noor&solal - ferme les stores, on va retarder demain

Quand le devoir appelle, il est impossible de faire la sourde oreille. Noor et moi avons une tradition qui consiste à être présent quand l'autre passe une journée de merde. Elle m'a appelé aujourd'hui pour me demander si on pouvait se voir parce que justement, sa journée avait été à chier. Impossible de refuser. Cela arrive de temps en temps que l'un d'entre nous ne puisse pas être présent parce qu'on a autre chose de prévu mais dans l'ensemble, on essaie réellement d'être présent pour l'autre et de respecter cette tradition. Alors que la soirée se termine et que j'ai le bonheur de me dire que je ne bosse pas cette nuit, je me prépare à aller chez Noor pour lui tenir compagnie. Après quelques minutes, je sors de la maison et me mets en route. De ce que j'ai compris, il n'y a rien de trop grave du côté de Noor mais je préfère attendre qu'elle me parle pour être sûr. Quand je repense à la façon dont on s'est rencontrées avec Noor, j'ai l'impression que ça fait un siècle. Je la revois évoluer sur la scène de ce club de strip-tease et je me revois la raccompagner chez elle. Les clubs de strip, j'en ai déjà fréquenté mais ça fait un moment que je n'y suis pas allé. Noor, je la considère comme ma petite soeur donc la voir performer n'est pas ma passion. Du coup, après le trajet jusqu'à chez elle, je me retrouve à frapper à sa porte avec deux pots de Ben & Jerry's dans mon sac, en prévision.

Heureusement avec Noor, on n'attend pas d'avoir une mauvaise journée pour se voir. Cette tradition est juste le petit plus de notre relation, une bonne excuse pour se voir plus souvent. Entretenir une amitié n'est pas la chose la plus évidente au monde quand on est adultes et certaines choses peuvent aider, comme le fait de penser à une personne quand la journée se passe mal et l'appeler. C'est ce qu'on fait avec Noor, on est présents quand l'autre en éprouve le besoin. Du moins, on fait ce qu'on peut pour l'être. Il est parfois arrivé que l'un ne soit pas disponible après que l'autre ait appelé mais ça reste rare si je me souviens bien. En général, on fait un maximum pour se libérer. Noor, je la considère comme ma petite-soeur alors c'est important pour moi de la voir quand je sais que ça ne va pas. C'est pour cette raison que je me retrouve devant sa porte après le trajet jusqu'à chez elle et attends patiemment qu'elle vienne m'ouvrir. Je n'attends pas longtemps avant de la voir apparaître sur le seuil de la porte d'entrée. En la voyant, je souris instinctivement alors qu'elle fait de même. « Suffit de te voir et ma journée va déjà mieux. » dit-elle après s'être blottie dans mes bras. Mon sourire s'agrandit un peu plus en l'entendant alors que je réponds à son étreinte. Pendant une seconde ou deux, je prends le temps d'apprécier le fait qu'on soit devenus si proches. « Si seulement les gens pouvaient tous m'accueillir comme toi quand j'arrive quelque part. » ai-je fait en soupirant de façon exagérée. C'est sûr que ma vie serait mieux mais peut-être que je deviendrai blasé à force. Puis elle s'écarte de moi pour me laisser entrer. « Toi ça a été aujourd’hui ? » demande Noor. Je hausse les épaules et esquisse un léger sourire.« Rien à signaler. En plus je travaille pas cette nuit donc c'est encore mieux. Je suis tout à toi pour la soirée du coup. » ai-je répondu. Avant que je n'oublie, je sors de mon sac les deux pots de glace que j'ai amené. « J'ai ramené du renfort. Je les mets au congélo le temps que tu me racontes ou... tu vas me frapper pour oser la question ? » ai-je plaisanté en sous-entendant qu'elle pourrait ne pas vouloir attendre pour les manger.

« Je suis pas vraiment d’accord avec ça moi, je veux garder ce privilège. » répond Noor quand je lui dis que j'aimerais bien être accueilli comme ça à chaque fois. Je souris, amusé par sa réplique. Quand je nous regarde aujourd'hui et que je me souviens la façon dont on s'est rencontrés... j'ai l'impression que ça date d'une autre époque. Elle est devenue vraiment importante à mes yeux. « Alors d'accord, mais c'est bien parce que c'est toi. » ai-je lancé avec un large sourire. Je suis pas spécialement tactile avec les gens d'une façon générale. C'est une des premières choses que j'ai remarqué en arrivant dans ce pays, les gens ont plus tendance à être tactile qu'en France. Après c'est une observation très générale évidemment, ça ne veut pas dire que tout le monde aux États-Unis est prêt à faire des câlins à tout le monde. De toute façon, câlin ou pas, ça ne changerait rien à ma relation avec Noor. « Je vais pouvoir te faire suer toute la soirée, ça me réjouit encore plus. » ajoute-t-elle quand je lui dis que je ne bosse pas cette nuit. Il est déjà arrivé que je doive aller bosser un soir où on honorait notre petite tradition. Pas très marrant mais inévitable hélas. Je hausse un sourcil. « Te sens pas obligée, je t'assure. Rappelle-toi que je pourrai t'enfermer dans la salle de bain avec une seule main et boire une bière avec l'autre. » ai-je dit aussi pour plaisanter. J'exagère peut-être un peu mais j'aime bien l'idée. Après on est plutôt du genre calme pendant ce type de soirée, je vois pas comment ça pourrait terminer avec Noor enfermée dans la salle de bain. En tout cas, je finis par sortir les pots de glace que j'ai amené et ses yeux s'allument automatiquement. « Donne-moi ça tout de suite, avant que je te saute dessus pour te les arracher des mains. » Je ris légèrement en la voyant tirer la langue et lui donne un des pots alors qu'elle tend la main. « Wow, décidément je vais passer une bonne soirée moi. » ai-je ri en faisant aussi référence à sa précédente remarque. Non pas que sa réaction me surprenne de toute façon. Sur ce, je finis de déposer mes affaires dans l'entrée et nous nous dirigeons vers le salon. Noor m'indique de faire comme si j'étais à la maison, ce que je fais parce que j'ai arrêté de compter le nombre de fois où je suis venu ici. Je m'installe sur le canapé, pose mon pot de glace sur la table basse et tourne la tête vers elle quand elle me demande : « Tu veux boire quelque chose ? » Je hoche la tête. « Je veux bien une bière s'il te plaît. Tu pourras prendre des cuillères pour les glaces ? » ai-je demandé en sachant très bien que c'est tellement évident qu'elle allait sûrement le faire. « Du coup comme c'est toi qui a la priorité ce soir, tu veux regarder quoi ? »

« Oh, je suis flattée alors. » Je lève à moitié les yeux au ciel parce qu’elle sait très bien tout ça. C’est difficile de se retenir de sourire quand on a des échanges comme ça. Des fois, je me demande comment on a fait pour devenir aussi proches, comment on a fait pour se sentir tellement en confiance en la présence de l’autre. Je le considère vraiment comme la petite sœur que je n’ai jamais eue et si je suis là aujourd’hui, c’est pour remplir mon devoir officiel de lui remonter le moral et de jouer les gros bras si elle a un problème avec quelqu’un. Elle me fait admirer ses biceps pour me faire comprendre qu’il ne sera pas facile pour moi de l’enfermer dans la salle de bain si elle m’embête trop. « Tu sous-estimes ma force titanesque. » Je hausse un sourcil. « Je crois que toi et moi on a pas la même définition du mot titanesque ? » ai-je répondu amusé. Je sais qu’elle fait pas mal de sport pour son boulot mais bon. Et puis même, de toute façon je dis ça juste pour la taquiner. En plus, je ne prévois d’enfermer personne dans la salle de bain, mais je ne vais pas lui dire ça pour le moment. Quand je sors les pots de glace, elle saute pratiquement dessus et je lui dis qu’avec toutes ces menaces, je vais vraiment passer une bonne soirée. « Quand j’aurai mangé je me radoucirai. Presque l’inverse d’un gremlins. » reprend Noor. J’ai du mal à me retenir de rire et essaie de hocher la tête très sérieusement. « J’avais oublié ce détail. C’est vrai que t’as la même tête qu’un gremlins. » Qu’est-ce que je vous disais à propos du fait que je la considère comme ma petite sœur de coeur ? Suite à ça, je vais vers le canapé alors qu’elle me demande si je veux boire quelque chose. « Quoi ? Tu manges pas ta glace avec les doigts ? » rétorque Noor de la cuisine quand je lui demande si elle peut ramener des cuillères. Je plisse les yeux en la regardant. C’est évident qu’elle se fout de moi pour avoir osé poser la question. En même temps je le mérite. « Non, je suis pas un gremlins comme toi. » ai-je fait en lui faisant mon plus beau sourire. Sur ce, après avoir pris tout ce qu’il fallait, elle vient s’installer à côté de moi sur le canapé. Je prends la bouteille et la cuillère qu’elle me tend tout en lui demandant ce qu’elle veut regarder. « Humm, j’ai pas envie d’un truc drôle ou triste. Plutôt un thriller, un truc avec du suspens, angoissant. Ça te va ? » « Ça me paraît être un bon programme. » Je prends la télécommande et tout en allant sur Netflix, je jette un coup d’oeil dans sa direction. « T’as envie de me raconter ta journée ou pas du tout ? »

Quand je débarque chez Noor pour notre tradition, je ne suis pas forcément inquiet. En tout cas par rapport à notre début de relation, ça n’a rien à voir. La majorité du temps, quand on se retrouve pour cette occasion, c’est que l’autre a passé une mauvaise journée. Bon, c’est vrai que des fois les raisons de cette mauvaise journée donne à l’autre des envies de meurtre. Il m’est arrivé plusieurs fois de demander si je devais frapper quelqu’un, bien évidemment. Mais dans l’ensemble, ce sont les affres classiques de la vie quotidienne qui nous pourrissent la tête régulièrement. Bien évidemment on n’attend pas forcément que ça n’aille pas pour se voir mais cette routine qu’on a mis en place est très importante et on essaie toujours, l’un comme l’autre, d’être dispo. En tout cas, s’il y avait une once d’inquiétude, elle a rapidement disparu et Noor et moi nous retrouvons à nous taquiner, ce qui est plutôt naturel pour nous. « Bon ok, je capitule. Heureusement que je sais que t’as pas l’intention de le faire. » rétorque-t-elle quand on se met à comparer sa force physique et la mienne. Un grand sourire apparaît sur mon visage. « Absolument. Bon, si j’étais toi je surveillerai quand même mes arrières. » ai-je fait avec un air malicieux. Mais évidemment, elle a raison. Je ne vais pas m’amuser à l’enfermer dans la salle de bain alors qu’on doit passer la soirée ensemble. Ou alors si je le fais ça sera pour faire la blague pendant deux minutes mais bon… Non. Nous avons ensuite un échange très intéressant sur les gremlins et la fait que quand on y regarde bien, Noor leur ressemble un peu. Elle me donne un coup dans l’épaule quand je lui fais la remarque, ce qui ne fait que m’amuser encore plus. Après quelques mots, nous nous retrouvons tous les deux sur le canapé avec tout ce qu’il nous faut. J’ai la télécommande en main et la bière dans l’autre, la glace et la cuillère son sur la table devant moi. Je navigue sur Netflix avec les indications de Noor en tête sur ce le genre qu’elle voudrait voir. Après tout, c’est normal qu’elle ait la priorité. J’avale une gorgée de bière et je finis par lui demander si elle a envie de parler de sa journée. Ces moments entre nous ne sont pas faits pour se forcer à se parler. Si elle n’a pas envie de me répondre tout de suite, je n’insisterai pas, mais c’est plutôt rare que l’un d’entre nous refuse de parler. « J’ai eu ma mère au téléphone. Ça m’a déjà mis un petit coup au moral de lui parler, mais il a fallu que mon père m’appelle pas longtemps après. A croire qu’il a un sixième sens pour sentir les moments où il va vraiment m’énerver. Comme d’habitude il était désagréable et en plus il a découvert que je travaille toujours à la laverie. J’ai eu droit à tout un speech et j’ai fini par lui raccrocher au nez. » Je l’écoute patiemment même si mes yeux son rivés sur l’écran et que j’échange ma bouteille contre la glace. Ah, les parents. Ils ont le pouvoir de foirer toute votre journée. Je hoche la tête, imaginant bien qu’elle ait besoin de se remonter le moral après cet enchaînement. Noor m’a déjà parlé de son père et je sais que leur relation n’est pas au beau fixe. Quant à sa mère, pas difficile de comprendre pourquoi la situation n’est pas évidente. Je lui lance un sourire désolé en lui donnant un petit coup d’épaule comme pour dire que je la soutiens à 100 %. « Je vois. Ton paternel est bien pire que le mien  mais il faut pas être télépathe pour savoir que le mien aimerait aussi que je trouve quelque chose de mieux comme boulot que videur de boîte de nuit. Et je déteste quand ils se mettent à faire des speech... T'as eu raison de raccrocher. » Je pense que je comprends le ressenti. Mais bon, expliquer à mon père que je ne sais pas où va ma vie professionnelle c’est… compliqué. Je soupire et me décide enfin pour un film dont j’ai entendu parlé par des collègues. « Est-ce que ça te va celui-là ? » ai-je demandé à Noor en faisant un signe de tête vers l’écran qui montrait l’affiche d’un thriller sorti il y a quelque temps déjà. Après sa réponse, je lui demande quand même : « Comment va ta mère ? » Je suis supposé lui redonner le sourire mais je me dis que ça vaut peut-être le coup d’en parler aussi. Quand on se retrouve pour notre tradition habituelle, c’est comme essayer de trouver un juste milieu entre changer les idées de l’autre et parler du problème. Ma mère est peut-être de l’autre côté de l’Atlantique et je dois débourser des milliers de dollars pour la voir mais je préfère trente fois ça à l’idée de la savoir derrière les barreaux.