noé&solal - yeux disent le contraire

Seul dans la maison alors que tout le monde bosse ou... vit sa vie, je me prépare à aller courir. J'ai déjà enfilé mon survêtement noir et je troque mon haut de pyjama pour un de ceux que j'utilise pour faire du sport. Un sweat gris anthracite à capuche avec une matière assez fine car il le temps est doux. Légèrement moulant. J'insiste sur le légèrement. Je cours souvent avec ce haut là de toute façon donc... il n'y a rien de plus à dire. Le fait que je vais courir avec Noé ne change rien à ma routine habituelle. La tête ailleurs, je prends mes clefs et ferme la porte derrière moi. C'est vraiment une chance qu'ont ait réussi à planifier cette séance de jogging tous les deux. Bon je ne sais pas si la chance a quelque chose à voir avec ça, c'est juste que pour une fois, on a réussi à prendre le temps pour organiser le truc. L'un d'entre nous s'est lancé et voilà. Faut dire que maintenant, on est tous les deux dans la même ville pour de bon alors... peut-être que c'est le genre d'élément qui motive. Je me dis que si on n'arrive plus à se voir alors quelques stations de métro nous séparent... ça sera vraiment la fin. Mais heureusement, ce n'est pas le cas. Là, j'ai mes écouteurs dans les oreilles et je rejoins notre point de rendez-vous en métro. Je sais pas ce que je ressens à l'idée d'aller courir avec lui. Je suis content déjà, vraiment content qu'on passe du temps ensemble, mais... disons que je pense que c'est l'activité en question qui me rend un peu nostalgique. Ça ne concerne même pas que Noé, mes potes me manquent. Mais je n'ai pas le temps de trop penser à tout ça car le métro s'arrête déjà. J'ai hésité à lui proposer de se retrouver dans un parc en dehors de Brooklyn mais au final, on s'est décidés pour le parc McCarren. Du coup mon trajet n'est pas trop long. Quelques minutes plus tard, je ressors à l'air libre. Il est quinze heures, un peu près. On a prévu large pour être certains que lui et moi soyons bien réveillés. J'ai bossé cette nuit et je n'ai qu'une envie, réveiller mon corps après avoir dormi quelques heures. Je marche rapidement et me retrouver à l'entrée du parc, là où on a prévu de se retrouver. D'ailleurs, je l'aperçois.

Beaucoup de gens se disent sûrement qu’être ami avec son ex est impossible. Dans mon cas, la question ne s’était jamais vraiment posée avant le retour de Noé en ville. Rester ami avec Claire ? La question n’a jamais été évoquée vu la façon dont notre histoire s’est terminée et on a tout naturellement arrêté de se parler. Aujourd’hui, je ne suis plus en colère contre elle mais la vie nous a simplement séparés. Il n’y a aucun intérêt à ce que je lui reparle aujourd’hui. Quant au reste… je ne sais pas s’ils ont autant compté. Il est arrivé que mes ruptures passées se fassent parce qu’au bout d’un moment avec l’autre personne, on s’était rendus compte qu’on était plus amis qu’autre chose mais… par rapport à ce qui se passe maintenant, ça paraît différent. Je me sens très bien à l’idée de ne plus jamais reparler à certaines personnes avec qui j’ai été. Sauf que Noé… Disons que la situation est hors-catégorie. Je suis déterminé à faire en sorte que les choses fonctionnent, alors que ma détermination était beaucoup plus faible pour d’autres personnes. Alors que je suis sur le point d’entrer dans le parc McCarren, je suis confiant sur le fait que Noé et moi pouvons trouver un nouvel équilibre dans notre relation. C’est le petit-frère de mon meilleur ami et je le connais depuis toujours. S’il y a bien une personne avec qui je n’ai pas envie de laisser tomber, c’est lui. Justement, je passe l’entrée du parc et je le vois tout de suite. J’esquisse un sourire en me disant que, contrairement à la dernière fois, il est arrivé avant moi. Je fais quelques pas et enlève mes écouteurs en arrivant à sa hauteur. Nous échangeons les salutations habituelles tandis que je range mes écouteurs dans la poche de mon jogging. « J’espère que t’es en forme » lance Noé avec un sourire en coin que je connais bien. Je hausse un sourcil, ayant très bien capté sa petite provocation. « Si j’étais toi, je me ferais plutôt du souci pour moi-même. On sait très bien qui va finir à bout de souffle à la fin du parcours... » ai-je répondu avec un sourire insolent, pour rentrer dans son jeu. Honnêtement, je pourrai pas plus m’en foutre de savoir qui va finir premier ou en meilleur forme, ce n’est pas une course ou un concours. Quand on était ensemble et qu’on courrait tous les deux, on pouvait soit faire des séances tranquilles, soit on essayait de se pousser mutuellement à nous dépasser. Je jette un coup d’oeil autour de nous. Ce n’est pas la promenade près de chez ses parents où on allait régulièrement mais ce n’est pas ma non plus. Quelques coureurs, quelques promeneurs et quelques cyclistes mais rien de bien important vu l’heure et le temps agréable. Avant qu’on commence à courir, je commence à m’échauffer  un peu. Je fais rouler mes épaules et fait travailler mes chevilles. « Alors le verdict, pas trop tôt quinze heures pour se retrouver ? » ai-je demandé en faisant référence à notre conversation de la dernière fois au café.

En approchant de l'entrée du parc, je me dis que ça y est. En fait, Noé et moi on est en train de mettre en place les bases de notre nouvelle relation. On a commencé ça il y a quelque temps déjà, mais nos entrevues irrégulières n'étaient pas assez. Jusque-là, c'était compliqué de dire qu'on était devenus amis. On se voyait une fois par an autour d'un café et encore, c'était quand ça se passait bien. On n'a jamais vraiment pris le temps, y compris quand il revenait l'été à New-York, et que j'étais déjà ici. Mais quand je le vois en train de m'attendre à l'entrée, je me dis qu'on a lancé le truc et qu'on est capable de faire ça. On se salue brièvement avec des sourires et quelques mots. Et on commence déjà à se charrier un peu, comme si on était potes depuis toujours. « Je pensais qu’on commencerait par courir tranquillement ensemble mais si tu veux faire la course très bien » me répond Noé. Un sourire innocent apparaît automatiquement sur mon visage et je hausse les épaules. « Je sais pas, c'est toi qui a demandé si j'étais en forme après tout... Je croyais que tu voulais qu'on commence direct, mais si on y va tranquillement ça me va aussi. » D'accord, je me suis peut-être un peu emballé un peu, mais je le connais, son regard malicieux. Quand on courrait ensemble il y a quelques années, on faisait les deux. Des fois on dépassait nos limites, des fois on faisait ça tranquillement. Faire la course pourrait être drôle une autre fois. Nous commençons à nous échauffer tous les deux, tout en continuant de parler et je lui demande pour rigoler si quinze heures n'étaient pas trop tôt, sachant que c'est un lève-tard. « Et bien figure toi que non, j’ai même pas eu besoin de mettre un réveil » J'esquisse un sourire amusé en entendant sa réponse et je le laisse poursuivre. « Et pour toi c’était pas trop dur ? » Je hausse à nouveau les épaules tout en continuant de m'échauffer. « Non ça va. Vu que je suis venu après avoir dormi mon corps a peut-être encore besoin de se réveiller... Donc en effet, c'est peut-être mieux qu'on fasse pas la course. » Nous continuons l'échauffement encore quelque temps de faon sérieuse. Puis, je finis par lui lancer : « On y va ? » ai-je demandé en commençant à faire quelques petites foulées. C'est dingue comme j'ai l'impression de revenir quelques années en arrière à nous voir en train de courir tous les deux. La dernière fois qu'on a fait ça tous les deux, on était encore un couple. C'est dingue de se dire ça. Les choses changent.

Je pense que je pourrai rapidement m'habituer à cette nouvelle relation entre nous. On se démerde pas trop mal pour des ex qui n'ont pas habité dans la même ville depuis très longtemps. Donc ouais, je pense qu'on va s'en sortir, qu'on va réussir à rester dans la vie de l'autre grâce à des moments tout simple comme ça. C'est cool, vraiment. « On doit être un peu rouillé depuis le temps vaut mieux commencer lentement » répond Noé quand la question est de savoir si on y va tranquillement ou pas. Quand on était en couple et qu'on courrait ensemble, on essayait souvent de se pousser mutuellement mais les jogging tranquilles, ça nous connaît aussi. En tout cas, je hoche la tête, étant d'accord avec lui. Pendant ce temps, on s'échauffe, réflexe à ne pas perdre, peu importe si on court seul ou avec d'autres personnes. Je mentionne la discussion qu'on a eu il y a quelque temps au café, concernant les horaires où on se retrouve. Je lui confirme que c'est peut-être mieux qu'on y aille tranquille sachant que je viens de me réveiller. « Tu te cherches des excuses pour quand tu seras à bout de souffle on dirait » rétorque Noé. Je hausse un sourcil, un peu en mode "tu veux vraiment qu'on reparte là-dessus ?" « Méfie-toi Pelletier, parce que c'est toi qui va vraiment finir à bout de souffle. » ai-je répondu, amusé. C'est après que mon cerveau me fait réaliser qu'il pourrait y avoir un sous-entendu dans ma phrase. Il n'y a pas que le sport qui peut faire perdre son souffle à quelqu'un. Pour me le rappeler, mon cerveau me balance le visage de Noé qui se laisse tomber à côté de moi dans le lit. Je m'empresse de chasser cette image de ma tête. Du coup on s'est pas mal échauffés et je lui propose d'y aller. « Je suis prêt » Je souris. On se met en route en petites foulées dans un silence complet au départ, le temps de trouver de notre rythme. Le temps de retrouver nos réflexes d'avant. La scène dure quelques minutes et je suis surpris de voir que malgré tout que c'est comme si rien n'avait changé. « Tu cours souvent ? » demande soudain Noé. On croise quelques personnes, y compris d'autres coureurs, mais dans l'ensemble c'est plutôt calme. « Régulièrement, oui. Je fais surtout ça et de la boxe, un peu de muscu aussi. Faut que je puisse maîtriser les clients compliqués tu comprends. Et toi ? Tu cours toujours ? Ou tu fais d'autres trucs ? » Je fais en sorte de maîtriser ma respiration en parlant. Ça me fait vraiment bizarre de me retrouver à courir avec Noé. J'ai l'impression que c'était à la fois il y a trois siècles et hier. « Après avoir couru, faudra qu'on se prenne en photo tous les deux et qu'on envoie ça à ton frère, en souvenir du bon vieux temps. » ai-je fait continué en me souvenant de l'époque om on allait aussi courir tous ensemble.

Parfois, les mots sortent sans qu'on ne se rende compte de ce qu'ils peuvent vouloir dire. Quand je me rends compte de ce à quoi me fait penser ma phrase, j'ai l'impression qu'on m'a jeté un sceau d'eau. C'est encore pire quand je me dis que si j'y ai pensé, ça peut être aussi son cas. Ou pas, après tout, y a peut-être que moi qui la cerveau encore un peu branché dans le passé vu que lui a une copine. « On verra bien » Honnêtement, je suis pas télépathe et je peux pas dire s'il a pensé à la même chose que moi. En fait, je veux pas vraiment savoir s'il y a pensé. C'est pas important. Le truc important, c'est qu'on essaie de retravailler notre relation et qu'on redevienne amis. De toute façon, c'est pas comme si j'avais voulu dire quoique ce soit en prononçant ces mots. Peu importe. Je n'y pense plus et tout va bien. Avec Noé, on s'échauffe encore un peu et après quelques minutes, nous nous élançons dans les allées du parc. Les secondes passent tranquillement et on prend notre rythme. Noé brise le silence en premier quand il me demande ce que je fais comme sports. Je lui réponds « Pas étonnant que tu ais pas beaucoup de temps pour ta vie sociale entre ton travail et le sport. Mais sinon oui je cours toujours et je vais faire de la muscu à la salle aussi » J'esquisse un sourire et lui jette un regard. « Hé ! Ça va être de ma faute maintenant si on a autant galéré pour se voir ! » ai-je plaisanté en faisant mine d'être choqué. Pour ce qu'il me répond ensuite, je ne fais que hocher la tête. Je sais que c'est un sportif aussi, même si on n'a pas les mêmes routines. Après tout, il doit garder la ligne en tant que mannequin. « Ça fait longtemps que je suis pas allé à la salle. » ai-je tout de même dit, pensif. La plupart du temps, je m'arrange pour devoir payer le moins possible et je préfère aller à la salle de boxe qu'à la salle de sport. Par la suite, je fais remarquer à Noé qu'il faudrait qu'on prenne une photo ensemble et qu'on l'envoie à son frère pour lui montrer qu'enfin, on a réussi à se voir pour un jogging. « Je suis sur qu’il serait capable de se plaindre parce qu’on court sans lui » Nouveau sourire de ma part en pensant à mon meilleur ami. « Ouais t'a raison, Tom... il nous harcèlerait dès qu'il aura la photo. » Le sang quitte mon visage dès que j'ai refermé la bouche. Malgré tout, mon corps continue à courir. Je déglutis et regarde droit devant. « Euuh... » Putain. Pu-tain. J'en reviens pas d'avoir laissé sortir l'ancien surnom que j'avais pour lui. C'est sorti tout seul, comme si les années depuis notre rupture n'avaient pas existé. C'est horriblement gênant. Et mon cerveau choisit la solution de facilité. « De toute façon, il y a quand même un océan entre nous sépare donc je pense qu'on est tranquilles... » J'ose même pas le regarder. Je suis totalement dans le déni en fait. Je tente de me convaincre qu'il n'a rien entendu alors que je sais très bien que oui. Du coup j'ai dit le truc le plus pourri du monde parce que c'est le premier truc qui a traversé mon cerveau vide. Je sais pas si ça un rapport avec le flash back que j'ai eu tout à l'heure, ou qu'on était en train de parler de son frère ou qu'on est en train de courir ensemble comme avant mais... faut que je le répète encore une fois : putain.