la première bille rentre mais pas la deuxième. Je me fais chambrer automatiquement. Ils n’ont plus qu’une bille à faire rentrer alors que nous en avons encore deux. « Tu te vantes beaucoup on dirait que tu es sur de toi » rétorque Noé. « Et après, on dit que ce sont les Français qui sont orgueilleux. » ai-je réussi à lâcher. Si on continue à ne pas se parler, on va finir par se faire griller quand même. Mais durant ces dernières minutes mon cerveau me paraît trop vide pour réussir à trouver quelque chose à dire. Bien sûr, le collègue de Noé réussit. La partie est finie. « Qu’est-ce que je disais » Je fais la moue. « Pas mal, on dirait que je n’étais pas le plus fort de nous tous finalement ce soir » lance Noé en faisant référence à ce que j’ai dit un peu plus tôt. J’esquisse un sourire pour essayer de me… dérider un peu. « J’ai fait tout ce que j’ai pu pourtant. » ai-je fait en exagérant un peu. Vu comment ça s’est passé quand j’ai essayé de l’aider… C’est un fait discutable. « Mais bravo, vous avez bien joué. » ai-je lancé pour féliciter ses collègues. Faut savoir être beau joueur. On continue d’échanger quelques mots. Noé ne me regarde toujours pas et à la longue, ça commence à me peser. J’aimerais lui dire qu’on va finir par se faire griller de cette façon aussi mais c’est compliqué avec les deux autres. Autant me remettre juste devant lui. Je vais prendre ma pinte vide pour ensuite, retourner au bar. « Il y a un problème ? » demande soudain un des collègues de Noé. Il nous regarde tous les deux. Merde. À deux secondes près, je serai déjà en route pour le bar et on aurait évité cette question. Heureusement, je suis doué pour ce genre de moment. « Pourquoi tu demandes ça ? Pourquoi il y aurait un problème ? » Je tourne mon regard vers Noé, justement pour montrer que je ne vois pas du tout pourquoi son collègue pose la question. « Je suis juste désespéré à l’idée qu’il ne puisse jamais jouer au billard correctement, si tu veux savoir. » ai-je lancé sur un ton dramatique exagéré dans l’espoir de changer de sujet.

L’image des lèvres Noé hante mon esprit. Je n’arrive pas à me la sortir de ma tête et les minutes qui nous mènent à la fin de la partie sont compliquées à gérer. J’arrive à donner le change et Noé aussi, mais je pense qu’on n’a tous les deux qu’une envie : tout arrêter, peut-être même quitter le bar, et si on y réfléchit, ça serait à moi de partir. Quand on y pense, est-ce que cette soirée peut continuer normalement si on reste tous les deux ici après ce qu’il vient de se passer ? Heureusement, notre partie se termine vite et comme attendu, on perd mais je m’en fous un peu. Au début, le petit match Etats-Unis/France me disait bien mais maintenant, je suis juste content qu’il soit terminé. Sans regarder Noé, je sais que lui aussi est soulagé. Bordel, quelle situation merdique. Avec ses collègues, nous échangeons quelques mots et à la fin, je les félicite d’avoir bien joué. « On a bien joué aussi mais vous avez été meilleurs » finit par dire Noé. Il me le dit sans me regarder. Vraiment une situation merdique. Je me pousse à le regarder vraiment en me disant qu’on joue à un jeu étrange qui n’est pas très discret. Je pourrai enchaîner en rajoutant quelque chose mais ma tête m’abandonner une nouvelle fois après m’avoir abandonné quand on était si proches tous les deux. Quoique… Elle ne m’a pas tant abandonné que ça, parce que si ça avait vraiment été le cas… Hum. En tout cas, j’aurais peut-être dû ajouter quelque chose car l’un des collègues demande s’il y a un problème. Comme si les choses ne pouvaient pas empirer. J’ignore comment mais j’ai la présence d’esprit de réagir vite et demande pourquoi il y aurait un problème. Je regarde même Noé en parlant et serre les dents quand je le vois avoir du mal à maintenir le contact visuel. Il n’aide pas vraiment. Je finis par sortir une vanne comme quoi je suis juste désespéré à l’idée qu’il ne sache jamais jouer au billard, ce qui a le mérite de le faire rire. « Vous l’auriez vu s’il y avait un problème et s’il s’était passé quelque chose » continue Noé. Je garde mon expression surprise et confuse, en mode je ne vois pas ce que vous voulez dire. Après tout, c’est vrai, il n’y a aucun problème. Il y a juste eu un moment de flottement mais à la fin, Noé est toujours en couple. Point à la ligne. « Enfin j’avoue que je commence à être un peu fatigué donc je vais pas tarder à rentrer » Je jette un nouveau coup d’oeil dans sa direction, le coeur gros en repensant que cette soirée avait bien commencé. Comme un con, je me sens coupable d’avoir insisté pour qu’on joue au billard. Les collègues de Noé semblent surpris, et moi aussi… un peu. « T’es sûr ? » Sous-entendu, s’il veut, je peux partir, c’est sa soirée après tout. Je ne veux pas qu’il ait l’impression qu’il faut qu’il quitte sa soirée parce que… Je ne sais pas quoi penser de tout ça. Si j’essaie de trop analyser, ça ne va pas le faire. Nous quittons le billard pour retourner près du bar. Je suis un peu perdu sur la marche à suivre, je dois avouer, mais je sais que l’idée qu’il parte à cause de moi ne me plaît pas et ce, à tous les niveaux. Je regarde l’heure sur mon portable. « Je ne vais pas tarder non plus. J’ai promis à ma coloc’ qu’on commencerait une nouvelle série Netflix ce soir. » Ce qui est vrai en plus. C’est peut-être la seule vérité qui est sortie de ma bouche ces cinq dernières minutes. Naleya a râlé quand je lui ai fait promettre de m’attendre pour qu’on la commence. Ou alors… ou alors peut-être que tu pourrais continuer de profiter de présence de Noé ce soir, faire comme si de rien n’était. Une part de moi à envie qu’on parte tous les deux et qu’on parle… L’autre a envie de y aller maintenant, tout de suite et tout seul parce que qui sait ce qui peut se passer si on part ensemble ? En tout cas, il préfère sûrement que je m’en aille alors… Après quelques minutes où nous nous remettons à échanger un peu tous, sur un coup de tête, je finis par annoncer mon départ et m’avancer pour saluer les collègues de Noé. Je ne montre rien sur mon visage mais la tension qui m’habite après tout ça est en train de me rendre dingue et il faut que je parte, peu importe si Noé m’accompagne ou pas.

Je n’ai pas voulu que cette soirée se termine ainsi, Noé et moi à deux doigts de partir en courant parce que… parce qu’on n’arrive pas vraiment à savoir clairement ce que signifie ce qui s’est passé plutôt autour de la table de billard. Je veux dire, on sait ce qu’il s’est passé mais je pense qu’aucun d’entre nous ne sait vraiment comment réagir. Cependant, l’idée qu’il puisse partir à cause de ça et avant moi, alors que c’est sa soirée et que se sont ses potes… Ouais c’est mon anniversaire mais ça n’a pas d’importance vu la situation. « Oui je suis sûr, on ressortira ensemble une prochaine fois les gars » dit-il au groupe. Je ne sais pas quoi penser. J’aimerais lui faire comprend qu’il n’a pas besoin de faire ça, que je peux m’en aller de mon côté s’il ne peut pas supporter d’être dans la même pièce que moi. Il peut à peine me regarder. Je suis perdu. Ce n’est pas un sentiment agréable mais je peux au moins faire ça pour lui, partir. Alors sans réfléchir, j’annonce que je vais y aller aussi. Le visage de Noé se décompose presque et sur le coup je m’en veux mais… Oh, on est ridicules. On n’arrive même plus à savoir comment réagir avec l’autre. « Une série Netflix c’est très important je comprends » lance simplement Noé. J’aimerais être dans sa tête à cet instant précis pour savoir ce qu’il pense. Mais j’ai du mal à ne pas entendre l’ironie dans sa phrase. « On a tous nos priorités. » ai-je répondu sur le même ton sans pouvoir m’en empêcher. Je suis pas sûre de comprendre ce qu’il se passe là, tout de suite, mais je suis pas sûr d’aimer ça. Quand je repense au fait qu’on avait réussi à être amis… Quand je le regarde, j’ai l’impression qu’on ne va jamais y arriver et une immense tristesse m’envahit. « Je sais pas ce que tu fais du coup mais je vais y aller moi » Voilà Solal, c’est ta dernière chance de pouvoir rester ici et de le laisser partir. C’est ce que je devrais faire mais… Je n’ai pas envie. Je n’ai pas envie de rester une seconde de plus avec ses collègues si lui n’est pas là. Je n’ai pas envie de le laisser partir tout seul après ce qui s’est passé et putain, je n’ai pas envie de me torturer l’esprit à comprendre ce qui s’est passé ! « Je te suis. » Je devrais pas dire ça, surtout avec un ton aussi calme. En vrai, je ne suis pas calme du tout mais j’ai la sensation que si je le laisse partir comme ça, on ne va plus jamais se parler et je resterai avec mes questions pour l’éternité. Alors on dit au revoir à ses collègues. J’ai l’impression que la tension vient de monter d’un cran entre nous et je me prépare mentalement à ce qu’on soit à nouveau tous les deux. Au milieu des gens dans la rue mais, tous les deux quand même. En sortant, je lui tiens la porte et le laisse passer le premier. En fait je suis en colère, contre moi, contre lui et et contre le monde entier de nous faire vivre une situation pareil. Nous voilà en train de marcher sur le trottoir. Bizarrement, ce moment me rappelle une autre marche pour rentrer chez soi après une soirée, même si la ville et le contexte était totalement différent, il venait de se passer quelque chose de perturbant entre nous. J'ai du mal à maîtriser ma voix. « Tu sais que t’avais pas à partir ? Même si on a parlé de fêter mon anniversaire, c’était ta soirée, c’était à moi de le faire... » Vu qu’on arrive même pas à se regarder vraiment quand on se parle, ai-je fait failli ajouter. J'arrête pas de me dire qu'il voulait tellement plus rester dans la même pièce que moi qu'il préférait partir de lui-même... et putain, je m'attendais pas à ce que ça fasse mal comme ça.

J'ai une horrible sensation au creux du ventre. La sensation qu'en quelques minutes à peine, on a ruiné tout ce qu'on avait réussi à faire ces derniers mois. Soudain, c'est comme s'il était redevenu mon ex, et seulement ça. Après avoir fait cinq pas en avant, j'ai l'impression qu'on vient d'en faire dix en arrière. Il y a comme une tension qui est apparue entre nous et je n'aime pas ça parce qu'elle ne ressemble pas à ce qu'on a pu connaître auparavant. Ce n'est pas la tension quand on se tournait autour avant d'être ensemble, ni celle qu'il pouvait y avoir pendant les quelques fois que l'on s'est croisés après notre rupture. Non, là c'est autre chose de plus profond et la situation est en train de nous glisser entre les doigts. Seulement on n'a pas vraiment pu contrôler ce qui s'est passer et nous voilà limite en train de nous disputer pour savoir lequel d'entre nous partira en premier. Au final, je ne sais pas si c'est parce que je n'ai pas réfléchi ou parce que j'espère qu'il va changer d'avis et se rendre compte que c'est ridicule qu'il part ou qu'il... merde, je sais plus comment cette phrase était supposée se terminer. Je ne sais pas ce que je fais exactement, mais je sais qu'on finit  par sortir ensemble du bar après avoir salué ses collègues. Dehors, j'ai l'impression d'avoir chaud et froid en même temps. J'ai chaud à cause du bar et du fait que je suis en colère contre toute cette situation. J'ai froid parce que cette nuit, il fait plus frais qu'hier et parce que j'ai l'impression qu'on est en train de faire une grosse connerie. Dans un premier temps, on marche en silence, l'un à côté de l'autre. Une foule de souvenirs m'assaillent. Ce qui s'est passé pendant qu'on jouait au billard a comme débloqué quelque chose. Ça m'a rappelé ce qu'on était alors que j'essayais de l'oublier depuis des années. Finalement, je décide de parler, même si ce n'est pas forcément une bonne idée. Il y a trop de tension entre nous pour que j'arrive à tenir. « J’avais envie de partir et de me retrouver seul » Sa réponse me coupe le souffle, comme un coup de poing dans le ventre. Parce que oui, je le prends de cette façon, de façon personnelle. Il pourrait très bien parler de ses collègues mais mon cerveau refuse de changer de point de vue. Alors je ne réponds rien, fais un très gros effort pour garder une expression normale et regarde droit devant moi. J'essaie d'ignorer le fait que ça fait vraiment très, très mal. Je sais que ça ne devrait pas faire mal comme ça, c'est bien la preuve que ce qui s'est passé tout à l'heure n'est pas rien mais bon... « Mais tu n’étais pas obligé de partir à cause de moi, j’avais déjà pris ma décision » continue-t-il. C'est un peu le bordel dans ma tête en fait, je ne sais plus quoi penser. J'ai envie qu'on parle de ce qui s'est passé mais en même temps... le déni c'est bien. « J'ai pas dit que je partais à cause de toi. J'ai vraiment parlé de regarder une nouvelle série Netflix avec ma coloc. Et puis tes collègues sont cools mais ça m'aurait fait bizarre de rester qu'avec eux. » Ce qui est vrai en soi. J'imagine que si je voulais vraiment le laisser partir pour être sûr de ne plus être dans la même pièce que lui, je serais resté au bar. Si je voulais vraiment le laisser partir... je frissonne quand cette phrase prend une toute autre tournure dans la tête. J'ai tellement envie de limiter la casse, d'être dans le déni, de sauver ce qu'il y a encore à sauver mais encore une fois, tout se mélange et je m'aperçois soudain, que je dois revenir sur mes pas si je veux aller retrouver mon arrêt de métro et rentrer chez moi. Je m'arrête brusquement et ouvre la bouche, puis, la referme. J'ai une drôle d'impression en le regardant. Mes yeux tombent sur ses lèvres pendant une fraction de secondes avant que je ne détourne le regard précipitamment. « Je dois faire demi-tour pour prendre le métro et rentrer. Je ne pense pas qu'on aille dans la même direction alors... » Je tente de sourire en essayant de me convaincre qu'on a peut-être pas tout gâché. J'ai la gorge sèche, les mots qui suivent ont du mal à sortir. « Rentre bien. À... plus tard. » Ça ressemble horriblement à ce que j'aurais pu dire il y a quelques années si Noé m'avait laissé partir ce fameux soir où j'ai failli tout foutre en l'air.